Il y a toujours un égarement qui s'opère lorsque je prends en main un roman de
Gisèle Bienne,
L'homme-frère n'a pas échappé à cette règle, j'ai même posé ce livre pour échapper à cette fuite, me laissant guidé par l'évasion du passé.
Gisèle Bienne a cette magie prosaïque de me faire voyager dans cette plaine stoïque au temps, une intemporalité qui me berce depuis ma tendre enfance. Nous sommes tous prisonnier à une enfance, elle nous poursuit, nous caresse, nous enveloppe, nous guide, nous marque au fer rouge de son empreinte, comme pour notre auteure,
Marie-salope sera son premier roman, où s'échappera les premières effluves de cette enfance, un pavé dans la marre qui éclabousse certaines âmes, comme ceux cachés derrière leur vitres à épier, d'autres sans gêne, crachant leur venin lors d'un enterrement et certains proches ne l'acceptant pas. L'écriture reflète l'âme, comme celle de
Gisèle Bienne avec La Brulure, une continuité de son oeuvre sur les fantômes du passé,
La malchimie, un livre bouleversant sur son frère, complète cette composition que j'ai eu le plaisir de lire. Mais
Gisèle Bienne ouvre les portes de son univers à d'autres histoires, comme ces livres pour la jeunesse,
il y a des petites touches autobiographiques comme Les champions, écho à son jeune frère, mais d'autres comme
La Chasse à l'enfant que j'ai lu, il me reste encore beaucoup à découvrir de cette auteure, ce lien m'ouvrant des portes d'un passé qui ne m'appartient pas.
Cette sensibilité innée pour la nature, les paysages et les lieux exhalent le roman
L'homme-frère, c'est une pièce de plus dans le puzzle de la vie de
Gisèle Bienne à travers cet écrit. La plaine est l'héroïne malgré elle de cette trame où la craie de son empreinte blanche et poussiéreuse enveloppe la destinée de cette famille, perdue dans la plaine, « au milieu de nulle part », « un point dans la diagonale du vide ». Ce paysage plat de la Champagne sera le lyrisme romanesque de ce livre, jonché ci et là de références littéraires chères à notre romancière. Les paysages de l'enfance de la narratrice fleurissent tout au long du roman, comme ce jardin qu'elle façonne de ces mains, elle se sent guidée par les morts, son frère l'aide, d'ailleurs l'un et l'autre, ne peuvent pas ne pas s'aider, elle oeuvre ce jardin comme une histoire qu'elle écrit sur le sable, ou un dessin à même le sol. Cette jeune fille aime la terre, celle que son père lui narre, ces paysages et ces transformations aussi, elle n'a pas peur de se salir, ce qui donnera le titre de son premier roman,
Marie-salope. Cette plaine, déjà dans le ventre de sa mère, sera « le grand large », comme « second ventre extensible »,
Gisèle Bienne semble appartenir à cette plaine depuis toujours, même à travers ces ancêtres qui peuplent son âme comme une évidence. J'admire cette façon de ressentir les émotions que nous aspire ce paysage si plat que Brel chanta avec virtuosité,
Gisèle Bienne le citera, elle a cette beauté lyrique de nous décrire ces émotions face à cette étendue, comme cet orage , un jour d'été, au mois de Juillet, déchirant le ciel, couchant les blés, devenant dans
les mots de cette jeune fille un « Moment historique », gravant à jamais cet instant dans la mémoire du frère et de le soeur, ce couple inséparable, car les lien du sang et des instant vécus ne s'effacent pas , Gisèle les couche dans ces romans comme,
La malchimie, hommage à ce frère qui lui manque temps. Cette plaine traverse la mémoire picturale de
Gisèle Bienne, invitant Chagall et
Van Gogh, l'un avec l'architecture de cette Église, trônant de son piédestal sur ce village de son enfance, l'autre avec les champs de blé sous un ciel foncé, qu'il nomma « Champ de blé aux corbeaux ». La nuit semble ressembler à des tableaux Flamands lorsqu'elle scrute cette pénombre et, cette atmosphère lui rappelle celle des livres de
Faulkner. Avec ce frère, elle va de ballade en promenade, de jeu, d'amusements sillonner cet « infini » et « énigme », de leur perchoir « du colombier sans colombes », admirer cette étendue de « leur regard d'oiseau » et percevoir cet océan et ce continent, cet infini que
Gisèle Bienne fuira pour une tour Rémoise. Cette plaine sera son berceau, mais aussi son havre de paix amoureux, avec son mari et sa moto , habitant une maison au coeur de cette craie, s'enivrant de ces routes sur ce bolide , pour des échappées belles , devenant des motards vagabonds, allant pour leur voyage de noce dans la Champagne Pouilleuse, découvrir ces vestiges sanglants de la grande guerre, où
Guillaume Apollinaire récite dans le creux de l'oreille de Gisèle des vers de
Lettres à Lou et Lettres à sa marraine.
