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sur 234 notes
Formidable conte contemporain d'une mythologie aquatique et fantastique née de la traite esclavagiste. Sensibilité, poésie et combativité pleinement au rendez-vous.


Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/05/25/note-de-lecture-les-abysses-rivers-solomon/

Yetu est l'historienne officielle de son peuple aquatique, qui vit libre et joyeux au fond des océans, parmi les cétacés et autres créatures bienveillantes. Cette vie libre et joyeuse, la plupart du temps, semble possible uniquement parce que, justement, l'Historienne assume l'intégralité de la mémoire cruelle de son peuple, ancrée dans des origines désormais presque mythiques, mais ayant clairement à voir avec les enfants miraculés des femmes noires enceintes jetées par-dessus bord, victimes impuissantes d'une quête inlassable du profit calculé, par les vaisseaux de la traite négrière arbitrant en permanence les centimes de coût et de bénéfice attendu.

Censée porter ce fardeau en permanence, pour le partager seulement brièvement, de temps en temps, lors de cérémonies rituelles où ces terribles souvenances, pourtant indispensables boussoles dans l'obscurité, parcourent chaque wajinru, avant d'être à nouveau enfermées, rendues à leur innocuité – sauf pour l'historienne -, dans le cerveau désigné pour cela de Yetu.

Mais Yetu n'en peut plus : doutant d'elle-même comme de sa fonction, se jugeant sévèrement atypique et pas à la hauteur de sa tâche, une crise plus aiguë que les précédentes lui fait abandonner sa charge à un moment crucial, et rejoindre la surface où l'attend peut-être, au contact ambigu des « deux-jambes », un destin tout différent.

Publié en 2019 et traduit en français par Francis Guèvremont en 2020, toujours chez Aux Forges de Vulcain, le deuxième roman de Rivers Solomon, deux ans après « L'incivilité des fantômes », transporte son puissant questionnement autour de la possibilité et du devoir de mémoire, de l'Histoire en général et de la traite esclavagiste en particulier, de l'univers clos, oppressant et particulièrement familier aux lectrices et aux lecteurs de science-fiction qu'est le vaisseau spatial générationnel, vers les profondeurs de l'océan et des secrets qu'il peut encore et toujours abriter. Jouant subtilement, dans certains interstices abrités de son récit, avec les motifs menaçants qui peuvent irriguer cet univers-là (on se souviendra certainement de la « trilogie des Rifteurs » de Peter Watts, peut-être de la nouvelle de Scott Baker, « Dans les profondeurs de la mer repose le sombre Léviathan », et même éventuellement de l'imposant « Abysses » de Frank Schätzing, avec son traitement d'éco-thriller géopolitique), Rivers Solomon a choisi une forme relativement brève (180 pages), et une tonalité plus proche de celles de la fable, ou même du conte, qui se chanterait peut-être le soir à la veillée, sous les grandes algues à palabres.

S'il y a bien un enjeu vital pour la littérature contemporaine qui refuserait de se résigner à être simple spectatrice désabusée d'une déliquescence – ou pire, son accompagnatrice spectaculaire marchande -, dans la création ou la réactivation de mythes puissants, populaires et politisés, au sens le plus pur et le plus authentique du terme, comme le collectif italien Wu Ming en ébauchait avec brio la théorie en 2008, avec leur « Nouvel épique italien », Rivers Solomon, dès ses deux premiers romans (et ce sera encore plus flagrant peut-être avec son troisième, « Sorrowland », dont on vous parlera très prochainement sur ce même blog), en propose des formes déjà hautement accomplies, tout en poursuivant son travail le plus personnel en interrogeant ce que nous doit la mémoire, et ce que nous lui devons, malgré tous les piaillements de celles et ceux trouvant si souvent que l'on en fait trop. En matière d'actualisation, de constitution des résonances des luttes (et des défaites) passées dans le travail au présent, non, « on n'en fait jamais trop » – comme le rappelait encore le grand Valerio Evangelisti quelques mois avant son décès : avec ce travail poétique intense au coeur de la fabrique contemporaine des résistances, et en insistant joliment sur les chemins souvent inattendus, riches de leurs altérités, que celles-ci peuvent emprunter, Rivers Solomon nous en offre une démonstration éclatante.

« Les abysses » est aussi, il faut le noter, une passionnante démonstration de la manière dont un travail collectif, formel et informel, peut s'emparer d'un motif imaginaire pour le faire vivre à plusieurs dans la durée, et lui donner progressivement cette décapante puissance mythologique : né en 1992 dans la musique du duo techno Drexciya à Detroit, repris et développé en 2017 par le hip-hop du crew the clipping, voici maintenant le mythe doté d'une musculature renouvelée (ou bien d'un exo-squelette, en plagiant par anticipation « Sorrowland »), pour affronter les irascibles et les atrabilaires mentionnés en exergue du roman.

