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Claude Martin (Éditeur scientifique)
EAN : 9782221065679
1158 pages
Robert Laffont (01/01/1984)
3.94/5   16 notes
Résumé :
Contient :

L'île de Pâques (1872)
Une relâche de trois heures (Singapour 1883)
Mahé des Indes (1886)
Obock (Somalis 1884)
Japoneries d'automne (1885)
Au Maroc (1889)
Constantinople en 1890
Le désert (Traversée du Sinaï 1894)
Jérusalem (1894)
La Galilée (1894)
L'Inde (sans les Anglais (1899-1900)
Les pagodes d'or (Rangoon 1900)
En passant à Mascate (Arabie 1900)
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Que lire après Voyages (1872-1913)Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
C'est le livre qui m'a fait découvrir Pierre Loti. le livre débute par un tableau chronologique très complet sur la vie de l'homme, l'oeuvre de l'écrivain et sur les affectations du marin. Il est replacé dans son époque, car le tableau comprend une colonne sur la politique et la société, une sur les arts et lettres et sciences en France et une autre pour les arts dans le monde. L'officier de marine Julien Viaud allias Pierre Loti parcourt le monde au gré de ses affectations, il en ramène des récits d'une grande beauté, qui sont regroupés dans ce gros " Bouquins de 1550 pages. Jeune aspirant sur la Flore il visite l'île de Pâques, publie alors les plus complètes descriptions pour l'époque, de la " mystérieuse île ", de ses habitants, des statues dont il en rapporte à la demande de ses supérieurs une tête. Ensuite, à bord de " la Corréze " il transite par Mahé en indes. de son séjour au japon il rapportera la matière pour écrire un roman " Madame Chrysanthème ", mais également les récits " Japoneries d'automne " qui décrivent admirablement la vie dans le Japon du 19 ème, les divinités des temples shintoïstes, les geishas. Avec " Au Maroc ", c'est l'écrivain qui accompagne Jules Patrenôtre, le nouvel ambassadeur, à Fez. C'est donc en grand équipage, qu'il arrive à Tanger et se rend à Fez, il s'habille des costumes locaux, assiste puis participe à des fantasias, avec lui nous assistons à des noces, nous cheminons dans les ruelles étroites, il nous montre le faste des palais, des réceptions, entre vizir et sultan. Les rapports de Loti avec la Turquie, sont connus, au cours de plusieurs séjours, il aura vécu presque 3 années à Constantinople, c'est certainement dans ces récits que l'on trouve le sommet de son art, mais également son aveuglement sur le génocide arménien; Dans les textes le " Désert, Jérusalem, la Galilée ", protestant devenu agnostique, il recherche la confirmation de l'existence du Christ, mais c'est également dans ces textes qu'apparaît, malheureusement, son antisémitisme. La beauté des paysages, le faste des palais, des maharadjahs, des temples brahmanes de l'Inde explose dans " L'Inde (sans les anglais) ", ces textes sont foisonnant de parfums, de couleurs, de sonorités. Dans " Vers Ispahan " il nous transporte dans le royaume de Perse. Avec " Les derniers jours de Pékin " ce sont des trajets en jonques, la visite de la citée Impériales, de progression dans la chine profonde, et toujours de sublimes descriptions de pagodes, de vieilles villes chinoises. Suivent ensuite les récits sur Angkor, sur l'Egypte, avec " la mort de Philaé ", la visite nocturne du musée des momies du Caire est à la fois lugubre et extraordinaire. Avec " Suprêmes visions d'Orient " c'est le dernier voyage qu'il fait à Istamboul. Une profusion de notes et des cartes complètent la compréhension des textes. Comme à son habitude, il se met en scène, il nous montre que ses hôtes lui rendent les honneurs, mais il n'a pas son pareil pour montrer le monde du 19 ème siècle. Aucun film à grand spectacle n'égalera des textes comme " Chez le maharadjah de Travangore " ou " La belle ville de camaïeu rose ", ou encore " Les Pagodes d'or ". C'est un extraordinaire voyage dans l'espace et dans le temps.
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intéressant malgré certains traits colonialistes de l'époque. Loti nous fait voyager. Cela fait penser au café sur la colline d'Istambul où il aimait rêver ...café où l'on peut se rendre.
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Pierre Loti dans un pays à l'heure de la "révolution" Meiji
A travers un regard d'occidental, un peu méprisant, empreint de toute l'idéologie européenne impérialiste de l'époque, Pierre Loti décrit le Japon de l'ère Meiji : Alors que l'effervescence de la modernisation bat son plein à Yokohama, le reste du pays reste plongé dans les moeurs de l'époque d'Edo. Si le ton peut agacer, les descriptions valent bien cette lecture.
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du Maroc au Cambodge, de Philae à Istanbul j'ai toujours Loti pour livre de chevet. Voyageur privilégié qui a découvert les monuments sans les hordes touristiques qu'il abhorrait (oh les cooks et les cookesses!) et surtout qui savait les décrire avec poésie
Lien : http://miriampanigel.blog.le..
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VERS LES TOMBEAUX DES EMPEREURS




I

Vendredi 26 avril.
C’est enfin aujourd’hui mon départ pour ce bois sacré qui renferme les sépultures impériales.

À sept heures du matin, je quitte le palais du Nord, emmenant mes serviteurs de l’automne dernier, Osman et Renaud, plus quatre chasseurs d’Afrique et un interprète chinois. Nous partons à cheval, sur nos bêtes choisies pour le voyage et qui prendront le chemin de fer avec nous.

D’abord deux ou trois kilomètres à travers Pékin, dans la belle lumière matinale, par les grandes voies magnifiquement désolées, celles des cortèges et des empereurs, par les triples portes rouges, entre les lions de marbre et les obélisques de marbre, jaunis comme de vieux ivoires.

Maintenant, la gare, — et c’est en pleine ville, au pied de la muraille de la deuxième enceinte, puisque les barbares d’Occident ont osé commettre ce sacrilège, de crever les remparts pour faire passer leurs machines subversives.

Embarquement de mes hommes et de mes chevaux. Puis le train file à travers les dévastations de la « Ville chinoise », et longe pendant trois ou quatre kilomètres la colossale muraille grise de la « Ville tartare », qui ne finit plus de se dérouler toujours pareille, avec ses mêmes bastions, ses mêmes créneaux, sans une porte, sans rien qui repose de sa monotonie et de son énormité.

Une brèche dans l’enceinte extérieure nous jette enfin au milieu de la triste campagne.

Et c’est, pendant trois heures et demie, un voyage à travers la poussière des plaines, rencontrant des gares détruites, des décombres, des ruines. D’après les grands projets des nations alliées, cette ligne, qui va actuellement jusqu’à Pao-Ting-Fou, devra être prolongée de quelques centaines de lieues, de façon à réunir Pékin et Hankéou, les deux villes monstres ; elle deviendrait ainsi une des grandes artères de la Chine nouvelle, semant à flots sur son passage les bienfaits de la civilisation d’Occident…

À midi, nous mettons pied à terre devant Tchou-Tchéou, une grande ville murée, dont on aperçoit, comme dans un nuage de cendre, les hauts remparts crénelés et les deux tours à douze étages. On se reconnaît à peine à vingt pas, comme par les temps très brumeux du Nord, tant il y a de poussière en suspens partout, sous un soleil terni et jaunâtre, dont la réverbération est cependant accablante.

