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Il y a déjà quelque temps que je voulais lire ce livre. Ayant découvert le style envoûtant de Stefan Zweig et sa façon d'exprimer l'essence même des sentiments de ses personnages, je voulais aborder un de ses exercices de style pour lesquels il est renommé, la biographie.

Passionnée de différentes époques de l'Histoire, dont le 16e siècle et les pays anglo-saxons, j'avais déjà plongé dans la lutte sanglante de la Guerre des Deux Roses, les Lancastre, Rose rouge, contre les York, Rose blanche, qui pris fin en apparence, avec l'avènement au pouvoir des Tudors, acté par le mariage d'Henri VII avec Elizabeth d'York, ayant pris comme emblème, une rose rouge à coeur blanc, symbole de réconciliation. Immanquablement, dans la succession au trône, j'ai "rencontré" le destin de la Virgin Queen, Elizabeth Ière, la plus grande reine d'Angleterre pour les uns, une incontestable hypocrite comploteuse pour les autres. Sa biographie m'a donné envie de passer de l'autre côté de la frontière pour connaître plus précisément la vie de sa cousine et ennemie jurée, la reine d'Écosse, Marie Stuart. Ces deux destins n'ont pas fini d'opposer les historiens, car l'affrontement religieux fratricide, Papistes contre Réformés, est intimement lié à la politique par les appuis puissants apportés de part et d'autre.

Pour construire sa biographie, l'auteur se base sur les documents d'époque, irréfutables fruits d'une recherche minutieuse. Les écrivains, les poètes, les ambassadeurs et les contemporains des deux femmes ont laissé de nombreux écrits. Même si bon nombre d'entre eux ont disparu à des fins politiques, ils sont le reflet du comportement des deux souveraines aux personnalités si divergentes.

La discorde entre la couronne d'Angleterre et celle d'Écosse est légendaire. N'étant pas soumis à la loi salique comme en France, permettant aux seuls héritiers mâles l'accession au trône, Elizabeth 1° succède à son père Henry VIII. Ce n'est pas sans soulever des protestations, car si le mariage du roi d'Angleterre et d'Anne de Boleyn a été consacré par un évêque reconnu du pape, légitimant ainsi la petite Elizabeth, son père la déclare bâtarde après avoir fait casser son union d'avec sa mère. Il s'ensuit une période sanglante où de nombreux prétendants perdirent la tête sous la hache du bourreau, à tort ou à raison, mais toujours pour répondre à la soif de pouvoir de certains.

de son côté, Marie Stuart est couronnée reine d'Écosse à l'âge de 6 ans, suite à la mort de son père Jacques V. Sa mère Marie de Guise est française, de la célèbre Maison du même nom. Fervente catholique, elle refuse la proposition de mariage pour sa fille avec Edward, protestant, fils d'Henri VIII et lui préfère François II, fils d'Henri II et Catherine de Médicis, catholique. La vie de Marie Stuart commence dans le calme et la prospérité à la cour française. À 16 ans, elle obtient une deuxième couronne, celle de France par son mariage avec François II. Étant malade et souffreteux de naissance, le jeune roi décède l'année suivante sans héritier. Sa veuve désemparée et encombrante pour les Français, regagne son Écosse natale dont elle est toujours la souveraine. Fini, les fastes et les honneurs en grandes pompes, les vers de Ronsard et Du Bellay, son absence a laissé des traces. Son demi-frère Murray qui l'a remplacée toutes ces années, a été gagné par la Réforme, entrainant avec lui beaucoup d'écossais. La misère règne sur cette terre rude et sauvage. Son peuple, majoritairement paysan, farouche et rebelle est prompt aux soulèvements.

Là où Elizabeth est manipulatrice peut-être, fin stratège certainement, faisant preuve d'un raisonnement implacable, Marie ne sait pas s'entourer de bons conseillers ou ne les écoute pas. Elle se laisse guider par son coeur et ses émotions, quitte à commettre de terribles erreurs de jugement et se compromettre dans des unions douteuses. L'affrontement de ces deux reines, si différentes, ne peut mener qu'à une catastrophe programmée d'où la première sort victorieuse, mais pas forcément grandie !

