Je me renseignais sur la bibliographie de
Jo Witek en fin d'année dernière, après que M'ni Raton ait lu pour la troisième fois [
Peur Express], et j'avais repéré ce roman à venir. Alors quand je l'ai vu apparaître sur le site de netgalley, je n'ai même pas eu besoin de lire le résumé, je savais déjà que c'était un livre que je voulais lire. Alors un grand merci aux éditions Acte Sud junior, qui ont validé ma demande l'après-midi même !
J'ai 14 ans et ce n'est pas une bonne nouvelle me fait penser à ce titre que j'ai lu adolescente et qui m'avait beaucoup marquée, [
J'ai quinze ans et je ne veux pas mourir] de [[
Christine Arnothy]]. Je ne sais pas si la référence est voulue, mais on est bien dans le même genre de livre. Un témoignage, ici fictif cependant, sur un sujet grave et une adolescence qui n'est pas celle de tout le monde. Ici, c'est l'adolescence d'Efi qui nous est narrée. Efi est une jeune collégienne dans un pays pauvre. Quel pays ? Quel continent même ? On ne sait pas mais ce n'est pas important car ce qui arrive à Efi arrive dans de nombreux pays. La religion n'est pas nommée non plus, même si le livre est un peu plus transparent sur ce sujet. Dans ce décor assez impersonnel,
Jo Witek installe des personnages qui eux ne sont pas du tout impersonnels. Efi, sa famille avec une mère effacée et continuellement enceinte, un père despote et des frères et soeurs à ne plus savoir qu'en faire. Efi et ses amies, Bo et Alvina. Efi et sa future belle-famille. Car oui, Efi a 14 ans mais elle va se marier. le mariage forcé, tel est le sujet de ce livre. Un sujet complexe à évoquer, encore plus lorsque l'on écrit un livre pour adolescents.
Et
Jo Witek fait un superbe travail à ce sujet. Efi est une jeune fille qui a des armes, elle a eu la chance d'étudier au collège, d'être confrontée à d'autres modes de vie que le sien en vivant à la ville ou en surfant sur internet. Elle a un rêve aussi, celui de devenir ingénieure et de participer au développement de son pays. Elle n'est donc pas très différente des jeunes filles de son âge dans notre pays. Mais son père a des dettes et la famille continue de s'agrandir, alors Efi voit son avenir s'écrouler et les traditions reprendre le dessus.
Jo Witek décrit avec précision ce monde qui d'abord change autour d'Efi, comment le regard des autres se modifie avec son passage de l'enfance à l'âge de femme et comment Efi perçoit tout cela, ce mélange de gêne et d'acceptation. Elle décrit sa prise de conscience de sa nouvelle situation. Puis c'est le choc de l'annonce du mariage, la révolte d'Efi, son apathie aussi par moments. Ce n'est pas un roman à charge, avec Efi qui se révolte toute seule contre ses méchants parents et les méchants villageois. Non,
Jo Witek prend grand soin de remettre les choses dans son contexte, de décrire comment chacun est pris dans les traditions et les obligations sociales. Pas de justification bien sûr, mais essayer de comprendre à quel point la situation est complexe.
Et parce que cette histoire n'est pas là pour nous épargner, nous avons le droit à la cérémonie de mariage et à la nuit de noce.
Jo Witek, sobrement et avec ménagement, décrit la scène de viol conjugal parce que lorsqu'on écrit un livre comme celui-là ce n'est pas la peine d'édulcorer les choses. Heureusement, Efi trouvera du soutien là où elle ne pensait pas en trouver et elle pourra sortir de cet enfer grâce à une ong qu'elle a pu contacter. C'est pour cela qu'elle peut écrire son histoire (puisque c'est effectivement elle la narratrice de l'histoire).
L'histoire se finit bien donc, mais on ne peut pas dire que « tout est bien qui finit bien » puisque le combat d'Efi contre le mariage forcé est loin d'être fini et qu'elle rappelle que ce sont sept millions de femmes qui subissent ce sort aujourd'hui dans le monde.
C'est donc un livre dur, que je ne recommanderais pas à des lecteurs ou des lectrices avant 14 ou même peut-être 16 ans (j'attendrai encore un peu pour le proposer à M'ni Raton), mais c'est une très bonne lecture. Un sujet dont ni l'horreur ni la complexité ne sont évitées, mais qui sont décrites avec suffisamment de délicatesse pour susciter chez les lecteurs et les lectrices l'horreur qu'il faut, mais pas le dégoût.
Je découvre donc
Jo Witek sur un sujet très difficile, où il faut savoir écrire sur un fil pour ne tomber ni dans le voyeurisme ni dans le sentimentalisme, et il me semble que
Jo Witek a su rester sur ce fil ténu tout le long de son écriture. C'est une vraie prouesse, et je place d'ores et déjà cette autrice française que je ne connaissais pas parmi les grands noms de la littérature jeunesse. Un grand coup de chapeau à elle donc, un grand merci aux éditions Acte Sud junior (que je n'avais jamais lues non plus) pour avoir édité ce roman grand et nécessaire. Un livre qui, j'espère, aura de nombreux lecteurs et lectrices. Un livre à mettre entre toutes les mains (adolescentes ou adultes), en se souvenant tout de même de la dureté de certains passages, donc à mettre entre toutes les mains suffisamment matures pour une telle lecture, et avec la présence d'un adulte qui saura accompagner dans sa lecture et sa réflexion le jeune lecteur qui en éprouverait le besoin.