Challenge
Jack Vance, épisode 3, 4, 5, 6 :
Cette intégrale regroupe "Le Chasch", "Le Wankh", "Le Dirdir" et "Le Pnume" sortis initialement entre 1968 et 1970 qui forment le cycle appelé "Planet of Adventure" en VO, un titre nettement plus évocateur.
L'équipage du vaisseau Explorateur IV se rend dans le système de la Carène 4269, pour découvrir qui a tenté de communiquer avec la Terre il y a 150 ans (décalage temporel des distances en années-lumière oblige), mais l'appareil n'a pas le temps d'entrer dans l'atmosphère de la planète Tschaï qu'il est abattu par une torpille d'origine inconnue. Seul rescapé du crash, Adam Reith doit survivre et découvrir ce nouveau monde qui l'entoure, pour ensuite identifier ceux qui les ont appelés et ceux qui les ont attaqués, avant de regagner la Terre. (La similitude saute aux yeux avec le pitch de départ de "
La Planète géante" paru en 1957, l'auteur livrant sans doute ici une version améliorée du roman qui l'a rendu célèbre en son temps.)
Sur Tschaï, plus on est de fous et plus on rit : c'est une planète de dingues où l'irrationalité est la normalité !
Des indigènes insectoïdes, des envahisseurs prédateurs, des contre-envahisseurs amphibies, des vagues de migrants reptiliens et des peuples humains esclave, tributaires ou libres qui commercent tous les jours sur les marchés, avant de s'entretuer joyeusement à la première occasion à quelques pas desdits marchés. On se demande vraiment comment Adam Reith va s'échapper de cette asile d'aliénés… ^^
Les Chaschs Bleus occupés à leurs jeux (la civilisation est-elle la voie la plus courte entre la barbarie et la décadence ? ^^), se regardent en chien faïence avec les Vieux Chasch (caricature de rednecks débiles), et les Chaschs Verts (caricature de sauvages amérindiens), les Wankhs cloîtrés dans leurs cités parce que personne n'est capable de comprendre leur langage musical, les Dirdirs s'éclatant en chasses du Comte Zaroff, les Pnumes souterrains s'amusant à ajouter de nouvelles scènes à la Salle de la Perpétuation, les Phungs psychopathes purs et durs qui seraient qualifiés de serial killers si on les laissaient le temps d'empiler les victimes... Les humaines ne sont pas en restent avec les Krugs persuadés d'être les vaisseaux d'âmes transgénérationnelles incarnées par leurs emblèmes et calque sur leur comportement sur l'histoire de leur emblème, les hommes dorés de Yao qui vivent dans une société sans lois mais avec tellement de règles de paraître et de bienséance qu'elle génère un mass shooting culturel lié au stress (considérée comme l'un des principales causes de mortalité), les Noirs et les Rouges qui pratiquent un ségrégation raciale intégrale bien qu'issus de la même espèce, les Khors tellement angoissés par la sexualité qu'ils doivent entrer en transe et se laisser habiter par l'Homme Primordial et la Femme Primordiale pour pouvoir procréer…Jack Vance s'amuse comme un petit fou à donner corps et à donner vie à toutes ses civilisation et en bon worlbuilder l'auteur décrit chaque peuple avec un luxe de détails en et leur offre une géographie, une histoire et une culture avec sa langue, ses lois, ses modes…). On s'inspire des récits de voyages coloniaux et des carnets ethnographiques : Adam Reith fait l'effet d'un Américain du Middle West paumé à Zanzibar ! Mais derrière son odyssée, on peut déceler une critique du Tiers-Monde colonial tout autant qu'un critique des Etats-Unis, colonisés devenus colonisateurs… Il aborde le choc des civilisations avec des peuples tantôt exploités tantôt exploiteurs à travers des thèmes comme l'acculturation ou la déculturation : dommage que cela reste léger comparé à l'arrière-plan paternaliste du roman.
L'auteur est également un bon peintre qui excelle dans les descriptions évocatrices véritables invitation au voyage, d'autant plus qu'ici les personnages se déplace de civilisation en civilisation à travers les steppes, les océans ou les cieux. L'auteur est également et un dialoguiste qui nous régale de joutes verbales pleines de roublardises et d'hypocrisie entre les différents protagonistes de l'aventure (mention spéciale à Anacho !)
