Grandes traductions : trois textes insurgés de femmes post-exotiques. Cinglant, intense et magique.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/04/05/note-de-lecture-
debrouille-toi-avec-ton-violeur-infernus-iohannes/
Une fois n'est pas coutume, le 46ème ouvrage du corpus post-exotique « officiel » commence par un avant-propos qui en précise les contours critiques. Publié en octobre 2022 chez L'Olivier (la maison qui publie par ailleurs les textes non destinés à la jeunesse de
Manuela Draeger), «
Débrouille-toi avec ton violeur » voit aussi apparaître, pour la première fois depuis 2008 et l'arrivée de
Lutz Bassmann, un nouvel hétéronyme,
Infernus Iohannes étant le nom de plume retenu par un collectif d'autrices et de traductrices s'inscrivant dans le mouvement post-exotique. le recueil, en sus de son savoureux et hautement amorçant avant-propos, regroupe trois textes insurrectionnels de femmes : Miaki Ono dénonce la présence inamovible du viol, préhistorique et reptilien, dans le coït, quels que soient les étais, vagues ou décidés, que la polis, la société, la psyché ou l'amour tentent de dresser sur son chemin, Molly Hurricane dénonce l'abus de pouvoir permanent de tous ceux qui prétendent représenter et diriger nos destins (autrement que par le commander en obéissant des néo-zapatistes),
Maria Soudaïeva (qui rejoint ainsi officiellement, par
Infernus Iohannes interposé, le corpus post-exotique dont elle était, depuis la première parution de «
Slogans », une compagne de route déterminante, au statut resté néanmoins ambigu jusqu'ici) jette ses dernières forces, politiques et chamaniques, dans l'ultime bataille, celle qu'enfin il ne faudrait pas perdre – même si sa nature finale et définitive ne se laisse pas identifier si facilement.
Comme le laissait plus qu'entendre le magnifique avant-propos, si ce recueil est du domaine de l'insurrection, il est sans doute avant cela encore de celui de la langue et du langage – de leur traduction et de leur performance. Mine de rien, le collectif anthologiste
Infernus Iohannes nous propose ici une gradation, voire une authentique escalade : feignant volontiers de délaisser les nomenclatures et les taxinomies du « Nom des singes » ou les listes et les pondérations du « Post-exotisme en dix leçons, leçon onze » (même si leurs réseaux souterrains d'irrigation continuent ici leur travail comme dans tout le reste du corpus post-exotique), «
Débrouille-toi avec ton violeur » s'immisce en profondeur dans le choix des registres à retenir pour ces luttes, luttes de plus en plus proches de l'ultime, à mesure que s'approche l'échéance de l'opus n°49 de l'ensemble de l'oeuvre.
Miaki Ono disserte, de manière obsessionnelle en apparence, tant il lui faut affirmer sa thèse contre les dizaines d'objections (non formulées ici directement, mais terriblement présentes), et met dans l'exercice de plus en plus d'énergie à mesure qu'elle réalise – intellectuellement et donc charnellement – la résistance reptilienne qu'elle rencontre nécessairement dans sa dénonciation d'un enracinement si profond du viol. Molly Hurricane hausse le ton d'un cran voire de plusieurs : sa colère s'incarne vite en diatribe, en imprécation et en flot tempétueux, multipliant les points d'exclamation, les injonctions et les phrases raccourcies par l'urgence de faire partager, ici et maintenant, ce rejet radical de la domination politique indue.
Maria Soudaïeva, enfin, proposant une affirmation poétique plus intense encore que celles de ses deux soeurs de lutte, prend immédiatement le chemin de la pure scansion, du tambourinage chamanique cher aussi à «
Kree », la guerrière fantomatique racontée par
Manuela Draeger, là où la rage se fait consigne et mot d'ordre, là où le combat se fait impératif apocalyptique.
Pour reprendre l'expression si heureuse de Dominique Soulès dans son ouvrage de 2017 (dont on vous parlera prochainement sur ce blog), c'est bien l'affolement des langues qui prévaut ici. Et l'on comprend donc parfaitement que le principal porte-parole du post-exotisme,
Antoine Volodine, puisse déclarer, à propos de «
Débrouille-toi avec ton violeur » : « J'aime ces plaintes horrifiées, ces appels, ces chants poétiques, ces fulgurances. Personnellement, je n'ai aucune raison de mettre des bémols à ces puissantes clameurs. »
Les images illustrant cette note de lecture sont issues du travail du grand
Mathieu Colloghan, dont l'art si incisif de la fresque irrigue toutes nos luttes, encore et partout. Vous pouvez visiter son blog ici et y trouver des moyens de le soutenir, il mérite toute votre attention !
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