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Critiques de Andreï Makine (963)
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L'archipel d'une autre vie

Je ne sais pas vous, mais les récits gigognes m’ont toujours fascinée. Ils ont le pouvoir, mine de rien, de nous emmener dans des terres inconnues, rien qu’en passant le relais d’un narrateur à l’autre, d’un récit à l’autre, et de nous perdre en nous charmant ou de nous charmer en nous perdant.



L’Archipel d’une autre vie est comme la flûte du joueur de Hamelin : un irrésistible appel à le suivre et à se perdre avec lui.



Au fin fond de la taïga, traversée de torrents et de bêtes farouches, au bout de l’hiver, dans les glaces sibériennes, au bord de la mer d’Okhotsk, dans l’archipel des Chantars, sur la Belitchy, cette grande île sauvage gardée par son terrible « souloï », un mur liquide de quatre mètres de haut…



Vous êtes perdus déjà ? Tant mieux ! Laissez-vous faire !



Un jeune orphelin, fils de prisonniers disparus dans le Goulag stalinien enfin dispersé, rencontre à Tougour un voyageur qui l’intrigue, le fascine. Un nomade à capuche, à la fois fraternel et mystérieux qui a l'âge d'être son père. De loin, d’abord, dans l’épaisseur de la taïga, il le suit.



Mais le suit-il ou est-ce l’étranger qui insensiblement se laisse rattraper par le jeune homme ?



Bientôt en effet, ils se rencontrent. L’homme s’appelle Pavel Gartsev ; il raconte à l’adolescent son histoire. Attentivement, sans l’interrompre, il la suit.



Pavel était soldat, dans un camp où l’armée soviétique, en pleine guerre froide, se préparait à la guerre nucléaire, en Sibérie est-orientale. Un prisonnier s’évade. Un commando de cinq hommes est nommé pour le rattraper, vivant, afin de lui infliger un châtiment dissuasif et exemplaire. Pavel, simple troufion, est le bouc émissaire tout trouvé en cas d’échec.



Mais il n’y a pas à discuter. Il les suit.



Le groupe s’enfonce dans la taïga aux derniers feux de l’été sibérien trop court. Devant eux, le fugitif marche, jamais très loin, allumant des feux multiples pour les leurrer, croisant et recroisant sa piste comme pour les égarer, ou les retrouver, à sa guise. Ils le suivent.



Mais le suivent-ils ou sont-ils subtilement menés par lui, dans une forêt dangereuse, pleine d’embûches et de pièges ? Comme dans l’histoire des Horace et des Curiace, l’évadé se laisse suffisamment approcher pour se débarrasser un à un de ses poursuivants, qui repartent pour le camp, l’un après l’autre, meurtris, sur des radeaux de fortune..



Pavel, lui, est toujours là. Il suit.



Ne comptez pas sur moi pour vous dire qui est ce fugitif habile qui se confond si familièrement avec la taïga, et semble apprivoiser l’hiver redoutable qui vient.



Mais sachez que cette poursuite obstinée va changer le cours de deux existences : celle de Pavel et celle, bien des années après, du jeune orphelin apprenti en géodésie dans la Russie devenue post soviétique. Plus de dictateur à moustache avec son enfer blanc de Kolyma, mais des capitalistes oligarques avec leurs paradis fiscaux et touristiques. Autres machines à détruire les hommes, les existences, les rêves.



Quelque cinquante ans d’histoire russe défilent en trame de fond derrière ce récit plein d’ombres menaçantes- et cependant si lumineux. Car le paysage est là, qui éclaire tout : la Sibérie est-orientale tant aimée de Makine, le pays de l’hiver aux étés si brefs, à la neige si blanche, une terre d’ours et de loups, une mer de baleines chantantes et d’ îles farouches - refuge inexpugnable des exilés volontaires, fuyant la folie des hommes.



Un pays qui peut se refermer sur vous comme un piège à ours, ou vous ouvrir les portes de la vie.



L’archipel d’une autre vie. La vraie vie. Celle d’une osmose entre l’homme et la nature, pas tendre pourtant. Celle où les baleineaux viennent se faire caresser par de longues tresses noires. Celle d’un amour éternel, presque mythique, dont l’esquif à voile carrée revient, comme la barque de Tristan et Yseut, hanter ces parages de glaces et de brumes.



Suivez, à votre tour, la piste du fugitif, mettez vos pas dans ceux de Pavel.



Découvrez le courageux Vassine et son chien Almaz, Louskass le chefaillon, qui « se croyant au service d’une idée, ne supportait pas les imperfections de la vie », Ratinsky, éternel mouchard, éternel traître, éternel esclave du pouvoir en place, le rude commandant Boutov, et Elkan, du peuple toungouze, dont je ne vous dirai rien…



Découvrez la différence entre exister et vivre. Entre poursuivre et suivre. Descendez au fond de vous-même et tuez ce pantin de chiffon qui vous brouille la vue, qui vous gâche la vie.



Même s’il faut, pour cela, se perdre dans la taïga un soir d’hiver, et guetter les lueurs clignotantes de trois feux dans la nuit, cela en vaut la peine.



Suivez les trois feux dans la nuit.



Suivez-les !

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L'ancien calendrier d'un amour

Mais comment fait Andreï Makine pour raconter en si peu de pages toute une vie d'homme en traversant presque tout un siècle? Je crois que la réponse réside dans le talent d'un auteur exceptionnel, si rare parmi les contemporains, qui sait allier la concision de son propos avec la densité d'une histoire tout en appuyant savamment sur les détails qui le méritent.



Ainsi, dès les premières pages, le lecteur est emporté dans le tumulte de la vie du héros, Valdas, depuis l'adolescent des derniers temps du tsarisme jusqu'au vieil homme de la déstalinisation.



Makine explore tous les détails de cette vie, avec d'abord ces émois sous la cape d'une femme protectrice, finalement à peine plus âgée que l'adolescent qu'il est alors. L'ambiance est déjà celle du risque parmi les contrebandiers, sous la falaise, face aux vagues de la mer.



Le risque sera ainsi présent tout au long de la vie de Valdas qui sera partie prenante d'une révolution et de deux guerres qui vont broyer ses espérances et ses amours. Makine a doté son héros d'un altruisme sans pareil qui le place toujours en situation de vouloir le bien pour les autres, même lorsque celui-ci va lui faire si mal.



