AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782849502983
348 pages
Syllepse (20/05/2011)
5/5   1 notes
Résumé :

Ce livre collectif retrace l’expérience des Cahiers du féminisme, une revue « féministe-luttes de classes », qui pendant vingt ans a tenté d’éclairer, par ses reportages et sa réflexion, les questions qui se posaient dans le bouillonnement (ou les reflux) du mouvement des femmes et du mouvement ouvrier. Pour les rédactrices, toutes bénévoles, membres de la Ligue communiste révolutionnai... >Voir plus
Que lire après Les cahiers du féminisme (1977-1998) : Dans le tourbillon du féminisme et de la lutte des classesVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Certains ouvrages sont plus difficiles à chroniquer que d'autres, soit à cause de leur contenu soit à cause de leur place dans l'histoire de celle ou celui qui écrit.

Autant le dire de suite, c'est par les Cahiers du féminisme que j'ai découvert les questions du féminisme, de la domination des hommes sur les femmes, de la construction asymétrique des genres. A la fin des années soixante-dix, parmi les multiples revues féministes, se référant à la lutte des classes, les Cahiers ont eu un place très particulière, d'autant que parmi les revues de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), c'était celle que j'achetais avec le plus d'attente.

Aujourd'hui, au delà de certaines divergences, je me sens plus proche des analyses de féministes radicales.

La lecture de l'ouvrage sera, pour moi, l'occasion d'essayer d'expliciter certains sujets, de questionner certains débats. Une lecture très partielle et forcement personnelle. En mettant l'accent sur certains points, j'ai conscience de ne pas traiter de la totalité de l'ouvrage et de parcourir des traverses assez éloignées de cette histoire.

La première partie de l'ouvrage « Nous dans l'histoire » permet aux auteures d'expliquer la spécificité des Cahiers du féminisme.

« Les Cahiers du féminisme avaient trois caractéristiques qui les ont différenciées des autres revues féministes. Publiée par une organisation politique, cette revue était favorable à l'auto-organisation des femmes, se situait dans une perspective ‘‘féministes luttes de classe” et, enfin son comité de rédaction composé de militantes de la LCR a toujours disposé d'une autonomie réelle par rapport à la LCR. »

Josette Trat souligne deux éléments sur lesquels je souhaite revenir. « Notre revue, (écrit-elle),connaissait un succès indéniable… en dehors de la Ligue mais toute une partie des militants s'en désintéressait totalement » et rappelle « l'indifférence qui entoura la suspension puis l'arrêt de la publication des Cahiers du féminisme en 1988 ». Il aurait été intéressant de connaître l'opinion et les analyses de l'auteure sur ce sujet.

Parmi les explications possibles, j'y vois pour ma part 1) une incompréhension, pour la majorité des militant-e-s de la LCR,de la place centrale de la division sexuelle du travail, y compris dans la sphère domestique, pour le fonctionnement du système capitaliste ; 2) la mise au second rang, en rang secondaire, de la domination des hommes sur les femmes par rapport à l'exploitation des salarié-e-s.

