Bah, autant tout vous révéler : en l'an 2012 a éclos au printemps, en plein coeur de la Corrèze (à ALBUSSAC, pour ne pas nommer le village-berceau des Editions "2 Vives Voix" — devenue depuis "Utopique"), un magnifique album de 40 pages, d'une grâce aujourd'hui sans équivalence !
Les tons pastels de la page de garde nous montrent l'amoncellement de trésors d'une TRES ancienne petite fille devenue "Mamine" (arrière-grand-mère) : des disques en cire, des ardoises d'école (magiques ou pas) avec leur cadre en bois, des photos de chat ou de gâteau d'anniversaire, une poupée de chiffon, des photographies sépia, des dessins de gosses, une vieille montre à la mécanique arrêtée, un petit papier quadrillé annonçant : "2 + 2 = 22"...
Le temps, n'est-ce pas... « le temps est assassin et emporte avec lui les rires des enfants et les Mistral Gagnant." (Merci à vous pour toujours, m'ssieur Renaud Séchan !!!)
Le Temps, assassin de la mémoire ? Ah ça, non, jamais ! car la mémoire, elle, peut se transmettre... et si l'on y prend garde, elle ne mourra jamais !
Célia est une gamine d'aspect fragile aux longs crins noirs, aux yeux verts et au grand front blanc. Elle aime infiniment son arrière-grand-mère dont la vieille maison est un paradis pour l'enfance.
« Une fois montées toutes les deux au grenier. Là-haut, je me souviens, la première chose que j'ai vue, c'est le cheval à bascule rouge et blanc. La peinture était usée près du cou. J'ai grimpé dessus pour me balancer, tandis que Mamine ouvrait un grand coffre à jouets. » [double-page 8 & 9].
Cette page nous semble parmi les plus belles oeuvres d'ISALY, l'illustratrice enduisant patiemment de tons délavés, avec ses crayons de couleurs et son encre de Chine, la vue d'ensemble de son Grenier aux Merveilles... Les fines rainures du plancher de sapin y sont tracées... Un infini souci du détail... Une apothéose de coloris frais et délicats, harmonieux... La vieille dame déplie une robe de fée pour son arrière-petite-fille. le spectacle du bric-à-brac régnant dans le grenier (vieux jouets, échelles de jardinier, vieux 45 tours vinyle) vaut autant que la découverte "tintinesque" du sous-sol aux vieux coucous du château de Moulinsart des Frères Loiseau dans "Le Secret de la Licorne" d'
HERGE...
Mamine a, hélas, un douloureux secret tapi à la surface (se raréfiant jour après jour) de son cortex cérébral : sa mémoire s'étiole comme "
La Peau de Chagrin" d'Honoré de
BALZAC. La gamine ne peut s'en rendre compte jusqu'au jour où sa mère vient la chercher à la sortie de l'école, "pour lui expliquer"... La maman craint que demain la vieille dame ne puisse reconnaître son arrière petite fille qu'elle aime tant ! La gamine se rassure : « Moi je suis sûre qu'elle me reconnaîtra ! » (Merveille de l'illustration de la page 15 : une mère et sa fille en douloureux conciliabule sur un banc, sol blanc jonché de feuilles mortes... ).
Une aide à domicile dénommée Caroline viendra "assister" le quotidien de la vieille dame... mais Mamine devient de plus en plus mutique, ne dit plus "bonjour" à personne , pas même à son arrière petite fille qu'elle aime tant... Et voilà même qu'un jour, Mamine appelle la maman de la petite Célia : « Madame »...
Alors tout s'effondre : la petite narratrice devient infiniment triste, ne mange presque plus et finit par se réfugier dans le grand coffre à jouets du grenier... afin de « rester cachée au milieu des souvenirs de Mamine et des toiles d'araignée »...
Par une nuit d'insomnie, Célia songe soudain à... « quelqu'un qui pourrait peut-être nous aider . C'est Madame Sognia, la marchande de souvenirs.»
Mais je ne puis vous en révéler plus... L'histoire contée avec tant de tact par
Jeanne TABONI MISERAZZI est extrêmement belle et remplie d'espoir... La soif puis la joie de transmettre ce qu'on nous a légué avec amour...
Et que dire des pleines-pages créées par la jeune artiste ISALY ? Nous nous trouvons comme happés à l'intérieur des univers qu'elle invente : la finesse du tracé, les perspectives légèrement courbes, la sûreté et l'originalité des formes, l'harmonie paisible entre les coloris (bordeaux, bleus turquoise) : là où tout devient chatoyant...
La double-page 24 & 25 nous montrant l'héroïne minuscule gambadant dès l'aube parmi les ruelles de la veille ville à la recherche de la boutique de Madame Sognia "Rue de la Pointe Solaire" est inoubliable... Mais n'est-ce pas plutôt un rêve ? Notre gamine en pyjama rouge, vaquant pieds nus sur le pavé froid, serait-elle vraiment éveillée ? On ne le saura jamais...
Evoquons encore celle [32 & 33] de l'entrebâillement d'une porte montrant Célia levée au milieu de la nuit en se souciant du paisible sommeil de son arrière-grand-mère dans un kaléidoscope de bleus aux nuances infinies...
Les 40 pages de cet album cartonné grand-format se concluent en un hors-texte [pages 38-39] par une notice d'information claire et adaptée à tous publics à propos des conséquences comportementales et relationnelles des maladies neurodégénératives comme Alzheimer (ou celle dites "des corps de Levy"), écrit par
Didier JEAN & ZAD (DJZ).
Une pierre de taille dans la belle carrière d'illustratrice d'ISALY dont nous avons également apprécié "Mademoiselle Sel", au joli thème finistérien évidemment nettement plus insouciant...