Dans la vie de ces deux femmes de pouvoir, tous les éléments d'une tragédie grecque sont présents. Ruses, intrigues, trahisons, passion, meurtres, dissimulations, arrestations, évasions, Stefan Zweig retrace le destin de Marie, la maudite avec une application d'historien, nimbée de romantisme. Héroïne shakespearienne, comme dans la tragédie d'Hamlet, Marie Stuart paraît superficielle, inconséquente et naïve. Pour l'auteur, elle est une "éternelle illuminée toujours séparée du monde réel, jusque dans sa détention."

Il est totalement normal que les historiens discutent encore de nos jours sur le bien-fondé de leurs théories. Les opposés ne s'attirent pas toujours. Elizabeth, fière, célibataire sans héritier, ne se laissant émouvoir par aucun prétendant éventuel et voulant conduire les affaires du royaume comme elle l'entend. Marie, fière également, mais emportée par la passion tombe sous l'emprise d'hommes ambitieux et prétentieux la prenant dans les filets de la sensualité. Malgré tout, si elle se sent légitime pour revendiquer la couronne d'Angleterre portée, selon son camp, par une usurpatrice, elle a un atout de poids avec la présence de son fils, née de sa deuxième union avec Darnley, nommé roi d'Écosse. Il est le prince héritier indiscutable, déclaré héritier de la couronne à l'âge de 1 an à la suite de l'assassinat sordide de son père. Décidément, le sort s'acharne sur les Stuarts très tôt, grâce à des mains habiles à orienter le destin.

La tragique vie de Marie Stuart est totalement passionnante et peut se brosser en 4 phases : une enfance dorée en France, un retour en Écosse hostile, une existence débridée passionnelle puis une chute dramatique, mais très digne, au bout d'un enfermement d'une durée de 20 ans, transférée de châteaux en châteaux en terre ennemie qui, comble d'ironie, aurait pu être sienne.

Je ne pense pas avoir spoilé quoi que se soit, tous ces faits sont dans les livres d'Histoire. le talent de Stefan Zweig est de faire vivre tous les protagonistes de ce mélodrame rocambolesque. Il livre le tréfonds de leur âme si bien que, même connaissant les sorts réservés à Darnley, Bothwell et même Marie, je n'ai pu m'empêcher de ressentir de l'admiration et de la compassion pour cette reine qui a perdu la tête par amour avant de la perdre pour de bon le 8 février 1587 avec une dignité, une piété et une sagesse qui hanta longtemps Elizabeth. Mais le destin est en marche, car ce sera son fils, Jacques VI d'Écosse qui sera couronné roi d'Angleterre sous le nom de Jacques Ier. Il réalisera, ce que ses prédécesseurs n'ont jamais obtenu, l'union si attendue et désirée entre l'Angleterre et l'Écosse malgré divers complots dont il fera l'objet, comme il sied à toute Cour Royale !

Des critiques ont qualifié Stefan Zweig de misogyne par les opinions qu'il a émises dans ce livre. "Dans le temps, dans l'espace et dans ses formes, l'opposition est grandiose : quel dommage que la lutte qu'elle a provoquée ait été d'une aussi pitoyable mesquinerie ! Malgré leur envergure extraordinaire, ces deux femmes restent toujours des femmes, elles ne peuvent pas surmonter les faiblesses de leur sexe ; la haine qu'elles se portent, au lieu d'être franche, est petite et perfide. Placés dans la même situation, deux hommes, deux rois s'expliqueraient nettement, une fois pour toutes et, dans l'impossibilité de s'entendre, se prendraient aussitôt à la gorge ; au contraire la lutte entre Marie Stuart et Élisabeth, c'est une bataille de chattes où l'on rampe et s'épie en rentrant ses griffes, un jeu plein de traîtrise et d'astuce." Je reconnais que ce paragraphe peut faire lever le sourcil de féministes impitoyables. Pour ma part, époque mise à part, je ne souscris pas à cette allégation connaissant l'humanisme de l'écrivain et sachant que la perfidie, l'intrigue et la sournoiserie ne sont pas uniquement brodées sur les bannières féminines. L'Histoire a montré nombre d'hommes puissants ne brillant pas par leur courage et leur sincérité ! L'affrontement à l'épée au fond d'un pré dans l'aube brumeuse n'est réservé qu'à un romanesque désuet et l'empoignade virile est souvent la conséquence d'une altercation avinée.

