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EAN : 9782845784666
76 pages
Manucius (19/05/2016)
4.5/5   7 notes
Résumé :
Au lendemain de la première guerre mondiale, Paul Valéry publie dans la NRF du 1er août 1919, La crise de l'esprit dont l'incipit : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles » demeurera fameux. L'âme européenne, si riche pourtant de ses grands esprits est presque morte dans ce conflit mondial et il s'agit de comprendre les raisons de cette faillite.
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Première Lettre.

Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles.

Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d’empires coulés à
pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins ; descendus au fond inexplorable
des siècles avec leurs dieux et leurs lois, leurs académies et leurs sciences
pures et appliquées, avec leurs grammaires, leurs dictionnaires, leurs
classiques, leurs romantiques et leurs symbolistes, leurs critiques et les
critiques de leurs critiques. Nous savions bien que toute la terre apparente est
faite de cendres, que la cendre signifie quelque chose. Nous apercevions à
travers l’épaisseur de l’histoire, les fantômes d’immenses navires qui furent
chargés de richesse et d’esprit. Nous ne pouvions pas les compter. Mais ces
naufrages, après tout, n’étaient pas notre affaire.

Élam, Ninive, Babylone étaient de beaux noms vagues, et la ruine totale de ces
mondes avait aussi peu de signification pour nous que leur existence même. Mais
France, Angleterre, Russie... ce seraient aussi de beaux noms. Lusitania aussi
est un beau nom. Et nous voyons maintenant que l’abîme de l’histoire est assez
grand pour tout le monde. Nous sentons qu’une civilisation a la même fragilité
qu’une vie. Les circonstances qui enverraient les oeuvres de Keats et celles de
Baudelaire rejoindre les oeuvres de Ménandre ne sont plus du tout inconcevables
: elles sont dans les journaux.

*

Ce n’est pas tout. La brûlante leçon est plus complète encore. Il n’a pas suffi
à notre génération d’apprendre par sa propre expérience comment les plus belles
choses et les plus antiques, et les plus formidables et les mieux ordonnées sont
périssables par accident ; elle a vu, dans l’ordre de la pensée, du sens commun,
et du sentiment, se produire des phénomènes extraordinaires, des réalisations
brusques de paradoxes, des déceptions brutales de l’évidence.

Je n’en citerai qu’un exemple : les grandes vertus des peuples allemands ont
engendré plus de maux que l’oisiveté jamais n’a créé de vices. Nous avons vu, de
nos yeux vu, le travail consciencieux, l’instruction la plus solide, la
discipline et l’application les plus sérieuses, adaptés à d’épouvantables
desseins.

Tant d’horreurs n’auraient pas été possibles sans tant de vertus. Il a fallu,
sans doute, beaucoup de science pour tuer tant d’hommes, dissiper tant de biens,
anéantir tant de villes en si peu de temps ; mais il a fallu non moins de
qualités morales. Savoir et Devoir, vous êtes donc suspects?
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Deuxième Lettre.

Je vous disais, l’autre jour, que la paix est cette guerre qui admet des actes
d’amour et de création dans son processus : elle est donc chose plus complexe et
plus obscure que la guerre proprement dite, comme la vie est plus obscure et
plus profonde que la mort.

Mais le commencement et la mise en train de la paix sont plus obscurs que la
paix même, comme la fécondation et l’origine de la vie sont plus mystérieuses
que le fonctionnement de l’être une fois fait et adapté.

Tout le monde aujourd’hui a la perception de ce mystère comme d’une sensation
actuelle ; quelques hommes, sans doute, doivent percevoir leur propre moi comme
positivement partie de ce mystère ; et il y a peut-être quelqu’un dont la
sensibilité est assez claire, assez fine et assez riche pour lire en elle-même
des états plus avancés de notre destin que ce destin ne l’est lui-même.

Je n’ai pas cette ambition. Les choses du monde ne m’intéressent que sous le
rapport de l’intellect ; tout par rapport à l’intellect. Bacon dirait que cet
intellect est une Idole. J’y consens, mais je n’en ai pas trouvé de meilleure.

Je pense donc à l’établissement de la paix en tant qu’il intéresse l’intellect
et les choses de l’intellect. Ce point de vue est faux, puisqu’il sépare
l’esprit de tout le reste des activités ; mais cette opération abstraite et
cette falsification sont inévitables : tout point de vue est faux.

*

Une première pensée apparaît. L’idée de culture, d’intelligence, d’oeuvres
magistrales est pour nous dans une relation très ancienne, -tellement ancienne
que nous remontons rarement jusqu’à elle, -avec l’idée d’Europe.

Les autres parties du monde ont eu des civilisations admirables, des poètes du
premier ordre, des constructeurs et même des savants. Mais aucune partie du
monde n’a possédé cette singulière propriété physique : le plus intense pouvoir
émissif uni au plus intense pouvoir absorbant.

Tout est venu à l’Europe et tout en est venu. Ou presque tout.

*

Or, l’heure actuelle comporte cette question capitale : l’Europe va-t-elle
garder sa prééminence dans tous les genres?

L’Europe deviendra-t-elle ce qu’elle est en réalité, c’est-à-dire : un petit cap
du continent asiatique?
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Le savoir, qui était une valeur de consommation devient une valeur d’échange. L’utilité du savoir fait du savoir une denrée, qui est désirable non plus par quelques amateurs très distingués, mais par Tout le Monde.
Cette denrée, donc, se préparera sous des formes de plus en plus maniables ou comestibles ; elle se distribuera à une clientèle de plus en plus
nombreuse; elle deviendra chose du Commerce, chose enfin qui s’imite et se produit un peu partout
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Et nous voyons maintenant que l’abîme de l’histoire est assez grand pour tout le monde. Nous sentons qu’une civilisation a la même fragilité qu’une vie.
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...deux dangers ne cessent de menacer le monde : l’ordre et le désordre.
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Vidéo de Paul Valéry
https://www.laprocure.com/product/1525906/chevaillier-louis-les-jeux-olympiques-de-litterature-paris-1924
Les Jeux olympiques de littérature Louis Chevaillier Éditions Grasset
« Certains d'entre vous apprendrez que dans les années 1912 à 1948, il y avait aux Jeux olympiques des épreuves d'art et de littérature. C'était Pierre de Coubertin qui tenait beaucoup à ces épreuves et on y avait comme jury, à l'époque, des gens comme Paul Claudel, Jean Giraudoux, Paul Valéry et Edith Wharton. Il y avait aussi des prix Nobel, Selma Lagerlof, Maeterlinck (...). C'était ça à l'époque. C'était ça les années 20. Et c'est raconté dans ce livre qui est vraiment érudit, brillant et un vrai plaisir de lecture que je vous recommande. » Marie-Joseph, libraire à La Procure de Paris
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