Il en va ainsi de ses différentes rencontres, inopinées, prévisibles quelquefois, avec des hommes, des femmes et, à travers elles, des amours, dont un seul le marquera à vie, avec cette évocation magnifique du "champ des derniers épis", ceux qui produiront la dernière galette et seront les témoins des derniers instants de bonheur de deux amants, Valdas et Taïa.



Eblouissante et trop brève lecture, chargée d'histoire, de passions, de trahisons, de sacrifice, des pires laideurs de l'âme humaine et de ses plus grandes beautés, la belle âme de Valdas.
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L'archipel d'une autre vie

Il faut absolument lire L'archipel d'une autre vie, c'est magnifique, c'est grandiose, ça vous laisse sans voix.

Au début du livre qui est fort bien écrit et nous fait découvrir la vie en Sibérie, le régime de Staline et l'immensité de la taïga, on s'interroge sur ce fugitif plutôt inoffensif et on se demande pourquoi malgré une lecture agréable tout le monde en dit tant de bien, puis à la page 120 après une certaine révélation, la lecture s'emballe et le temps est aboli jusqu'à la toute dernière phrase.

Ce livre est un questionnement sur la civilisation : nous rend-elle plus humain ou fait-elle de nous des pantins déshumanisés incapables de réfléchir par nous- mêmes.

Une chose est sûre je suis tombée sous le charme de la plume d'Andreï Makine et si ce ne sont plus les îles Chantars, je visiterais d'autres coins de Russie et d'autres époques avec plaisir grâce à lui. Merci pour un si beau livre.
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L'archipel d'une autre vie

Andreï Makine, nouveau membre de L’Académie Française, nous offre avec « L'Archipel d'une autre vie » un magnifique roman. Avec un grand talent il nous entraine dans une grande aventure dans sa Sibérie natale.



Nous sommes dans les années 1970 en Sibérie extrême-orientale, un jeune garçon rencontre Pavel Gartsev. Cet homme va commencer à lui raconter son histoire.



Flashback !



Nous sommes en 1952, l’URSS de Staline se prépare à une possible guerre atomique. Cinq soldats dont Pavel sont envoyés à la poursuite d’un évadé du Goulag. Commence alors une longue chasse à l’homme dans la taïga Russe. Dans cette nature hostile, les hommes, de plus en plus épuisés par cette battue d’un fugitif qui les tient toujours à distance, vont révéler leur réelle personnalité. Lorsque Pavel réussira à le rejoindre et connaîtra qui est l’évadé, sa vie ne sera plus la même.



Dans ce décor hostile mais magnifique, l’homme prendra conscience de la violence de notre monde et se rendra compte qu’il est du mauvais côté. Andreï Makine, car c’est bien lui le jeune garçon qui recueille le témoignage de Gartsev, nous envoie un message : arrêtez la violence, les armes, les fanatismes, les pollutions, regardé notre terre, il y a une autre façon de vivre.



L’écriture de Makine est magnifique, le style est vivace. L’auteur nous transmet son amour pour sa Sibérie et son inquiétude pour notre monde. L’histoire vous tient jusqu’à la dernière page. Un roman qu’on dévore.

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Le testament français

Comment développer une sensibilité française quand on grandit en Union soviétique après la seconde guerre mondiale ? Ce destin improbable, c'est la vie romancée de l'auteur. Enfant, il a reçu la langue française en héritage auprès de sa grand-mère maternelle comme un jeune arbre reçoit une greffe, et sa vie s'en voit modifiée à tout jamais. Cela nous est conté à travers un récit raffiné, à l'écriture délicate, mais qui laisse parfois place à des passages crus sinon cruels.

Le narrateur apprend le français à travers les souvenirs personnels de cette grand-mère adorée, née à Neuilly-sur-Seine : le Paris de la Belle Époque, l'inondation de 1910, la visite du tsar, les temps de la première guerre mondiale ; il rêve de ce monde inconnu, aussi vaporeux qu'une Atlantide, dont il découvre des parcelles dans des poèmes, des photos jaunies ou de vieilles coupures de journaux. Les hasards de la vie ont égaré cette femme à la personnalité rayonnante quelque part au fin fond des steppes sibériennes, nous ne saurons jamais pourquoi elle a choisi d'y rester. L'histoire familiale se déroule sur fond de révolution bolchevique avec ses prolongements de terreur stalinienne et de normalisation soviétique. Le narrateur comprend en grandissant que la langue bizarre parlée par sa grand-mère n'est pas une simple excentricité mais un vrai langage, un fil d'Ariane, une clé qui lui ouvre la porte d'un univers dans lequel il se lance avec passion, dévorant tout ce qu'il trouve dans les bibliothèques. Il s'instruit et se documente, s'imprégnant définitivement de la culture française et de son histoire.

Cependant, sans qu'il en prenne vraiment conscience, la greffe française l'isole des siens, il se replie sur lui-même. Avec pour résultat qu'à l'adolescence, rejeté par ses camarades et confronté à la brutale réalité de la Russie soviétique, il doit se réveiller de cette illusion française. Il ne veut plus vivre entre deux mondes, il reproche à sa grand-mère de l'avoir "enfermé dans ce passé rêvé" en ayant fait de lui "un étrange mutant, incapable de vivre dans le monde réel". Il se révolte et revendique son identité russe, il lui faut expulser la greffe pour étouffer "ce second coeur" dans sa poitrine. Ce n'est qu'alors qu'il entrera dans la vie et connaîtra ses premières expériences. Il lui faudra du temps pour se réconcilier avec lui-même. Un jour, il décide de retourner vers sa grand-mère pour affronter son alchimie des souvenirs qui "transmute le passé". Lors de cette rencontre, il réalise qu'elle n'a que rarement l'occasion de parler sa langue d'autrefois et que sa solitude fait écho à la sienne. Une fois encore, il est ébloui par elle. Il finit par retrouver la sérénité en acceptant ses deux identités, russe et française. Quelques années plus tard, il fuira l'URSS pour venir vivre en France. J'ai été moins intéressé par cette dernière partie du livre mais c'était probablement inévitable, un regard adulte sur la réalité de la France contemporaine ne peut soutenir la comparaison avec la vision idéalisée d'une Atlantide parisienne sortie des limbes du souvenir.