Dans une Histoire plus proche de nous, Hitler ayant pris les rênes du pouvoir en 1933 et la biographie étant parue en 1935, je ne peux m'empêcher de penser que beaucoup de réflexions émises par l'auteur, au sujet de la politique et de la façon de traiter leurs sujets, n'évoquaient pas exclusivement l'Écosse et la perfide Albion.

Une période trouble et sanglante de l'Histoire à découvrir, immense fresque romanesque et tragique qu'aucun récit d'imagination ne saurait égaler. Encore une fois, la réalité dépasse la fiction !
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Bouquin trouvé dans la bibliothèque de mes grands-parents.
Pourquoi ai-je pris cet ouvrage ?
L'édition (datant de 1972) propose comme 1ère page, un fond de tissu en carreau noir et rouge qui m'a attiré et puis mon inculture sur le monde de la royauté et des personnes.

Alors je me suis lancé dans ce roman et je dois avoué que j'ai beaucoup aimé lire ZWEIG.
Je trouve que son écriture est très fluide, simple et sans difficultés.
On en apprend beaucoup sur l'histoire de l'Ecosse et de l'Angleterre, de la rivalité entre Marie Stuart et Elisabeth 1er.
Bref, je recommande vivement car ça m'a mis une claque.

Dans ce cas pourquoi 4/5 et pas 5/5, car certains passages sont un peu longuet, et peuvent être raccourcis.
Mais dans l'ensemble, le roman est vraiment passionnant !
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Le 8 décembre 1542 naît Mary Stuart. Par la grâce de Dieu, et pour son plus grand malheur, elle devient reine d'Ecosse 6 jours plus tard.
Exilée en France à l'âge de 5-6 ans, elle y épousera le dauphin, François II et deviendra reine de France.
Mais cela ne suffit pas à Mary. Elle réclame également la couronne d'Angleterre et s'oppose ainsi ouvertement à Elizabeth. La haine entre les 2 femmes s'exprimera de façon très perfide car jamais elles ne prendront les armes l'une contre l'autre. Au contraire, à la face du monde, ces soeurs adorés se feront des yeux doux.
Malheureusement 2 ans plus tard François décède et Mary est renvoyée en Écosse. C'est à ce moment là que sa vie, jusqu'alors douce et joyeuse, bien qu'insipide, va prendre le tournant dramatique qu'on lui connaît.
Car Mary Stuart découvre l'amour, le vrai, l'unique, dans les bras de Lord Darnley et sa passion folle va être la source de tous les drames que va connaître l'Ecosse. En effet, Elizabeth n'acceptera pas ce mariage, et le conflit entre les 2 femmes va entraîner l'Angleterre et l'Ecosse dans de sombres périodes, jusqu'à l'exécution de Mary Stuart.

Stefan Zweig est un conteur né. Il nous raconte une Mary Stuart très romanesque, jusque dans sa mort. Chacun de ses actes serait motivée par ses passions amoureuses.
Il serait intéressant d'avoir un autre point de vue. Car même si j'ai été happée par la vie incroyable de Mary Stuart, je regrette que l'auteur n'ai pas mis en avant les décisions politiques de Mary Stuart.
Du point de vue de Zweig, on a l'impression que Mary Stuart n'avait que faire de l'Ecosse. Elle était reine par la grâce de Dieu, et peu importe reine de quoi, de qui, tant que son égo était flatté. Il semble que la politique ne l'ai aucunement intéressé ce qui parait surprenant.
Je serai également curieuse d'en savoir plus sur la captivité de Mary Stuart car cette épisode, qui a duré près de 20 ans tout de même!, paraît complètement fou!

