« Ce type est mort. Et bien mort. N'empêche. Quelque chose me turlupine. Il ne peut pas s'être tout à fait éteint puisque son portable est allumé. (...) L'encéphalogramme de ton premier cerveau est plat. Mais ton second cerveau demeure actif. »
Piquante ouverture qui voit Léo-Paul, le narrateur, trouver dans la rue à cinq heures du mat' un homme en train d'agoniser après avoir été grièvement agressé, le ramener dans son appartement où il finit par décéder sur son canapé après une ultime supplique ( « je ne veux pas mourir »). Il le prend au pied de la lettre et décide de prolonger sa vie en usurpant son identité via le téléphone ... à commencer par répondre à un texto de l'épouse du mort.
Le scénario n'est évidemment pas archi plausible mais on est vite emporté par la fantaisie cocasse de la narration. Et c'est avec beaucoup de plaisir que l'on suit les aventures de Léo-Paul, curieux de découvrir quel sort lui réserve l'auteur à mesure qu'il manipule l'identité du mort, qu'il entre dans sa vie à coups de mails et textos qui couvrent de plus en plus de surface. L'auteur maitrise parfaitement l'avancée de son récit sur un ton mi-goguenard mi-flegmatique, enveloppé d'une l'écriture précise, directe, sans fioritures. C'est dans le bon tempo que se dévoilent la personnalité de Léo-Paul ( avec sa part de mystère justement préservée ) ainsi que les raisons pour lesquelles un homme d'apparence ordinaire a été assassiné de façon extraordinaire.
On est clairement dans le divertissement, pas dans le roman à thèse mais cela n'empêche pas
Christophe Wojcik de questionner subtilement notre rapport aux téléphones portables, notre sujétion, notre addiction à ces objets « constitués d'un système central innervé par des connexion. Ils ont de la mémoire. Ils parlent. Ils voient. Ils dialoguent entre eux. Ils nous contiennent. Nous les rendons vivants, d'une certaine manière, en leur confiant des fonctions essentielles à nos vies. » C'est presque effrayant de constater la facilité avec laquelle le narrateur parvient à s'infiltrer virtuellement dans la vie d'un inconnu. Effrayant aussi de voir le plaisir quasi jouissif que prend Léo-Paul à se mettre en danger juste avec un téléphone, comme si cette nouvelle console de jeu comblait la vacuité de sa vie.
Il ne fallait pas que le texte soit plus long, 120 pages sur un livre petit format. L'épilogue, savoureusement immoral, arrive au bon moment, avant qu'on ne se lasse. L'auteur semble avoir tiré tous les fils possibles de son postulat de départ et de son personnage principal. Il m'a manqué tout de même un peu de chair et de chaleur pour qu'il reste une empreinte forte après cette lecture de l'instantané. Sans doute les limites de cet exercice de style atypique et maitrisé.