Le commandant et les officiers du poste français qui occupe Tchou-Tchéou depuis l’automne ont eu la bonté de venir au-devant de moi et m’emmènent déjeuner à leur table, dans la quasi fraîcheur des grandes pagodes un peu obscures où ils sont installés avec leurs hommes. En effet, me disent-ils, la route des tombeaux [1], qui semblait dernièrement si sûre, l’est moins depuis quelques jours ; il y a par là, en maraude, une bande de deux cents Boxers qui est venue hier attaquer un des grands villages par où je passerai, et on s’est battu toute la matinée, — jusqu’à l’apparition du détachement français envoyé au secours des villageois, qui a fait envoler les Boxers comme une compagnie de moineaux.

— Deux cents Boxers, reprend le commandant du poste en calculant dans sa tête, voyons, deux cents Boxers : il vous faut au moins dix hommes. Vous avez déjà six cavaliers ; je vais, si vous le voulez, vous en ajouter quatre.

Je crois devoir faire alors quelques cérémonies, lui répondre que c’est trop, qu’il me comble. Et, sous le nez des bouddhas qui nous regardent déjeuner, voici que nous nous mettons à rire l’un et l’autre, frappés tout à coup par l’air d’extravagante fanfaronnade de ce que nous disons. En vérité, c’est de la force de :

Paraissez, Navarrois, Maures et Castillans…
Et cependant, dix hommes contre deux cents Boxers, c’est bien tout ce qu’il faut ; ils ne sont tenaces et terribles que derrière des murs, ces gens-là ; mais, en rase campagne !… Il est fort probable, du reste, que je n’en verrai pas la queue d’un ; j’accepte cependant le renfort, quatre braves soldats qui seront ravis de venir là-bas à ma suite ; j’accepte d’autant plus que mon passage va prendre ainsi aux yeux des Chinois les proportions d’une reconnaissance militaire, et que cela fera bon effet dans ce moment, paraît-il.

À deux heures, nous remontons à cheval, pour aller coucher à vingt-cinq kilomètres plus loin, dans une vieille ville murée qui s’appelle Laï-Chou-Chien. (Les villes chinoises ont le privilège de ces noms-là ; on sait qu’il en est une appelée Cha-Ma-Miaou, et une autre, une très grande, ancienne capitale, Chien-Chien.)

Et nous nous enfonçons, tout de suite disparus, dans le nuage poudreux que le vent chasse sur la plaine, l’immense et l’étouffante plaine. Il n’y a pas d’illusion à se faire, c’est le « vent jaune » qui s’est levé : un vent qui souffle, en général, par périodes de trois jours, ajoutant à la poussière de la Chine toute celle du désert mongol.

Point de roules, mais des ornières profondes, des sentiers en contre-bas de plusieurs pieds, qui n’ont pu se creuser ainsi que par la suite des siècles. Une campagne affreuse, qui depuis le commencement des temps subit des chaleurs torrides et des froids presque hyperboréens. Dans ce sol desséché, émietté, comment donc peuvent croître les blés nouveaux, qui font çà et là des carrés d’un vert bien frais, au milieu des grisailles infinies ? Il y a aussi de loin en loin quelques maigres bouquets d’ormeaux et de saules, un peu différents des nôtres, mais reconnaissables cependant, garnis à peine de leurs premières petites feuilles. Monotonie et tristesse ; pauvres paysages de l’extrême Nord, dirait-on, mais éclairés par un soleil d’Afrique, un soleil qui se serait trompé de latitude.

À un détour du chemin creux, une troupe de laboureurs qui nous voient tout à coup surgir s’effarent et jettent leurs bêches pour se sauver. Mais l’un d’eux les arrête en criant : « Fauko pink ! (Français soldats !) Ce sont des Français, n’ayez pas peur ! » Alors ils se courbent à nouveau sur la terre brûlante, continuent paisiblement leur travail, en nous regardant passer du coin de l’œil. — Et leur confiance en dit déjà très long sur l’espèce un peu exceptionnelle de « barbares » que nos braves soldats ont su être, au cours de l’invasion européenne.

Ces quelques bouquets de saules, clairsemés dans les plaines, abritent presque tous, sous leur ombre très légère, des villages de cultivateurs : maisonnettes en terre et en briques grises ; vieilles petites pagodes cornues, qui s’effritent au soleil. Avertis par des veilleurs, les hommes et les enfants, quand nous passons, sortent tous pour nous regarder en silence, avec des curiosités naïves : torses nus, très jaunes, très maigres et très musclés ; pantalons en toujours pareille cotonnade bleu foncé. Par politesse, chacun déroule et laisse pendre sur son dos sa longue natte ; la garder relevée en couronne serait une inconvenance à mon égard. Point de femmes, elles restent cachées. Avec la terreur en moins, ces gens doivent éprouver les mêmes impressions que jadis les paysans de la Gaule, lorsque passait avec son escorte quelque chef de l’armée d’Attila. En nous, tout les étonne, costumes, armes et visages. Même mon cheval, qui est un étalon arabe, doit leur sembler une grande bête élégante et rare, à côté de leurs tout petits chevaux à grosse tête ébouriffée. — Et les saules frêles, qui tamisent la lumière au-dessus de ces maisons, de ces minuscules pagodes, de ces existences primitives, sèment sur nous le duvet blanc de leur floraison, comme de petites plumes, de petites touffes d’ouate, qui tombent en pluie et se mêlent à l’incessante poussière.

Dans la plaine, qui recommence ensuite, unie et semblable, je me tiens à deux ou trois cents mètres en avant de ma petite troupe armée, pour éviter le surcroît de poussière que soulève le trot de ses chevaux ; un nuage gris, derrière moi, quand je me retourne, m’indique qu’elle me suit toujours. Et le vent jaune continue de souffler ; nous voici saupoudrés à tel point que nos cheveux, nos moustaches, nos uniformes sont devenus couleur de cendre.

Vers cinq heures apparaît en avant de nous cette vieille ville murée où nous devons passer la nuit. De loin, elle est presque imposante, au milieu de la plaine, avec ses hauts remparts crénelés, de couleur si sombre. De près, sans doute, elle ne sera que ruines, décrépitude, comme la Chine tout entière.

Un cavalier, traînant avec lui son inévitable petit nuage, accourt à ma rencontre : c’est l’officier commandant les cinquante hommes d’infanterie de marine qui, depuis le mois d’octobre, occupent Laï-Chou-Chien. Il m’apprend que le général a eu la très aimable pensée de me faire annoncer comme l’un des grands mandarins de lettres d’Occident : alors le mandarin de la ville va sortir au-devant de moi avec un cortège, et il a convoqué les villages voisins pour une fête qu’il me prépare.

