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EAN : 9782844148087
80 pages
L'Association (06/05/2021)
3.3/5   5 notes
Résumé :
La rue Thiers, celle qui fut jadis, au temps des usines, l'une des plus bruyantes de Longwy, est désormais silencieuse. Dans une maison, à l’abri d’une fenêtre, protégé par le temps qui s’est écoulé, Vanoli découvre les silhouettes fantomatiques de ses camarades d’enfance dont les visages grimaçant le plonge dans son passé. C’est à un voyage dans le temps doux-amer que nous convie Vincent Vanoli. Doux parce qu’il a la saveur de l’enfance, du temps suspendu qu’étire ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Les animaux eux ne mettent jamais de masques.
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de tout autre, d'inspiration autobiographique. Sa première édition date de 2021, et elle compte 70 pages en noir & blanc. C'est l'oeuvre de Vincent Vanoli, auteur complet, scénario et dessins. Il s'agit de sa quarantième bande dessinée, la précédente étant le promeneur du Morvan parue en 2019. Elle se termine avec une postface de deux pages en petits caractères.

La rue Thiers. À la fin des 1970, en Meurthe et Moselle, à Mont Saint-Martin, la famille de Vincent habitait rue Thiers. Si ses souvenirs de ce temps-là sont si incertains, c'est parce qu'il alors était trop occupé à faire face à la grimace. Occupant l'espace resserré entre les bords de la fenêtre et les rideaux, le voilà dans le temps arrêté de la rue Thiers, comme elle s'appelait à l'époque des usines, aujourd'hui silencieuse et vide, quand elle était la plus passante et la plus bruyante quand autobus et autres poids-lourds faisaient vibrer la maison elle-même. Impression. Il se tient immobile comme devant le miroir et son reflet. C'est cette rue immuable qui lui donne l'impression qu'il est toujours le même, ou plutôt que celui qu'il est contient encore une part de celui qu'il était.

La grimace. Soudain des silhouettes fugitives font irruption dans la rue. Qu'est-ce que c'est ? Qui sont-elles ? Ce sont ses camarades du passé. Ils sont là exprès : ils ont dû guetter son retour et ils reviennent pour lui faire la Grimace, pour qu'elle se réactive. Et il devient le reflet de ce qu'il voit. La case-fenêtre ne le protège plus et il se déforme. Voilà qu'à son tour maintenant, il refait la Grimace. Dehors ses copains font des grimaces d'enfant et il en fait de même par mimétisme. L'usine. L'adulte se souvient qu'enfant il sentait une odeur envahir parfois les rues : une des odeurs de l'usine qui s'immisce silencieusement, un rappel qu'elle est bien là. le tabac. Vincent adulte se retrouve dans la chambre qui apparemment est la sienne, mais qui devrait normalement être celle du dessous, celle qui possède une terrasse. Ce n'est pas grave, de celle-ci, il voit le bois de peupliers d'un peu plus haut. Elle est peut-être seulement un peu plus basse de plafond. Quelqu'un est venu pour préparer son lit. Son tabac sent bon et il en aime l'odeur, mais elle est détestable quand il est fumé. C'est pour ça qu'il aurait préféré la chambre d'en-dessous, pour pouvoir aller sur la terrasse. Il doit descendre : passer du sommet de la maison, zone symbolique dédiée à l'imaginaire qui y déploie ses ailes, à sa base stabilisant et maintenant l'édifice par son enracinement dans la terre-mémoire. En descendant les escaliers. Grâce aux escaliers qu'il emprunte, il va rejouer malgré tout la mélodie du passé. Ils sont une portée musicale dont les notes sont des creux dans le bois de la rampe ou les défauts particuliers de vieilles marches. Arrivé en bas, il voit sa mère qui l'attend avec sa petite soeur habillée et le manteau sur le dos, avec son cartable : c'est l'heure d'aller à l'école.

