Isabelle Boissard (car c'est d'elle-même dont parle l'auteur) est déphasée, jetlaguée, en décalage permanent, à côté de la plaque, avec le sentiment de ne jamais être au bon endroit, ni dans son lieu de vie ni dans ses baskets. Et ce n'est pas son tout récent échouage à Taïwan qui va améliorer les choses…
Isabelle, c'est la fille dans l'ombre de son mari, le gars charismatique avec une grosse fiche de paye, l'expat, envoyé par sa boite tous les deux ans dans un pays différent à l'autre bout de la planète.
Alors Isabelle suit, sans enthousiasme, et tente mollement de se fondre dans le moule des femmes oisives, sûres d'elles, qui vivent dans le paraitre et l'entre-soi, et refourguent leur portée au lycée français.
Mais Isabelle se rebelle dans ce microcosme qui n'est pas son monde, si éloigné des codes reçus de son enfance, mais auquel elle aspire pourtant. Sa mère, de condition modeste, lui a appris qu'il est important pour une femme de travailler, d'être indépendante financièrement, de ne dépendre de personne.
Alors Isabelle observe, et d'un oeil cynique auquel rien n'échappe, elle se projette dans des dialogues imaginaires dans lesquels elle balance avec une hargne féroce leurs quatre vérités à la gueule de ses interlocuteurs.
Après l'exploration de son absence de vie sociale taïwanaise, un événement va, au pire contraindre, au mieux donner une bonne raison à notre narratrice de refaire le chemin en sens inverse pour un retour au bercail français, sa mère étant tombée dans le coma. Ce nouveau voyage va être l'occasion de se recentrer sur sa famille, et sur elle-même. Dans cette seconde partie plus introspective, le ton perd en cynisme et Isabelle fait son bilan de bientôt cinquantenaire : qui est-elle, que veut-elle, qu'attend-elle de la vie, des autres, d'elle-même ?
Malgré sa réjouissante absence de filtre, l'auteure ne se livre pas complètement, et dresse des barrières protectrices entre elle et son lecteur ; elle a beau nous livrer ses pensées et fantasmes les plus honteux et inavouables, elle reste discrète et pudique sur ses émotions.
J'ai aimé cette plume irrévérencieuse, j'ai vraiment ri par moments (pas souri, hein, vraiment ri, oui, toute seule comme une bossue dans mon lit, et ça, ça fait beaucoup de bien). J'ai couvert le bouquin de post-it, plein de phrases sont de petites pépites et pétillent comme des petits bonbons acides !
Un savoureux moment de lecture si vous aimez les auteurs qui pratiquent avec brio l'autodérision et sont réfractaires à la langue de bois, mais révèlent au final des tourments plus profonds qu'il n'y paraît !