AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782072951664
528 pages
Gallimard (05/01/2023)
4.32/5   22 notes
Résumé :
Par ses investigations sur la mafia et le crime organisé, par ses prises de parole politiques, Roberto Saviano incarne le courage civique. En puisant dans sa propre expérience, il s’adresse aujourd’hui aux générations futures, les incitant à s’exprimer, à s’engager. En dressant les portraits de trente personnalités, de la Grèce antique à nos jours, il dénonce dans un livre incisif les manipulations, la propagande, la censure, le formatage par le marketing, les dériv... >Voir plus
Que lire après Crie-le ! 30 portraits pour un monde engagéVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
"Le cri. Il est à l'origine de la vie de l'homme sur Terre.
Le cri du chasseur et celui du guerrier, le cri d'amour et ceux de terreur,
de joie, de douleur, de mort. Les animaux aussi crient
et, pour l'homme primitif, le vent et la terre crient,
le nuage et la mer, l'arbre, la pierre et le fleuve."
Voilà ce qu'écrit Emanuele Severino, le philosophe italien dans son ouvrage - non traduit en français - "Il parricidio mancato"

Cri qui devient le fil conducteur de ce nouveau livre de Roberto Saviano, et quel livre !!!
Un gros coup de coeur en même temps qu'un grosse claque. Vous me direz rien d'étonnant avec cet auteur....

Tout commence avec une carte toute symbolique, en effet au passage il est dommage que dans la version française le choix éditorial ne se soit pas porté sur la représentation physique d'une carte sur laquelle figurent, comme c'est le cas dans la version italienne, chacune des questions comme épinglées sur une planisphère ou les pays ont disparus. Ici les questions sont juste listées, comme une litanie des questions.
Fort heureusement les illustrations, signées Alessandro Baronciani, des personnages qui seront abordées dans cet ouvrage ont été conservées
Des questions sur une carte muette, comme une abolition des frontières, une abolitions des dates, comme une abolition des barrières...

Et c'est bien ce dont va s'affranchir Roberto Saviano au travers de ces questions :
- Et si c'était toi celui qui n'arrive plus à respirer ?
- Toi aussi tu es horrifié de choisir entre le mal et "un moindre mal" ?
- Sais-tu repérer les pièges fait de mots ?
- Sais-tu reconnaître le moment où le poison du mensonge commence à faire effet ?
- Sais-tu que plus on a de mots à sa disposition, plus on est libre ?

Ce ne sont là que quelques-unes des questions que Saviano pose à Roberto, un étudiant de Diaz : chacune d'elles laisse une marque dans l'esprit du lecteur car après tout se Roberto n'est ce pas NOUS ?
Car cet homme qui s'arrête devant l'école qu'il a fréquentée à seize ans et voit sortir le garçon qu'il était, celui qui a encore un avenir à imaginer. L'homme sait que ce garçon est seul et que son chemin ne sera pas facile. Il aimerait pouvoir l'aider, mais il ne peut pas. Cependant, il peut réunir autour de lui des compagnons de voyage pour le guider, pour qu'il se sente moins seul, car nos destins individuels constituent ensemble la seule grande aventure de l'histoire humaine.
Tout ceci plonge au plus profond de l'âme, car on se surprend pendant la lecture, à devenir nous-mêmes, lecteurs, les destinataire de ces question profondes, existentielles, et indubitablement on est poussé à apporter une réponse, à la chercher dans l'histoire du monde et dans notre propre histoire.

Les compagnons de voyage viennent du passé, de l'histoire contemporaine et du présent : elles nous parlent d'Hypatie, de Carl Schmitt, d'Anna Politkovskaja, de Jamal Khashoggi, d'Edward Snowden, de Giordano Bruno, de Robert Capa, d'Anna Achmatova, d'Emile Zola, des Frères Grimm, George Soros, Martin Luther King, Daphne Caruana Galizia, Venus Callipigia, Terry Bollea alias Hulk Hogan, Karina Bolaños, Jean Seberg, Pier Paolo Pasolini, Joseph Goebbels, Kantano Habimana, Settimia Spizzichino, Xu Lizhi, Francesca Saverio Cabrini, Gloria Trevisan et Marco Gottardi, garçons et filles syriens, George Floyd.

