Dans sa biographie d'
Eva Perón l'auteure, Joanna Spencer, note : "Tout un peuple suit le combat singulier de celle qui, pour la première fois dans l'histoire d'un pays, entre la légende avec un diminutif." Ce combat singulier se réfère au cancer de l'utérus, qui causa la mort de la "first lady" d'Argentine, surnommée affectivement par le peuple "Evita", en 1952, à l'âge de seulement 33 ans. La popularité dont cette "
Santa Evita" - autre surnom - a bénéficié pendant les 6 ans, 1 mois et 22 jours (1946-1952) à côté de son époux, le caudillo Juan Domingo Perón (1895-1974), laisse tout simplement rêveur. Et ce n'était pas le résultat d'un 'culte de la personnalité' cher à des dictateurs tel Staline, mais le ressentiment du petit peuple pour une femme sortie de leurs rangs et montée jusqu'au pinnacle de son pays : la "Casa Rosada", le palais présidentiel à Buenos Aires. Cette madone des "descamisados" ou sans-chemise, créatrice d'un mythe, qui 66 ans après sa mort dramatique, lui a survécu !
Ce conte fée au dénouement dramatique de Eva Duarte, née en 1919 à Los Toldos, un endroit désespérant au début de la Pampa et à 250 km à l'ouest de BA, m'était connu en grandes lignes, mais n'ayant jamais lu de biographie d'elle, il y avait plein de choses que j'ignorais totalement. Pourtant, au cours d'un séjour de 2 bonnes semaines à la capitale d'Argentine, en 2001, le sujet d'Evita a été souvent soulevé dans mes conversations avec des Argentins de tout âge et condition dans les cafés, cafétérias et à l'hôtel Obelisco, où j'étais descendu. le moindre que l'on puisse dire c'est qu'elle ne laissait personne indifférent : certains avaient horreur de cette époque de dictature péroniste et estimaient qu'à côté de ses bonnes oeuvres pour les pauvres, elle avait aussi commis de nombreuses bêtises (notamment des dépenses publiques bien intentionnées mais inconsidérées) ; d'autres, en revanche, ne m'ont pas caché l'admiration qu'elle continua à leur inspirer.
La célébrité et la nostalgie de cette blonde latino-américaine se sont reflétées dans un nombre considérable d'articles et de livres. Comme biographie, je citerais de
David Lelait-Helo "Evita : le destin mythique d'
Eva Perón" ; de
Tomas Eloy Martinez "
Le roman de Perón" et d' Alicia Dujoune Ortiz "
Eva Perón. La madonne des sans-chemise. Et, à propos de
Madonna, il y a bien sûr le fameux film d'Alan Parker "Evita" de 1996, que beaucoup d'entre vous ont probablement vu.
Deux bouquins autobiographiques ont été publiés : "La razón de mi vida" (
la raison de ma vie) en 1951, et l'an après, "Mi mensaje" (mon message), que je n'ai pas lu et dans lesquels, à tort ou à raison, je n'ai pas trop confiance.
Mais qui était cette
Eva Perón-Duarte au juste ?
Son démarrage dans la vie ne fut pas sous un ciel propice du fait que son père, Juan Duarte, entretenait 2 familles : une avec son épouse légitime, et une autre avec sa concubine, Juana Ibarguren - d'origine basque - qui lui a donné 5 enfants, dont la cadette Eva. Sur cette benjamine a pesé "l'opprobre de leur origine bâtarde" : humiliations et pauvreté. Comme môme, Eva est d'humeur changeante, tantôt secrète et morose, tantôt gaie et vive, mais au "regard triste qu'elle gardera pour le restant de sa vie". Elle a de piètres résultats à l'école, sauf pour chant et musique, où elle obtient le maximum des points. Ses études se limiteront au cycle primaire. Sa santé est fragile et elle mange comme un petit oiseau.
Très jeune, c'est le métier d'actrice qui l'attire, elle adore le théâtre et le déguisement, pour échapper à son environnement maussade ?