Lien : https://charybde2.wordpress...
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Yetu ne supporte plus sa mission d'historien.ne : son peuple, qui vit dans les fonds sous-marins, est né d'une histoire tellement horrible qu'iels l'oublient régulièrement, à l'exception d'un individu par génération.
Ce roman afrofuturiste s'inscrit dans une tradition qui débute et participe à la création d'un mythe. En cela, il est particulièrement intéressant, comme l'est la réflexion de Solomon sur la langue. le style est en revanche un peu simple, je le classerais dans la catégorie "Young Adult".
Quelques indices m'amènent à m'interroger sur la qualité de la traduction française : je ne suis pas certaine qu'elle respecte la non-binarité des personnages, alors que c'est un élément important. A lire en version originale, donc.
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« Ce genre d'intrigues [les amours impossibles] était dans l'air à l'époque romantique […]. Il avait certainement des côtés homosexuels, mais il était surtout un peu asexué ce brave Andersen et n'avait jamais touché ni homme, ni femme « . Citation de François Flahault, Fictions et spéculation sur les contes de tradition orale et les contes d'Andersen, 1985. Flahaut fait ici référence au conte « la petite sirène » d'Andersen (1837).

Là est peut-être le départ du roman-ci, de cette auteur-e non binaire, Rivers Solomon. Les sirènes étant femme et homme tout à la fois, et choisisse un sexe de leur choix pendant un accouplement (qui pourra être un choix différent lors d'un autre accouplement).

Les sirènes sont apatrides, sinon elle ont comme Océans leur demeure, soit pratiquement le monde entier. Bien des parallèles à faire avec les origines afro-américaines de l'écrivain-e.

Une oeuvre rafraîchissante telle l'océan…
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Je ressors de cette lecture un peu mitigée....
J'ai adoré ce peuple, les wajinrus, leur origines, leur histoire. Mais hélas, je trouve que je le récit traîne en longueur avec son historienne, Yetu. le texte veut faire preuve se sensibilité mais pour moi, c'est trop. Au but de 40 pages de lecture, envie de lui dire "c'est bon, j'ai compris. Tu as mal. L'eau te fais mal. C'est compris ! Maintenant est-ce que l'histoire peut avancer ?"
J'y trouve un problème de rythme.
On s'attarde trop donc sur les sentiments de Yetu (répété 50 fois la même chose) au début alors que par la suite du récit, il y aurait tellement à développer : l'écologie, les genres, la guerre, le racisme mais tout cela se retrouve survolé.

De plus, on rentre vraiment dans un avis personnel mais ça manque un peu de description. On nous parle des maisons des Wajinrus mais vraiment je n'arrivais pas à les imaginait. On ne me donnait aucune matière à exploiter. Ni pour leurs maisons, ni leur citée. Les décors implantés sont vides.

Reste que je n'avais jamais lu encore de livre sur les sirènes et vraiment, je compte bien y remédier !
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L'idée était originale, séduisante et m'a rendue curieuse. Mais très vite je me suis sentie en décalage avec une écriture dont je n'ai pas saisi les codes. Certains passages sont poétiques, d'autres traduisent des émotions violentes avec beaucoup de force, mais cela n'a pas suffi. Je ne suis pas entré dans l'histoire.
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(Issu de mon compte Instagram @l.iris.me)

Le résumé m'avait tellement plu lorsque j'étais tombée dessus ! Ma déception n'en fut que plus grande : je n'ai pas du tout aimé ma lecture... Je ne me suis attachée à aucun personnage et n'ai absolument pas accroché avec l'intrigue. Je pense d'ailleurs que la taille du roman (200 pages) n'a pas aidé : l'histoire manquait cruellement d'approfondissement pour que je puisse ressentir quelque chose...🙃

Ce roman a tout de même une histoire intéressante. En effet, il s'inspire de la chanson "The Deep" (soit Les Abysses) du groupe Clipping. Dans cette chanson, on retrouve l'idée d'une civilisation marine ayant pour origine des femmes esclaves enceintes.

