Murphy. Un drôle de truc, soyez-en sûrs.
Samuel Beckett, dans la droite ligne de
James Joyce, mais tout de même un tant soit peu plus lisible nous dresse le portrait d'un magnifique inadapté (ou le portrait magnifique d'un inadapté ou l'inadapté portrait d'un magnifique ou le magnifique inadapté d'un portrait, comme vous voudrez).
Murphy est, comme son nom l'indique, irlandais. Mais, à vrai dire, on s'en fiche un peu car là n'est
pas l'essentiel. Qu'est-ce qui est essentiel ? Rien, probablement.
Pas toujours facile de comprendre ce qu'a voulu exprimer l'auteur. Selon moi, mais c'est très sujet à caution, ce roman est une variation sur le thème de l'absurdité de la vie.
Murphy ne trouve
pas sa place dans le monde. Alors il végète, en proie à sa propre rêverie, au fond d'un rocking-chair à longueur de journée. Il a beaucoup de traits autistiques.
Les jours s'égrainent pour lui, dans un logement qui en est à peine un, dans un immeuble destiné à la destruction.
Il a des amis qui n'en sont
pas.
Il rencontre une femme avec laquelle il a une liaison qui n'en est
pas une. La femme en question, Célia, dont on comprend qu'elle est prostituée, le pousse à chercher du travail.
Quête longue et fastidieuse pour qui n'a
pas envie d'en chercher ni d'occuper une quelconque fonction.
Jusqu'au jour où, — révélation pour
Murphy — un inconnu lui propose de le remplacer dans un asile psychiatrique.
Murphy, sans rien comprendre à sa fonction, se sent transfiguré par le côtoiement de ces êtres dérangés mentaux. Il se sent une communauté d'appartenance avec eux bien plus grande qu'avec quiconque auparavant.
Notamment l'un d'eux, Monsieur Endon, avec lequel il entretient une relation de non amitié autour d'un échiquier qu'ils ne fréquentent jamais tous deux au même moment.
Ils se non opposent l'un et l'autre lors de non parties, en déplaçant des pièces sans jamais en prendre une à l'autre, juste pour le plaisir poétique du mouvement de pièces sur l'échiquier.
Vous pouvez vous faire une idée de l'une de ces non parties, décrite précisément dans le roman en appuyant sur "play" dans le lien suivant :
http://www.redhotpawn.com/gameanalysis/boardhistory.php?gameid=3007756
La symbolique de la partie d'échec semble prépondérante en représentant la vie et son non sens. Les gens naissent, se meuvent, gagnent ou perdent et finalement, tout cela ne rime à rien puisque la fin est déjà connue, l'inéluctable mort.
La symbolique de la folie et de l'inutilité de toute chose vont dans le même sens : la vie est une folie, inutile par essence.
Je ne vous dis rien du dénouement et j'en viens plutôt au chapitre du style.
Très irrégulier. Parfois des flamboyances sensationnelles, parfois des engluements " joycesques ". (Pour ceux qui ont lu du Joyce version
Ulysse ou
Finnegans wake, cet adjectif évoquera sûrement des souvenirs non anodins, pour les autres, figurez-vous une sorte de mélasse, de la poix plein les mains ou bien un très long écheveau totalement indémêlable, même avec la meilleure volonté.)
J'ai pris grand plaisir à la lecture par moments, me suis totalement ennuyée à d'autres, d'où cette impression finale mitigée qui ne signifie
pas grand-chose. À vous de voir si vous vous laisserez davantage séduire par les fulgurances que rebuter par les
passages chaotiques.