Dès la première page, le lecteur découvre ou retrouve les particularités graphiques si prégnantes de l'auteur : des dessins avec une forte densité de noir et de gris dans chaque case, une minutie dans les détails marquée d'une forme de naïveté dans certaines représentations, un gauchissement des formes et des perspectives, une représentation des personnages qui fait qu'il n'est pas possible de les prendre complètement au sérieux, à la fois du fait d'expression parfois ridicules ou simplettes, et de leur nez en trompe de papillon recourbée. Sur la planche 3, il voit aussi les cases biseautées, en trapèze pour introduire une forme de désordre. En bas de cette même page, l'artiste utilise une déformation en oeil-de-chat. En planche 6, il réalise une savante construction de page : dans la partie gauche de la planche, Vincent descend l'escalier, étant représenté à trois niveaux différents, chaque palier desservant une pièce différente dans la partie droite de la planche, sans bordure de case entre les deux, avec les cloisons séparant les pièces en vue de dessus, une construction savante et complexe, parfaitement lisible. le premier phylactère n'arrive qu'en planche 7. En planche 8, il réalise un dessin en pleine page, avec à nouveau Vincent représenté à trois endroits différents, ayant progressé en marchant. Planche 10 : seulement deux cases muettes racontant un accident de camion transportant des cochons. Planche 18 : une case centrale en insert sur des cases disposées en deux bandes. Planche 29 : des cases de la largeur de la page pour montrer les joueurs répartis sur la largeur du terrain de football. Planche 54 un dessin en pleine page montrant l'extérieur de la maison de la famille des Vanoli, et trois inserts pour montrer ce que fait chaque membre dans une pièce différente. La planche 67 est un dessin en pleine page, repris à l'identique pour la couverture qui a bénéficié d'une mise en couleur en bleu.

Cette forme de diversité dans la construction des planches, et de pointe de caricature dans la représentation des individus (le nez en trompe de lépidoptère, leurs membres parfois un peu caoutchouteux, la position pas toujours très naturelle de leur main) n'empêche en rien un niveau de détails élevé. le lecteur s'en rend compte dès la première page avec la vue générale de la rue Thiers : chaussée, trottoirs, poteaux électriques, pavillons à l'architecture différente (toiture, rambarde, persienne, forme des fenêtres, cheminée, porte de garage), arbres d'alignement. de page en page, le lecteur apprécie cette qualité descriptive, cette représentation des environnements quotidiens de Vincent enfant : son pâté de maison, le grand jardin, sa chambre, l'entrée de la maison, la cave, la chambre de sa soeur Catherine, le grenier, la buanderie, le terrain de foot, les rues alentour, la chambre du fils de la propriétaire avec sa collection de masques, la passerelle au-dessus du complexe industriel, la vision des cheminées des hauts fourneaux, etc. Il lui suffit de regarder le dessous de caisse du camion renversé en bas de la planche 10, pour voir le savant mélange d'éléments techniques précis et réalistes, et d'éléments fantaisistes maîtrisés venant accentuer l'impression : mine de rien, l'artiste fait oeuvre d'une reconstitution historique minutieuse et bien fournie. Dans la postface, Vanoli explique que dans son enfance, chaque fois que lui ou un de ses camarades émettait une fantaisie, surtout une qui ressemblait à se donner de l'importance, ou avoir une trace de prétention, il était tout de suite moqué. Il fallait toujours se faire remettre à place, et l'humour et l'ironie avaient vite fait de leur rabattre le caquet, leur faisant avoir honte d'avoir pu se croire plus malin. C'est pour ça que ses pages seront toujours noires, et sûrement aussi à cause de cet état d'esprit de moquerie permanente d'alors que les facéties grotesques y occuperont toujours une place.

Dans cette même postface, l'auteur explique également qu'il se représente sous les traits d'un adulte archétypal car c'est celui adulte qui raconte et revit les scènes, alors quel intérêt de se redessiner enfant ? Cette bande dessinée relève donc des souvenirs d'enfance, entre 1975 et 1981, c'est-à-dire quand l'auteur avant entre 9 et 15 ans. Il explicite son objectif : une volonté nostalgique de faire revivre cette période. Mais tout s'est donc transformé dans son esprit et surtout pendant la conception car c'est bien au moment de dessiner les planches que lui viennent toujours les idées précisées, les solutions, les prises de position esthétiques : les choses qu'il écrit ou qu'il imagine avant se transforment quand il dessine sa page. de fait, le lecteur découvre bien des souvenirs d'enfance, en ayant conscience qu'ils ont été transformés par la mémoire, et retranscrits avec une pointe de dérision. En vrac : une expression étrange utilisée par sa mère pour saluer ses connaissances dans la rue (Pour rien, bonjour Madame), aller chercher le lait à la ferme, l'accident du camion transportant les cochons, le plaisir intense de boire la crème du lait, aller jouer au sous-sol, la crainte diffuse de la fermeture des usines, aller jouer dans le grand jardin, les après-midis d'automne passés à s'ennuyer dans le jardin, le père qui organise une aventure pour aller dans le grenier, un match de football interclasse, le souvenir de s'être perdu à quatre ans pour aller à l'école ménagère de sa mère, le visionnage du film le cuirassé Potemkine, les pollutions nocturnes, le paysage industriel, sa mère restant debout lors d'un repas chez la belle-famille en guise de protestation, etc. Ce sont des petits moments de l'enfance, des expériences universelles dans ce qu'elles apportent, et totalement spécifiques à l'enfance de l'auteur.

