Je tiens d'emblée à remercier l'éditeur (éditions du Cygne) pour ce cadeau merveilleux.
Ici, en poétesse accomplie, Luminitza C. Tigirlas, que je lis pour la deuxième, et probablement pas la dernière fois, ne se montre pas nécessairement en créatrice raisonnée de mots nouveaux, même si hommage à
Gherasim Luca il y a (cf. poème page 59). Elle préfère explorer à fond, jusque dans les bas-tréfonds, les richesses existantes de la langue (des mots souvent rares (« l'érubescence des vers à excaver », p.15) ou des onomatopées pour créer des images neuves et très originales : « Que signes-tu dans l'aveuglement [précédemment « amaurose »] crépusculaire ? Ta main tremble et la surfigure acoustique de ton être se dévide d'une mesure. »
Page 8, surgit, au milieu des jeux enfantins cette « tzurca » (mot roumain [țurca] que je connais si bien) résurgence sans doute de la propre enfance de l'autrice (Ungheni, p. 40). Et puis quelques créations linguistiques tout de même, comme ces « berges ondo-noyées », ou le « Danhube »
Ce court recueil, comprend quatre parties, dont les trois dernières quasiment égales intitulées respectivement : « Au fil du a », « Saigner un trou à la faux », « Dieu-Haleur » et « en boule des mots je m'enroule » et dont la finalité semble l'évocation-narration de cette envie « que les souffles de l'univers t'infiltre [toi, cher lecteur] avec leurs mystères dans la vérité à déminer » (p. 15).
Un admirable travail sur la langue, ce « logos indicible » (p. 18) invariablement liée à la voix (« L'extrémité de cette langue initiatrice se recouvre de râpures phonémiques bientôt cuivres de ta voix », p. 18).
Une lecture lente comme une infusion qui libère progressivement ses saveurs et ses principes actifs.
J'ai beaucoup aimé le portait de ce Dieu (orthodoxe ?) « dormeur inconnu dans l'icône cachée » (p. 14), « Dieu-Haleur [qui] affectionne toujours le noir » (p. 27), parfois « Dieu maternel ». « Qu'aurait-il encore à taire [terre!] ? » cet « Aiguilleur-du-Ciel-sonneur ».
Une once de politique, avec la « frontière [qui] doit, doit chuter ! » (p. 40) ou l'évocation d'
Osip Mandelstam.
Une sainte trinité poétique dont l'ordre n'est aisé à établir : l'enfance les langues l'amour (cf. p. 53) et que la bouche (ce « four à mots », p. 57) connaît si bien. D'ailleurs, n'est-elle pas «
le dernier cerceau ardent » ?