À 15 ans, elle s'enfuit à BA, rejoindre son frère Juan, qui y fait son service militaire, avec la ferme intention de devenir actrice. Seulement, ses atouts sont plutôt réduits : physiquement avec son 1,55 m et maigrichonne, elle ne paie pas de mine, elle ne possède aucun talent particulier, ni instruction, ni amis influents, sa diction est décevante et sa voix stridente, mais elle a aussi des qualités : "le don d'imitation, l'oreille juste et une excellente mémoire" et, en plus, "un culot inébranlable". C'est cependant sa colossale conviction en elle-même, son ambition qui ressemble à une rage de réussir, une revanche, qui lui permet de vivre 5 années dans la dèche, de frustration en déception, de frôler l'insécurité et les privatisations. Elle accepte systématiquement tous les petits rôles qu'on lui offre pour un salaire de misère. Ce n'est qu'au bout de 6 longues et pénibles années que l'avenir commence à lui sourire : elle devient une spécialiste des feuilletons radiophoniques très populaires en ces temps et la porte du vedettariat s'ouvre lentement mais sûrement à elle.
Néanmoins, une ombre fatale se pointe, en 1937, lorsqu'elle est brutalement violée : d'hémorragies vaginales en inflammation non soignée, faute de sous, sa santé se détériore de façon inquiétante. Ce n'est que 6 ans plus tard qu'elle a les moyens de se faire soigner comme il faut, mais les dommages sont importants et elle est devenue stérile.
Le grand tournant de sa vie a lieu en janvier 1944, lorsqu'elle fait la connaissance du colonel Juan Perón. Elle a presque 25 ans, et se rend compte que son avenir est lié à celui de ce veuf qui s'approche de la cinquantaine, est bel homme et secrétaire d'État au Travail et à la Prévision sociale. Leur rapprochement et mariage en octobre 1945, sont basés sur leur expérience commune d'enfant pauvre, auquel s'ajoute leur "utilité réciproque qui les rendra indispensable l'un à l'autre". Devant son micro de la radio, elle va "faire l'éloge de Juan Perón jusqu'à la nausée".
J'ai préféré concentrer mon billet sur l'Eva avant qu'elle ne devienne Perón pour 2 raisons : d'abord sa brève existence comme partenaire de l'homme fort du régime argentin à été déterminée par son enfance et jeunesse et ensuite parce que sur ses origines ont circulé tant de rumeurs fausses et persistantes. Je salue l'entreprise de Joanna Spencer de corriger le tir de façon sobre. S'il est incontestable que "
Santa Evita" n'a pas menée une vie de sainte, de là à affirmer qu'elle aurait couché avec la moitié de la population masculine de BA et vécue des gains de films pornographiques est démesurément exagéré. Il est vrai qu'elle ait connu pas mal d'histoires d'hommes, où elle apparaît plutôt comme victime et qu'elle ait survécue en posant pour des photos publicitaires disons osées.
L'auteure pour s'informer a eu des entretiens avec 2 soeurs d'Eva, l'aînée Blanca Duarte de Álvarez et la plus jeune encore en vie, Erminda Duarte de Bertolini, ainsi qu'avec la présidente de la Fondation
Eva Perón (EPFHR), Christina Álvarez Rodríguez. Elle a en outre eu accès aux archives nationales de BA.
De Joanna Spencer très peu est su, à part qu'elle soit d'origine irlandaise et l'auteure de 2 autres biographies : "
Grace, une princesse désenchantée" (2004) et "
Audrey Hepburn" (2005). Bien que n'étant pas un fana des biographies de stars de cinéma, peut-être que je me laisserais tenter par la charmante Audrey, pour des raisons de pur chauvinisme : née à Ixelles, une commune de Bruxelles (1929), sa splendide performance comme soeur Luc du couvent de Bruges dans "Au risque de se perdre" (1959) et son tout premier film, à 19 ans, "Le Néerlandais en 7 leçons" !
Comme
Eva Perón, malheureusement,
Audrey Hepburn est morte d'un cancer, mais à un âge un peu plus avancé, en 1993. dans le Vaud en Suisse.