Quel wagon choisir. À vous de voir. Dans le wagon des insouciants, le voltage des sourires illumine les tunnels. Dans le wagon des désceuvrés, on s'avachit. Dans le wagon des retardataires, le festival de grimaces bat son plein. Dans le wagon des exténués, il n'y a plus de places libres. Permettez- nous donc de vous reposer la question : quel wagon choisir. Les dilemmes s'intensifient. Est-ce que je peux atteindre le siège avant elle ? Leurs regards se croisent et évaluent la distance. Forcé de détourner les yeux une fois de plus, il renonce, c'est son destin, et s'adosse à la porte de la cabine. A l'arrêt suivant, le conducteur doit le pousser pour sortir.
Métro. Une bibliothèque sur rails. Bibles et bestsellers protègent du visage d'autrui. Des journaux en langues étrangères s'adressent aux communautés.
Un homme et une femme prennent la pose sur des bancs opposés ; tour à tour, chacun surprend l'autre à le dévisager. Il suffit de si peu pour faire les suppositions les plus extravagantes. Ainsí va la romance du banc public. Personne ne prend l'initiative. Sous le soleil, les minutes s'étirent jusqu'à ce qu'elle se leve pour partir. De toute façon, ça n'aurait jamais marché.
Bâtissez plus gros, plus beau. Plus brillant, plus percutant. Les immeubles grandissent, et nous enfouissent toujours plus bas dans leur course au sommet. On fait la course jusqu’au ciel, le dernier arrivé est un canard boiteux, tout juste bon à abriter des cabinets d’avocats. Tout là-haut, au grand QG de la multinationale du divertissement, les décideurs dictent vos rêves. Ici-bas, les vendeurs des rues fourguent des brûlures d’estomac, mais au moins ils portent des gants, en vertu des règlements sanitaires. Un homme distribue des prospectus, et on l’évite comme s’il tenait une liasse de virus, et non des pubs pour des prothèses à prix réduit. L’ancien pickpocket deale désormais des tickets de haute altitude pour des spectacles de Broadway défraîchis. Le représentant en ampoules, dont c’est la première visite, pivote tout joyeux en disant : On sait maintenant quoi faire de nos ampoules colorées. Tout le monde a quelque chose à vendre. Je vous ai parlé de l’office de bienvenue ? Le bureau de recrutement des Forces armées des États-Unis a un local de rêve, idéalement situé au milieu d’un chaos où chacun est une armée à lui tout seul. Protégez vos frontières. Réveillez votre instinct de conservation. Allez tâter du joystick. Les experts s’accordent à dire que les jeux vidéo améliorent la coordination entre la main et l’œil. Les délinquants juvéniles grappillent des pièces pour les machines, cherchent au fond de leurs poches des mensonges à raconter aux flics et aux parents. Les gamins des banlieues résidentielles s’échangent des alibis. Puisque vous êtes là, les petits, profitez-en pour apprendre quelques trucs du monde des adultes. Apprenez qu’on n’a jamais assez d’alibis. (« Times Square »)
Le matin, les rues appartiennent aux livreurs de pain et aux bennes à ordures. Les agents de l’hygiène caracolent vers les trottoirs en quête de trouvailles, de trésors cachés, et hissent la mie mâchée et les miettes qu’ont laissées les livreurs de pain, quelques jours plus tôt. On livre et on ramasse. Des gloutons de douze tonnes mastiquent le trottoir et rotent aux fenêtres en rafales mécaniques. On aurait bien besoin d’un coq. On n’a droit qu’à un cocorico hydraulique. Les meules de tabloïds se dressent. Les poubelles vidées dérapent jusqu’à leurs points d’ancrage au coin des rues. Les commerçants relèvent les grilles métalliques qui protègent des cambrioleurs des marchandises indignes d’être volées. Tout ce grincement de métal, c’est la machine du matin qui déploie tous ses engrenages pour nous mobiliser et nous secouer. Un coup d’œil au réveil, pour vérifier le sommeil qu’il nous reste. Il y a encore le temps. En bas, ils livrent et ils ramassent. Nous avons tous des itinéraires à respecter pour faire tourner la ville. (« Matin »)
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Tout le monde sait que les écoles disciplinaires étaient des endroits difficiles pour les adolescents. Mais on ignorait que poser le pied dans certaines d'entre elles, c'était faire le premier pas vers l'enfer. Et ce jusqu'à une époque très récente.
Nickel Boys » de Colson Whitehead est publié aux éditions Albin Michel.
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