UNE GROSSE FATIGUE !
Nombreux sont les auteurs, romanciers, essayistes, poètes, artistes s'étant penchés sur le délicat - mais passionnant - sujet de
la paresse, supposément septième péché capital si l'on en croit l'église catholique et bien souvent accusé d'être la mère de tous les autres vices. On y trouve ainsi, sans aucun doute le plus célèbre texte
écrit sur le sujet,
le Droit à la paresse du socialiste
Paul Lafargue, mais bien d'autres auteurs plus inattendus tels le britannique
Robert Louis Stevenson, l'italien
Italo Svevo, le peintre russe
Kasimir Malevitch ou encore le surréaliste belge
Clément Pansaers.
Cette fois, c'est l'aventurier, aviateur, écrivain, journaliste et romancier qui s'y est collé. C'est en effet à l'occasion d'un ouvrage de commande voulu par les éditions Kra à l'initiative de Paul et Simon Kra que cette nouvelle très autobiographique vit le jour (à noter que cette belle édition illustrée de quinze eaux-fortes de Marc Chagall regroupait par ailleurs des textes de
Jean Giraudoux, de
Paul Morand ou
Max Jacob, entre autres, chacun se voyant attribuer un péché capital).
En quelques pages,
Kessel nous dresse une manière de tour du monde de
la paresse, prenant comme point de départ une oeuvre en plein dans son sujet : le sulfureux
Oblomov du russe
Ivan Gontcharov, permettant par ailleurs à
Joseph Kessel d'aborder la question de
la paresse dans ce pays qu'il connaissait si bien.
Traversant l'Atlantique sur l'un de ces paquebots glorieux de l'entre-deux guerres, lui et ses amis prennent une énorme dose de farniente. La parenthèse ne dure malheureusement que trop peu, nous détaillant ensuite la vie des oisifs étasuniens chez lesquels ce n'est qu' «effroyable [...] horrible énergie», les américains ayant une vision du plaisir «de nature à faire prendre l'oisiveté en horreur» !
Il redécouvre le plaisir de ne rien faire - et y croise quelque notable spécimen de paresseux fantastique - à Honolulu mais devinant qu'on pourrait l'accuser de trouver des images du farniente plus aisément sous un soleil généreux qu'ailleurs,
Joseph Kessel nous démontre que cette manière-là d'être à l'existence se retrouve sous toutes les latitudes, donnant l'exemple de coolies chinois perdus dans la toundra sibérienne aux alentours de la glaciale Vladivostok, et leur faculté de ne pas faire plus que le strict nécessaire y est porté au rang d'art ; puis, descendant de quelques latitudes, ils nous donne un exemple parfaitement assumé et d'une élaboration baroque de paresse - à laquelle se joint un goût d'un grand raffinement pour une certaine volupté lente, calme, mesurée et infinie - en la personne d'un mandarin chinois.
Là s'achève ce petit tour du monde, qu'il conclut par quelques réflexions générales sur ce soi-disant péché qui demande, pour être accompli avec art et distinction, bien plus que des connaissances ou de la pratique : un véritable don !
Un petit opuscule des très originales et bienvenues Editions du Sonneur qui permettra au paresseux de découvrir ce petit texte agréable, élégant et méconnu de l'auteur de
le lion, de
Belle de jour ou de
Les cavaliers, qui n'est sans doute pas le texte le plus indispensable sur cette thématique gentiment subversive (quoi que beaucoup plus profonde qu'il n'y parait).
Cette réédition très à propos en ces temps de révisions ordonnancées du code du travail permettra à l'oisif qui demeure en chacun de nous de profiter sans vergogne de cette nouvelle charmante sans avoir à courir après toute une théorie de libraires spécialisé en livres d'art, anciens, chers et rares... L'oisiveté à portée de la main !