Toutefois je suis ravie de cette lecture et je remercie @autumnalys de toujours nous faire découvrir de nouveaux horizons!
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Excellent ouvrage consacré à Marie Stuart. Stephan Zweig est un superbe conteur et cette biographie se lit comme un roman. La psychologie de Marie Stuart, mais également de ses principaux contemporains, est particulièrement fouillée. Je m'interroge sur la véracité de certains propos, notamment sur l'infirmité d'Élisabeth, car de tout ce que j'ai lu et écouté à son sujet c'est la première fois que j'en entends parler. Mais c'est vraiment un récit palpitant et émouvant que nous livre ici l'auteur et j'ai pris beaucoup de plaisir à cette lecture. Un très bon complément au livre d'Anka Muhlstein lu il y a quelques mois et qui livrait un très pertinent portrait croisé des deux souveraines.
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Si Elizabeth Ire n'avait pas fait décapiter Marie Stuart, connaîtrions-nous seulement son nom ? Aurions-nous appris que, reine d'Écosse, puis reine de France, veuve à dix-huit ans elle retourne en Écosse et, séquestrée pendant plus de vingt ans par Elizabeth, reine d'Angleterre, celle-ci la fait exécuter ?
Arrivée en Écosse, Marie n'écoute personne. Contre l'avis de tout le monde, elle épouse un catholique, son cousin Henry Darnley qui fait assassiner le secrétaire particulier de Mary avant d'être lui-même assassiné. Elle épouse alors Bothwell, le présumé assassin de ce dernier.
Pour raconter la vie de Marie Stuart, Stefan Zweig privilégie une approche psychologique qui, vue d'aujourd'hui, n'exclut pas les clichés.
Une biographie moins passionnante que d'autres du même auteur.


Lien : https://dequoilire.com/marie..
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Le style de Zweig est toujours plaisant à lire et permet une lecture fluide. Je trouve qu'il correspond bien à un roman historique et une histoire d'amour. En effet, on a des sensations très romanesques quand on lit le récit. Pratiquement comme si Marie Stuart n'avait pas existé mais était un personnage de roman d'amour. Néanmoins, on regrettera quelques longueurs, spécifiquement au milieu du roman où l'auteur se répète et où l'histoire n'avance que très peu.
La démarche scientifique de Zweig dans ce roman est intéressante, il se base sur des faits réels et justifie une partie de ses propos grâce à des documents de l'époque. Parr exemple, il va souvent citer les lettres d'amour qu'a écrit Marie Stuart à son amant et troisième époux : Bothwell. On regrette cependant le manque d'impartialité de l'auteur en ce qui concerne les deux femmes. Il va passer beaucoup de temps à blanchir Marie malgré ses actes. Il semble oublier qu'elle a les mains rougies et a fait de nombreux actes plus que moralement discutable mais il se contente de la présenter comme une victime, une biche aux effrois.
On notera aussi que certaines réflexions de Zweig dans ce roman étaient légèrement choquantes mais pourraient être dues à la mentalité de l'époque. Il parle de la reine Elizabeth comme d'une demi-femme à cause de sa stérilité et conclut donc qu'elle serait restée vierge toute sa vie. de plus, il justifie constamment les réactions des deux reines par leur nature féminine. C'est pour cela que Elizabeth aurait des états d'âmes et que Marie ne pouvait régner correctement. Finalement, il finit par dire que le viol qu'à subit Marie Stuart est le moment où sa sensualité et sa sexualité se révèle. Il ne considère pas cela comme un évènement traumatique mais plutôt comme un don que lui a fait Bothwell.
C'est un bon roman de Zweig, on regrette néanmoins son admiration de Marie et les longueurs du récit. Ce n'est pas son meilleur livre.
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Biographie de Marie Stuart (1542-1587), reine d'Ecosse à l'âge de six jours, épouse de François II, elle devient reine de France durant une année. En 1560, son mari décède et elle retourne dans son pays où elle épouse Lord Darnley et le comte de Bothwell avant de vivre vingt ans, prisonnière de sa rivale et cousine Elisabeth 1ère. Elle sera décapitée en 1587.