Chaque histoire nous fait découvrir des facettes du personnage d'une manière nouvelle, sous une autre approche, sous une forme différente, à travers des détails méconnus de beaucoup, avec une lumière toute à la fois en claire-obscure, si vous me permettez ce néologisme, qui éclaire des messages d'espoir et de force mais aussi un avertissement de ne pas répéter des attitudes, des actions, des paroles qui peuvent tuer, qui peuvent "polluer" l'humanité.

Des réminiscences de son histoire refont surface, quand il évoque sous forme de rêve éveillé :
"Rome, 28 mai 2018. Aujourd'hui, je me suis réveillé à l'aube comme chaque matin. Comme chaque matin, j'ai eu la tentation de sortir et de marcher dans les rues désertes de Rome.
Si je sors à cette heure-ci, me dis-je, personne ne me remarquera. Je peux essayer de respirer librement l'air du matin, le parfum des tilleuls qui commencent tout juste à fleurir. Si je marche d'un bon pas, avant que la lumière du jour ne m'éclaire tout à fait, je peux même espérer atteindre le Campo de' Fiori avant que mon escorte ne me rattrape. Je veux poser une main sur la statue en bronze de Giordano Bruno, pour de nouveau entendre le crépitement des fagots qui brûlé."

Il est bien vite rattrapé par la réalité de sa protection policière....
Où alors quand il parle de ces listes sur lesquelles il figure avec des références aux juges anti-mafia

" Dans le cas de Carlo Alberto Dalla Chiesa, de Giovanni Falcone et de Paolo Borsellino, c'est ce même fonctionnement qui a prévalu. L'État s'est effacé, silencieusement mais clairement ; ceux qui voulaient leur mort savaient qu'ils pouvaient les viser. le but des listes est d'isoler le proscrit, de sorte que n'importe qui puisse l'abattre en toute impunité.
Cicéron affirmait qu'être un proscrit était pire qu'être un cadavre. Pour un cadavre, le pire est passé, l'heure a déjà sonné ; mais pour ceux qui figurent sur une liste, l'agonie ne fait que commencer. Et le temps d'attente peut être long. On n'est plus d'un côté mais pas encore de l'autre. Tu n'es pas encore un cadavre, mais tu n'es plus tout à fait vivant non plus ; tu ne peux plus rien faire de ce que font les vivants : tu ne peux pas marcher, tu ne peux pas aller au bord de la mer, tu ne peux pas faire de projets, tu ne peux pas nouer de relations ni espérer te soustraire à la peine. Tu ne peux qu'attendre et jouer aux échecs avec la mort, l'imaginer, la soupeser, la prévoir, sans savoir où et quand elle te tombera dessus. À partir du moment où ton nom apparaît sur une liste, nulle cave, nul couloir, nul porche, nulle crevasse, nulle crypte, nulle forêt, nul tronc creux ne pourra te servir d'abri. Personne ne te donnera asile, personne ne pourra te cacher ni t'offrir une nuit de repos, car même ta mère paierait de sa vie un tel élan."

Roberto Saviano excelle dans ses romans, mais sa plume incisive, tranchante, vive et fait des merveilles dans cet exercice où on ne l'attend pas forcément.
Ce livre est un questionnement permanent, c'est percutant :
" Avant, il arrivait que quelqu'un se demande : comment rendre l'homme heureux ? Aujourd'hui, on ne se pose qu'une seule et même question : comment l'adapter à la productivité du marché mondial ? Puisque nous sommes devenus nous aussi des produits à vendre, que chacun est l'acheteur du temps et des droits d'autrui, nous obéissons tous à ce mécanisme infernal : enfants, jeunes, personnes âgées, pauvres, riches, hommes, femmes, malades ou bien portants, du Nord ou du Sud. Produire, attraper, courir, consommer et détruire. C'est le fouet qui nous frappe tous indistinctement, et on n'a pas le temps de comprendre où la machine se grippe, où notre geste prive de place celui de l'autre et dans quel coin reculé de la planète on joue avec notre vie. Nous avançons les yeux bandés vers un abîme profond, sans jamais voir où notre monde se crée."

C'est un livre à lire et à relire histoire par histoire, chapitre par chapitre, avec attention car la parole et le savoir sont les seules armes qui nous restent.

