Une fois refermé, ce livre m'évoque les livres "pop-up". Vous savez, ces architectures de papier qui s'ouvrent et se déplient pour vous laisser admiratif.
C'est dire s'il m'a laissé bien des étoiles dans les yeux et les pensées...
Là, à l'image de ces découpages de papier ciselés, ce sont les phrases, les mots qui se déplient, s'étalent, se déroulent pour narrer l'histoire d'une famille, les Marro et faire en ombre, le récit de l'Histoire avec un grand H, comme un horizon, un paysage pour y laisser s'animer ces vies.
A travers la rencontre de Jean Marro dans les années soixante, les souvenirs de la famille évoqués font se rembobiner le temps et font revivre ces destinées qui ont traversé les mers et les océans, pour s'établir à l'île Maurice ou en Malaisie et pour en être chassées par la ruine.
De la Révolution française, de Valmy, des sols détrempés des forêts d'Argonne aux rives de l'Isle de France - ainsi qu'on appelait l'Ile Maurice jusqu'en 1814, de la Bretagne tout en misère des temps du soulèvement révolutionnaire et se remémorant la perte de l'indépendance de cette région au milieu qu XVIième siècle, des années soixante en métropole à
la guerre d'Algérie et ses questionnements humains, de la contestation de Mai 68 à la Révolution en reflet de la même année au Mexique, des rêves de Liberté à la condition des esclaves, de leur affranchissement aux pas en arrière de ceux qui gouvernent qui les font redevenir des être entravés, dans une écriture riche et enveloppante dont on se détache difficilement, dans une course effrénée derrière le temps qui s'enfuit et les existences qui s'écrivent dans le trop éphémère,
J.M.G. le Clézio convie à rencontrer tous ces êtres bousculés par
L Histoire, se croyant libres, pour être de nouveau enfermés ou asservis, rêvant de domaines et plus encore de vies en accord avec les principes d'équité quand ils sont spoliés par plus roués et moins intègres qu'eux. Autant de voix qui s'élèvent pour raconter ces enfilades d'époques, pour raviver telle ou telle existence.
Venez, approchez-vous, et écoutez la grand-tante, Catherine, faisant revivre ses souvenirs pour Jean, qui invite à pénétrer les allées de Rozilis, la propriété tant aimée et perdue, dans ces paysages luxuriants et sonores des bruits d'oiseaux, dans le chatoiement arc-en-ciel des plumages, pour rencontrer cette famille.
C'est encore elle, Catherine, digne et intimidante, vulnérable et fragile, dont les propos jalonnent le récit et qui, ainsi, guide à travers les terres, à travers les eaux, à travers
L Histoire, dépliant un récit envoûtant autant qu'enrichissant pour redonner vie à une famille et aux époques traversées. Venez écouter le murmure des îles et humer la senteur vanillée du thé...
Un livre captivant, tout à la fois terriblement sonore et olfactif qui donne envie de suivre Jean Marro et de retourner sur les traces de ses ancêtres, découvrir les lieux et toucher
L Histoire qui palpite dans toutes ces vies croisées. Et de retourner très vite vers la très belle écriture de
J.M.G. le Clézio…
« Sur les photos ces gens paraissaient invincibles, indéracinables, par la force qui les unissait les uns aux autres ; pourtant, si on regardait bien, on percevait un petit frisson, un tremblement léger, parce que c'est l'éternité qui est fragile, pas la vie. »