Pour le dire avec des analyses actualisées, j'y vois le peu d'intérêt au saisissement de l'antérieur, du ”patriarcat”, des relations hiérarchisées et asymétriques entre les genres (rapports sociaux de sexe) par le capitalisme, ou dit autrement, du dynamitage et des recompositions des organisations sociales, des rapports sociaux. Ces « reformulations » des dominations, ne les font ni disparaître, ni ne les atténuent. Les chercheuses féministes analysent la situation en terme d‘imbrication des rapports sociaux de pouvoir (de sexe, de classe et de « race »). Ceux-ci peuvent être considérés comme intersécants (Kimberle Crenshaw), coextensifs (Danièle Kergoat) ou coformés (Paola Bacchetta). Quelque soit la définition choisie, ces rapports sociaux, ces rapports de pouvoir font plus et bien autres choses que s'additionner ou se superposer. (Voir sur ce sujet, l'ouvrage sous la direction d'Elsa Dorlin : Sexe, race, classe, pour une épistémologie de la domination, Actuel Marx, Confrontation, PUF, Paris 2009)
ontrairement à l'auteure qui critique la problématique de « l'ennemi principal » mis en avant,dans les années 1970, entre autres, par Christine Delphy (L'ennemi principal, tomes 1 et 2, collection “Nouvelles questions féministes”, Éditions Syllepse, Paris 2008, 2e édition) , je pense au contraire, qu'insister sur l'intérêt des hommes à la domination des femmes, sur les bénéfices qu'ils en tirent, permet de rendre visible, de questionner les non-dits et donc de rendre tangible l'omniprésence de cette domination dans toutes les dimensions, forcément sexuées, des rapports sociaux. (Voir sur ce sujet, l'ouvrage de Léo Thiers Vidal : de « L'Ennemi principal » aux principaux ennemis. Position vécue, subjectivité et conscience masculines de domination,Editions L'Harmattan, Paris 2010)
La traduction d'une compréhension commune, les bases matérielles de l'oppression, se sont traduites par des approches politiques, centrant ou décentrant, suivant les cas, les argumentaires ou les articulations, émoussant, non l'activité de construction d'un mouvement autonome des femmes, mais son impact dans la construction des organisations mixtes.

Josette Trat dans « le féminisme dans les années 68 » dresse l'histoire du mouvement du début des années 70 à l'élection de François Mitterand en 1981. Cet article est complété par « A la recherche du temps passé » de l'historienne Marie-Hélène Zylberberg-Hocquard, qui apporte un regard extérieur sur la revue.

La richesse de l'ouvrage, comme celle de la revue éponyme les Cahiers du féminisme, est au centre des deux parties suivantes.

D'abord autour du « Travail ». Les auteures rappellent les différents articles publiés sur le travail domestique, le temps partiel, les horaires variables et toutes les mesures spécifiques écartant de l'égalité des droits les femmes. Les rédactrices des Cahiers furent particulièrement attentives aux luttes menées par les femmes (de Lip aux coordinations infirmières, pour n'en citer que les plus emblématiques). Elles éclairèrent aussi les liens entre mouvement ouvrier et féminisme, en particulier dans les pratiques syndicales. Ce faisant, elles contribuèrent à rendre plus visible cette part souvent neutralisée et invisibilisée des combats pour l'émancipation.

L'autre axe majeur, « Corps et sexualités », des Cahiers fut les luttes pour le droit à l'avortement et à la contraception libres et gratuits pour toutes, les luttes contre les violences faites aux femmes – dont les mutilations sexuelles – et la reconnaissance du viol comme un crime.

Une partie de l'ouvrage est consacrée à « Un débat ». Les titres des articles en indiquent les problématiques : « D'un voile à l'autre, de piège en piège », « Lois sur le voile : manoeuvres de diversion à droite, aveuglement à gauche ». Aujourd'hui comme hier, tout en dénonçant comme les Cahiers, le caractère discriminant ou racialisant des lois adoptées, je ne souhaite pas aller au delà de la critique de certaines omissions ou de certains arguments. En l'occurrence ici, le caractère envahissant du concept de laïcité.

Le combat pour la séparation de l'État des corps religieux ou de la religion me semble toujours d'actualité, de même que celui pour séparer de l'emprise de l'État, le libre droit des femmes à disposer d'elles-mêmes. Mais cela ne signifie pas qu'il faille arborer sa position athée ou “laïcarde” face aux croyant-e-s. Entendons nous bien, tout cela relève du domaine public pas de la sphère privée, mais transformer sa mécréance revendiquée en mépris, voire en hostilité,pour les croyances, me semble non seulement inutile mais contre-productif. Les débats peuvent être menés, en respectant les pratiques et les spiritualités des croyant-e-s, sans céder sur la critique de l'institutionnalisation étatique et para-étatique des religions ou des religieux, pour autant que les droits d'accès aux lieux de culte, l'égalité de traitement des jours les plus sacrés des un-e-s et des autres existent, que les privilèges du christianisme soient abolis, que la loi soit la même pour toutes et tous, que ce soit ici, en Alsace et Lorraine ou à Mayotte.