En effet, le voici ce cortège, qui débouche là-bas des vieilles portes croulantes, avec des emblèmes rouges, des musiques, et s’avance dans les champs désolés.

Maintenant il s’arrête pour m’attendre, rangé sur deux files de chaque côté du chemin. Et, suivant le cérémonial millénaire, un personnage s’en détache, un serviteur du mandarin, chargé de me présenter, à cinquante pas en avant, un large papier rouge qui est la carte de visite de son maître. Il attend lui-même, le mandarin craintif, descendu par déférence de sa chaise à porteurs, et debout avec les gens de sa maison. Ainsi qu’on me l’a recommandé, je lui tends la main sans mettre pied à terre ; après quoi, dans les tourbillons de la poussière grise, nous nous acheminons ensemble vers les grands murs, suivis de mes cavaliers, et précédés du cortège d’honneur, avec ses musiques et ses emblèmes.

En tête, deux grands parasols rouges entourés de soies retombantes comme des dais de procession ; ensuite, un fantastique papillon noir, large comme un hibou éployé, qu’un enfant tient au bout d’une hampe ; ensuite encore, sur deux rangs, les bannières, puis les cartouches, e
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Samedi 27 avril.
Des chants de coqs, des chants de petits oiseaux sur mon toit m’éveillent dans la vieille chambre étrange, et, à travers le tamisage des carreaux de papier, je devine que le chaud soleil rayonne au dehors.

Osman et Renaud, levés avant moi, viennent alors m’avertir que l’on fait en hâte de grands préparatifs dans les cours du yamen pour me donner une fêle, — une fête du matin, puisque je dois remonter à cheval et continuer ma route vers les sépultures impériales aussitôt après le repas de midi.

Cela commence vers neuf heures. À l’ombre d’un portique, dont les boiseries ébauchent des figures grimaçantes, je suis assis dans un fauteuil, à côté d’un mandarin qui semble effondré sous ses robes de soie. Devant moi, au soleil étincelant, c’est l’enfilade des cours, des autres portiques en silhouettes biscornues et des vieux monstres sur leurs socles. La foule chinoise — toujours les hommes seulement, bien entendu — est là assemblée, dans ses éternels haillons de coton bleu. Le « vent jaune », qui s’était apaisé la nuit, suivant son habitude, recommence de souffler et de blanchir le ciel de poussière. Et les acacias, les saules monotones, qui sont à peu près les seuls arbres répandus dans cette Chine du Nord, montrent ça et là de vieilles ramures grêles, aux petites feuilles à peine écloses, d’un vert encore tout pâle.

Voici d’abord le défilé très lent, très lent d’une musique : beaucoup de gongs, de cymbales, de clochettes, sonnant en sourdine ; la mélodie est comme chantée par un mélancolique, et doux, et persistant unisson de flûtes, — de grandes flûtes au timbre grave, dont quelques-unes ont des tuyaux multiples et ressemblent à des gerbes de roseaux. C’est berceur et lointain, exquis à entendre.

Les musiciens maintenant s’asseyent près de nous, en cercle, pour mener la fête. Le rythme tout à coup change, s’accélère ; les sonnettes s’agitent, les gongs battent plus fort, et cela devient une danse. Alors, de là-bas, du recul des cours et des vieux portiques, dans la poussière qui s’épaissit, on voit, au-dessus des têtes de la foule, arriver en dansant une troupe de personnages qui ont deux fois la taille humaine, et qui se dandinent, qui se dandinent en mesure, et qui jouent du sistre, qui s’éventent, qui se démènent d’une façon exagérée, névrosée, épileptique… Des géants ? Des pantins ? Qu’est-ce que ça peut bien être ?… Cependant ils arrivent très vite, avec leurs grandes enjambées sautillantes, et les voici devant nous… Ah ! des échassiers ! Des échassiers prodigieux, plus haut perchés sur leurs jambes de bois que des bergers landais, et bondissant comme de longues sauterelles. Et ils sont costumés, grimés, peints, fardés ; ils ont des perruques, de fausses barbes ; ils représentent des dieux, des génies tels qu’on en voit dans les vieilles pagodes ; ils représentent des princesses aussi, ayant de belles robes de soie brodée, ayant des joues trop blanches et trop roses, et des fleurs artificielles piquées dans le chignon ; des princesses tout en longueur, qui s’éventent d’une façon exagérée, en se dandinant toujours, ainsi que la troupe entière, d’un même mouvement régulier, incessant, obsédant comme celui des balanciers de pendule.

Or ces échassiers, paraît-il, sont tout simplement les jeunes garçons d’un village voisin, de braves petits campagnards, formés en société de gymnastique et qui font cela pour s’amuser. Dans les moindres villages de la Chine intérieure, bien des siècles, des millénaires avant que la coutume en soit venue chez nous, les garçons, de père en fils, ont commencé de s’adonner passionnément aux jeux de force ou d’adresse, de fonder des sociétés rivales, les unes d’acrobates, les autres d’équilibristes ou de jongleurs, et d’organiser des concours. C’est pendant les longs hivers surtout qu’ils s’exercent, quand tout est glacé et que chaque petit groupement humain doit vivre seul, au milieu d’un désert de neige.

En effet, malgré les perruques blanches et les vieilles barbes de centenaire, on voit que tout ce monde est jeune, très jeune, avec des sourires enfantins. Elles sourient naïvement, les princesses gentilles et drôles, aux trop longues jambes, qui ont des mouvements si excités d’éventails, et qui dansent, de plus en plus dégingandées, qui se cambrent, qui se renversent, dodelinant de la tête et du torse avec frénésie. Ils sourient naïvement, les vieillards qui ont des figures d’enfant, et qui battent du sistre ou du tambourin comme des possédés. L’unisson persistant des flûtes semble à la longue les ensorceler, les mettre dans un état spécial de démence qui se traduit par l’excès du tic des ours…

À un signal, les voici chacun sur une seule jambe, sur une seule échasse, l’autre jambe relevée, l’autre échasse rejetée sur l’épaule, et, par des prodiges d’équilibre, ils dansent tout de même, ils se dandinent tout de même, plus que jamais, comme des marionnettes dont les ressorts s’affolent, dont le mécanisme va sûrement se détraquer. On apporte alors, en courant, des barrières de deux mètres de haut, et ils les sautent, à cloche-pied, tous, princesses, vieillards ou génies, sans cesser leurs jeux d’éventail ni leurs batteries de tambourin.