Je ne connaissais rien de cette reine si ce n'est qu'elle était la rivale de la reine d'Angleterre. J'ai donc développé mes connaissances en lisant cette biographie. L'auteur passe assez rapidement sur sa jeunesse et sur ces années en France. Il accentue les années où elle revient dans son pays (1561-1567). Tout au long de ce livre, j'ai eu l'impression de lire à la fois un récit romanesque et psychologie de Marie Stuart que l'auteur compare à Elisabeth 1ère, plus qu'un récit historique. Et, par conséquent, j'ai trouvé le récit un peu long et redondant sur les qualités et défauts de chacune de ces reines. Et cela m'a gênée. Je ne me souviens pas d'avoir éprouvée ce sentiment en lisant la biographie de Marie-Antoinette.
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Un chef d'oeuvre de cet ecrivain dont l'ecriture fluide me rappelle Proust ou Flaubert.Cette biographie est hyper realiste, tres bien documentée et nous permet de connaître au mieux la vie de cette souveraine qui a ete reine d'Ecosse en1542 et de France en 1559.
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Le destin de Marie Stuart est aussi bref que saisissant. Il fallait un peintre, un orfèvre comme Stefan Zweig pour en saisir toutes les nuances, la complexité, les ténèbres d'un personnage solaire hors du commun au sens tragédien. Car la vie de Marie Stuart est digne d'une tragédie antique.
Pensez donc ! Reine d'Écosse à l'âge de six jours, en 1542, puis reine de France à dix-sept ans par son mariage avec François II, elle retournera à son royaume d'Écosse en 1560 à la mort de celui-ci. Après quelques péripéties conjugales et sentimentales, elle fuit son royaume d'Écosse et sera retenue captive par sa cousine et rivale durant vingt ans, Elisabeth Ire, reine d'Angleterre, avant que celle-ci ne finisse par signer la promulgation de sa condamnation à mort en 1587. Son existence aura été aussi fulgurante que la trajectoire d'une comète, la légende peut alors commencer, l'imaginaire collectif s'en empare et Stefan Zweig vient y mettre quelques touches de sa palette de couleurs.
J'ai retrouvé cette écriture propre à Stefan Zweig, ciselée à merveille, se posant sur les contours et l'âme des personnages de cette fresque historique.
Je me suis posé la question au moment où le texte se déroulait sous mes yeux : ai-je affaire ici à une biographie ou un bien un roman historique ?
L'écriture de Zweig se faufile entre les plis de l'Histoire. Souvent j'ai senti ici la ferveur de l'artiste prendre le pas sur la rigueur historique. Il comble le vide laissé par les traces de l'Histoire ou le mystère d'une existence, là où les historiens sont demeurés muets à jamais, il y jette le pouvoir de l'imagination et des mots d'un écrivain romanesque. Après tout, cela ne me dérange pas lorsque l'écriture de l'Histoire n'est pas dévoyée. Les silences de l'Histoire sont des interstices incroyables pour un écrivain comme Zweig, guettant de ces failles la lumière, les respirations, des soubresauts peut-être telluriques. Il les perçoit peut-être en lisant et relisant les sonnets qu'a écrit Marie Stuart comme un journal intime empreint de poésie. À certains endroits, il pose ainsi une dimension qu'on sent bien sûr fortement fictionnelle.
Il cherche à étonner, à nous surprendre. Il nous laisse entrevoir, il suggère pour que nous tirions nos propres conclusions. C'est le ressort de la mécanique romanesque de Stefan Zweig huilée ici à merveille.
Alors il y met une atmosphère, une épaisseur, une tragédie aiguisée par la dague de son écriture.
Stefan Zweig est un auteur qui aime les personnages romanesques, qu'ils soient fictifs ou réels.