Au-delà d'une histoire particulière, on trouve dans ce récit une réflexion émouvante sur le rapport de l'imaginaire avec la réalité, et la part de la transmission dans ce qui constitue notre identité. On a pu écrire que la mémoire représente le thème majeur du roman français. Ode à la langue et la culture françaises, cette oeuvre en est une magnifique illustration. Il est permis de se demander ce que l'académicien Makine pense aujourd'hui de ses confrères en habit vert dont les mérites littéraires paraissent parfois bien éloignés de ce qui l'a tant fait rêver.
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La vie d'un homme inconnu

Choutov, la cinquantaine, écrivain à audience modeste, d’origine russe et ancien dissident, vit à Paris. Pour fuir l’impasse de sa relation amoureuse avec la jeune Léa, il décide de se rendre à Saint-Pétersbourg et tenter de rejoindre Iana, cette jeune femme dont il était amoureux trente ans auparavant, espérant aussi retrouver ses idéaux de jeunesse.

C’est une Russie totalement nouvelle et métamorphosée qu’il va retrouver et avoir du mal à comprendre tout comme sa passion de jeunesse avec qui il ne parviendra plus à communiquer. Il reste abasourdi devant cette Russie inconnue où les livres sont devenus des produits !

Iana l’accueille dans un lieu, autrefois composé de quatre appartements communautaires disposés sur deux étages et transformés aujourd’hui, en un seul habitat luxueux pour elle et son fils. Choutov va rencontrer Volski, un vieux paraplégique qui n’a malheureusement pas pu encore être transféré dans une maison de retraite et qui en attendant d’être évacué, d’ici deux jours est encore alité dans la chambre où il résidait. Le vieil homme, au cours d’une soirée, sortant de son mutisme, va raconter à Choutov quelle a été sa vie et ce sera donc La vie d’un homme inconnu.

Nous allons revivre avec lui ce qu’a été l’histoire de sa vie, sa vie ainsi que celle de Mila, sa femme. Andreï Makine, embarque le lecteur dans la marche irrémédiable de l’Histoire, au travers du récit de cet inconnu. Depuis les dernières heures de ce que Volski appelle son ancienne vie, un moment doux qui se condensa dans le goût d’une tasse de chocolat, le dernier jour de paix, le lendemain étant annoncé le début de la guerre, jusqu’à aujourd’hui.

C’est avec effroi que nous traversons les horreurs du blocus que vécurent les habitants de celle qui se nommait encore Leningrad : une température glaciale, une tranche de pain par jour, l’épuisement, l’immobilité, le néant. Telle avait été la décision de Hitler : « la ville, bientôt occupée, ne serait pas vidée de ses habitants, ils resteraient sur place, coupés du monde, sans nourriture, sans eau, sans soins médicaux et, à la fin de l’hiver, l’armée du Reich procéderait aux « travaux d’entretien sanitaire », c’est-à-dire à la destruction de deux millions de cadavres. »

Sa jeunesse, la ville morte du blocus, la guerre avec la gigantesque bataille de Koursk dans laquelle il devint méconnaissable, le Goulag, c’est ce qu’en une heure à peine, le vieillard a conté à Choutov. Ce destin est traversé par l’amour infaillible et indestructible que Volski a porté à Mila, cette femme détruite par le régime soviétique, et qui a transfiguré sa vie, lui permettant de supporter toutes ces terribles épreuves et ce malgré les séparations, et les corps vieillis et métamorphosés par la cruauté de la vie. À travers ces deux destins, que relate La vie d’un homme inconnu, Andreï Makine, tout en relatant ces vies brisées, cette époque indéfendable, nous offre, outre un formidable hymne à la littérature, un hymne à la terre natale, à la passion de sa patrie, à la beauté et à la poésie, n’oubliant pas, cependant d’évoquer l’émergence de cette « nouvelle Russie ». Un bel hommage est également rendu au théâtre, à la voix, aux chansons, à l’expression corporelle.

Si le début m’a paru un peu lent, j’ai ensuite été vite emportée par la beauté, la densité, la puissance de cette écriture qui sait si bien évoquer les atmosphères, sachant les rendre avec beaucoup de sensibilité et de justesse.

J’ai été subjuguée par ce voyage entrepris par Choutov pour répondre à sa quête intérieure, voyage si bien rendu par l’auteur !


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L'archipel d'une autre vie

Les quelques livres que j’ai déjà lus d’Andreï Makine m’amènent à la conclusion suivante : il est explorateur !

Explorateur des mots, de la phrase habilement troussée, mais surtout de l’âme humaine, de la vie même.

J’avais tout particulièrement apprécié Le livre des brèves amours éternelles, des nouvelles d’une universalité et d’une sensibilité rares. Son archipel d’une autre vie m’a entrainée dans ce que j’appellerais volontiers un western sibérien, rythmé, prenant, et magnifiquement écrit. Une réussite !



L’intérêt de ce roman est double. Certes, c’est un formidable roman d’aventure au coeur de la taïga russe extrême-orientale, c’est aussi et avant tout une quête existentielle - le tout se déroulant principalement à la fin de l’époque stalinienne, dans les années cinquante.

La traque d’un fugitif dans une nature hostile va permettre à cinq soldats de dévoiler leurs vrais visages et d’aller pour certains loin, très loin, au point de se remettre totalement en question.



Dénoncer bêtise et violence humaine, faire prendre conscience de la beauté mais aussi de la fragilité de la nature, éprouver la résistance humaine…pour donner à voir la possibilité d’une autre vision de la vie.



« Les semaines passées dans la taïga m'avaient appris un savoir-faire plus instinctif, débarrassé des raisonnements peureux qui retardent l'action. » 

« Je n'aurais jamais cru que l'homme avait besoin de si peu. »

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L'ami arménien

Le narrateur se souvient de ses treize ans, lorsqu’il vivait dans un orphelinat en Sibérie. En cette année 1973, il s’était lié d’amitié avec un adolescent, Vardan, dont la maturité et la fragilité déclenchaient les persécutions de ses congénères. Cet ami habitait le « Bout du Diable », un misérable quartier de laissés-pour-compte. S’y était établie une petite communauté arménienne, venue du Caucase soutenir des proches arrêtés pour subversion séparatiste et anti-soviétique parce qu’ils avaient créé une organisation clandestine pour l’indépendance de l’Arménie. Ces gens ne restèrent que quelques semaines, le temps d’un procès qui devaient condamner les prisonniers au goulag. Mais pour le narrateur, jamais ne s’effacerait la nostalgie de cette amitié bien vite perdue, qui l’avait irrémédiablement transformé. Des décennies plus tard, son récit fait revivre ce Vardan que la « maladie arménienne », alors incurable, avait prématurément mûri, et ses proches, inoubliables et tragiques figures du drame arménien, qui l’avaient si chaleureusement accueilli.





