Voilà, aujourd'hui, je me sens seul.
Assis dans un coin du terminal numéro 2 de l'aéroport de Lisbonne, en attente de ma correspondance pour les Îles au Vent, ruminant encore et toujours au fracas de cette modernité, un certain monde à présent unifié, sous la bannière du smartphone et de la valise à quatre roues, armé d'un stylo-bille « Chartreuse » et d'un vieux carnet assorti, contrôlant à l'occasion le temps qui passe sur mon téléphone — du type que les enfants de mon pays d'adoption appellent « Chokapik », l'horloge étant en option — bien conscient que je ne suis vraiment pas à plaindre, ayant encore le choix de tout cela, et que l'écrire semble vain voir prétentieux…
Bref je me sens bien seul.
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Je ne suis pas très à l'aise avec les critiques de livres par trop « personnelles » ; celles où le lecteur raconte et contextualise son expérience de lecture. D'autres font ça très bien, peut-être considérant qu'il n'y aurait que dans le « ressenti » qu'une petite étincelle de vérité pourrait poindre….
J'entends bien, mais j'ai la faiblesse de croire qu'une oeuvre peut aussi être approchée en laissant son égo sur un cintre à l'entrée. N'y voyez là aucun jugement, ou je vais encore me sentir un peu plus seul…
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Ici, je me sens bavard, je vous parlerai bien des pluies qui se sont enfin décidé à tomber, redonnant espoir et vérité à une nation dont le nom n'est au mieux qu'un voeux pieux, davantage Cabo Sec ou Cap Brun, Îles aux cailloux malgré tout remplies de merveilles, sa population en premier lieu…
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Non, il faut plutôt enchainer sur cette critique difficile, d'un livre jusqu'ici plébiscité, entre autres par notre libraire « 5 étoiles » (comme « l'hôte » dans les TGV…), amateur de lunettes-compas et du mot « stase », à qui j'ai cette fois-ci eu tort de faire confiance… Il faudra désormais se méfier des enthousiastes par trop récurrents… et pourtant, qu'on les envie dans leurs joies…
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Et puis le nom de cet auteur italien, translation directe du grand meistre
Thomas Pynchon, ne pouvait me laisser indifférent, situant d'emblée ce livre dans une case ambitieuse.
Ajoutez-y une séduisante et personnellement inconnue maison d'éditons, Asphalte, et tout était réuni…
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Pas vraiment de la post-apo, mais bien dans cette veine : une action situé dans un futur proche constamment caniculaire, au point que Rome, centre de l'action, en soit vidée de ses romains, curieusement remplacés par des chinois…
Un anti-héros complètement anomique — sans être toutefois tenté de conforter ce cher
Durkheim dans sa théorie du suicide — simplement en roue libre, narrateur d'un récit tout entier auto-centré et sans grande volonté, empoissée dans cette histoire d'un crime dont il ne se défend pas, d'une non-linéarité plutôt brouillonne et vaguement collante, laissant à son dénouement la nudité d'une maigre surprise.
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On aura rapidement compris qu'il prend le rôle du sale type, sans en avoir la forme de la mâchoire, ni la taille de caleçon (qui n‘est pas celle que l'on pourrait croire…). Cela se manifeste surtout dans ce trouble racisme ordinaire envers les chinois, et l'on tient probablement là le problème principal de ce roman.
A travers ce mec à la limite de la désincarnation s'étale la panoplie des clichés étrangers, rehaussée par la présence d'un unique personnage y échappant, dont les phrases s'élaborent davantage qu'un « toi pas faire ça ! » omniprésent pour le reste des dialogues.
On ne voit pas bien ce que veut en faire l'auteur, à nous renvoyer à des préjugés qui ont malgré tout leur fond de vérité, surtout pour des Han qui ont la réputation de très peu s'acculturer.
Les développements récents de l'anti-racisme racialiste ne pouvant que plomber davantage cette vision des communautés, tout en la validant, magie des paradoxes post-modernes.
Ce dispositif flou du dernier « italien de souche » présent sur place n'est même pas bien tenu ni exploité, trop fine feuille de riz se déchirant à la première occasion.
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On y ajoutera une hésitante misogynie de sa part, cause potentiellement probante de ce qu'on appellerait aujourd'hui un féminicide (tiens mon correcteur d'orthographe du logiciel « Pages », à la recopie du carnet, n'est pas à la page…), alors que cela s'avère à la fin de pas en être un…
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Bref un anti-anti-héros, également cité dans un site critique formé de listes, y côtoyant la fine fleur de la science-fiction contemporaine, achevant ce sentiment de solitude à l'heure de terminer ce papier, alors que je suis à présent sous la pluie, heureux dans une culture que j'ai appris à faire mienne, l'additionnant au nuancier que mon individu a la chance de porter.