En parlant de livres on ne peut s'empêcher de penser aux siens quand il écrit :
" Puis, tu comprends que le pouvoir se méfie de ceux qui écrivent, car au fond il se méfie de ceux qui lisent. En eux-mêmes, ceux qui écrivent ne sont pas dangereux, car si personne ne les lit ils ont simplement perdu leur temps. le problème, ce sont les lecteurs. Ceux qui ont du mal à lire se contentent de slogans, de phrases toutes faites, d'icônes et de symboles. le lecteur est un chercheur solitaire, mais celui qui cherche creuse et, à force de creuser, tôt ou tard il trouve.
Ce n'est pas le livre qui manipule le lecteur, souviens-t'en, c'est le lecteur qui manipule le livre. le livre est un instrument que le lecteur utilise pour s'exprimer, sortir du rang, penser et exister. Bien sûr, j'ai écrit ces pages, mais elles n'ont de substance que si elles vont chercher ce qui était tout au fond, ce que tu gardes en toi et qu'ensemble nous sommes en train de faire sortir. D'une certaine manière, je suis celui qui écrit tes mots. Ça ne vaut pas pour tous les lecteurs ni bien sûr pour tous les écrivains. Certes, il y a l'écriture de divertissement, celle qui t'entraîne dans une sorte de fête. Est-elle moins importante ? Absolument pas. Mais elle est beaucoup moins risquée. Elle est acceptée sous toutes les latitudes et à toutes les époques. Amuse ! Récite des poèmes inoffensifs !"

Le final est un "poème compilation", qui rassemble toutes les raisons de crier, une série de commandements profanes, générés à la fin de chaque histoire. Chacun de ces cris étant un leg que Roberto, devenu un homme adulte, laisse à Roberto garçon, lycéen, pour qu'il ne succombe pas au sentiment de vide qu'il ressentira inévitablement face à la laideur, l'injustice, l'indifférence , la violence, mais qu'il peut combler de savoir et par le savoir.

"Écoute-moi : le vide que tu sens en toi, remplis-le de savoir. Car le savoir fournit toujours un chemin préférable à celui que la colère creuse dans ton ventre : un gouffre qui, tôt ou tard, t'avale, après t'avoir mastiqué.
« À beaucoup de savoir, beaucoup de douleur », affirme l'Ecclésiaste. Moi, je te dis ceci : plus on a de connaissances, plus on a d'outils pour comprendre la douleur. C'est à cela que servent les histoires que je t'ai racontées : à augmenter tes dioptries afin que tu comprennes mieux la douleur et que tu ne restes pas immobile. Je sais que l'effet immédiat d'une telle lecture est difficile. On se pose des questions. Quel intérêt y a-t-il à se battre dans un monde aussi tordu ?
Mais, tu vois, savoir d'où vient l'injustice nous aide à comprendre. Et la compréhension augmente la résistance de nos boucliers, elle augmente notre masse musculaire, elle nous donne une autre trempe, ajoute du mortier dans les failles de notre mur protecteur ; elle nous indique la direction, nous rend plus rusés, nous fait deviner le danger, le piège : voir l'injustice stimule notre capacité de survie."


Un livre coup de poing ;
Un livre dur mais nécessaire ;
Un livre comme un acte de courage, de défense, d'attention ;
Un livre comme un acte de rébellion contre une époque qui veut tout faire pour nous habituer à la pensée unique ;
Un livre qui entre en résonance avec L Histoire actuelle, qu'elle soit italienne ou mondiale ;
Bref un livre de Saviano

Et comme une réponse à l'auteur MERCI, de nous avoir donné ce livre, de nous avoir donné ces mots. Vos mots.
Les mots de quelqu'un qui a compris que le bonheur est collectif ou n'est pas, que le bien-être est collectif ou n'est pas, que la liberté appartient à tout le monde ou à personne

En guise de conclusion, comme une voix sortie de l'Histoire, comme une voix issue de l'Italie, comme une voix de retour du Moyen-Âge, comme une voix à méditer :

