Chanteuse immense, poétesse, artiste plastique, musicienne, performeuse, égérie du mouvement punk et désormais écrivaine :
Patti Smith a décidément plus d'une corde à son arc ! (devrais-je dire "à sa Gibson" ?)
Si c'est par sa voix puissante, rebelle, inimitable, qu'elle m'avait depuis longtemps conquis, c'est par sa plume pleine de sincérité, sa personnalité et son parcours pour le moins singulier qu'elle me séduit aujourd'hui. Quelle vie, quel talent, quelle énergie, quelle rage et quelle tendresse dans le joli témoignage qu'elle nous dévoile ici !
Cette biographie est bien celle d'une femme libre, entière, férue d'art, de photo et de littérature française (
Baudelaire,
Genet, par dessus tout
Rimbaud), celle d'une gamine simple, partie de rien et devenue icône.
C'est aussi et avant tout l'histoire d'un serment, d'une fidèlité à toute épreuve. L'histoire d'une rencontre fusionnelle avec
Robert Mapplethorpe, son complice et sa référence absolue en matière d'expression artistique et de créativité.
Son amant d'un temps, son âme soeur de toujours.
Ensemble, Robert et Patti ont traversé les seventies comme des comètes jumelles.
Ils ont écumé les quartiers les plus populaires de New-York, ils ont connu la faim, ils ont partagé leurs rêves, leurs maigres économies et leurs modestes biens (des portfolios surtout, quelques bijoux de pacotille et autres petits accessoires vestimentaires, un polaroid...), ils ont navigué main dans la main dans une faune interlope qui les a tous deux beaucoup inspiré, ils ont consommé (Robert surtout) quelques substances douteuses, ils ont vécu de longs mois - comme tous les plus déjantés des artistes et poètes New-Yorkais de l'époque - dans une chambrette du mythique Chelsea Hotel, ils ont croisé la route des Dylan, Joplin, Hendrick et autres membres émérites du Velvet Underground ("on ne pouvait pas rêver mieux dans le registre du glamour sombre"), en bref ils ont bâti leurs carrières sur un terreau des plus fertiles.
Robert s'est essayé à divers arts plastiques avant de s'adonner pleinement à la photo, principalement des nus masculins chargés d'érotisme, voire carrément de sado-masochisme, pour lâcher la bride à ses penchants homosexuels et exprimer sa franche volonté de rupture et de transgression.
De son côté Patti prend la pose (ah ! la beauté de ces clichés noir et blanc, francs et sans artifices !), elle peint, dessine et écrit, notamment des
poèmes plutôt torturés dont elle aime faire des lectures publiques et des pièces de théâtre pour "refléter la pagaille flamboyante de [son] monde intérieur". En amoureuse des livres, curieuse et cultivée mais toujours prête à se passionner pour les idées provocantes, elle cherche à "insuffler dans le mot écrit l'immédiateté et l'attaque frontale du rock and roll". En clair ça dépote !
C'est Robert, qui l'invite à mettre ses textes en musique, la propulsant indirectement sur le devant de la scène punk, puis plus tard au panthéon du "Rock and Roll Hall of Fame" et en bonne place dans ma playlist favorite (merci Robert !)
C'est à Robert aussi, évidemment, qu'est consacré en grande partie cet ouvrage. Tourmenté jusqu'au bout, avide de reconnaissance, il est mort du sida à 42 ans (1989) et c'est pour lui que Patti a conçu ce joli document très intime, plein d'authenticité et riche en anecdotes sur la folie d'une époque et sur leur formidable couple de touche-à-tout.
J'ai pris beaucoup de plaisir à découvrir ce texte et à me plonger dans l'histoire d'un coup de foudre artistique hors-norme, en regrettant toutefois par moments la multitude de noms propres (poètes, musiciens, noms de lieux...) et de références culturelles américaines qui me sont inconnues...
Ceci mis à part, la lecture reste passionnante, et les superbes portraits de Patti, leur sombre puissance esthétique, leur cadrage strict, leur noir profond si loin des couleurs à outrance et des motifs psychédéliques en vogue dans les années 70, constituent un bel hommage au talent du photographe. Il s'en dégage vraiment quelque chose de très fort !
Souvent Patti se tient debout, la tête haute, et son regard semble nous dire : « People say "beware !" / But I don't care / The words are just rules and regulations to me » ("Gloria", titre inaugural de l'album de légende "Horses").
En d'autres termes : « Je suis ce que je veux, je ne suis pas comme vous, et je vous emmerde ».
Défi, révolte, audace, insoumission.
Rock'n roll.
Forever.