Quand enfin, n’en pouvant plus, ils vont s’adosser aux portiques, aux vieux acacias, aux vieux saules, une autre bande toute pareille, sur des jambes aussi longues (les garçons d’un autre village), arrive du fond des cours, en se dandinant, et recommence, sur le même air, une danse semblable ; ils reproduisent les mêmes personnages, les mêmes génies, les mêmes dieux à longue barbe, les mêmes belles dames minaudières : dans leurs accoutrements pour nous si inconnus, avec leurs figures si bizarrement grimées, ces danseurs incarnent des rêves mythologiques bien anciens, faits autrefois, dans la nuit des âges, par une humanité infiniment distante de la nôtre, — et tout cela, de génération en génération, se transmet par tout le pays d’une manière inchangeable, ainsi que se transmettent toujours, en Chine, les rites, les formes et les choses.

Du reste, dans son étrangeté extrême, cette fête, cette danse demeure très villageoise, très campagnarde, naïve comme un divertissement de laboureurs.

Ils ont fini de sauter leurs barrières. Et à présent on voit poindre, du même là-bas toujours, deux épouvantables bêtes qui marchent de front, une bête rouge et une bête verte. Ce sont deux grands dragons héraldiques, longs d’au moins vingt mètres, dressant la tête, la gueule béante, ayant ces horribles yeux louches, ces cornes, ces griffes que chacun sait. Cela s’avance très vite, comme courant et se tordant au-dessus des épaules de la foule, avec des ondulations de reptile… Mais c’est tout léger, en carton, en étoffe tendue sur des cercles, chaque bête supportée en l’air, au bout de bâtons, par une douzaine de jeunes hommes très exercés, qui savent, par des trucs subtils, donner à l’ensemble l’allure des serpents. Et une sorte de maître de ballet les précède, tenant en main une boule que les porteurs ne perdent pas de vue et dont il se sert, comme un chef d’orchestre de sa baguette, pour guider le tortillement des deux monstres.

D’abord les deux grandes bêtes se contentent de danser devant moi, au son des flûtes et des gongs, dans le cercle de la foule chinoise qui s’est élargi pour leur faire place. Ensuite cela devient tout à fait terrible : elles se battent, tandis que les gongs et les cymbales font rage. Elles s’emmêlent, elles s’enroulent l’une à l’autre, ayant l’air de s’étreindre ; on les voit traîner leurs longs anneaux dans la poussière, et puis tout à coup, d’un bond, elles se redressent, comme cabrées, les deux énormes têtes se faisant face, avec un tremblement de fureur. Et le maître de ballet, agitant sa boule directrice, se démène et roule des yeux féroces.

Et la poussière s’épaissit sur la foule, sur les porteurs qu’on ne voit plus ; la poussière se lève en nuage, rendant à demi fantastique cette bataille de la bête rouge et de la bête verte. Le soleil brûle comme en pays tropical, et cependant le triste avril chinois, anémié par tant de sécheresse après l’hiver de glace, s’indique à peine ici par la nuance très tendre des quelques petites feuilles apparues aux vieux saules, aux vieux acacias de cette cour…

Après le déjeuner, des mandarins de la plaine, précédés de musiques, arrivent des villages, m’apportent des offrandes pastorales : des paniers de raisins conservés, des paniers de poires, des poules vivantes dans des cages, une jarre de vin de riz. Ils sont coiffés du bonnet officiel d’hiver à plume de corbeau et vêtus de robes de soie sombre, avec, sur le dos et sur la poitrine, un carré de broderie d’or — au milieu duquel est figurée, parmi des nuages, une toujours invariable cigogne s’envolant vers la lune. Presque tous, vieillards desséchés, à barbiche grise, à moustache grise qui retombe. Et, avec eux, ce sont de grands tchinchins, de grandes révérences, de grands compliments ; des poignées de main où l’on se sent comme griffé par des ongles trop longs, emmanchés de vieux doigts maigres.

À deux heures, je remonte à cheval, avec mes hommes et je m’en vais à travers les décombres des rues, précédé du même cortège qu’à l’arrivée, les gongs sonnant en glas et les hérauts poussant leurs cris. Derrière moi, suit le mandarin de céans dans sa chaise à porteurs, suivent les compagnies d’échassiers et les deux dragons monstrueux.

Au sortir de la ville, dans le tunnel profond des portes, où la foule est déjà assemblée pour me voir, tout cela s’engouffre avec nous, les princesses aux enjambées de trois mètres, les dieux qui jouent du sistre ou du tambourin, et la bête rouge, et la bête verte. Sous la voûte demi-obscure, au fracas de tous les sistres et de tous les gongs, dans des envolées de poussière noirâtre qui vous aveugle, c’est une mêlée compacte, où nos chevaux se traversent et bondissent, troublés par le bruit, affolés par les deux épouvantables monstres qui ondulent au-dessus de nos t
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Huit heures du soir. Dans le long crépuscule de mai, qui est maintenant près de finir, les lanternes étranges, en verre, ruisselantes de perles, ou bien en papier de riz, ayant forme d’oiseaux et de lotus, se sont allumées partout, aux branches des vieux cèdres, sur l’esplanade de ce palais de la Rotonde, que j’ai connue jadis plongée dans un si morne abîme de tristesse et de silence… Cette nuit, ce sera le mouvement, la vie, la gaie lumière. Déjà, dans le merveilleux décor qui s’illumine, vont et viennent des gens en habits de fête, officiers de toutes les nations d’Europe, et Chinois aux longues robes soyeuses, coiffés du chapeau officiel d’où retombent des plumes de paon. Une table pour soixante-dix convives est dressée sous des tentes, et nous attendons la foule disparate de nos invités.

Suivis de petits cortèges, ils arrivent des quatre coins de Pékin, les uns à cheval, les autres en voiture, ou en pousse-pousse, ou en palanquin somptueux. Sitôt qu’un personnage de marque émerge d’en bas, par la porte peinte et dorée du plan incliné, une de nos musiques militaires qui guettait son apparition, lui joue l’air national de son pays. L’hymne russe succède à l’hymne allemand ; ou l’hymne japonais à la « Marche des Bersaglieri ». Nous entendrons même l’air chinois, car on apporte pompeusement un large papier rouge : la carte de visite de Li-Hung-Chang, qui est en bas et qui, suivant l’étiquette, se fait annoncer avant de paraître. Ensuite, précédés de cartes pareilles, nous arrivent le grand Justicier de Pékin, et le Représentant extraordinaire de l’Impératrice. Ils assisteront à notre fête, les princes de la Chine, amenés dans des palanquins de gala, avec escorte de cavalerie, et ils font leur entrée, le visage fermé et le regard en dedans, suivis d’un flot de serviteurs vêtus de soie. Ç’a été dur de les avoir, ceux-là ! Mais le colonel Marchand, autorisé par notre général, s’était fait un point d’honneur de les décider. Au milieu de nos uniformes d’occident se multiplient les robes mandarines et les chapeaux pointus à bouton de corail. Et leur présence à ce festin des barbares, en pleine « Ville impériale » profanée, restera l’une des plus singulières incohérences de nos temps.

