Il ne s'agit pas d'un exposé systématique sur l'Ecole de Francfort. le propos de cet ouvrage est limité. Comme l'indique Jean-Marie
Vincent : « Il s'agit de reconstruire le mouvement profond qui anima le travail des fondateurs du courant et de montrer les problèmes auxquels ils furent confrontés sans s'étendre sur le détail ».
Je choisis de ne présenter que l'introduction de l'ouvrage.
Désenchantement d'intellectuels devant l'évolution du monde contemporain, pessimisme mais aussi volonté « de ne pas sacrifier sur l'autel du pouvoir l'indépendance de la pensée ». Il n'y a rien donc de comparable avec les médiocres éditocrates auto-baptisés-e- intellectuel-le-s qui sévissent aux premières pages des médias.
Jean-Marie
Vincent expose succinctement les évolutions de la société allemande au XXème siècle et en particulier dans les années de bouillonnement social et politique, avant l'écrasement par le nazisme.
Il aborde, entre autres, les questions de stratégie et de tactique, les relations entre auto-organisation ouvrière et clarification politique sur les objectifs, les évolutions des rapports de force, le radicalisme abstrait, une forme prise par anticapitalisme « une coloration rétrospective nostalgique d'un passé », le fonctionnement de la République de Weimar et les perceptions différenciées des groupes (classes) sociaux, « le régime de Weimar présentait en ce sens la singulière particularité d'être dominé par des organisations politiques et des clientèles électorales qui ne le défendaient pas par conviction, mais pour des raisons d'opportunité très fragiles ».
Je souligne les développement sur les temps historiques, l'autre temporalité de la « petite-bourgeoisie » (il serait nécessaire de reprendre les débats sur les classifications utilisées dans les années 30 et reprises souvent de manière a-critique dans les années 70), le temps historique de la classe ouvrière, les aspects contradictoires de la critique politique, en particulier du parti communiste, « Plus la critique épargnait le nationalisme et le militarisme, plus il était logique de rechercher des solutions dans le passé idéalisé et de condamner la dissolution des formes anciennes de relations sociales. C'est bien pourquoi les nazis et plus précisément leur fraction hitlérienne purent imposer leur hégémonie graduellement dans le camp des opposants petits-bourgeois à la République de Weimar ».
Jean-Marie
Vincent insiste particulièrement sur les appels abstraits à la révolution, « ils ne suscitaient aucune volonté précise d'organisation et ne préparaient pas à des luttes concrètement orientées vers un dépassement de la société capitaliste ». Il indique les limites de bien des explications sur le fascisme… « Mais il suffit de se poser quelques questions sur le pourquoi et le comment des poussées nazies, sur leur date et sur leur durée pour s'apercevoir qu'on ne peut faire abstraction ni des conditions économiques et sociales, ni surtout des développements politiques ». Il convient d'incriminer les politiques du mouvement ouvrier non réductibles à « l'absence de front unique ou d'actions unies dans la phase de montée du nazisme », d'analyser « des impasses et des fermetures de la théorie en même temps que son mode d'insertion dans les luttes sociales ». L'auteur aborde les catégories de la critique de l'économie politique, la spécificité de la société bourgeoise, les contradictions historiques du mode de production capitaliste et les définitions précises de sa dynamique,
Georg Lukacs,
Karl Korsch, la théorie séparée « des autres niveaux de la pratique pour mieux les verrouiller », la transformation de la critique de l'économie politique « en science particulière de l'économie », les tonalités particulièrement misérabilistes…
Jean-Marie
Vincent indique des apports de Henryk Grossman, dont la récusation de « toutes les théories stagnationnistes faisant référence à l'insuffisance de la consommation populaire. Pour lui le noeud du problème consistait dans la mise à jour des contradictions du processus de production de plus-value, c'est-à-dire de mise en valeur du capital », les liens entre processus de valorisation et processus matériel de production, la composition organique du capital, « La valorisation n'était donc plus considérée en elle-même indépendamment de ses présuppositions matérielles et de ses effets sur ces présuppositions », la dynamique d'ensemble de la production sociale…
Qu'en est-il de la possible politique révolutionnaire ? Comment permettre que les salarié-e-s établissent une continuité entre leur situation d'exploité-e-s et la politique proposée ?
L'auteur parle aussi du fétichisme de l'Etat, des malaises des couches intellectuelles, des domaines artistiques, de la crise de l'individualisme, de l'angoisse ressentie par certain-e-s devant massification, de formes d'expression « figées et fétichisées », de libération collective et de libération individuelle « passage de la dissociation des individus à leur association », de pratiques subversives…
Je souligne les paragraphes sur l'historicité, « le dépassement des erreurs et des fautes du mouvement ouvrier devait s'opérer par une redécouverte des sources profondes de l'historicité, d'une historicité qui se préoccupe des variations et transformations du sens de l'existence, et qui renvoient non aux problèmes de l'activité bureaucratique, mais à ceux des hommes concrets ».
Rapports sociaux, cristallisations sociales, théorie souffrant « de n'être pas assez théorique », aveuglement devant le stalinisme, division sociale du travail, unité de la théorie et de la pratique, « En oubliant de s'interroger théoriquement sur ce qui la fait se mouvoir elle-même et sur les barrières qu'elle doit rencontrer, elle n'est que théorie et ne peut se transformer en une pratique théorique qui commenceraient à déverrouiller les pratiques sociales », signes récurrents de crise de l'ordre social capitaliste, critique de l'économie politique…
« l'Ecole de Francfort ne sut jamais l'assumer totalement, mais son échec, les apories dans lesquelles elle s'est peu à peu enfermée, en apprennent plus sur le marxisme authentique que des milliers de traités ou de commentaires des marxistes officiels. C'est en tout cas ce que ce livre voudrait montrer »
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Jean-Marie
Vincent propose des analyses en trois temps : « la théorie assiégée », « mythe et raison », « la détermination de la négation ». Une invitation à relire, entre autres, les ouvrages de
Max Horkheimer et de Theodor W.
Adorno, pour « un nouveau règlement de comptes avec la vieille raison d'Etat ».
Par bien des aspects, un ouvrage d'une grande actualité…
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