Magnifique hommage à son ami disparu et aux Arméniens, « ces copeaux humains, ces vies sacrifiées sous la hache des faiseurs de l’Histoire », ce roman autobiographique n’évoque le génocide d’une part, les persécutions soviétiques d’autre part, qu’avec la plus grande pudeur, d’une manière quasiment toujours indirecte. Une vieille photo de famille, une curieuse poupée aux mains jointes, un vol d’oiseaux migrateurs aperçu de la lucarne d’une cellule… : ces bribes d’humanité forment la trame d’une narration tissée autour de vestiges, de ce qui a survécu à la tourmente et qui laisse entrevoir en creux toute la violence et la furie destructrice desquelles elles réchappent. Ainsi, refusant tout apitoiement, le récit assemble les instants de beauté pure, éphémères mais lumineux, ceux que les survivants, mais aussi un adolescent condamné par la maladie, désignent à l’attention du narrateur, changeant à jamais son regard sur le monde et sur la vie.





Profondément touchant dans sa manière de maintenir l’émotion à distance, le texte est souvent d’une grande beauté, soulignée par la facture classique et soignée de son style. Dans cet univers crépusculaire nimbé du désespoir le plus noir, surgit une étonnante lumière, celle d’un humanisme malgré tout irréductible, qui adoucit la tristesse douce-amère de cette histoire et lui donne une portée universelle.





Un roman magnifique, pudique et respectueux hommage aux Arméniens, mais aussi touchante ode aux valeurs humaines. Coup de coeur.


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L'ancien calendrier d'un amour

«Je ne m'habituerai jamais à ce nouveau calendrier ! »



Avant la révolution d'octobre, le calendrier Julien était en vigueur en Russie comme dans la plupart des pays orthodoxes, mais en 1918 le calendrier Grégorien fut adopté et le lendemain du mercredi 31 janvier fut le jeudi 14 février 1918, pour renouer avec « le temps dans lequel vivaient les pays civilisés », selon Lénine. Ce temps « civilisé», pensait Valdas, n'avait pas empêché tous ces beaux pays, fiers de leur culture, de s'entre-tuer pendant cinq interminables années...



Valdas Bataeff nait dans une famille aisée et partage son enfance entre Saint Petersbourg et la Crimée où il croise Taïa qui vit de la contrebande du tabac. La guerre puis la révolution bolchévique renversent l'empire tsariste et balaient Valdas vers la Crimée où il vit deux semaines d'amour avec Taïa dans une grotte où ils tentent d'échapper à la folie meurtrière ; Taïa meurt en le protégeant.



Débute alors l'exode, via la Serbie, vers Paris où l'exilé devient chauffeur de taxi puis dessinateur dans un cabinet d'architecture. Diverses idylles ensoleillent brièvement son existence que bouleversent l'occupation allemande puis la libération, mais le souvenir des deux semaines avec Taïa ne s'efface jamais « sa part la plus précieuse appartenait à Taïa. Dans leur ancien calendrier, elle l'attendrait tant qu'il aurait la force de vivre, avec le souvenir du champ des derniers épis. »



Retraité au bord de la Méditerranée, Valdas y retrouve l'atmosphère de la mer Noire et un pasteur qu'il a connu dans la résistance :  

« Ce que tu as vécu... je parle de ces journées au bord de la mer Noire, c'était... le sens même de la vie.

Cet amour à l'écart du temps, c'est ce que nous devrions tous espérer !

Le seul qui nous est véritablement offert par Dieu.

Mais nous sommes rarement capables de le recevoir. »

(…)

« Cette chance est donnée à chacun de nous, à tout âge, mais nous avons peur d'y croire, cet amour paraît trop fragile à notre soif d'exister.

Nous l'abandonnons au profit d'attachements qui ont l'air plus solides.

Et la suite, tu la connais : toujours cette envie de rattraper un retard, le désir de désirer et, à la fin, le sentiment d un très grand vide.

Et pourtant, nous avons tous notre champ des derniers épis... »



C'est ce don de Dieu que nous transmet Andreï Makine en gravant dans le marbre :

« Ne dites jamais, avec reproche : ce n'est plus !

Mais dites toujours, avec gratitude : ce fut. »



PS : une femme aimée :
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Une femme aimée

Porter à l’écran la « Grande Catherine » est un projet ambitieux, aux facettes multiples, soumis aux pressions du contexte politique, économique et culturel. C’est ce défi que Oleg Erdmann, cinéaste russe, d’ascendance germanique, entend relever.



Va t-il peindre la princesse allemande ou l’impératrice de Russie, l’épouse de Pierre III ou l’amante du comte Saltykov, la mère de Paul I ou la nymphomane, la despote ou le sponsor des philosophes Diderot et Voltaire ?



Ce projet démarre à l’époque Brejnev et Andropov, se poursuit sous Gorbatchev et s’achève sous Eltsine … projet initial sur grand écran, censure soviétique, financement étatique, qui dérive progressivement vers une série pour télévision privée soumise aux diktats de l’audimat et aux exigences de la publicité.



Andreï Makine navigue entre le XVIII et le XX, entre la Russie éternelle et l’URSS, entre l’après guerre dominée par la puissance russe et la perestroïka influencée par la prospérité allemande, et révèle une femme en quête d’amour.



Plus qu’une biographie, cet ouvrage est un hymne à la liberté d'aimer et une réflexion sur la vocation de la Russie partagée entre l’occident et l’orient qui laisse sans réponse l’énigme Catherine.
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La Musique d'une vie

La musique d'une vie c'est cette part d'humanité que nous perdons à certains moments mais qui nous habite tous. Alexeï Berg verra sa vie basculer à la veille de son concert comme tant d'autres russes. Il fuira pour éviter le camp d'internement et se retrouvera pris dans la tourmente de la guerre.

Notre héros vivra une vie solitaire, mais sera toujours habité par sa musique. Son histoire est aussi celle du peuple russe dont la destinée s'est retrouvée mélée de façon irrémédiable à la révolution et à la guerre. Tout au long de sa vie Alexeï fera preuve d'humanité et de compassion, il restera en harmonie avec lui-même. Et si la vie est une partition alors il a joué la sienne en sourdine, discrètement, dans l'anonymat mais avec maestria face à l'adversité.