On a donc tous les ingrédients d'un bon récit picaresque de SF résolument vintage : à la jonction des années 1960 et années 1970 on ici mélange agréablement le
space-opera à aventures et le planet-opera à thèmes. Cela sent le pulp à la
Edgar Rice Burroughs, donc outre la similitude avec "Le Guerrier de Mars" de
Michael Moorcock, j'ai eu la joyeuse impression de lire une aventure en technicolor de "Flash Gordon", de "Buck Rogers" ou de "Captain Future". J'ai passé un bon moment, mais les événements s'enchaînent de manière trop rapide et trop facile, même pour un pulp…
Mais pour moi, la fête a été gâchée par quelques éléments :
* le héros Adam Reith n'est pas sympathique du tout. Les héros pulpien n'ont jamais été très subtils, mais là on est presque dans la caricature du héros républicain (qui a été rooseveltien avant d'être reaganien).
Il se pose comme un homme d'honneur mais il ment, il triche, il vole, il tue sans aucun état d'âme… Et le côté messianique tant vanté tombe régulièrement à l'eau tant il préfère prouver que ses valeurs sont les meilleurs raison plutôt que d'améliorer le sort de son prochain (d'ailleurs plusieurs personnages le qualifient d'« ingrat au coeur de pierre ») : ce qui le gêne ce n'est pas qu'il y ait des esclaves humains sur Tschaï, c'est que leurs maîtres soient des extraterrestres ; ce qui le gêne ce n'est pas que les Dirdirs puissent envahir la Terre, c'est que les Terriens puissent être moins puissants que les Dirdirs. Il remet en cause tel gouvernement, telle religion, telle loi, telle coutume… mais se fait la malle en les laissant ses vis-à leurs problèmes, souvent déclenchés par lui-même
Du coup j'ai parfois l'impression de l'entendre soliloquer "Moi Adam Reith, redresseur de tort, diffuseur de la magnifique civilisation démocratique des USA, il faut que je remette sur le droit chemin ces sauvages extraterrestres" (Dark Schneider copyright)
Je comprends mieux l'idéologie des gouvernements américains qui interviennent en partout dans le monde au nom de la défense des valeurs occidentales mais qui laissent tout le monde dans la panade une fois qu'ils ont prouvé qu'ils étaient les plus forts et donc qu'ils avaient raison.
Et puis, cet improbable génie de la survivance semble est invincible… Têtu, cabochard d'un optimisme délirant, il fonce d'abord et réfléchit ensuite, comptant toujours sur son instinct et sa chance insolente pour s'en sortir. Obstiné et impitoyable, il se dit rusé mais c'est toujours par la force et la violence qu'il règle ses problèmes. Peu de suspens, puisqu'il emporte sans coup férir tous les combats dans lesquels il est engagé, contre tous les champions qui lui sont opposés, provoquant à répétition des ordalies à mains nues, à l'arme blanches ou à l'arme à feu / à énergie contre tous
Enfin, il est radin comme pas deux : c'est un vrai running gag de le voir bakchicher sur tout et n'importe quoi avec tout le monde : c'est toujours trop cher et il veut toujours moins cher quitte à se retrouver dans des auberges mal famées ou des bateaux qui prennent l'eau (et pour un naufragé des étoiles, il est vachement au courant des prix hein !). J'ai bien ri dans le tome 3 quand l'ignoble Aïla Woudilver lui dit ses quatre vérités et lui démontre que puisqu'ils partagent les mêmes défauts, ils sont les deux faces d'une même médaille… Passé un cap, c'est tellement gros voire grotesque que je me suis demandé si cela n'est pas fait exprès pour faire passer un message derrière un second degré assumé…
* le sexisme et la misogynie. On connaît l'auteur, ce n'est pas nouveau mais on s'en passerait bien volontiers…
La première chose que fait le héros après sa guérison c'est vouloir pécho une adolescente indigène qualifiée de sotte. Bien souvent il dépense beaucoup d'énergie à secourir des demoiselles en détresse, à les laisser seule au milieu de nulle part en très mauvaise compagnie, et il s'étonne ensuite très naïvement de devoir s'élancer à nouveau à la poursuite de leurs ravisseurs… (Soupir)
