Je profite de ce 14 Juillet pour publier une critique sur cet ouvrage, pourquoi ?
Car après vingt-deux ans de restauration, et près d'un siècle passé aux oubliettes de l'Histoire,
le Palais royal de Venise, construit sur ordre de Napoléon et habité par l'impératrice Sissi, rouvre ses portes au public, ce jour.
Ce livre est l'oeuvre de
Jérôme Zieseniss, président du Comité français pour la sauvegarde de Venise, l'organisme qui a intégralement financé les sept millions d'euros de travaux grâce aux dons de généreux mécènes. Et des travaux il y en avait quand on se plonge dans le cahier photo qui agrémente le texte, un chantier qui n'a pas été de tout repos.
Dans la préface, le ton est donné par
Pierre Rosenberg (conservateur, historien de l'art, collectionneur et académicien français) qui nous dit : "le livre que vous tenez entre vos mains est l'ouvrage d'un historien qui écrit brillamment une page de l'histoire de Venise, une page, il faut bien le dire, d'une histoire méconnue. Cette histoire, celle de la Venise de l'Ottocento, met mal à l'aise les Vénitiens de quelque bord qu'ils soient, de gauche ou de droite, anti ou pro Mestre, « vénétistes », lecteurs du Gazzettino ou de la Nuova di Venezia, autonomistes, napoléonophobes, j'en passe".
Au travers de 7 chapitres, on remonte l'histoire de ce palais méconnu
Ce fut un palais voulu par l'empereur
Napoléon Ier qui s'était lui-même nommé roi d'Italie en 1805 et avait fait vice-roi d'Italie et prince de Venise son beau-fils Eugène, le fils de sa première épouse l'impératrice Joséphine.
Un palais où vécurent les Habsbourg, dont la mythique Sissi,
Puis les souverains italiens.
Et enfin le XXe siecle, siècle de l'abandon et des outrages. A titre d'exemple : "Un fait moins rare qu'on ne pourrait le croire : dans les années 1970 encore, le directeur du musée de Bassano disséqua à la tronçonneuse un grand cheval de Canova qu'il trouvait trop encombrant"
Aujourd'hui ce sont 9 salles qui rouvrent au public :
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La Salle des repas hebdomadaires : Attenante au grand salon d'honneur, cette salle avait deux fonctions : salle pour les repas non officiels et antichambre à la Salle du trône de
Lombardie et de Vénétie. Tout comme le Salon, elle fut restructurée en 1836. La décoration, conçue et réalisée par Giuseppe Borsato (peintre vénitien et décorateur de style classique du XIXe). Les murs sont ornés de précieuses fresques polychromes présentant des motifs de chandeliers et entourées de marmorini (stucs). Sous tout le
plafond voûté, décoré de “grotesques”, court une frise où se suivent des figures de divinités marines ;
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La Salle du trône du royaume lombard-vénitien : La décoration de cette salle, qui est également l'oeuvre de Giuseppe Borsato, a été réalisée en 1838 en prévision de l'arrivée de l'Empereur Ferdinand Ier, qui devait venir en visite en qualité de roi du royaume lombard-
vénitien. Conçue comme salle du trône elle deviendra salle d'attente ;
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La Salle des audiences : c'est ici que l'impératrice, pendant ses séjours vénitiens de 1856/57 et de 1861/62, recevait des personnes seules ou de petits groupes autorisés ;
- le Cabinet de toilette de l'Impératrice : Il y avait, à l'origine, une baignoire en marbre, discrètement enveloppée d'un rideau de soie qui formait comme un petit pavillon tout autour ;
- le Cabinet d'étude de l'impératrice : Cette pièce, qui avait été utilisée autrefois par la vice-reine du royaume lombard-vénitien, servit aussi de cabinet privé pour Sissi, réservé à la lecture et à l'écriture. Ce cabinet à fait l'objet de remaniements advenus en 1854 -1856, 10 ans plus tard la cour de Savoie italienne procéda à d'autres modifications ;
- le Boudoir de l'impératrice : Dans le cadre des travaux commencés en 1854, l'ornemaniste
Giovanni Rossi conçut, pour cette petite pièce intime destinée à la très jeune Elisabeth, une nouvelle décoration où les murs et le plafond, réalisés en très fin marmorino (stuc) d'un magnifique ton gris-bleu, présentent des inclusions de micro-cristaux brillants. Sur le pourtour, de légères guirlandes et des motifs fantaisistes naissent de l'enchevêtrement de stucs blancs très fins et d'ornements en couleurs et en or d'un relief imperceptible, et présentent différentes petites fleurs polychromes.
Parmi ces fleurs - et c'est clairement un hommage aux préférences de Sissi - se distinguent surtout du muguet et des bleuets. Des brins de muguet en métal doré se mêlent également aux stucs. Sur la corniche, et au-dessus des portes, des aigles en stuc soutiennent les armoiries des royaumes d'Autriche et de Bavière. La partie figurative, effectuée à l'huile, est hélas mal conservée: le médaillon peint au milieu du plafond présente La déesse protectrice des arts (dont les traits rappellent ceux de l'impératrice) et celui qui orne le mur représente La toilette de Vénus ;
- La Chambre à coucher de l'impératrice : cette vaste pièce fit office de chambre à coucher pour l'impératrice Elisabeth à partir de l'année 1856. La voûte du plafond présente intégralement la décoration néoclassique de l'époque napoléonienne, réalisée
dans les années 1810. Dans les compartiments géométriques, s'insèrent des figures peintes
à fresque par Giovanni Bevilacqua, aux teintes agréablement ténues (Vénus et Péristère avec Cupidon, Vénus en présence de Jupiter, Toilette de Vénus, Jugement de Pâris) ;
- L'Antichambre des appartements : cette pièce servait de passage entre les appartements privés de l'Impératrice Elisabeth, “Sissi”, et ceux de l'Empereur François-Joseph. Depuis le balcon, on peut jouir d'une vue splendide sur les Jardins Royaux, le Bassin de
Saint-Marc et l'île de Saint-Georges. Cette salle conserve aussi sur son plafond une trame géométrique régulière, à faux caissons, présentant des formes rondes et octogonales. Dans les octogones figurent, de petits groupes de figures mythologiques inspirées des peintures romaines d'Herculanum ;
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La Salle ovale : cette salle néoclassique de forme, constitua toujours un espace de transition entre les salles "publiques" du Palais Royal situées du côté de la Place
Saint-Marc et les appartements royaux, disposés en enfilade sur le côté donnant sur les Jardins et le Bassin. La décoration, qui s'inspire des motifs de Pompéi, présente des médaillons où figurent des oiseaux et des divinités (Neptune, Apollon, Junon, Apis).