Ces souvenirs sont aussi une reconstitution historique avec des artefacts culturels : Chéri Bibi (1976, 46 épisodes, 13mn), Croc-Blanc (1906) de Jack London (1876-1916), Capitaine Fracasse (1863) de Théophile Gautier (1811-1972), Pink Floyd, le Muppet Show, le cuirassé Potemkine (1925) de Sergueï Eisenstein (1898-1948), une représentation avortée des Fourberies de Scapin. En filigrane, c'est la perception inconsciente d'une réalité sociale, celle de l'industrie de la sidérurgie dans le bassin Lorrain à la fin des années 1970. Il est question de l'ampleur du bassin industriel, des usines qui composent le paysage, de la menace de leur fermeture dans une mesure non quantifiée et donc du chômage comme une épée de Damoclès. Les deux souvenirs les plus vivaces de l'enfant sont celui de marcher sur le dos de la bête, c'est-à-dire l'usine avec son odeur, son grondement qui se transmet au corps, ainsi qu'une journée où tout s'est arrêté (planche 55) où toute la population avait d'abord voulu s'isoler, comme honteuse d'avoir été frappée et trahie, avant d'oser sortir à nouveau pour réagir. le lecteur en déduit qu'il s'agit du 19 décembre 1978, journée Ville morte, puis manifestation de vingt-cinq mille personnes. Cette planche (numéro 55), comme toutes les autres, présente un titre en haut : Silence (2), ce qui renvoie par rapprochement à la page intitulée Silence (planche 24) où Vincent contemple la partie potagère du jardin, en silence.

L'ouvrage se termine de six pages, au cours de laquelle l'auteur parvient à s'évader. le lecteur comprend que Vincent est entré dans l'âge de l'adolescence où il s'émancipe, devient plus autonome et construit sa personnalité adulte avec ce qu'il a été enfant, ce qui a été transmis par ses parents et par son environnement, et ses expériences sans eux, avec d'autres individus. Finalement, il n'aura presque pas parlé de sa soeur. Pour autant, le lecteur a découvert avec curiosité ces souvenirs d'enfance, transcrits par une narration visuelle aussi élégante et sophistiquée, que potentiellement déroutante par son esprit de dérision et de fantaisie. Il a fait l'expérience de l'universalité de certaines prises de conscience, de la manière dont l'environnement géographique, familial, socio-culturel façonne l'enfant et l'adolescent en devenir, avec une forme aussi personnelle qu'affective à sa manière.
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« Les êtres humains mettent un masque pour cacher leur visage…mais ils ont déjà celui de leur visage pour dissimuler leur grimace intérieure » alors que « les animaux, eux, ne mettent jamais de masques »

Vanoli se décrit comme le témoin adulte de son adolescence passée à Longwy dans une curieuse description de l'enfance sans enfants, mélange de fidélité à cette période insouciante et désir de panser des blessures intimes.

L'auteur vient réconcilier l'homme qu'il est devenu d'avec son enfance, dans une sorte d'exorcisme contre une expérience dont on ne pourrait échapper, écrasé par la fatalité. Il se dessine en costume cravate, symbole d'un homme sorti de sa condition familiale ouvrière alors que ces souvenirs d'enfance s'étalent sur la période d'agonie de la sidérurgie en Lorraine.

Le dessin est exclusivement noir et charbonneux comme le bassin houiller dont les souvenirs sont extraits.