Il y a aussi
les mots, ceux qui viennent des autres, des lectures que notre auteure glane au fil de sa jeunesse, cachant ces livres dans les sacs de blé, dévorant
François Mauriac, lisant
Hervé Bazin et son
Vipère au poing, puis
Sartre,
Simone de Beauvoir, Céline vont nourrir cette appétence pour la lecture, d'autres suivront encore et encore, cette nourriture essentielle, ( pas pour le Macronisme lors de cette crise pandémique politique ).
Bertolt Brecht, avec sa pièce
le Cercle de craie caucasien (Der kaukasische Kreidekreis), que lit notre narratrice en allemand se promène au fil de la lecture, avec ce cercle de craie, symbole de justice, avec ce juge donnant l'enfant à la mére adoptive, celle qui l'aime, ce cercle sera cette justice que mène
Gisèle Bienne, ce cercle est l'amour qui sommeille en elle, qu'elle donne à son frère, ce cercle se transpose aussi dans le cercle familiale, dans cette craie de la plaine et cette liberté de se construire seul. Mais cela est une aventure plus personnelle, que je laisse découvrir au lecteur.
Comme cette jeune fille Sandra, que
Gisèle Bienne aide dans son atelier d'écriture, c'est une femme de 26 ans qui brille de sa sauvagerie, son être est torturé par sa maladie mentale, cette schizophrénie bruyante, elle devient l'objet de ces acouphènes, Sandra est la marionnette des autres, c'est un ange blond, un amour de Maryline, elle désire de l'amour, des cadeaux, elle est naïve, elle a ce don d'écrire, d'écriture, sa prose est hypnotique, j'ai presque cette faiblesse de vouloir avoir son génie, cette façon de coucher
les mots tous les jours, d'écrire des lettres, d'avoir toujours des mots à noircir sur ces cahiers mais elle aime aussi dessiner, son coup trait crayon est juste, ses dessins ont la force de sa faiblesse, elle dérive, elle est sous cachets, elle se perd, elle est prisonnière d'un cercle qui la brule , elle sera encore internée, elle aura le miaulement qui fera jaillir une larme à sa professeur d'écriture, sa beauté ne sera plus, les cachets auront ce poids de la faire grossir , de la tailler dans un bloc, elle disparait petit à petit dans l'oubli, celle de la vie, Sandra mériterai presque un roman à elle , ou pour elle, je finirai par cette phrase si triste sur ce personnage « Elle écrit si bien qu'elle ne pourra pas ne pas aller mieux. »
La magie de l'écriture est cette façon d'entremêler
l'imaginaire et la réalité, de puiser dans ses souvenirs et de les faire vivre à nouveau dans la prosaïque, cet enchantement du tableau noircit par
les mots de l'auteur que le lecteur regarde des yeux, dévore du regard, les phrases s'envolent dans son imaginaire pour former une vie nouvelle, la lecture est une vraie sorcellerie de plaisir et de voyage,
Gisèle Bienne réussit à chaque fois à faire de mon être un voyageur du temps retrouvé. Lorsque l'enfance berce une mélancolie douce et mélancolique, un air fige le temps et l'espace tel
Proust et A la recherche du temps perdu, ce larsen fissure le présent pour vous transporter dans ce passé qui ne vous appartient pas, il devient l'essence même de votre chair, comme un jardin que l'on cultive et chérit avec amour pour ne pas oublier ce terroir qui vous habite comme le fait
Gisèle Bienne.