Un récit grave traité sans pathos avec une grande sobriété, qui dégage une grande impression de solitude. Un excellent roman d'Andreî Makine dont j'admire le style et le talent de conteur. Comme vous l'avez deviné c'est une lecture que je conseille. Avec une superbe phrase qui résume bien ce roman :

"La nuit à travers laquelle il avançait disait et ce mal, et cette peur, et l'irrémédiable brisure du passé mais tout cela était déjà devenu musique et n'existait que par sa beauté." (p. 122)
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L'archipel d'une autre vie

Voici un roman d'aventure et de passion, une histoire rude et puissante, une marche forcée dans la taïga mâtinée de forts accents politiques.

Aux confins de la Sibérie extrême orientale, nous faisons connaissance avec un étrange "homme à capuche", un certain Pavel Gartsev.

En 1952, ce vétéran de la guerre, alors âgé de 27 ans, ayant connu une désillusion amoureuse se trouve enrôlé par le comité militaire pour un stage des plus curieux.

Les autorités Russes anticipent la 3° guerre mondiale..

Ils ont choisi ce lieu, pas loin du Pacifique pour effectuer une simulation, soumettant ces jeunes gens aux séances de tir obligatoires, à des marches forcées dans de lourdes combinaisons.



Pavel exécute une mission étrange en compagnie des camarades : Ratinsky, Boutov, Vassine, Louskass et le chien Almaz.

Cette patrouille doit mettre la main au plus vite sur un évadé, agent occidental?, ancien soldat nazi? Echappé d'un camp de prisonniers armé d'un fusil ......

Cette traque prendra un tour tout à fait inattendu mais ....n'en disons pas plus....

L'auteur a l'art d'installer la situation, le talent de brouiller les pistes, de plonger le lecteur dans ce décor hostile , oú brusquement des surprises peuvent survenir ...

Une chasse à l'image d'une bête traquée , poursuivie sans relâche , haletante......

Au total, un superbe récit de voyage oú les sentiments dominent la prédation, une histoire d'amour touchante et inattendue, un bel hommage à la taïga : nature brutale, froide, puissante , prenante.

Une exploration des émois et des tréfonds de l'âme humaine aux confins de l'Union Soviétique dans les années 50 , à un moment où le " communisme vieillissant " connaît un certain déclin........



Un bien belle découverte de la rentrée littéraire que l'on pourrait qualifier :"l'individu qui voulait être proie"........

Merci infiniment à mes ami(e)s de la bibliothèque de Pierrefitte

qui m'ont proposé ce beau livre !
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L'archipel d'une autre vie

C'est en explorant les lectures de mes babéliamis que j'ai découvert cette petite pépite, les critiques enthousiastes et la très bonne note ayant fini de me convaincre.

Le thème m'attirait, Russie, Taïga, l'URSS post deuxième guerre mondiale et les années Staline.

Comment exister, être, dans une société déshumanisée où la seule suspicion peut vous coûter le peu qui vous reste ?

Le "1984" d'Orwell a été publié en 1949, soit peu avant la période du récit qui nous intéresse, il s'agissait d'une fiction contrairement à ce que nous propose cette lecture qui raconte une histoire plausible dans le contexte historique du livre, une histoire qui pourrait avoir été vécue.

Si vous avez vu et aimé le film "Dersou Ouzala", vous aimerez ce livre avec la même intensité, dans les deux cas, le premier rôle est tenu par la Taïga, l'une des filles de Mère Nature, le creuset qui transforme et révèle l'homme à lui-même, celui qu'il est en devenir, à condition d'oser répondre à l'appel, de "brûler ses vaisseaux".

Ce livre donne beaucoup en échange du peu de temps de lecture qu'il vous demandera, de bons questionnements, de l'introspection et, ce qui ne gâte rien, un scénario simple et passionnant.

C'est une histoire qui rayonne par sa simplicité et la justesse de son propos, il n'y aura dans ce récit ni faux semblants ni "effets de style". Les personnages du roman ne sont ni beaux ni moches, ils alternent entre le courage et la compromission, la vérité et le mensonge, l'espoir et le renoncement.

C'est une escapade très en dehors de mes lectures habituelles et que j'ai beaucoup apprécié, une rencontre que je n'étais pas censé faire, comme quoi le hasard fait souvent bien les choses ;)

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L'ami arménien

Le pensionnaire d'un orphelinat découvre avec Vardan, un jeune Arménien qu'il protège de la cruauté de leurs camarades, un monde insoupçonné. Celui de familles arméniennes venues du Caucase lointain soutenir leurs prisonniers politiques accusés de propagande nationaliste, subversion séparatiste et de complot par le régime soviétique. C'est là, dans ce quartier du Bout du diable dominé par l'ombre de leur prison, que le narrateur en visite chez son ami malade fait la connaissance de sa mère et de son « royaume d'Arménie » réduit à pièce. Un lieu où il revient écouter Vardan lui raconter l'histoire tourmentée des Arméniens. Mais aussi pour apercevoir Gulizar, une attirante jeune femme...



Un récit qui ne manque pas de charme même si par une écriture très construite et trop lisse, il est peu incarné. Makine semble avoir été moins habité pour cette nouvelle incursion dans sa Sibérie natale. Comme si le temps passé avait estompé les couleurs de sa rencontre avec le peuple arménien, l'amour et la belle amitié de ses jeunes années, pour n'en laisser qu'un souvenir agréable mais un peu aride. Mais peut-être est-ce là le but de l'auteur, raconter l'effet du temps sur ses souvenirs : « La force de ces souvenirs ne m'empêcha pas de constater l'effacement de la brève histoire qui avait transcrit dans nos coeurs la naissance et la disparition du « royaume d'Arménie ». Parfois, comme longtemps après un naufrage, un fragment de ces journées d'automne refaisait surface, déjà lissé par l'indifférence de ceux qui ne les avaient pas connues. » Dans ce cas, L'ami arménien est une vraie réussite.



Challenge MULTI-DÉFIS 2021

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L'archipel d'une autre vie

« À cet instant de ma jeunesse, le verbe « vivre » a changé de sens. Il exprimait désormais le destin de ceux qui avaient réussi à atteindre la mer des Chantars. »



Le narrateur, un jeune orphelin auquel le régime soviétique a fourni, après l’avoir privé de ses parents, une éducation et une formation en géodésie, va, par la grâce d’une rencontre avec un mystérieux inconnu, comprendre fondamentalement deux choses : que la vie qu’il mène, lui et ses semblables, est une comédie, une bouffonnerie, un théâtre, un vie « déformée par une haine inusable et la violence devenue un art de vivre, embourbée dans les mensonges pieux et l’obscène vérité des guerres »; qu’une autre vie est possible, dépouillée à l’extrême et centrée sur l’essentiel, une vie d’exilé, de banni, de naufragé, une vie surtout loin, très loin du commerce des hommes.



