Propos de Râbi'a : « Qui a décrit n’a pas été décrit. Comment décrire Celui que tu prétends décrire si, en Sa présence, tu es absent ? Si en Son centre, tu t’es fondu ? Si en Sa contemplation, tu as disparu ? Si, en ta retenue, tu t’es enivré de Lui ? Si, en ton vide, tu t’es laissé combler ? Si, en ta joie, tu es terrifié ? » Puis : « Entre l’aimant et l’Aimé, il n’existe pas de distance. C’est la force du désir qui produit la parole et c’est la saveur qui provoque le besoin de décrire. Qui a goûté sait et Celui qui a décrit n’a pas été décrit. La grandeur frappe la langue de mutisme. L’angoisse révérentielle interdit au peureux de s’exprimer. La jalousie voile les concurrents aux regards. La stupéfaction perpétuée, l’angoisse inévitable, les cœur dérivants, les secrets enfouis, les corps dévastés par la maladie et corrompus, puis l’amour, avec son inflexible pouvoir, devenu l’arbitre des cœurs ! » (p. 71)
Hassan al-Basrî vit un jour Râbi'a assise sur l’une des rives de l’Euphrate. Il jeta son tapis de prière sur le fleuve et, s’installant dessus, il invita la mystique à venir prier avec lui sur l ’ eau. Elle répondit : « Monseigneur, chercherais-tu à prouver aux gens de l’Au-delà ce dont sont capables les gens de ce monde ? Montre plutôt aux hommes de ce monde ce que la plupart d’entre eux ne sauraient imaginer d ’ accomplir. » Puis, elle lança son tapis en l’air, et cria à son ami : « Rejoins-moi sur ce tapis, Hassan, pour que les gens plus éloignés de toi qu’ils ne le furent jamais puissent te voir à loisir ! » Elle ajouta, pour atténuer l’ironie de son propos : « Ce que tu as fait, un poisson peut le faire et ce que je fais une mouche le peut. Le plus important n’est donc pas là : il est de monter d’un degré dans l’être. » Ajoutant : « Le véritable travail est bien au-delà de tout cela et ce qui importe c’est de nous consacrer, toi, moi, et les autres serviteurs d’Allah, au vrai travail. » (p. 90)
Mon apaisement, ô mes frères, est dans l’isolement
Car mon Aimé pour moi se fait Toute-Présence
À mon amour pour Lui je ne vois pas de substitut,
Vécu au sein de la multitude cet amour est ma dure épreuve
Où que je sois, Sa beauté m ’ est lieu de contemplation
Il est ma chaire d’enseignement, la niche de mon oraison
Si de cet excès je meurs et qu’ il n’en soit guère content
Mon séjour parmi les vivants ne m’aura été que malheur
Ô Toi, Médecin du cœur et Cime de mon désir,
Accorde-moi l’union en Toi, celle en qui l’âme cicatrise
Ô ma Fête, ô ma Vie, profuse éternité :
En Toi ma source ; en Toi, mon ivre ressource !
J’ai délaissé tout le créé par espérance
De m’unir à Toi, c’est la pointe de mon vœu ! (pp. 57-58)
On vit un jour Râbi'a courir, tenant dans l’une de ses mains un seau plein d’eau et agitant de l’autre un brandon enflammé. « Où cours-tu ainsi, maîtresse ? », lui demandèrent de jeunes disciples qui passaient par là. Elle répondit : «Avec l’eau, je veux éteindre la Géhenne et, avec le feu, je veux brûler le Ciel. Ainsi Dieu, hors de toute crainte de l’Enfer de la part de Sa créature et de toute espérance du Paradis, sera-t-Il aimé, comme II le mérite : pour Lui-même. » (p. 84)
Ô Toi, Médecin du coeur et Cime de mon désir,
Accorde-moi l’union en Toi, celle en qui l’âme cicatrise!
Ô ma Fête, ô ma Vie, profuse éternité :
En Toi ma source ; en Toi, mon ivre ressource !
J’ai délaissé tout le créé par espérance
De m’unir à Toi, c’est la pointe de mon voeu !
Le site internet de Salah Stétié : http://salahstetie.net
Photographie : Portrait de Salah Stétié réalisé en 2011 par Stéphane Barbery (tous droits réservés)
En raison des événements tragiques que nous vivons, l'équipe des “Racines du Ciel” (émission diffusée sur France Culture tous les dimanches) a décidé de changer le programme de ce dimanche 11 janvier 2015. Lors d'une rencontre avec Salah Stétié ce jeudi 8 janvier 2015, grande figure intellectuelle qui s'est toujours engagé contre toutes les formes de fanatisme, Frédéric Lenoir et Leili Anvar lui ont demandé de réagir comme intellectuel et ancien ambassadeur du Liban, comme homme de culture qui a consacré plusieurs ouvrages à l'islam spirituel, comme amoureux de la France aussi, au drame qui se déroule en ce moment même dans notre pays.
Écrivain et poète de réputation internationale, homme d'action et diplomate, Salah Stétié est un intellectuel d'origine libanaise et de culture musulmane, devenu une figure incontournable de la poésie de langue française. Ses mémoires, “L'extravagance” (Robert Laffont), retracent son parcours exceptionnel, ses passions, ses combats et ses engagements.
Invité :
Salah Stétié, poète, diplomate
Thèmes : Idées| Poésie| Proche Orient| Salah Stétié| Charlie Hebdo
Source : France Culture
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