Une tablée comme on n’en avait jamais vu, les pieds sur des tapis impériaux qui semblent d’épais velours jaunes. Les obligatoires gerbes de fleurs, arrangées dans des cloisonnés géants, sans âge et sans prix, qui sont sortis pour un soir des réserves de l’Impératrice. À la place d’honneur, le maréchal de Waldersee à côté de la femme de notre ministre de France ; ensuite, deux évêques en robe violette ; des généraux et des officiers des sept nations alliées ; cinq ou six toilettes claires de femme, et enfin trois grands princes de la Chine, énigmatiques dans leurs soies brodées, les yeux à demi cachés sous leurs chapeaux de cérémonie à plumes retombantes.

Sur la fin de ce dîner étrange, subversif et profanateur, quand les roses commencent à pencher la tête dans les grands vases précieux, notre général, en terminant son toast au champagne, s’adresse à ces princes Jaunes : « Votre présence parmi nous, leur dit-il, prouve assez que nous ne sommes pas venus ici pour faire la guerre à la Chine, mais seulement à une secte abominable, etc… »

Le Représentant de l’Impératrice, alors, relève la balle avec une souplesse d’Extrême-Asie, et sans qu’un pli ait bronché sur son masque jaune de cour, il répond, lui qui a été sournoisement un enragé Boxer : « Au nom de sa Majesté Impériale Chinoise, je remercie les généraux européens d’être venus prêter main-forte au Gouvernement de notre pays, dans une des crises les plus graves qu’il ait jamais traversées. »

Petit silence de stupeur, et les coupes se vident.

L’esplanade, pendant le banquet, s’est considérablement peuplée d’uniformes et de dorures : quelques centaines d’officiers de tout pelage, de toute couleur conviés à la soirée. Et les toasts ayant pris fin sur cette réplique chinoise, je vais m’accouder au rebord des terrasses pour voir arriver, de haut et de loin, notre retraite aux flambeaux.

En sortant de dessous ce vélum et ces ramures de cèdres, toutes choses un peu emprisonnantes qui masquaient la vue, c’est une surprise et un enchantement, ces bords du lac impérial, ce grand paysage de mélancolie et de silence, — en temps ordinaire, lieu de ténèbres s’il en fut jamais, dès la tombée des nuits, bien inquiétant et noir, sur lequel semblait planer un éternel deuil, — et qui vient de s’éclairer, cette fois, comme pour quelque fantastique apothéose.

Il y avait de nos soldats cachés partout, dans les vieux palais morts, dans les vieux temples épars au milieu des arbres, et en moins d’une heure, grimpant de tous côtés sur les tuiles d’émail, ils ont allumé d’innombrables lanternes rouges, des cordons de feux qui dessinent la courbe des toits à étages multiples, la chinoiserie des architectures, l’excentricité des miradors et des tours. Une raie lumineuse court le long du lac tragique, dans les herbages encore receleurs de cadavres. Jusque sur ses rives les plus lointaines, jusqu’en ses fonds qui d’habitude étaient les plus noirs, ce parc des Ombres, où cependant tout reste morne et dévasté, donne une illusion de fête. Le vieux donjon de l’Île des Jades, qui dormait dans l’air avec son idole affreuse, se réveille tout à coup pour lancer des gerbes d’étincelles et des fusées bleues. Et les gondoles de l’Impératrice, si longtemps immobiles et un peu détruites, se promènent cette nuit sur le miroir de l’eau, illuminées comme à Venise. Un semblant de vie ranime toutes ces choses, tous ces fantômes de choses, pour un seul soir. Et on ne reverra jamais, jamais cela, que personne n’avait jamais vu.

Quel contraste déroutant, avec ce que j’avais coutume de contempler l’année dernière du haut de ces mêmes terrasses, à la chute des crépuscules d’automne, quand j’étais le seul habitant de ce palais ! Sur les bords du lac, ces groupes en costume de bal, à la place des cadavres, mes seuls et obstinés voisins d’antan — qui demeurent encore tous là, bien entendu, mais qui ont achevé de faire dans la vase leur très lent plongeon sans retour. Et cette douce tiédeur d’une soirée de mai, au lieu du froid glacial qui me faisait frissonner dès que l’énorme soleil rouge commençait de s’éteindre !

Au premier plan, à l’entrée du Pont de Marbre, le grand arc de triomphe chinois, avec ses diableries, ses cornes et ses griffes, mis en valeur par un amas de lanternes proches, resplendit de dorures sur le ciel nocturne. Ensuite, traversant le sombre lac, c’est le pont très éclairé, et qui semble lumineux par lui-même dans le rayonnement de son éternelle blancheur. Au loin, enfin, toute l’ironique fantasmagorie des palais vides et des pagodes vides émerge de l’obscurité des arbres et reflète dans les eaux ses lignes de feux, parmi les petites îles des lotus.

Ils se répandent un peu partout, nos cinq cents invités, au bord du lac sous la verdure printanière des saules, par groupes sympathiques, ou bien le long du Pont de Marbre, ou bien encore dans les gondoles impériales. À mesure qu’ils descendent de ces terrasses de la Rotonde, on leur remet à chacun une lanterne peinturlurée, au bout d’un bâtonnet, et tous ces ballons de couleur se disséminent au hasard des sentiers, sont bientôt, dans les lointains, comme une peuplade de vers-luisants.

De là-haut où je suis resté, on distingue des femmes, en manteau clair du soir, s’en allant au bras d’officiers sur les dalles blanches du pont, ou bien assises à l’arrière des longues barques de l’Impératrice que des rameurs mènent doucement… Et combien c’est inattendu de voir ces Européennes, — presque toutes, celles-là même qui avaient enduré les tortures du siège, — se promener si tranquilles, dans leur toilette de dîner, au milieu du repaire jadis fermé et terrible de ces souverains par qui leur mort avait été sourdement préparée ! Le lieu décidément a perdu toute son horreur, et c’est même fini pour l’instant du vague effroi qui, hier encore, se dégageait des lointains peuplés de vieux arbres et de ruines ; il y a tant de lumières, tant de monde, tant de soldats, jusque dans les fonds reculés, sous bois, que toutes les formes vagues de revenants ou de mauvais esprits, ce soir, ont dû s’évanouir.

Quelque chose commence de se faire entendre, comme un roulement de tonnerre qui s’approcherait, et c’est l’ensemble d’une cinquantaine de tambours, annonçant que la retraite arrive. Elle a dû se former à la Porte Jaune, pour suivre l’avenue inaugurée aujourd’hui, et venir se disperser devant nous, au pied du Palais de la Rotonde. Ses lumières d’avant-garde apparaissent là-bas, à la tête du Pont de Marbre, et voici qu’elle s’engage sur le magnifique arceau blanc. La cavalerie, l’infanterie, les musiques semblent couler vers nous, avec un fracas de cuivres et de tambours à faire crouler les murailles sépulcrales de la « Ville violette », — et, au-dessus de ces milliers de têtes de soldats, les lanternes coloriées, d’une extravagance chinoise, en grappes, en gerbes sur de longues perches, se balancent au pas des chevaux, ou bien au rythme des épaules humaines.