Cette découverte, il la doit à un homme rencontré à Tougour, un minuscule village situé aux confins de l’Extrême-Orient, un homme dont l’aura et le mystère le fascinent d’emblée :



« Son étrangeté faisait pressentir une densité insolite des heures, l’effacement des noms donnés aux êtres et aux objets… »



Cet homme, c’est Pavel Gatsev, un ancien militaire dont la vie a entièrement basculé une vingtaine d’années plus tôt en 1952, à la veille de la mort de celui qui faisait alors régner une terreur absolue sur le plus vaste empire de l’après-guerre : Joseph Staline. Alors qu’il venait de rejoindre son cantonnement, un endroit perdu dans la taïga d’Extrême-Orient où se déroulait la simulation de la Troisième Guerre mondiale, Pavel se retrouva embarqué avec une équipe réduite dans la traque d’un criminel évadé d’un camp de prisonniers voisin.

Cette traque, durant laquelle Pavel oscille entre l’obéissance, la soumission à l’ordre établi, la volonté de se faire bien voir de ses chefs, et le désir d’aider le fugitif, l’espoir qu’il s’en sorte en dépit de tout, en dépit surtout de lui-même car il sait que si la mission échoue, c’est à lui, le maillon faible, que l’on fera porter le chapeau, est un récit d’apprentissage en accéléré : la peur, la lâcheté, la soumission, la prédation y côtoient le courage, la générosité et l’altruisme au sein d’une nature sauvage et souveraine qui, par sa seule présence, rend la comédie humaine définitivement dérisoire et pathétiquement grotesque :



« Un gamin s’étonnerait : pourquoi tout cela ? Dans cette belle taïga, sous ce ciel plein d’étoiles. L’adulte ne s’étonne pas, il trouve une explication : la guerre, les ennemis du peuple… Et quand ça devient vraiment invivable, il te parle de Dieu, de l’espérance ! »



Le hasard a voulu que je lise L’archipel d’une autre vie juste après J’ai épousé un communiste de Philip Roth, et j’ai eu souvent le sentiment que ces deux livres entraient en résonance l’un avec l’autre. Les idéologies, le fantasme de pureté qui les sous-tend, les ravages qu’elles provoquent occupent une place prépondérante dans le livre de Roth. De même l’idéologie communiste et sa volonté démentielle de forger un homme nouveau sont au coeur du livre de Makine.

Incarné jusqu’à l’absurde par le capitaine Louskass, auto-proclamé garant de la pureté idéologique qui, « si ç’avait été en son pouvoir, aurait redressé tous les troncs tordus dans la taïga des environs », le désir de perfection absolue prend, chez Roth, les traits de Johnny O’Day, un homme pour qui le combat et la cause communiste l’emportent sur toute autre considération :

« Le fanatisme lui donnait l'apparence d'un homme incarcéré dans son corps pour y purger la lourde peine qu'était sa vie. »



Les deux romans s’interrogent chacun à leur manière sur le sens de la vie humaine et semblent s’accorder sur le fait que nos vies sont une longue suite d’erreurs lourdes de conséquences, de malentendus et d’illusions tenaces. Aucune foi, aucune croyance dans l’au-delà ne viennent secourir l’homme arraché par les circonstances au « confort des jeux humains ». Son salut, il ne peut l’attendre que de lui-même. Soit il s’effondre définitivement après avoir touché le fond, soit il gagne une chose très rare et très précieuse : la liberté, la vraie, celle qu’infiniment peu d’hommes et de femmes expérimentent un jour, l’absence totale de peur, le suprême détachement :



« Il faut toucher le fond, Pavel, c’est la meilleure chose qui puisse arriver à un homme. Après ma première année de prison, j’ai commencé à éprouver cette liberté-là. Oui, la liberté ! Ils pouvaient m’envoyer dans un camp au régime plus sévère, me torturer, me tuer. Cela ne me concernait pas. Leur monde ne me concernait pas, car ce n’était qu’un jeu et je n’étais plus un joueur. »



Merci à Isi (@Isidoreinthedark) de m’avoir donné l’envie de lire ce très beau livre.
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Le pays du lieutenant Schreiber

La lecture de "Cette France qu'on oublie d'aimer" et la mémoire du Colonel Desazars de Montgailhard et du Capitaine Combaud de Roquebrune, tous deux morts pour la libération de la France, ont mis en relation Jean-Claude Servan-Schreiber et Andreï Makine.



Au fil de leurs rencontres une amitié est née et le romancier a suggéré à l’officier de cavalerie de publier ses mémoires pour rappeler le sacrifice de ses compagnons lors de la seconde guerre mondiale.



La notoriété des Servan-Schreiber, la carrière de Jean-Claude exclu de l’armée en 1941 par la législation antisémite et sa glorieuse campagne dans les rangs de l’armée du Général de Lattre, semblaient être des atouts pour les éditeurs … la réalité fut tout autre et, dans en 2008-2009, il fut ardu d’en trouver un.



Gérard Watelet, directeur de Pygmalion, prit le risque de publier « Tête haute : Souvenirs » en mai 2010 afin de profiter de la période entre le 8 mai et le 18 juin, entre la commémoration de l’armistice et de l’appel du Général de Gaulle, pour obtenir des échos dans les médias … un silence assourdissant entoura ce lancement et en septembre, l’éditeur dut pilonner les nombreux invendus.



Andreï Makine revient sur ce fiasco qui en dit long sur nos médias, nos librairies, les envies des lecteurs et sur « Le pays du lieutenant Schreiber » qui se gargarise en évoquant le « devoir de mémoire » mais oublie d’honorer ses héros et ses saints et valorise des acteurs, des comédiens, des journalistes et des sportifs en élisant comme « personnalité préférée des français » des exilés fiscaux ayant fait fortune en profitant largement de subsides payés par nos impôts.



Hommage aux libérateurs de la France, évocation d’une famille de juifs allemands qui émigra en France en 1877, cet ouvrage est riche d’enseignements.



Un acte d’espérance dans le redressement de notre pays.
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L'archipel d'une autre vie

Il y a déjà quelque temps j'ai pris le temps de parcourir la Sibérie. Prendre son temps, parler du temps. Avec un autochtone, en chapka. Ou seul, enseveli sous une neige vierge. Prendre des détours, dans la vie, se perdre, dans la Sibérie. Mais pas comme un Sylvain Tesson dans le silence d'une cabane avec bouteilles de vodka. Plutôt comme un Andreï Makine dans le silence de la taïga, avec bouteilles de vodka. le temps aboli.



