Aventures, missions secrètes, contrebande, trésors enfouis au fond des mers et à jamais perdus.... Vais-je vous donner mon avis sur un roman de piraterie ou d'espionnage ? Vous n'y êtes pas du tout ! C'est d'un milieu bien plus pacifiste mais néanmoins fabuleux dont je vais vous parler : celui des naturalistes explorateurs qui, depuis Hatchepsout, première femme pharaon jusqu'à
Francis Hallé avec son radeau des cimes en 1996, parcoururent terres et mers pour découvrir de nouvelles plantes, les collecter, les classer, les acclimater sous nos latitudes.
Assoiffés de découvertes, les botanistes quittèrent leurs familles bien-aimées, avec au coeur l'incertitude de les revoir un jour, pour affronter tous les dangers de voyages d'une effroyable dureté et des hébergements précaires.
Une fois sur place, tous herborisent inlassablement, font sécher les spécimens dans leurs herbiers, identifient, dessinent, classent, conservent et expédient toutes leurs découvertes vers la France ou l'Angleterre, le plus souvent en bateau, les livrant ainsi aux malheureux hasards des naufrages ou de rencontres avec des pirates. Des quantités inouïes d'herbiers, de graines ou de plants seront ainsi perdues au fond des eaux...
A la merci de cartes inexactes, des pirates, des cannibales, du paludisme, beaucoup ne reviendront pas et mourront en terre étrangère comme Pierre D'Incarville qui mourut des fièvres à Pékin en 1757, après avoir réussi à se faire ouvrir les portes de la Cité Interdite en offrant deux pieds de mimosa à l'empereur Qianlong, séduit par cette plante sensitive qui semble avoir une âme.
D'autres reviendront avec une santé très délabrée, tel le botaniste Joseph de Jussieu qui parcourut la jungle, les sommets andins et la forêt tropicale pendant 36 ans, découvrant la coca, le quinquina, l'héliotrope, la capucine et la pervenche, avant d'être ramené de force par ses amis en France en 1771, brisé mentalement et physiquement, ses collections perdues.
Avec ses dimensions et sa couverture semblables à celle d'un herbier, l'ouvrage est superbe et s'ouvre donc sur l'histoire passionnante des expéditions naturalistes, expliquant les conditions et les risques des voyages rencontrés, les méthodes de conservation des plantes au fil des siècles. Ensuite viennent environ 80 portraits d'explorateurs botanistes : une double page est consacrée à chacun d'eux. Une courte biographie, un texte plus long et une carte retracent leurs expéditions sur la page de gauche tandis que celle de droite s'orne d'une reproduction au format original d'une planche d'herbier avec le spécimen récolté par le naturaliste. C'est un livre à butiner, en prenant son temps, en le reposant régulièrement afin de ne pas s'emmêler dans tous ces portraits, en laissant le regard et la mémoire s'imprégner des anecdotes, des noms des plantes et de leurs découvreurs ou des images.
Ce bel herbier nous embarque pour un prodigieux voyage dans le temps, remontant au premier voyage botanique connu celui commandé par Hatchepsout vers -1465 pour explorer le pays de Pount et en ramener "les merveilleux produits". Cinq navires et 1000 hommes partent et ramènent triomphalement à Thèbes des arbres à encens, de la myrrhe, de la gomme et de l'oliban.
On croise la route de
Christophe Colomb, Magellan, Linné,
La Pérouse, Darwin, le docteur Livingstone ou
Théodore Monod pour les plus renommés mais aussi beaucoup de botanistes moins connus comme l'anglais Tradescant l'Ancien qui herborisa d'Arkhangelsk à Malaga au début du XVIIème siècle, ou le néerlandais Georg Rumphius qui explora la flore et la faune des Moluques pour la Compagnie néerlandaise des Indes orientales pendant plus de 40 ans, perdit la vue à 42 ans, poursuivit ses recherches malgré cette "triste obscurité", réalisa un herbier de 12 tomes malheureusement publié après son décès en 1702.
On découvre la folie des tulipes qui s'est propagée en Europe au milieu du XVIème siècle, la guerre des orchidées qui fit rage en Grande-Bretagne dans les années 1870 avec vol, espionnage et meurtre entre collectionneurs, les esclaves du caoutchouc en Amazonie à la fin XIXème siècle...
Peu de femmes dans cet herbier, mais tout de même quelques portraits étonnants comme ceux de la bourguignonne Jeanne Barret qui, déguisée en homme, embarqua avec Philippe Commerson à bord de l'Etoile en 1767 et botanisa avec lui pendant des années, ou de
Marianne North, cette botaniste peintre qui herborisa et peignit des centaines de plantes dans une quinzaine de pays sur tous les continents entre 1871 et 1885, découvrit une belle sarracénie (plante carnivore) qui porte son nom, Nepenthes northiana, et légua plus de 800 de ses magnifiques peintures de plantes aux jardins royaux de Kew...
Alors quand vous arroserez vos lis tigrés, ayez une pensée pour Carl Thunberg, ce grand botaniste suédois qui les ramena en contrebande du Japon en 1776...
Quand vous couperez à la fin de l'été les belles têtes de vos hydrangéas, souvenez-vous de Philibert Commerson qui les récolta à l'Île Maurice avant de mourir épuisé en 1773...
Et quand vous assaisonnerez de noix muscade vos gratins, rêvez au destin extraordinaire de Patrick Poivre qui parvint enfin à l'implanter aux Antilles et en Guyane en 1780 après plusieurs expéditions désastreuses aux Moluques et qui créa le fabuleux jardin de Pamplemousse à l'île Maurice...
Tant de grands hommes et femmes qui risquèrent et parfois perdirent leur vie pour la science, tant de noms oubliés... sauf des botanistes d'aujourd'hui qui savent lire et reconnaître leurs noms dans les genres botaniques : Charles Plumier dans le genre Plumeria, Mathias de l'Obel dans le lobélia ou Pierre Magnol dans le magnolia...
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