J'ai lu ce livre dans le cadre de la lecture de Mai & Juin du @bookshellclub ! 🐚

J'ai toujours pensé que j'adorais les histoires qui tournaient autour des sirènes et des créatures marines, et je crois que c'est vraiment le cas. Mais les deux seules fois que j'ai essayé avec des livres (la première étant "Le Royaume Assassiné") j'ai été très déçue...😅
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Je ne suis pas faite pour la science fiction, cela se confirme. J'aurais dû m'en douter avec un livre publié aux Forges de Vulcain. Je ne suis pas faite pour les histoires qui disent "Yetu n'entrevoyait aucune solution facile, aucun moyen de préserver à la fois sa paix et sa liberté et d'empêcher la destruction de tout." C'est sûr que rien n'est facile en ce monde, même en vrai. Je crois que je n'ai jamais eu l'âge de ce genre de dilemme. Dommage, moi qui croyais en apprendre plus sur les bateaux négriers.
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Ne lisez pas la quatrième de couverture !
De quoi est-il question ? Autant le dire d'entrée de jeu, je n'aime pas du tout la quatrième de couverture et nous allons essayer de l'oublier tant elle force la lecture de celle ou celui qui n'est pas encore entré dans l'oeuvre. C'est un roman fantastique qui a pour personnage principal Yetu, une créature marine intelligente, dotée d'une parole et d'une réflexion dans laquelle un point de vue interne nous plonge constamment. Et de plonger, il s'agit bien de cela. Yetu appartient à un peuple des abysses (comme l'indique le titre Français explicitant ce qui est plus polysémique en anglais « deep »). Elle y occupe la fonction prestigieuse d'historienne : à intervalles réguliers, elle se fait littéralement la voix de l'histoire. Cette fonction est en réalité une incarnation puisqu'elle reçoit le passé dans son corps, elle vit, elle souffre ce passé et le transmet à son peuple. Quel est donc l'étrange lien qui unit les Wajinrus aux « deux jambes » qui vivent sur la terre ? Telle est évidemment la question que l'on se pose et que l'enquête de Yetu permettra de découvrir. Car enquête il y aura même si ce n'est pas tout-à-fait celle à laquelle on pense. Yetu décide en effet de rompre, de renoncer à sa fonction et d'aller à la rencontre de la surface. le roman nous plonge dans les profondeurs maritimes mais aussi au plus profond de la mémoire (deep) et pose la question de la transmission . Comment se souvenir ? Comment transmettre la mémoire d'un peuple ? Comment survivre au passé si celui-ci est insupportable ? Qui doit transmettre ? Cette question, Yetu y répond : cela ne sera plus elle. le poids de l'histoire ne peut pas reposer sur un individu unique, il doit reposer sur le collectif tout en ménageant les individus. Mais ce n'est pas tout car Rivers Solomon incarne l'intersectionnalité et la lecture que je viens de faire est réductrice. Disons donc que Yetu est à la fois féminine et masculine, une et plurielle (très beau travail de l'écriture et de la traduction sur les pronoms personnels), animale et humaine. L'autre et nous-mêmes. 'ai particulièrement aimé dans ce roman le motif de l'eau, la mer qui est ici définitivement la mère (oui je sais, cela ne fonctionne pas en anglais). Il y a chez les Wajinrus cette continuité avec le milieu, sorte de liquide amniotique permanent. Pour conclure, il faut remercier les éditions Forges de Vulcain pour cette édition en français de l'oeuvre qui permet également de suivre le projet collectif dans lequel elle s'inscrit car la notion d'autorité de l'auteur est également repensée par Rivers Solomon. Pour lire des extraits cliquez sur le lien ci-dessous.
Lien : https://twitter.com/claire_t..
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Les Abysses est un roman à la charge émotionnelle forte où le poids de l'histoire, celle avec un grand H, accable notre personnage principal qui se perd dans les tourments de son peuple et qui cherche sa voix, et sa voie aussi. Souvenirs, Histoire, Mémoire, Existence sont les thèmes qui construisent ce roman fantastique, à tous les points de vue, pourtant bien ancré dans une réalité, la nôtre : une très belle et bouleversante représentation des littératures de l'imaginaire d'aujourd'hui.
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. Et si les êtres humains pouvaient respirer sous l'eau, et si au cours du plus ignoble commerce, le commerce triangulaire, le commerce des esclaves, les milliers d'Africaines jetées par dessus bord pendant la traversée vers les Amériques alors qu'elles accouchaient, avaient donné naissance à une nouvelle civilisation: des descendants amphibies, mais qui sont les Wajinrus, des sirènes?
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. C'est le personnages de Yetu, l'Historienne qui détient l'histoire collective, qui est chargée un fois par an au cours d'un rituel télépathique de délivrer la mémoire de son peuple, ce passé traumatique. Se souvenir pour les autres, le poids du passé, le poids d'un tel héritage. Un jour Yetu n'aura pas la force de tout reprendre, elle s'enfuie et échoue sur une plage.
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. Cette histoire est partie d'un mythe afrofuturiste, d'une civilisation sous-marine, inventée par Drexciya, reprise par le groupe Clipping dans son single The Deep. Rivers Solomon en a fait un roman.
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. Ce récit sur l'importance des origines et le devoir de mémoire est une petite pépite, une connaissance nécessaire à chacun car « le néant serait pire que la douleur ». S'emparer de ce sujet, en faire un récit fantastique, voire mythologique, lui donne une dimension universelle. Cette histoire qui résonne fort aujourd'hui encore face à la violence du suprémacisme blanc.
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. « Y'all remember! » Vous vous souvenez! Black lives matter!
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