Par exemple, est-ce méprisant et non respectueux des convictions d'autrui que de demander, en permanence : ”A quelle époque, dans quel contexte et qui a écrit les textes qui servent de références aux religieux ?”

Trop souvent négligé, par les dominé-e-s appartenant aux différents groupes dominants, les problématiques de culture, de religion, de croyance, de non-reconnaissance, etc., entraînent la mise à l'écart, la mise hors norme des autres. Il s'agit plus que d'une souffrance, c'est un déni d'égalité. Des hiérarchisations, pas si secondaires, se construisent et divisent profondément celles et ceux qui sont objectivement, sur d'autres points, des semblables.

Pour un élargissement à la critique de l'ensemble de l'exceptionnalité française, je renvoie à l'ouvrage de Christine Delphy : Un universalisme particulier. Féminisme et exception française 1980-2010 (Editions Syllepse, Paris 2010)
Dans la partie suivante, les auteures soulignent la permanence de l'internationalisme dans les articles des Cahiers. Elles ouvrent sur les situations plus actuelles : l'altermondialisme ou les luttes en Tunisie

Le livre se termine sur le féminisme aujourd'hui et ses nouveaux défis. Si je partage la critique de la racialisation de la politique dénoncé par Josette Trat, je suis en profond désaccord à la fois avec son extension a-historique et avec sa sous-estimation des conséquences de cette racialisation.

L'auto-organisation des opprimé-e-s peut passer par des organisations délimitées par les questions de « races », pour autant qu'elles se combinent à des questions autour du concept de nation. Je renvoie, sur ce sujet, à la belle préface de Danièle Obono et Patrick Silberstein à Léon Trotski : Question juive, question noire (Editions Syllepse, Paris 2011).
Mais le principal n'est pas là. Lorsque des groupes sont racialisés, cela induit une universalisation du « neutre » des autres. Ainsi, des femmes et des hommes sont déclaré-e-s de couleur, universalisant le « neutre » de la couleur blanche, acceptée de fait comme la référence non questionnée. Je pourrais élargir le propos aux croyant-e-s jugé-e-s à l'aune d'un athéisme, nullement neutre ni naturel, mais socialement construit comme les croyances.

Il est paradoxal que des féministes ayant lutté contre la fausse universalité masculine, le faux neutre, ne s'interrogent pas plus sur les avantages que les dominant-e-s, les « Blanc-he-s », retirent de la racialisation des relations sociales qu'ils/elles entretiennent.

Au delà de quelques débats soulevés, cette histoire des Cahiers du féminisme, ces analyses, dans le tourbillon du féminisme et de la lutte de classe, sont un apport inestimable à l'histoire d'une partie du mouvement féministe.
Commenter  J’apprécie          10

Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Car cette oppression ne repose pas seulement sur la défense consciente de privilèges matériels (comme celui d'être largement dispensé du travail domestique) et symboliques mais également sur des processus inconscients qui nous ont modelés les unes et les autres depuis notre plus tendre enfance;
Commenter  J’apprécie          20
faire sortir le partage du travail domestique du champ clos des affrontements dans le couple, et faire que cette exigence soit entendue comme socialement (et non plus seulement individuellement) légitime
Commenter  J’apprécie          10
Le privé est politique
Commenter  J’apprécie          10

autres livres classés : féminismeVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus

Autres livres de Josette Trat (1) Voir plus

Lecteurs (15) Voir plus



Quiz Voir plus

Les emmerdeuses de la littérature

Les femmes écrivains ont souvent rencontré l'hostilité de leurs confrères. Mais il y a une exception parmi eux, un homme qui les a défendues, lequel?

Houellebecq
Flaubert
Edmond de Goncourt
Maupassant
Eric Zemmour

10 questions
562 lecteurs ont répondu
Thèmes : écriture , féminisme , luttes politiquesCréer un quiz sur ce livre

{* *}