Il n'existe de vie politique que par rapport à l'Etat . La raison d'état contemporaine est un système théorique et pratique clos, habité par sa propre logique formelle et par ses propres normes qui transcendent les classes. Elle est un surmoi collectif contraignant, largement indépendant des positions de classe,, et qui n'obéit aux intérêts que d'une seule formation, celle justement de l'Etat. L'Etat monopolise, donc asphyxie tout: le sentiment national comme l'idée communautaire, la solidarité internationale comme la vie associative
Au sein des sociétés démocratiques occidentales, il y a polysémie : une multitude d'idéologies naissent , s'épanouissent et meurent, se combattent. Un foisonnement d’intérêts antinomiques (défendus, légitimés au moyen de symboles provenant d'héritages culturels les plus divers) recouvre le champ social. Discours phosphorescents dont chacun prétend à l'éternité. La raison d'Etat n'en a cure! Elle les avale, les digère tous. Elle impose ses significations à tous et à chacun
D'immenses forces de création, d'imagination, d'amour sommeillent en chacun de nous . Chacun de nous est porteur de désirs, de rêves qui concernent le monde et tout les hommes. La liberté de chacun ne peut se concrétiser que dans un projet collectif, un destin. Dans les sociétés industrielles avancées, ou les structures claniques, familiales, associatives sont devenues résiduelles, c'est aujourd'hui l'Etat et lui seul qui est le destinataire, le monopolisateur de ce projet. Il prend en charge le destin du peuple, concrétise la vocation de chacun d'entre nous. La raison d'Etat organise notre aliénation; elle procède à l'amputation du pouvoir créateur de l'homme, de son imagination. Elle légitime une pratique unique: celle de l'Etat, justement. Elle bouche l'horizon de notre histoire.
Entretien chez Thinkerview :
Jean Ziegler : Pourquoi faut-il détruire le capitalisme ?