À noter également le passage sur cette curiosité qu'est le Salon mauresque :
"Le Salon mauresque, dont il a sûrement influencé la décoration, est la pièce la plus singulière du palais : d'un voyage sur un bateau de guerre, à l'automne 1854, au Liban, en Palestine et en Égypte (après d'autres en Grèce, en Turquie et en Algérie), Ferdinand-Maximilien avait en effet rapporté un goût pour l'Orient, d'ailleurs en vogue en Europe. Il était aussi revenu avec deux pages, Ali et Saïd, qui le suivaient fidèlement, lui-même ne dédaignant pas de s'habiller de temps à autre dans un genre arabisant, comme le montre une aquarelle de cette époque où on le voit en compagnie de ses pages à la turque et de deux dames en burqas. À Venise, le plafond de la pièce mauresque verte et rouge avec arabesques est ceinturé de seize blasons qui, en plus de témoigner de l'obsession bien connue du monde germanique pour les titres et les quartiers de noblesse, sont la signature d'un archiduc d'Autriche, prince impérial de Hongrie et de Bohême, vice-roi de Lombardie-Vénétie, qui conserve de plus un lien fort avec Trieste. En effet, les deux premiers écus illustrent l'un l'empire (l'aigle noire aux ailes déployées), l'autre les armes des Habsbourg, d'Autriche et de Lorraine (un tiercé en pal) ; le suivant, le royaume de Hongrie (avec une croix patriarcale d'argent sur fond de gueules, c'est-à-dire rouge) ; puis viennent les armoiries des royaumes de Bohême, de Lombardie (le serpent des Visconti de Milan) et de Vénétie (d'azur au lion ailé d'or), de Dalmatie, de Croatie, ceux de la Slavonie (ou Schiavonia), la Galicie, Trieste, de la Carinthie, la Styrie, la Moravie et la Silésie : une mosaïque d'États associés et de provinces qui, étrangement insérés dans ce plafond mauresque, en font un véritable armorial géopolitique et qui, pour un oeil exercé de l'époque, équivalaient à une carte de visite"
Bref c'est un travail de titan qui a été nécessaire pour rendre que ce lieu historique retrouve son lustre. Et, à ce travail de restauration est venu s'ajouter un vrai parcours du combattant.
En témoigne, la postface intitulée "Restauration ou provocation ? Vingt-deux ans de campagne du Comité français pour la sauvegarde de Venise". Cela commence par un avertissement :
"« Ne prononcez jamais le nom de Napoléon à Venise » : tel est le conseil impératif que donna un ambassadeur octogénaire, Gérard Gaussen, au successeur de 50 ans qu'il s'était choisi, en juin 1999, pour assumer la présidence du Comité français pour la sauvegarde de Venise. Cette association d'intérêt général avait été fondée à la suite de l'acqua alta de novembre 1966 par un compagnon historique du général
De Gaulle, l'ancien ambassadeur de France à Rome Gaston Palewski, président du Conseil constitutionnel, en réponse à l'appel lancé par René Maheu, le directeur de l'Unesco auquel nous devons le concept de patrimoine commun de l'humanité."
Une aventure dans l'aventure entre collectés de fonds, organisation du mécénat, prise en considération par les médias, blocage pour empêcher le" retour" de Napoléon en Mars pacificateur, résistances bureaucratiques, divergences de vue sur la restauration, lettre d'insultes et de menaces mafieuses. Épisode qui se termina bien : "L'Italie, que les étrangers s'imaginent souvent désorganisée, contrôle plus attentivement son territoire qu'il n'y paraît. Les anonymes, parfaitement connus des services, furent convoqués et invités à se calmer."
Comme le résume l'auteur par cet aphorisme vénitien :
" « Connaissez-vous la définition du Vénitien ? » m'avait demandé un jour à brûle-pourpoint mon prédécesseur. Lui avouant mon ignorance, il me la révéla avec d'autant plus de satisfaction qu'il en était l'auteur : « Un Vénitien, c'est quelqu'un qui a un problème pour chaque solution. »"
Et de conclure sur ces mots :" Entre 1797, chute de la Sérénissime, et 1895, naissance de la Biennale, on a longtemps voulu ne voir qu'un siècle obscur des arts, marchant de pair avec la décadence politique et économique, une parenthèse durant laquelle rien de bon ne se serait produit dans l'ancienne cité des Doges, sinon la parabole personnelle de Canova : le Palais royal est désormais le chaînon qui manquait à l'histoire millénaire du génie de Venise."
Comme en écho au livre d'
Isabelle Autissier, c'est un chapitre oublié de l'histoire de la Sérénissime qui refait surface...