Gross modo, toutes les femelles sont des créatures immatures et irrationnelles, tantôt frivoles tantôt hystériques et il n'y a de salut pour elle que dans l'obéissance à un mâle qui s'occuper d'elles. Et je ne parle même des féministes dépeintes comme des psychopathes criminelles. Et puis on a aussi ce capitaine de navire alter ego de l'auteur, qui se frise les moustaches en matant deux jeunes filles en fleurs… (Soupir) On peut voir d'ailleurs en ce cycle le quête d'une cruche appétissante mais obéissante, puisque divers protagonistes décrive le bonheur comme une vie tranquille à la campagne en d'une jeune femme, d'une jeune fille ou d'une « fillette »… (Tremble) J'ai lu que Jack Vance n'était qu'un homme de son temps, qui écrit avant le women's lib des années 1970. Ouais, c'est un peu léger comme explication car on retrouvera exactement la même chose dans les écrits de l'auteur datés des années 1980 et 1990. Passé un cap, c'est tellement gros voire grotesque que je me suis demandé si cela n'est pas fait exprès pour faire passer un message derrière un second degré assumé…
* le syndrome Vance ! C'est-à-dire un excellent bâtisseur d'univers qui jubile à déballer ses jouets et à s'amuser avec mais qui s'en lasse très vite et qui n'hésite pas à bâcler ses histoires pour mieux passer à autre chose. du coup, le récit est bien souvent prétexte à nous servir de guide touristique et à nous emmener en ballade à travers les contrées hautes en couleurs si chères à l'auteur…
On ne va pas se mentir : en se finissant en eau de boudin ce cycle ne tient pas ses promesses, et c'est bien dommage. de mon côté, la déception a été à la hauteur de l'espoir suscité. Pour de bons vieux
space opera vintage, je m'en vais retourner vers
Edmond Hamilton et
Leigh Brackett, le pape et la papesse du genre.
Après on ne sait pas quelles ont été les relations entre l'auteur et l'éditeur : la rédaction de "Big Planet" / "
La Planète géante", prototype du cycle de Tschaï, rédigée en épisodes, avait été compliquée. Ici
Jack Vance nous explique qu'il a été obligé d'ajouter le personnage du jeune Traz pour mieux cibler le jeune public… Franchement, vu ce qu'il a en fait il n'a pas dû beaucoup se forcer pour l'inclure à sa saga. Et au lieu de pinailler sur le choix des titres, il aurait mieux fait de se relire car entre les Dirdirs qui changent d'apparence entre le tome 1 et le tome 3 (et à l'intérieur même du tome 3 d'ailleurs), Cath qui change de description entre le tome 1 et le tome 2, pleins de personnages semblent sortir du même moule (par exemple quelles sont les différence entre Baojian et Zarfo ?), ou quelques bonnes vieilles incohérences des familles il y a largement matière à faire !
Mais tout n'est pas à jeter pour autant : les univers créés par
Jack Vance, habitant de San Francisco et grand voyageur devant l'éternel, sont toujours incroyablement riches et en tant que bâtisseur de mondes son influence sur les jeux de rôles est incommensurable (d'ailleurs pour information le GURPS consacré à Tschaï est génial !). Si on change le personnage principal, si on étoffe les personnages secondaires et on améliore l'intrigue, ce cycle aurait été énormissime… D'ailleurs certains ne s'y sont pas trompés puisqu'ils s'en sont inspirés pour réaliser "Stargate" et "Farscape", deux séries de SF particulièrement réussies qui sont devenues des classiques du genre !
Sinon les règles de la dactylographie ne semble pas entièrement maîtrisées par J'ai Lu sans parler des coquilles, rares certes mais qui font tâche pour la 3e édition de cet intégrale. Ce n'est quand même pas très glorieux pour une 3e édition ! le groupe Flammarion a quand même suffisamment de moyens pour offrir un produit fini irréprochable. Et un grand merci au traducteur Michel Deutsch, et à l'illustrateur Caza, auquel les genres de l'imaginaire doivent tant en France.