Hélas ! ne gardez plus le silence, et criez comme si vous aviez mille voix.
C'est le silence qui perd le monde
(Sainte Catherine de Sienne - Lettre LXXXIV (38). — À UN GRAND PRÉLAT- Oeuvres complètes - les Belles Lettres)
Commenter  J’apprécie          142
Ce livre, finalement, me met assez mal à l'aise. Non, je ne me bats pas contre les injustices, je me contente de survivre dans ce monde, en saisir les opportunités de plaisir et d'accomplissement afin de donner du sens à ma vie. Contrairement à cet homme qui ose se battre contre la Maffia, qui ose, crier dans son livre son indignation et sa rage contre toutes les injustices quelles qu'elles soient, à travers les époques et partout sur la terre. On sent son désir de dénoncer pour un monde plus juste, plus égalitaire, où tout le monde aurait les mêmes droits. C'est un véritable pamphlet, à travers tous ces portraits, un livre "coup de poing" qu'il faut lire. Même si l'on est déjà au courant de certains faits qu'il développe. On apprend le dessous, le contexte des situations exécrables, invivables dans lesquelles vivent certaines populations ou certaine personnes, qui n'ont pas le choix. Il faut le lire, ne serait-ce que pour encourager cet homme à continuer à se révolter, à ne pas accepter l'ordre établi. En plus, c'est très bien écrit, ça se lit comme un roman tant l'écriture est fluide. On sent les recherches sérieuses, les faits documentés, derrière ses descriptions et ses affirmations. Il n'est pas le seul à se révolter, et d'autres le font à travers d'autres actions. Je pense notamment à Ahmet Altan, cet écrivain injustement emprisonné par Erdogan en Turquie. On pourrait en citer bien d'autres. A ces hommes et ces femmes qui luttent pour un monde meilleur, chacun à leur façon.
Un grand merci à Roberto Saviano.
Commenter  J’apprécie          200
Voici un livre à la fois dur, instructif, profond et riche. Roberto Saviano peint le portrait de trente figures à travers les les âges et les continents, tout en s'adressant au jeune homme qu'il était. Ces figures sont souvent des résistant.e.s, des engagé.e.s, parfois malgré eux, malgré elles, qui ont conservé en eux une inextinguible révolte et les forcent à se dresser contre un fait délictueux, un évènement d'une profonde injustice, le dévoiement d'un système, la corruption, un crime, le détournement de la démocratie. Pour autant, rien de surplombant chez Saviano, l'homme dont la maffia veut la peau et qui vit sous protection policière 24 h sur 24 depuis bientôt vingt ans. Un écrivain qui n'assène pas et écrit de la vraie littérature: en grande proximité avec son lecteur. Sans ton professoral, il revisite les portraits de Zola ou de Giordano Bruno avec feu et pénétration donnant matière à les re-penser mais on découvre aussi par exemple l' histoire récente et incontournable de Daphne Carruana Galizia, l'archéologue d'une île où la liberté d'expression se paye au prix de la vie : Malte.
On sort d'un tel ouvrage secoué, pris en étau entre nos renoncements ordinaires et la compréhension de ce que sont les véritables héros et héroïnes, les seuls peut-être qui méritent le nom d'humanistes.
Commenter  J’apprécie          50
En se fondant sur une trentaine de personnages ayant consacré leur vie au combat pour un autre monde – y compris, paradoxalement, sur le repoussoir Goebbels – Roberto Saviano appelle la jeunesse à l'engagement.
D'Hypatie à George Floyd, les « portraits » sont à peine esquissés, réduits à l'essentiel, mais chacun délivre un message, une ligne de vie et de comportement. le message essentiel étant : ne te cache pas, ose, ne succombe pas à la manipulation, à la censure, sois toi- même, exprime-toi et si besoin crie-le !
C'est un peu répétitif, on aimerait en savoir plus sur les hommes et femmes présentés comme modèles, le contre-exemple Goebbels fait tache, le ton est un peu boy scout, mais cela donnera le moral et des armes à celui qui se bat pour un monde meilleur.
Commenter  J’apprécie          70


