Accoudé seul au comptoir d'un bar, lumières tamisées, néons qui clignotent, un barman qui prend des notes, notes pour un roman, futur roman sur les poivrots, ivrognes, paumés de Los Angeles. La nuit, tout est différent, surtout dans un bar où la consommation d'alcool se déverse en un flot de chapitres courts comme autant de minuscules nouvelles sur mon thème de prédilection. Une bière, un whisky. Pour commencer la soirée, avant de tourner la première page de ces épatantes «
ablutions » alcooliques. Parce qu'il s'agit avant tout de purifier ton âme et mon âme !
Outre ce barman qui prend des notes, notes pour un roman, je croise les regards d'autres poivrots, cet absence de pétillement dans les yeux, ce sentiment de honte dans le regard. Des videurs, le regard vide sur toi dans le genre je me fous de toi du moment que tu ne gerbes pas sur mes mocassins noirs. Des fourgues, venus écouler leurs pilules de drogue, hey l'ami moi je carbure à l'aspirine tu n'as pas le modèle générique à me revendre. Ma femme, le regard humide où se mélangent des sentiments comme la colère, la tristesse et le dépit. Des nanas, qui boivent, seules ou accompagnées, qui écoutent là elles sont seules, qui dansent une ficelle dans le cul ou le cul à l'air là elles sont regardés par des dizaines de paires d'yeux à la limite de la lubricité… Bref, de beaux portraits de notre société à lire et à lubrifier.
Ce livre détonnant que dénoterai pas un
Charles Bukowski dans ses nuits sobres me plonge dans cet univers de papillons de nuit où volent de comptoir en comptoir les verres de bières et de whisky jusqu'au bout. Au bout du zinc, au bout de la nuit, ou avant si le type s'effondre de son tabouret. le ramasser et le jeter dans le caniveau comme on balancerait un cadavre à la mer. Ce type, qui pourquoi pas pourrait être moi, ne sait plus quoi faire dans sa putain de vie ; alors il va sous une autre lumière, celle d'un autre néon, vert celui-là, et commande un autre verre. Qu'on lui sert bien sûr. le barman est toujours souriant, aimable, mondain quand il s'agit de verser un verre et de faire tinter la sonnerie de la caisse enregistreuse. Et je ne te parle pas de la barmaid. Celle-là, tabarnak. elle est canon avec sa big paires de Joes. Comme une envie de croiser son regard, de la frencher même, de la fourrer carrément.
Mais les effluves d'alcool m'égarent. Un dernier verre avant de gerber. Gerber une vie, ma philosophie. Et ces vies sont savoureuses quand elles dérivent, quand elles accumulent des flaques de vomis dans des chiottes couvertes de merdes. Rien qu'à cette idée, j'ai la bile qui me renverse les tripes. Tiens, je devrais moi aussi écrire mes délires utopiques d'une vie à boire seul ma bière. Mais je n'aurais pas le talent de
Patrick DeWitt pour fleurir ces états d'âme d'une telle poésie, ni même sa passion pour le Jameson qu'au final je ne trouve pas aussi exceptionnel (il a la couleur de l'or mais son goût se rapproche d'un Canada Dry, hommage à l'auteur canadien ; d'ailleurs est-ce qu'il y a du Canada Dry au Canada ?). D'ailleurs qui ça intéresserait ces histoires de poivrots. A part, peut-être d'autres poivrots, mais ceux-là ont autre chose à foutre que de me lire. Probablement que si je ne les vois pas accoudés au zinc, c'est qu'ils sont aux chiottes, la tête dans la cuvette, la gerbe aux lèvres. Bienvenue dans mon monde... de poésie.