Quelques jours après, toujours l'impression d'un roman un peu ...bancal.
Ayant lu le brillant commentaire de Woland , qui raconte , je ne vais pas hésiter à " spoiler" , donc à ne pas lire car il y a quand même, tout au long du texte, un mystère entretenu sur l'objet réel de cette missive.
C'est donc , pour moi, un assez brillant exercice de style sur un thème imposé, si j'ai bien compris , le genre épistolaire. La lettre d'un intellectuel français, académicien , très croyant et confiant dans la possibilité pour la France de trouver un salut , et de se relever en accordant toute sa confiance au bon Maréchal Pétain. Antisémite tout à fait.. ordinaire finalement pour l'époque:
" Heureusement , la plupart de mes compagnons de lettres et d'idées demeuraient fermes à mes côtés. L'Académie française, par les plumes de onze de ses membres dont la mienne, avait soutenu l'intervention des Italiens , champions de la Civilsation devant les sauvages éthiopiens en Abyssinie. Mauras allait nous rejoindre sous la coupole où il bénéficia naturellement de mon suffrage. Tous, nous n'hésitions pas à clamer haut et fort, dans les journaux et hebdomadaires où nous exprimions notre juste indignation, ce que l'immense majorité des Français pensait tout bas: les Juifs volaient les emplois de nos concitoyens, envahissaient illégalement le pays, lançaient une " révolution juive " avec la complicité de Léon Blum. Bientôt, ils comploteraient pour entraîner la France- qui n'était pas prête militairement- dans leur guerre de revanche , et nous précipiteraient tous au fond de l'abîme. "
Romain Slocombe dit dans un entretien avoir choisi ce sujet après avoir lu le courrier de ses grands-parents , déplorant ça et là le mariage d'un fils avec une Juive, ou parlant de souhaits de " guérir les petits-enfants des tares inhérentes à leur race..".
Cette lettre est donc adressée au commandant allemand de son lieu de résidence, dans l'Eure, et est datée du 4 septembre 1942.
Ce que j'ai trouvé bien fait , c'est tout d'abord cette introduction par la note d'un pseudo-éditeur , situant les conditions de découverte de ce courrier, qui fait d'emblée se poser la question : fiction, ou pas?
C'en est une , mais la documentation ,le vocabulaire et le style évoquent quand même bien certains écrits de l'époque. Les raisonnements sur les choix idéologiques aussi bien sûr, et j'ai pensé à
Jacques Chardonne , dont le fils unique, résistant, a été déporté, mais sauvé. Non que je l'aie lu, d'ailleurs, mais
Semprun en parlait.
Je trouve également que c'est un texte trop court pour aborder tout ce que cet écrivain veut aborder, mais après tout, c'est une lettre, et une lettre de 500 pages...?
Non, ce qui m'a gênée, c'est autre chose. C'est d'abord l'aspect mélo. Ce pauvre Husson, sa femme meurt, sa fille meurt, son fils a rejoint l'Angleterre abandonnant femme et enfant à ses bons soins, sa belle-fille est donc juive , il en est quand même follement amoureux , et elle est enceinte de son propre enfant. Bien. Ca fait déjà beaucoup .
Mais, quand ces horribles miliciens l'entraînent constater de visu comment ils traitent les résistants, qui est torturé devant lui? Son fils! Enfin, il ne le connaissait pas mais tout concorde...
A part confirmer que Mr Husson n'a pas de problème de reproduction , à quoi bon en rajouter autant? On arriverait presque à le prendre en pitié..
Et puis aussi, et surtout ,la fin de la lettre. Là, où un cynisme complet aurait pu me satisfaire ( enfin, dans le portrait!) , et aurait pu faire de ce roman la vraie tragédie dont certains ont parlé, cette demande, je ne parviens pas à y adhérer.
On est quand même en septembre 1942, et même si le sort véritable de ces Juifs raflés par milliers ( Rafle du Vel d'Hiv , juillet 42, 13152) n'est pas encore dévoilé , il se doute bien quand même, Mr Husson , qu'ils ne partent quand même pas dans un camp de vacances. A ce niveau là, ce n'est plus de la naïveté, c'est... . Prenez-en bien soin, trouvez-lui un mari et un futur père pour mon enfant.. Ben voyons!!
En exergue:
"La trahison peut être le fait d'une intelligence supérieure, entièrement affranchie des idéologies civiques."
Paul Léautaud (
Passe-temps)