Les troupes sont passées, mais le défilé ne parait pas près de finir. Aux marches que jouaient nos musiques, succède tout à coup un autre fracas, d’un exotisme aigu, délirant, qui trouble les nerfs : des gongs, des sistres, des cymbales, des clochettes. En même temps se dessinent, gigantesques, des étendards verts et jaunes, tout tailladés, d’une fantaisie essentiellement étrangère, d’une proportion inusitée. Et, sur le beau Pont de Marbre, s’avancent des compagnies de personnages longs et minces, aux enjambées étonnantes, qui se dandinent comme des ours : mes échassiers d’Y-Tchéou, de Laï-Chou-Chien, de la région des tombeaux, qui ont fait de gaieté de cœur trois ou quatre jours de voyage pour venir figurer à cette fête française !
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III

La plaine ressemble à celle d’hier, plus verte cependant et un peu plus boisée. Les blés, semés en sillons comme les nôtres, poussent à miracle dans ce sol, qui semble fait de sable et de cendre. D’ailleurs, tout devient moins désolé à mesure qu’on s’éloigne de la région de Pékin pour s’élever, par d’insensibles pentes, vers ces grandes montagnes de l’Ouest, qui apparaissent de plus en plus nettes en avant de nous. Le « vent jaune » aussi souffle moins fort, et, dans les instants où il s’apaise, quand s’abat l’aveuglante poussière, on dirait les campagnes du nord de la France, avec ces sillons partout, ces bouquets d’ormeaux et de saules. On oublie qu’on est au fond de la Chine, sur l’autre versant du monde, on s’attend à voir, dans les sentiers, passer des paysans de chez nous… Mais les quelques laboureurs courbés vers la terre ont sur la tête de longues nattes relevées en couronnes, et leurs torses nus sont comme teints au safran.

Tout est paisible, dans ces champs inondés de soleil, dans ces villages bâtis à l’ombre légère des saules. En somme, les gens ici vivaient heureux, cultivant à la façon primitive le vieux sol nourricier, et régis par des coutumes de cinq mille ans. À part les exactions peut-être de quelques mandarins — et encore est-il beaucoup de mandarins débonnaires, — ces paysans chinois en étaient presque restés à l’âge d’or, et je ne me représente pas ce que seront pour eux les joies de cette « Chine nouvelle » rêvée par les réformateurs d’Occident. Jusqu’à ce jour, il est vrai, l’invasion ne les a guère troublés, ceux-ci ; dans cette contrée que nous Français occupons seuls, nos troupes n’ont jamais eu d’autre rôle que de défendre les villageois contre les bandes de Boxers pillards ; le labour, les semailles, tous les travaux de la terre ont été faits tranquillement en leur saison, — et il est impossible de n’être pas frappé de la différence avec certaines autres contrées, que je ne puis trop désigner, où c’est le régime de la terreur et où les champs sont restés en friche, redevenus des steppes déserts.


Vers quatre heures et demie du soir, sur le fond découpé des montagnes qui commencent de beaucoup grandir à nos yeux, une ville nous apparaît comme hier, d’un premier aspect formidable avec ses hauts remparts crénelés. Comme hier aussi, un cavalier arrive au-devant de moi : le capitaine qui commande le poste d’infanterie de marine installé là depuis l’automne.

Des veilleurs, du haut des murs, nous avaient devinés de loin, au nuage de poussière soulevé par nos chevaux dans la plaine. Et, dès que nous approchons, nous voyons sortir des vieilles portes le cortège officiel qui vient à ma rencontre : mêmes emblèmes qu’à Laï-Chou-Chien, même grand papillon noir, mêmes parasols rouges, mêmes cartouches et mêmes bannières ; tout cérémonial en Chine est réglé depuis des siècles par une étiquette invariable.

Mais les gens qui me reçoivent aujourd’hui sont beaucoup plus élégants et sans doute plus riches que ceux d’hier. Le mandarin, qui est descendu de sa chaise à porteurs pour m’attendre au bord de la route, après m’avoir fait remettre à cent pas de distance sa carte de visite sur papier écarlate, se tient au milieu d’un groupe de personnages en somptueuses robes de soie ; lui-même est un grand vieillard distingué, qui porte à son chapeau la plume de paon et le bouton de saphir. Et la foule est énorme pour me voir faire mon entrée, au son funèbre du gong, aux longs gémissements des crieurs. Des figures garnissent le faîte des remparts, regardant entre les créneaux avec de petits yeux obliques, et jusque dans l’épaisseur des portes, il y a des bonshommes à torse jaune plaqués en double haie contre les parois. Mon interprète cependant me confesse qu’on est généralement déçu : « Si c’est un lettré, demandent les gens, pourquoi s’habille-t-il en colonel ? » (On sait le dédain chinois pour le métier des armes.) Mon cheval seul relève un peu mon prestige ; assez fatigué par la campagne, ce pauvre cheval d’Algérie, mais ayant encore du port de tête et du port de queue lorsqu’il se sent regardé, et surtout lorsque le gong résonne à ses oreilles.

Y-Tchéou, la ville où nous voici enfermés dans des murs de trente pieds de haut, contient encore une quinzaine de mille habitants, malgré ses espaces déserts et ses ruines. Et il y a grande affluence de monde sur notre parcours, dans les petites rues, devant les petites échoppes anciennes où s’exercent des métiers antédiluviens.

C’est d’ici même qu’est parti, l’année dernière, le terrible mouvement de haine contre les étrangers, c’est dans une bonzerie de la montagne voisine que la guerre d’extermination a été d’abord prêchée, et tous ces gens qui m’accueillent si bien ont été les premiers Boxers ; ardemment ralliés pour l’instant à la cause française, ils décapitent volontiers ceux des leurs qui n’ont pas transigé et mettent les têtes dans ces petites cages dont les portes de leur ville sont garnies ; mais, si le vent tournait demain, je me verrais déchiqueté par eux au son de ferraille de leurs mêmes gongs, et avec le même entrain qu’ils mettent à me recevoir.

Quand j’ai pris possession du logis qui m’est destiné, tout au fond de la résidence mandarine — au bout d’une interminable avenue de vieux portiques et de vieux monstres gardiens qui me montrent leurs crocs dans des sourires de tigre, — une demi-heure de jour me reste encore, et je vais faire visite à un jeune prince de la famille impériale, détaché à Y-Tchéou pour le service des vénérables tombeaux.

D’abord, la mélancolie de son jardin, par ce crépuscule d’avril. C’est entre des murs de briques grises ; c’est très fermé, au milieu de la ville déjà si murée. Grises aussi, les rocailles dessinant les petits carrés, les petits losanges où fleurissent de larges pivoines rouges, violettes ou roses qui sont très odorantes, contrairement à celles de chez nous, et qui remplissent ce soir le triste enclos d’un excès de senteurs. Il y a aussi des rangées de petits bassins en porcelaine, où habitent de minuscules poissons monstres : poissons rouges ou poissons noirs, empêtrés dans des nageoires et des queues extravagantes qui leur font comme des robes à falbalas ; poissons chez lesquels on est arrivé à produire, par je ne sais quelle mystérieuse culture, des yeux énormes et effrayants qui leur sortent de la tête comme ceux des dragons héraldiques. Les Chinois, qui torturent les pieds des femmes, déforment aussi les arbres pour qu’ils restent nains et bossus, les fruits pour qu’ils aient l’air d’animaux, et les animaux pour les faire ressembler aux chimères de leurs rêves.