Je ne vais pas vous refaire l'histoire, tout le monde la connaît. Ce qui m'intéresse ici, c'est de vous partager ce regard que porte l'auteur sur son personnage, la manière dont j'ai perçu ce regard, un regard empli d'empathie sur une reine à la destinée aussi exceptionnelle que brève, un regard pas toujours impartial pour cette reine d'Écosse qu'il dépeint souvent comme une muse chevaleresque, pas toujours non plus inspiré dans sa maîtrise de la psychologie féminine, un regard qui m'a à la fois émerveillé à certains endroits et franchement agacé à d'autres. Quant à la manière dont il s'est saisi des enjeux politiques qui sous-tendent l'affrontement de deux femmes puissantes de l'histoire européenne, il le fait avec le prisme d'un artiste, d'un séducteur exalté, d'un homme en exil aussi face à la plus grande tyrannie et barbarie qu'est connu le monde jusqu'à présent... Il ne réécrit pas L Histoire, il la comble de ses mots.
Sous l'aspect narratif, sa plume est parfaitement maîtrisée, tenant fermement le texte comme la bride d'un cheval lancé à folle allure à travers les pages de ce récit.
Marie Stuart, c'est une vie traversée de cavalcades, de fuites, d'intrigues, de manoeuvres, d'alcôves et de sang.
Stefan Zweig nous décrit une Marie Stuart ambitieuse. Quand elle revient de France, veuve, les contours de son royaume d'Écosse lui paraissent déjà trop étroits, les ténèbres de ce pays sombre et rude lui donnent simplement envie d'élargir son horizon. Il est possible que le whisky fumé à la tourbe, des hommes rustres et ivrognes attablés à boire ce breuvage local, il est possible que le port du kilt, il est possible que la brume humide posée longtemps sur un paysage qu'elle trouve froid et morne, oui il est fort possible que tout ceci ait peut-être façonné l'ambition d'un reine qui rêve d'élargir son royaume. Elle se sent alors pleinement possible héritière du royaume d'Angleterre, plus large pour porter ses rêves.
Marie Stuart est d'un tempérament exalté. Souvent sa démarche relève de la haute voltige.
Elle fut toute sa vie une femme audacieuse, insouciante, imprudente, capable de brûler d'un amour ardent qui la consume.
J'ai très vite compris que Zweig a pu être à son tour séduit par ce coeur impatient d'une reine si romanesque. Sous les aspects de douceur apparente se cache un volcan qui gronde et c'est ce qui fascine l'écrivain.
Et puis vient, selon moi le coeur de l'intrigue, cette confrontation à distance entre deux reines qui dura un quart de siècle. Pensez donc, elles sont cousines, certes rivales, ne se sont jamais vu, physiquement, en face à face.
Stefan Zweig dévoile autre chose des représentations que nous avons eu si souvent de cette reine Elisabeth, il nous la rend plus nuancée, plus humaine, plus tourmentée, en proie au doute, un désir caché en elle semble la déchirer, la torturer, entre vouloir le bien et le mal. Elle a incontestablement un sens politique plus fort que sa rivale écossaise et c'est cela qui fera basculer la balance... Pour autant, c'est une femme qui hésite, qui hésitera jusqu'au geste ultime scellant le destin de Marie Stuart.
Stefan Zweig n'est jamais aussi envoûtant que lorsqu'il approche les forces intérieures qui traversent et soulèvent ses personnages. Ici deux statures se dressent, elles ont comme points communs l'orgueil, l'intelligence, l'érudition, la soif du pouvoir...
C'est dans cette confrontation magistrale, cette lutte fratricide d'un quart de siècle entre deux cousines et rivales, que ce texte selon moi prend toute sa saveur.
Et puis brusquement, au détour d'une page, évoquant l'affrontement à distance entre les deux reines, je découvre cette phrase qui me sidère :
« Malgré leur envergure extraordinaire, ces deux femmes restent toujours des femmes, elles ne peuvent pas surmonter les faiblesses de leur sexe ; la haine qu'elles se portent, au lieu d'être franche, est petite et perfide. Placés dans la même situation, deux hommes, deux rois s'expliqueraient nettement, une fois pour toutes et, dans l'impossibilité de s'entendre, se prendraient aussitôt à la gorge ; au contraire la lutte entre Marie Stuart et Elizabeth, c'est une bataille de chattes où l'on rampe et s'épie en rentrant ses griffes, un jeu plein de traîtrise et d'astuce. »
