Murailles
Sans égards, sans pitié, sans honte, on a élevé autour de moi un triple cercle de hautes et solides murailles.
Et maintenant, je reste sur place, désespéré, ne pensant plus qu'au sort qui m'accable.
J'avais tant çà faire au dehors !... Ah ! Comment les ai-je laissés m'emmurer sans y prendre garde ?
Mais je n'ai rien entendu : les maçons travaillaient sans bruit, sans paroles... Imperceptiblement, ils m'ont enferme hors du monde.
Fenêtres
Dans ces chambres closes où je passe des journées pesantes,
je tâtonne à la recherche d'une fenêtre, qui en s'ouvrant
me rendrait courage.
Mais il n'y a pas de fenêtres, ou du moins je ne sais pas où elles sont.
Et peut-être vaut-il mieux qu'il en soit ainsi : la lumière ne serait sans doute qu'une torture différente. Sais-je quelles nouvelles horreurs elle me révélerait ?
La ville
Tu dis : "J'irai vers d'autres pays, vers d'autres rivages. Je finirai bien par trouver une autre ville, meilleure que celle-ci, où chacune de mes tentatives est condamnée d'avance, où mon coeur est enseveli comme un mort. Jusqu'à quand mon esprit restera-t-il dans ce marasme ? Où que je me tourne, où que je regarde, je vois ici les ruines de ma vie, cette vie que j'ai gâchée et gaspillée pendant tant d'années."
Tu ne trouveras pas de nouveaux pays, tu ne découvriras pas de nouveaux rivages. La ville te suivra. Tu traîneras dans les mêmes rues, tu vieilliras dans les mêmes quartiers, et tes cheveux blanchiront dans les mêmes maisons. Où que tu ailles, tu débarqueras dans cette même ville. Il n'existe pour toi ni bateau ni route qui puisse te conduire ailleurs. N'espère rien. Tu as gâché ta vie dans le monde entier, tout comme tu l'as gâchée dans ce petit coin de terre.
Jours de 1903
Je ne les ai pas retrouvés, eux que j'avais si vite perdus... Les yeux pleins de charme, le blême visage
- dans la rue assombrie.
Je ne les ai pas retrouvés, eux que j'avais obtenus tout à fait par hasard,
que j'ai si facilement abandonnés, mais qu'ensuite j'ai désirés avec angoisse.
Ces yeux pleins de charme, ce blême visage, ces lèvres, je ne les ai pas retrouvés...
Voix
Chères voix idéales de ceux qui sont morts, ou de ceux qui pour nous sont perdus comme des morts.
Quelquefois, elles parlent dans nos rêves. Quelquefois, du fond de ses pensées, notre esprit les entend.
Elles nous apportent un instant l'écho de la primordiale poésie de notre vie, comme dans la nuit une lointaine musique qui sen va...
*RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE* :
_La poudre de sourire : le témoignage de Marie Métrailler,_ recueilli par Marie-Magdeleine Brumagne, précédé de _lettres de Marguerite Yourcenar de l'Académie française à Marie-Magdeleine Brumagne,_ Lausanne, L'Âge d'Homme, 2014, pp. 179-180, « Poche suisse ».
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