critiques presse (2)
RevueTransfuge
08 juin 2023
La trentaine de portraits que Roberto Saviano fait entrer en résonance dans ce livre touffu et tonifiant est un magistral panégyrique de la liberté d’expression.
Lire la critique sur le site : RevueTransfuge
LeDevoir
11 avril 2023
Dans un essai aussi farouche qu’enflammé, Roberto Saviano révèle la force des mots contre les injustices du monde.
Lire la critique sur le site : LeDevoir
Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
C’est à toi que je parle, comme si tu étais un autre moi. Toi qui es maintenant élève au lycée Diaz de Caserte, que j’ai également fréquenté. Toi qui cherches à présent les réponses que je cherchais alors.
Vois-tu, je me rends tous les jours devant la sortie de ton lycée. Je m’y rends malgré moi.
Quand la cloche s’apprête à sonner, je suis déjà là. Tu m’as sûrement aperçu, je suis toujours près du poteau, devant la grille, à attendre celui que j’ai été, jeune.
En m’approchant, je suis toujours anxieux. Je crains son regard. Tu sais pourquoi ? Parce que je crains son jugement. À mes yeux, ce garçon est devenu un étranger.
Si tu m’observes tandis que je l’attends, tu constateras que je suis nerveux.
Alors que la grille s’ouvre et que le bâtiment se vide, je vais à sa rencontre, je l’attrape par le pull-over et j’agite les mains pour attirer son attention, mais c’est comme si j’étais invisible.
Ça me désespère. Je sais bien que je devrais arrêter de venir ici tous les jours. Je devrais arrêter de l’attendre devant le lycée. Désormais, il n’y a rien que je puisse faire pour lui. Il ne peut pas m’entendre, ou peut-être qu’il ne veut pas. Peut-être qu’il me voit. Peut-être qu’il sait déjà ce que je voudrais lui dire et qu’il a peur que j’essaie de le dissuader.
Mais ce n’est pas vrai. Ou, plus précisément, ça l’est en partie, ce n’est pas toute la vérité. Je voudrais simplement lui donner une carte, lui communiquer ce que j’ai appris, lui indiquer les pièges, les impasses, lui montrer que le chemin le plus court n’est pas toujours le plus sûr, tandis que le chemin le plus long n’est pas forcément le meilleur. Bref, je voudrais lui remettre un plan, une boussole. Je voudrais le faire car je sais qu’il est difficile de trouver son chemin lorsqu’on grimpe avec le soleil de face qui consomme aussitôt l’air contenu dans le réservoir des poumons. On se perd de nombreuses fois, puis retrouver son chemin est presque impossible. Dès lors, bien connaître les routes peut se révéler utile.
Et donc, je m’adresse à toi qui es en train de me lire, comme si tu étais un autre moi. Tu as maintenant quinze, seize ou dix-huit ans. Mais peut-être en as-tu soixante-dix, qu’importe. Tu es un homme ou une femme, et cela aussi est en quelque sorte égal, dans tous les cas tu es toi, un autre moi, pour qui les choses ne collent pas et qui a sans cesse l’impression de vivre au revers de l’histoire, jamais à l’endroit.