Il fait déjà sombre dans l’appartement du prince, qui donne sur ce petit jardin de prison, et on n’y aperçoit d’abord en entrant qu’un flot de soies rouges : les longs baldaquins retombants de plusieurs « parasols d’honneur », ouverts et plantés debout sur des pieds en bois. Un air lourd, trop saturé d’opium et de musc. De profonds divans rouges, sur lesquels traînent des pipes d’argent, pour fumer ce poison dont la Chine est en train de mourir. Le prince, vingt ou vingt-deux ans, d’une laideur maladive avec deux yeux qui divergent, est parfumé à l’excès, et vêtu de soies tendres, dans des gammes qui sont du mauve ou lilas.


Ce soir, chez le mandarin, dîner auquel assistent le commandant du poste français, le prince, deux ou trois notables et un de mes « confrères », un membre de l’Académie de Chine, mandarin à bouton de saphir.

Assis dans de lourds fauteuils carrés, nous sommes six ou sept, autour d’une table que garnissent d’étranges et exquises petites porcelaines des vieux temps, petites, petites comme pour une dînette de poupées. Des cires rouges nous éclairent, allumées dans de hauts chandeliers de cuivre.

Depuis ce matin, la province entière a quitté par ordre le bonnet hivernal pour prendre le chapeau d’été, conique en forme d’abat-jour de lampe, sur lequel retombent des touffes de crins rouges ou, suivant la dignité du personnage, des plumes de paon et de corbeau. Or, il est de bon ton de dîner coiffé, — et cela fait tout de suite Chine de paravent, les chapeaux de ce style.

Quant aux dames de la maison, elles demeurent invisibles, hélas ! et il serait de la dernière inconvenance de les demander ou même d’y faire allusion. — (On sait d’ailleurs qu’un Chinois obligé de parler de sa femme ne doit la désigner que d’une manière indirecte, et autant que possible par un qualificatif sévèrement dénué de toute galanterie, comme par exemple : « mon horripilante » ou « ma nauséabonde ».)


Le dîner commence par des prunelles confites et quantité de sucreries mignardes, que l’on mange avec des petites baguettes. Il s’excuse, le mandarin, de ne pouvoir m’offrir des nids d’hirondelle de mer : Y-Tchéou est un pays si perdu, si loin de la côte, il est si difficile de s’y procurer ce qu’on veut ! En revanche, voici un plat d’ailerons de requin, un autre de vessies de cachalot, un autre encore de nerfs de biche, et puis des ragoûts de racines de nénufar aux œufs de crevette.

Dans la salle blanche au plafond noir — dont les murs sont ornés d’aquarelles, sur longues bandes de papier précieux, représentant des bêtes ou des fleurs monstrueuses — l’inévitable odeur de l’opium et du musc se mêle au fumet des sauces étranges. Autour de nous s’empressent une vingtaine de serviteurs coiffés comme leurs maîtres et vêtus de belles robes de soie avec corselet de velours. À ma droite, mon « confrère » de l’Académie de Chine me dit des choses de l’autre monde. Il est vieux et entièrement desséché par l’abus de la fumée mortelle ; sa petite figure réduite à rien disparaît sous le cône de son chapeau et sous les deux ronds de ses grosses lunettes bleues.

— Est-il vrai, me demande-t-il, que l’empire du Milieu occupe le dessus de la boule terrestre, et que l’Europe s’accroche péniblement penchée sur le côté ?
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EN ROUTE

Mardi 17 avril. — En désordre par terre, notre déballage de nomades s’étale, mouillé d’embruns et piteux à voir, au crépuscule. Beaucoup de vent sous des nuages en voûte sombre ; les lointains des plaines de sable, où il faudra s’enfoncer tout à l’heure à la grâce de Dieu, se détachent en clair sur l’horizon ; le désert est moins obscur que le ciel.

Une grande barque à voile, que nous avions frétée à Bender-Bouchir, vient de nous jeter ici, au seuil des solitudes, sur la rive brûlante de ce Golfe Persique, où l’air empli de fièvre est à peine respirable pour les hommes de nos climats. Et c’est le point où se forment d’habitude les caravanes qui doivent remonter vers Chiraz et la Perse centrale.

Nous étions partis de l’Inde, il y a environ trois semaines, sur un navire qui nous a lentement amenés, le long de la côte, en se traînant sur les eaux lourdes et chaudes. Et depuis plusieurs jours nous avons commencé de voir, à l’horizon du Nord, une sorte de muraille mondiale, tantôt bleue, tantôt rose, qui semblait nous suivre, et qui est là, ce soir encore, dressée devant nous : le rebord de cette Perse, but de notre voyage, qui gît à deux ou trois mille mètres d’altitude, sur les immenses plateaux d’Asie.

Le premier accueil nous a été rude sur la terre persane : comme nous arrivions de Bombay, où sévit la peste, il a fallu faire six jours de quarantaine, mon serviteur français et moi, seuls sur un îlot de marécage, où une barque nous apportait chaque soir de quoi ne pas mourir de faim. Dans une chaleur d’étuve, au milieu de tourmentes de sable chaud que nous envoyait l’Arabie voisine, au milieu d’orages aux aspects apocalyptiques, nous avons là souffert longuement, accablés dans le jour par le soleil, couverts de taons et de mauvaises mouches ; la nuit, en proie à d’innommables vermines dont l’herbe était infestée.

Admis enfin à Bender-Bouchir, ville de tristesse et de mort s’il en fut, groupe de masures croulantes sous un ciel maudit, nous avons fait en hâte nos apprêts, acheté des objets de campement, et loué des chevaux, des mules, des muletiers, qui ont dû partir ce matin pour nous rejoindre en contournant une baie, tandis que nous coupions par mer en ligne droite, afin d’éviter une marche sous le soleil mortel.

Donc, nous voici déposés à l’entrée de ce désert, en face d’un semblant de village en ruines, où des gens vêtus de haillons s’asseyent sur des pans de murailles, pour fumer en nous observant.

Longs pourparlers avec nos bateliers demi-nus, — qui nous ont apportés à terre sur leurs épaules ruisselantes, car la barque a dû rester à cent mètres de la rive, à cause des bancs de sable. Longs pourparlers avec le chef du lieu, qui a reçu du gouverneur de Bouchir l’ordre de me donner des cavaliers d’escorte, et ensuite avec mon « tcharvadar » (mon chef de caravane), dont les chevaux et les mules devraient être là, mais n’arrivent pas.

De tous côtés, c’est l’étendue agitée par le vent, l’étendue du désert ou de la mer. Et nous sommes sans abri, nos bagages épars. Et le jour achève de s’éteindre, sur notre désarroi.