Indissociables, d'ailleurs, la vodka, la Sibérie et le silence. C'est une histoire de décantation, mais ça tu ne peux pas comprendre. le silence a besoin de décanter comme la vodka. Les silences sont lourds à porter, les amas de neige aussi. le silence s'abolit devant son étendue.



A travers mes lunettes embuées par le froid sibérien et par la chaleur d'une vodka, je croise le regard clair de Pavel, accompagné des autres Ratinsky, Vassine, Louskass, Boutov. Des noms bien russes. Eux-aussi parcourent la désertitude de ces lieux. Désertitude, ça me plait bien comme mot, façon d'accentuer la solitude de certaines vies désertes. Suivre les ordres. Au pays du léninisme, du stalinisme, du communisme, les ordres font office de vie même en pleine Sibérie. Un écart et hop au goulag ! En Sibérie, bien sûr, c'est là que le goulag est le meilleur. Effectivement vu de cet oeil dont une larme jaillit par ce froid piquant, cela ne change pas beaucoup, goulag ou pas, la Sibérie reste la Sibérie, les rations sont les mêmes, pas la vodka par contre. Donc vaut mieux être gardien que prisonnier. Cette petite troupe est d'ailleurs à la poursuite d'un « évadé ». Dangereux opposant politique ou simple prisonnier de la taïga ?



Une longue, très longue, très enneigée même, course poursuite, à suivre les traces de l'un et des autres, à sentir les odeurs, de mirer l'horizon à travers les jumelles du gouvernement, à chier dans un trou de neige, à boire des flasques glissées sous le manteau. Une lente, très lente chasse à l'homme. Bref, l'aventure de ces hommes s'éternise sur des jours, des semaines, des kilomètres. Mais après tout, en Sibérie cela peut occuper toute une vie, tant qu'il y a moyen de se ravitailler en vodka, tant que le silence envahit ma vie.



J'aime quand un roman prend son temps, le temps il ne reste que ça dans la vie, dans ma désertitude. J'aime quand à chaque chapitre, un auteur me donne envie de prendre un shot de vodka pour réchauffer le bout de mes doigts majeurs afin de tourner les pages encore non congelées d'une belle histoire froide. J'aime quand je peux citer « la décantation suprême du silence et de la lumière. » Je ne me remettrai jamais de cette phrase comme de certains silences. J'ai envie de me la répéter à chaque fois que j'ai fini mon verre ou qu'un frisson me fasse dresser quelques poils, la décantation suprême du silence et de la lumière. Me dire que je n'ai pas rêvé cette phrase, fantasmé cette histoire. L'ai-je réellement lu, l'ai-je vraiment vécu ?
Lien : http://memoiresdebison.blogs..
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L'ancien calendrier d'un amour

En 1582, le pape Grégoire XIII promulguait le passage du calendrier julien au calendrier grégorien, occasionnant un rattrapage de dix jours sur le retard pris, au rythme d’un jour par siècle, sur l’heure solaire. Les pays récusant l’autorité papale ignorèrent longtemps cette réforme. En Russie, le changement n’intervint qu’après la révolution de 1917, supprimant alors d’un coup treize jours du calendrier : en 1918, on sauta directement du 31 janvier au 14 février.





C’est également pendant une dizaine de jours, comme sortis de l’écoulement habituel du temps, en une courte suspension entre le passé et l’avenir à l’image de cet écart entre l’ancien et le nouveau calendrier, que Valdas Bataeff a vécu l’aussi bref qu’éternel amour de sa vie, une parenthèse enchantée aussitôt refermée par la violence de l’Histoire, mais qui, maintenant qu’au soir de son existence il ne se nourrit plus guère que de nostalgie, lui apparaît clairement comme le seul moment où il a été « véritablement vivant ».





Le narrateur fait par hasard sa connaissance en 1991, alors que, se promenant dans un cimetière suspendu entre ciel et mer sur les hauteurs de Nice, il se prend à lier conversation avec le vieil homme, nimbé de la brume de ses souvenirs en même temps que des effluves de son cigare. Nous voilà plongés dans la mémoire de ce Russe blanc, né au tournant du XXe siècle dans une famille aristocratique de Saint-Pétersbourg. Alors qu’à quinze ans, découvrant les mensonges et les trahisons de sa jeune belle-mère adultère, il prend conscience des forces qui, comme dans les pièces de théâtre dont les siens sont férus, font tourner le monde - « l’attirance des corps, le pouvoir de l’argent » -, il entrevoit aussi, au travers de la belle et obsédante Taïa, serveuse de bar de cinq ans son aînée subrepticement croisée lors d’un été sur les bords de la mer Noire où elle se prête aventureusement à la contrebande de tabac, une autre forme de vie, « affranchie des lois de ce monde ».





Ce n’est pourtant que bien plus tard, comme dans un aparté volé à la tourmente de l’Histoire et coïncidant symboliquement à cette brève fenêtre de temps égarée entre les deux calendriers, que « l’éveil sensuel » provoqué par Taïa chez Valdas finit par éclore en véritable passion amoureuse. La Grande Guerre, puis la Révolution ont mis la Russie à feu et à sang. Blessé et de retour en Crimée dans un uniforme de l’armée blanche en déroute, le jeune homme ne vivra que quelques jours d’un amour partagé, fou et inoubliable, auprès de cette femme tant fantasmée et miraculeusement retrouvée. Une poignée de jours que la mort et l’exil ne pourront effacer, et qui, à jamais hors du temps, suffiront à illuminer sa vie entière : « Ne dites jamais, avec reproche : ce n’est plus ! Mais dites toujours, avec gratitude : ce fut. »





Andreï Makine nous livre un texte bref et intense, à l’écriture ciselée, mélancolique et émouvante, où, au vacarme d’un monde occupé à ses guerres et à ses cruautés, répondent les confidences chuchotées d’un vieil homme tout entier habité par l’essentiel et fragile instant d’un amour inoubliable, joliment symbolisé par cette curieuse inclusion hors du temps, perdue entre deux calendriers. Coup de coeur.


Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Une femme aimée

« Quand je pense que tout cela nous est arrivé à cause d'une petite princesse Allemande devenue La Grande Catherine ».