(INCIPIT)
Commenter  J’apprécie          92
On ne peut pas expliquer la liberté avec une formule, on peut seulement essayer de la partager. Car plus on observe les hommes et les femmes, plus on se rend compte que la pensée n’est pas quelque chose qu’on peut simplement inoculer, ce n’est pas une lentille de contact qu’on pose sur un œil pour corriger la myopie ni un vaccin contre la variole qu’on injecte : la pensée a besoin de routes, de sédimentation, de temps, elle n’est pas immédiate et ne peut être démontrée une fois pour toutes. On peut s’efforcer de prouver sa validité mais, lorsqu’il s’agit de pensée[...]
Giordano Bruno a dû faire face à ce genre de vérités. Bruno pensait que tous étaient égaux, femmes, hommes, enfants, juifs, musulmans, chrétiens, Blancs, Noirs, philosophes, scientifiques, domestiques, teinturiers, chefs d’État. Tous faits d’une seule et même substance. La substance infinie dont – selon Bruno – est constitué le monde. Une argile unique dans laquelle ont été modelés les hommes, les arbres, les fleurs, la musique, la pensée. Ce qui fait qu’on les perçoit comme distincts, c’est uniquement la répartition différente de ce matériau, la quantité d’argile utilisée. La quantité, pas la qualité. Aucun homme n’est meilleur qu’un autre, il s’agit seulement de déterminer comment se répartit cette quantité pour la comprendre, dans la souris comme dans l’arbre : voilà ce qu’est l’infinité des mondes.
Les mondes infinis sont la grande intuition de Bruno. [...]
Ces mondes infinis – éthiques, politiques, sociaux, humains – sont des vérités qui meurent dès qu’on cesse de les défendre, tout comme le droit et la liberté meurent si on cesse de les défendre.
Galilée pouvait abjurer, car tandis qu’il abjurait, la Terre continuait de tourner autour du Soleil.
Les vérités de Giordano Bruno, elles, se seraient éteintes s’il les avait niées, elles se seraient arrêtées. Et donc, tout ce qu’il pouvait faire, c’était de mourir pour les affirmer.
Cette mort est un cri qui proclame l’infinie liberté de la pensée et la possibilité que, grâce à elle, des mondes infinis existent.
Commenter  J’apprécie          40
L’Italie est un pays de contrade, et on dit parfois que l’extraordinaire course à la beauté qui caractérise l’Italie est le produit de la haine des uns pour les autres. Dans chaque village, dans chaque ville, le campanile et la place ont été construits sans schéma rationnel, seulement dans le but – irrationnel – de gagner, de battre les autres, de vaincre et de se distinguer de la ville voisine, du village voisin, de la contrada voisine. Résultat : un feu d’artifice de beauté !
Si nous avions été unis, il n’y aurait eu qu’une seule magnifique place. Si nous avions été unis, il n’y aurait eu qu’un seul magnifique clocher. Or, regarde-nous, regarde cette étendue infinie de places et de clochers magnifiques. Si nous avions été unis, il y aurait eu moins d’efforts fournis pour plus d’efficacité. Mais non, nous avons choisi de produire plus d’efforts, plus de douleur et de conflits.
Commenter  J’apprécie          75
Avant, il arrivait que quelqu'un se demande : comment rendre l'homme heureux ? Aujourd'hui, on ne se pose qu'une seule et même question : comment l'adapter à la productivité du marché mondial ? Puisque nous sommes devenus nous aussi des produits à vendre, que chacun est l'acheteur du temps et des droits d'autrui, nous obéissons tous à ce mécanisme infernal. Produire, courir, consommer et détruire.
Commenter  J’apprécie          160
Très souvent, pour ceux qui veulent gagner les élections, la vérité n'est pas une priorité. La vérité n'influence pas la campagne électorale, elle ne compte ni avant ni après l'élection. C'est la "nouvelle politique", dans laquelle on ne s'allie pas sur la base d'objectifs, mais sur celle de styles de vie. Il s'agit de choisir parmi vos partenaires potentiels ceux avec lesquels il vous déplairait le moins d'aller prendre un verre.
Commenter  J’apprécie          90

Videos de Roberto Saviano (32) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Roberto Saviano
"Mon ambition est de me venger envers ceux qui m'obligent à vivre ainsi." Roberto Saviano est un homme qui refuse de se taire. Il en paie le prix : depuis 2006, le journaliste italien est menacé de mort par la mafia et vit sous protection policière 24h sur 24.
Dans son nouveau livre “Crie le !”, il dresse le portrait de journalistes qui ont mis leur corps au service de la recherche de la vérité. Rencontre.
#mafia #justice #italie ________
Découvrez tous les invités des Matins de Guillaume Erner ici https://www.youtube.com/playlist?list=PLKpTasoeXDroMCMte_GTmH-UaRvUg6aXj ou sur le site https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins
Suivez France Culture sur : Facebook : https://fr-fr.facebook.com/franceculture Twitter : https://twitter.com/franceculture Instagram : https://www.instagram.com/franceculture TikTok : https://www.tiktok.com/@franceculture Twitch : https://www.twitch.tv/franceculture
+ Lire la suite
autres livres classés : littérature italienneVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus


Lecteurs (126) Voir plus



Quiz Voir plus

Grandes oeuvres littéraires italiennes

Ce roman de Dino Buzzati traite de façon suggestive et poignante de la fuite vaine du temps, de l'attente et de l'échec, sur fond d'un vieux fort militaire isolé à la frontière du « Royaume » et de « l'État du Nord ».

Si c'est un homme
Le mépris
Le désert des Tartares
Six personnages en quête d'auteur
La peau
Le prince
Gomorra
La divine comédie
Décaméron
Le Nom de la rose

10 questions
829 lecteurs ont répondu
Thèmes : italie , littérature italienneCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..