A l'exception des cultissimes
Chroniques martiennes de
Ray Bradbury et du fabuleux
Des milliards de tapis de cheveux de
Andreas Eschbach, je suis d'ordinaire peu enclin à lire des recueils de nouvelles de science-fiction. La faute à une identification et une implication rendues difficiles en raison de la faible longueur des histoires et puis aussi, et je le regrette, à cause de la trop grande déception qui m'assaille généralement en fin de lecture. Et comme chat échaudé craint même l'eau froide, je me suis lancé dans la lecture du présent recueil non sans a priori. Et je dois dire que, malgré un début un peu balbutiant, j'ai été très agréablement surpris, voire même heureux de ma découverte.
Le recueil s'ouvre sur
Les Yeux d'Ambre, une première nouvelle qui, à mon sens, manque de coffre. Nous suivons T'uupieh, une étrange créature très attachée à un artefact magique qu'elle perçoit comme un démon et qui n'est en réalité qu'une des nombreuses extensions autonomes d'une sonde spatiale. Je n'en dis pas plus pour préserver le suspense pour ceux qui seraient intéressés par ce recueil. Toujours est-il que cette histoire, si elle fait preuve d'une originalité certaine, aurait mérité un développement plus approfondi et une coupe franche dans les dialogues, nombreux et rébarbatifs.
Depuis des hauteurs impensables, la deuxième nouvelle, nous amène aux côtés d'une jeune femme vivant seule à bord d'un vaisseau à la dérive dans l'espace et qui, après réception d'un message en provenance de la Terre qu'elle a été contrainte de quitter, remet en question les raisons qui l'ont poussée à se lancer dans cette odyssée funeste. Là aussi, je n'en dirai pas plus afin de préserver l'intrigue. Il s'agit d'un récit émouvant et terriblement mélancolique.
La troisième nouvelle, Mediaman, invite le lecteur à suivre une mission de sauvetage dans un lointain futur où une humanité moribonde vit recluse sur une ceinture d'astéroides. Après qu'un vaisseau ait fait naufrage sur une planète de glace et que le seul survivant ait attisé la convoitise de potentiels sauveurs en affirmant avoir fait une découverte sensationnelle, les secours s'organisent dans le but de servir des intérêts pas toujours très nobles. L'auteure développe une intrigue où s'entremêlent critiques des médias, des industriels et des politiques, le tout teinté de thriller. Une histoire intéressante mais sans surprise qui se termine un peu en eau de boudin.
L'aide du colporteur, la quatrième nouvelle, est pour le moins amusante. Elle nous entraîne sur les traces d'un mystérieux colporteur et de son escorte composée de brigands à qui il a promis fortune. Suite à une attaque, seuls survivent le marchand et le chef des mercenaires. Dès lors, les deux hommes se lieront d'amitié et feront route ensemble. Leurs pérégrinations les conduiront aux portes d'un vaste royaume où se révèleront la véritable identité du colporteur ainsi que les desseins qui l'animent : remodeler le destin du monde pour mieux servir ses propres intérêts. L'histoire, qui pourrait se définir comme un conte absurde, bascule de la fantasy à la science-fiction et offre un récit à mi-chemin entre
Jack Vance et
Isaac Asimov. Une aventure légère certes mais très agréable à lire.
Le recueil s'achève enfin sur le Soldat de Plomb. Cette cinquième et dernière nouvelle est tout simplement magnifique. Pour tout dire, elle a ma préférence. Dans un lointain futur où le patriarcat a cédé la place au matriarcat, les hommes sont physiquement contraints de rester sur la terre ferme tandis que les femmes sont seules capables de voyager dans l'espace. Sur une planète des Pléiades, les équipages féminins font régulièrement escale à Nouveau Pirée. C'est là que Maris, un barman au 3/4 cyborg voit défiler depuis des décennies des vagues d'arrivantes. Ses composants artificiels aidant, son espérance de vie est grande et vieilles sont certaines de ses connaissances. Mais jamais ses relations avec les femmes n'ont dépassé le stade de l'amitié, les cyborgs étant perçus comme des demi hommes. Et le jour où débarque la jeune et jolie Brandy, commence alors une longue et improbable relation entre deux êtres que les voyages spatiaux et les caprices du temps malmènent. Si trois années seulement séparent en effet les escales de Brandy à Nouveau Pirée, l'attente de son retour dure près de vingt-cinq ans pour Maris. Difficile de faire un résumé de cette histoire tout en résistant à l'envie d'en dire plus.
Joan D. Vinge signe ici un récit touchant qui reste gravé en mémoire longtemps après la lecture. Cette histoire d'amour impossible qui prend sa source dans un célèbre conte d'Andersen aurait même mérité un livre entier tant ce qu'elle dégage de force est prégnant.
Les Yeux d'Ambre est un recueil de nouvelles riche avant tout en émotions. Grâce aux thèmes très sérieux traités dans chaque histoire, l'auteure réussit le tour de force de rendre attachant des personnages qui ne croisent notre route qu'un court instant, augmentant de fait l'identification et l'implication auxquelles je faisais allusion en début de critique. Aussi le thème principal, celui du destin, donne beaucoup à réfléchir, notamment sur la question du choix et de ses conséquences, sur nous-mêmes ou sur le monde. Sans oublier les regrets, probablement les démons auxquels l'être humain fait le plus face. Ainsi, chaque histoire nous ramène à une vision primitive de ce que nous sommes réellement : des pantins de chair avec un passeport sur lequel figurent deux dates essentielles, celle de notre arrivée sur Terre et celle de notre départ. Chaque nouvelle est une piqûre de rappel : Nous n'avons qu'une seule vie, aussi nos choix sont déterminants. Dans l'ensemble, le livre est une réussite. Seule la première nouvelle est un peu faiblarde à mes yeux. Les autres sont juste excellentes.
Voilà un recueil de science-fiction prenant qui mériterait une réédition afin de trouver de nouveaux lecteurs. Messieurs les éditeurs, réveillez vous !