Oleg Erdmann, russe d'une lointaine origine allemande, ne cesse de se remémorer cette phrase prononcée par ses parents. Ce souvenir lancinant le relie, comme une attache, à l'histoire de cette petite princesse dont le vécu à nourri maintes biographies. Très jeune scénariste et réalisateur, bénéficiant d'une notoriété toute récente auprès du Ministère de la Défense à la suite d'un court métrage, Oleg envisage d'écrire un scénario qui relaterait, au plus près de la Vérité, l'intimité de cette personnalité hors du commun, loin de la «Messaline Russe » trop souvent évoquée, masquant ainsi la femme réformatrice que Catherine II a été. Et puis, tous ces amants qu'une page ne suffirait pas à énumérer, tous plus préoccupés par le pouvoir et le sexe, ont-ils cherché à aimer cette femme ? Peut-être Lanskoï.



Oleg vit dans une maison communautaire à Leningrad. Il partage son temps entre la lecture d'une importante documentation historique sur la mythique Catherine et les abattoirs où une nuit sur trois, il gagne son minimum vital.



Il ne cesse, dans sa tête, d'organiser les scènes qui viennent se superposer à son quotidien. Les images se croisent et s'entrecroisent avec celles de la Russie de Catherine et celles de l'Union soviétique. Mais il y a la censure et il se doit d'être vigilant pour ne pas donner de l'Impératrice une image trop élogieuse d'un monarque éclairée, d'une femme forte au tempérament de feu.



Au sein de la maison communautaire, Oleg et ses voisines, à travers leurs échanges, leurs taches habituelles, donnent à entrevoir l'organisation de leurs journées au sein de la collectivité. C'est une plongée dans l'Union soviétique jusqu'à la chute du mur de Berlin et le chaos impressionnant et glaçant qui s'en suit.



Après avoir vécu une période de flottement, Oleg est sollicité par un ami, passé d'acteur crève la faim à oligarque, pour écrire une série sur Catherine. Oleg découvre les coulisses de ce nouveau cinéma de la période Eltsine. Un milieu qui est bien plus préoccupé par l'attrait de la rentabilité, l'appât du gain au détriment de l'art cinématographique. Il assiste impuissant au sacrifice de sa composition sur l'autel de la médiocrité, de l'audimat.



On traverse ainsi une vingtaine d'années de Leningrad à Saint-Petersbourg avec tous les changements que comporte ce pays : les mentalités, la sociologie, les nouveaux riches. L'exercice de la Liberté, demande de la responsabilité, de la maturité et c'est un long apprentissage qui se fait dans la douleur.



Andreï Makine fait preuve d'une très grande maîtrise dans cette construction de ce récit qui m'a déroutée. Toutes ces scènes sur le règne de Catherine qui reviennent dans l'esprit d'Oleg, les discussions à ce propos avec son entourage, ses réflexions, ses ébauches, m'ont occasionné un sentiment de redondances. J'ai ressenti de la confusion. Je préfère lire la biographie écrite par Troyat.



J'ai, par contre, trouvé très intéressant cette photographie de la Russie qui se prolonge sur une vingtaine d'années mettant ainsi en évidence tous les bouleversements et la « pétaudière » dans laquelle, cette société a basculé. C'est dense de réflexions sur la Russie, sur le règne de Catherine, sur les artistes, sur les modes de vie qu'ils soient collectiviste ou libérale, mais j'ai refermé le livre en ayant la désagréable impression de ne pas avoir vraiment tout compris ce qu'Andreï Makine voulait me dire. ET aussi, important, j'ai compris pourquoi ma branche maternelle russe portait un nom allemand.



Mon prochain sera l'Ami Arménien !

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L'ami arménien

D' Andrei Makine , je n'ai lu qu'un seul livre jusqu'à aujourd'hui " le Testament français". le dit Testament étant sa grand-mère française qui lui apprit cette langue devenue sa langue littéraire, une grand-mère qui s'avéra par la suite d'ailleurs probablement inventée, ayant avoué dans un interview qu'il avait appris le français avec un ami. Un livre qui m'avait paru creuse, fade, où personnellement je n'ai rien ressenti. Quand à la prose trop parfaite. académique, sans saveur.

Je ne l'ai plus relu, jusqu'à ce livre qu'une amie m'a chaudement recommandée et que les éditions Grasset ont eu la grande gentillesse de me l'envoyer.

Le sujet traite de deux adolescents, le narrateur ( qui n'est probablement pas Makine, une fois encore) un orphelin de treize ans qui va se lier d'amitié avec Vardan, un jeune garçon arménien en exil d'un an son aîné. Les ressentis, le peu d'événements qui se passent dans cette bourgade de Sibérie sont, sans aucun doute bien écrits, bien décrits, rien à dire. L'idée essentielle du livre, le passé qui nous échappe mais que tant que nous ne sommes pas disposés à l'oublier ,“....rien ne disparaîtra”, est subtilement exprimée. Comment ne pas penser au moulin à café de Tokarczuk, quand Vardan prononce ces paroles à propos de la cafetière de sa mère. Mais finalement mon ressenti d'une histoire inventée parachutée en Russie, qui aurait très bien pu se passer en France est plus fort. Les deux garçons sont trop précoces pour leurs âges dans leur façon philosophique de prendre et appréhender la vie, et la prose trop parfaite, trop élaborée . Makine brasse large, y rajoutant le génocide arménien qu'ici n'a rien à voir avec l'exil de Vardan, mais avec deux photos ajoutées, il renforce le drame présent, en lui inventant ces familles massacrées par les Ottomans. Il en remet une couche avec le conflit armeno-azarbaidjané , revenu dans l'actualité l'an dernier, et en final nous joue le nostalgique de l'antan. Tout est esquissé, sans vrai consistance. Je n'y ai décelé aucune âme russe ni l'avait décelée dans le précèdent lu , bien que c'était plus récent relativement à son exil de Russie. Je respecte tous les avis élogieux sur son compte, mais pour moi avec ce deuxième livre, Makine est un russe qui veut être à tout prix français , ayant fait de la langue française la patrie de son oeuvre littéraire tout en exploitant sa vraie origine, apparemment son unique capital, La Russie. Ce dernier n'étant devenu qu'un parfum lointain qui apporte à cette histoire romanesque qu'un peu d'exotisme.



“Honteux de ce qu'il voit dans la journée, le soleil se couche en rougissant.”







Un grand grand merci aux Editions Grasset et NetGalleyFrance pour l'envoie de ce livre que sinon je n'aurais jamais lu.

#L'amiarménien#NetGalleyFrance
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