Dans un trop plein de détails, de volutes et de courbes, Vanoli retranscrit une mémoire lancinante et fragile, déformée et difforme. le rendu en est fantasmagorique : successivement inquiétant puis merveilleux. Nostalgie et rejet se répondent. Chaque planche est nommée et répond à une fulgurance mémorielle...

La description du quotidien n'a pas sa place dans le récit. Vanoli restitue des impressions dans lesquelles ses parents sont évoqués avec une tendresse pudique.

Une mère soumise et cantonnée dans son foyer avant de se révolter puis d'exprimer régulièrement une insatisfaction interieure ; un père ouvrier « n'étalant jamais ses états d'âme. Fidèle sans doute au rôle qu'il aura tenu encore jeune en tant que substitut de son père décédé »

Tels des miniatures flamandes, les personnages aux rictus inquiétants se noient dans un environnement qui les dépassent. Ils subissent un contexte cauchemardesque et angoissant qui les oppresse, les rapprochant d'une douce folie.

Un bien touchant témoignage.
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Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
Je monte la garde. C’est dimanche après-midi. Une fin d’après-midi d’automne. Une sacoche récupérée sur le flanc, sur la tête une vieille casquette, et un vieux tube d’aspirateur en main : c’est mon équipement d’opérette, celui d’un spectacle ou je campe la sentinelle-polichinelle aux avant-postes de ma ligne de front imaginaire. Je regarde vers le bois de peupliers. Je surveille la crête et la rue de Nancy où habitent ma zia Cicilia et le zio Peppine. Des vergers et des cabanes de tôle, parmi des potagers livrés à l’inexorable morte-saison, se préparent à l’exil mélancolique. Tout est en train de pourrir dans les jardins en contrebas. C’est l’année qui s’approche de ‘hiver. Les feuilles tombées déjà, les voilà qui se muent en matière puante et grise. Tout est gris, brun et sale. Quelle désolation que celle exprimée par un champ de choux moribonds ! Tout renaîtra au printemps, mais c’est si long de l’attendre et, pour l’instant, le ciel, la terre pourrissent sans rémission. Le bois lui-même est un sale bois. Pas un beau bois de vieux arbres séculaires abritant un sous-bois de plantes accueillantes et odorantes, mais un sale bois de peupliers plantés là pour éponger des eaux marécageuses et des ruisseaux d’égouts, au milieu d’une jungle hostile d’orties qui se décomposent maladivement. Il y a aussi l’odeur de la rouille des carcasses usées déversées depuis la route, liée aux effluves intermittentes et métalliques provenant des usines un peu plus bas.
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Mon père n’étale jamais ses états d’âme. Fidèle sans doute au rôle qu’il aura tenu, encore jeune, en tant que substitut de son père décédé et, après de sa mère, représentant de l’autorité pour ses frères et ses sœurs. Papounet incarnait donc l’homme sociable et respectable, soit l’image du père traditionnel. Enfin peut-être que l’immigré italien avait dû mettre les bouchées doubles quand il avait été question d’intégration. Cependant, alors que je l’avais longtemps assimilé à une figure stable, solide et apaisée, voilà maintenant qu’elle se tordait.
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Il y a donc la grimace de la honte. Il y a la grimace de la moquerie. Celles de la colère et de la douleur. La grimace de la honte de soi quand la façade ne contient plus les tourments intérieurs. Il y a ceux qui la portent en eux, qui l’ont gardée. C’est ainsi que la grimace s’est imprimée sur leur corps, sur leur visage, et ils en la renient pas comme s’ils voulaient ne pas faire oublier que l’être humain, malgré toute tentative, ne peut s’en défaire. Certains réussissent si bien à la contenir, mais moi, je suis de ceux qui font la grimace !
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Tactique – Le 8 est une technique de jeu ayant pour but de déstabiliser la défense adverse en y semant la panique par une attaque où les joueurs change de position lors d’un mouvement collectif dessinant la forme d’un huit où, arrivés dans l’axe, les deux attaquants qui se croisent en s’échangeant la balle attendent une béance dans la défense pour procéder à un tir opportun.
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Ce soir, c’est le départ pour la colo. À la maison, c’est les temps des conserves de légumes et des confitures de fruits rouges. Nous vivons à l’heure des produits du jardin. Je m’occupe à mille choses. Au retour de la colo, ce sera l’heure des mirabelles et le temps de l’été de reviendra pas avant une autre année.
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