Oh ! My God ! Mais que s'est-il passé là, notre ami Stefan Zweig aurait-il perdu la tête (oui, facile je reconnais, mais je voulais absolument marquer vos esprits) ? Je ne reconnais pas dans cette phrase l'auteur qui m'a emporté lorsqu'il effleurait les contours d'autres personnages féminins comme dans « Lettre d'une inconnue » ou mieux « Vingt-quatre heures de la vie d'une femme ».
Pourtant j'ai aimé l'hésitation d'Elisabeth, j'ai aimé qu'elle hésite même si je savais sa décision avant elle, elle hésitait peut-être car elle savait, nous révèle Zweig, que sa décision, ce serait montrer que les monarques sont vulnérables, que leurs têtes peuvent rouler du billot comme celles de simples sujets. C'est pour cela peut-être qu'elle a attendu vingt ans avant de signer cet arrêt de mort, la condamnation à mort d'une du même rang, du même titre qu'elle. Ça, c'est prodigieux dans le texte de Zweig.
La passion de Marie Stuart la conduit auprès d'un homme aux allures rudes, aux mains brutales dont elle s'amourache, ce conseiller et commandant suprême de l'armée, le comte Bothwell. Et c'est là que Stefan Zweig écrit quelque chose qui ne passerait sans doute plus aujourd'hui...
Lisez un peu : « « Il se fait de son corps possesseur », il la prend par surprise ou la viole (qui peut mesurer la différence dans de tels instants où la volonté et la résistance se fondent si voluptueusement ?). Mais l'acte de brutal de Bothwell - ses sens enivrés en sont encore tout étourdis - l'a mise brusquement en face d'un homme véritable, d'un homme qui a réduit à bien peu de chose ses forces féminines, sa pudeur, sa fierté, son assurance, qui as révélé avec volupté le monde volcanique qu'elle portait en elle ignorait jusqu'alors l'existence ».
Là, je me suis dit que le père Zweig n'y allait pas avec le dos de la hache.
Oui je sais... D'aucuns diront qu'il faut remettre ce texte dans le contexte de l'époque, mais quelle époque ? Celle de 1567 où Marie Stuart se fait violer ou bien en 1935 l'année où Zweig écrit ce récit, séducteur exalté, déjà en exil, déjà en partance pour d'autres rivages amoureux ?
Et puis... et puis... Voilà... Je continuerais d'aimer Stefan Zweig comme un ami qui peut parfois s'égarer, décevoir, continuer de m'envoûter.
J'ai trouvé la scène finale, effroyable, grandiose et poignante. Oui, cette scène que vous savez... Avec une pointe de surprise qui vient comme un rendez-vous insolite, inattendu, quelque chose de touchant. Et là je voudrais savoir si ce détail que je ne vous divulguerai pas ici est de l'ordre du fait historique ou de l'imaginaire de l'auteur. Qu'importe peut-être !
Alors cela me vient brusquement à l'esprit, je sais déjà que je chemine plus près encore vers le récit que Zweig fit d'une certaine Marie-Antoinette...
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J'ai choisi ce livre parmi les autres biographies de Marie Stuart disponibles à la bibliothèque car elle était écrite par un écrivain, et non par un historien, ce qui pour moi la rendait plus facile à lire. Et je n'ai pas été déçue ! Stefan Zweig annonce dès le départ qu'il dira lorsqu'on ne peut pas savoir, que les documents historiques sont manquants ou ne permettent pas d'avoir un avis tranché. Il montre les différentes facettes de cette femme, positives comme négatives ; elle a eu une vie incroyable et fait des choix qu'on a du mal, rétrospectivement, à comprendre, surtout connaissant la fin, décrite dans ses moindres détails. Un ouvrage qui donne envie de découvrir les autres biographies de l'auteur, notamment celle de Marie-Antoinette.
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