Quelques gouttes de pluie. Mais, dans ce pays, on n’y prend pas garde ; on sait qu’il ne pleuvra pas, qu’il ne peut pas pleuvoir. Les gens qui s’étaient assis à fumer dans les ruines viennent de faire leur prière du Moghreb, et la nuit tombe, sinistre.

Nous attendons nos bêtes, qui continuent de ne pas venir. Dans l’obscurité, de temps à autre, des clochettes s’approchent en carillon, chaque fois nous donnant espoir. Mais non, c’est quelque caravane étrangère qui passe ; par vingt ou trente, les mules défilent près de nous ; pour les empêcher de piétiner nos bagages et nous-mêmes, nos gens crient, — et tout de suite elles disparaissent, vers le ténébreux lointain. (Nous sommes ici à l’entrée de la route de Bouchir à Ispahan, l’une des grandes routes de la Perse, et ce petit port en ruines est un passage très fréquenté.)

Enfin elles arrivent, les nôtres, avec force clochettes aussi.

Nuit de plus en plus épaisse, sous un ciel bas et tourmenté. Tout est par terre, jeté pêle-mêle ; les bêtes font des sauts, des ruades, — et l’heure s’avance, nous devrions être en route. Dans les cauchemars du sommeil, on a passé quelquefois par de tels embarras insolubles, on a connu de ces fouillis indébrouillables, au milieu de ténèbres croissantes. Vraiment cela semble impossible que tant de choses quelconques, armes, couvertures, vaisselle, achetées en hâte à Bouchir et non emballées, gisant à même le sable, puissent, avec la nuit qu’il fait, s’arranger bientôt sur ces mules à sonnettes et s’enfoncer, à la file derrière nous, dans le noir désert.

Cependant on commence la besogne, en s’interrompant de temps à autre pour dire des prières. Enfermer les objets dans de grands sacs de caravane en laine bariolée ; ficeler, corder, soupeser ; équilibrer la charge de chaque bête,... cela se fait à la lueur de deux petites lanternes, lamentables au milieu de la tourmente obscure. Pas une étoile ; pas une trouée là-haut, par où le moindre rayon tombe. Les rafales, avec un bruit gémissant, soulèvent le sable en tourbillons. Et tout le temps, à la cantonade, des sonneries de grelots et de clochettes : caravanes inconnues qui passent.

Maintenant le chef du village vient me présenter les trois soldats qui, avec mes domestiques et mes muletiers, constitueront ma garde cette nuit. Toujours les deux mêmes petites lanternes, que l’on a posées par terre et qui attirent les sauterelles, me les éclairent vaguement par en dessous, ces nouveaux venus : hauts bonnets noirs sur de fins visages ; longs cheveux et longues moustaches, grandes robes serrées à la taille, et mancherons qui pendent comme des ailes...

Enfin la lune, amie des nomades, vient débrouiller le chaos noir. Dans une déchirure soudaine, au ras de l’horizon, elle surgit énorme et rouge, du même coup révélant des eaux encore proches, sur lesquelles son reflet s’allonge en nappe sanglante (un coin du Golfe Persique), et des montagnes, là-bas, qu’elle découpe en silhouette (cette grande chaîne qu’il nous faudra commencer de gravir demain). Sa lueur bienfaisante s’épand sur le désert, mettant fin à ces impossibilités de cauchemar, nous délivrant de la confusion inextricable ; nous indiquant les uns aux autres, personnages dessinés en noirâtre sur des sables clairs ; et surtout nous isolant, nous, groupes destinés à une même caravane, des autres groupes indifférens ou pillards qui stationnaient çà et là, et dont la présence nous inquiétait alentour..

Neuf heures et demie. Le vent s’apaise ; les nuages partout se déchirent, montrant les étoiles. Tout est empaqueté, chargé. Mes trois soldats sont en selle, tenant leurs longs fusils droits. On amène nos chevaux, nous montons aussi. Avec un ensemble joyeux de sonneries, ma caravane s’ébranle, en petite cohorte confuse, et pointe enfin dans une direction déterminée, à travers la plaine sans bornes.

Plaine de vase grise, qui tout de suite commence après les sables, plaine de vase séchée au soleil et criblée d’empreintes ; des traînées d’un gris plus pâle, faites à la longue par des piétinemens innombrables, sont les sentes qui nous guident et vont se perdre en avant dans l’infini.

Elle est en marche, ma caravane ! et c’est pour six heures de route, ce qui nous fera arriver à l’étape vers trois ou quatre heures du matin.

Malgré cette partance décourageante, qui semblait ne devoir aboutir jamais, elle est en marche, ma caravane, assez rapide, assez légère et aisée, h travers l’espace imprécis dont rien ne jalonne l’étendue...

Jamais encore je n’avais cheminé dans le désert en pleine nuit. Au Maroc, en Syrie, en Arabie, on campait toujours avant l’heure du Moghreb. Mais ici, le soleil est tellement meurtrier que ni les hommes ni les bêtes ne résisteraient à un trajet de plein jour : ces routes ne connaissent que la vie nocturne.

La lune monte dans le ciel, où de gros nuages, qui persistent encore, la font de temps à autre mystérieuse.

Escorte d’inconnus, silhouettes très persanes ; pour moi, visages nouveaux, costumes et harnais vus pour la première fois.

Avec un carillon d’harmonie monotone, nous progressons dans le désert : grosses cloches aux notes graves, suspendues sous le ventre des mules ; petites clochettes ou grelots, formant guirlande à leur cou. Et j’entends aussi des gens de ma suite qui chantent en voix haute de muezzin, tout doucement, comme s’ils rêvaient.

C’est devenu déjà une seule et même chose, ma caravane, un seul et même tout, qui parfois s’allonge à la file, s’espace démesurément sous la lune, dans l’infini gris ; mais qui d’instinct se resserre, se groupe à nouveau en une mêlée compacte, où les jambes se frôlent. Et on prend confiance dans cette cohésion instinctive, on en vient peu à peu à laisser les bêtes cheminer comme elles l’entendent.

Le ciel de plus en plus se dégage ; avec la rapidité propre h de tels climats, ces nuées, là-haut, qui semblaient si lourdes achèvent de s’évaporer sans pluie. Et la pleine l’une maintenant resplendit, superbe et seule dans le vide ; toute la chaude atmosphère est imprégnée de rayons, toute l’étendue visible est inondée de clarté blanche.

Il arrive bien de temps à autre qu’une mule fantaisiste s’éloigne sournoisement, pointe, on ne sait pourquoi, dans une direction oblique ; mais elle est très facile à distinguer, se détachant en noir, avec sa charge qui lui fait un gros dos bossu, au milieu de ces lointains lisses et clairs, où ne tranche ni un rocher ni une touffe d’herbe ; un de nos hommes court après et la ramène, en poussant ce long beuglement à bouche close, qui est ici le cri de rappel des muletiers.
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