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EAN : 9782845972308
207 pages
Textuel (20/09/2007)
4/5   4 notes
Résumé :

Lilian Mathieu rend compte ici de plus de dix ans d'étude attentive de cet univers particulier qu'est la prostitution. Les logiques d'entrée dans le monde du trottoir, les modes d'exercice de la sexualité vénale, les conditions de vie - ou, le plus souvent, de survie - des femmes et hommes prostitués, les raisons pour lesquelles elles et ils se maintiennent sur le trottoir, leur rapport au monde du travail " normal "... sont ici a... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Fruits d'études et d'enquêtes longues sur la prostitution, le livre de Lilian Mathieu n'est pas seulement un ouvrage de plus sur la condition prostituée. L'auteur confronte les réalités étudiées à la vision souvent misérabiliste d'une partie des abolitionnistes, tout en décrivant la dérive d'utilisation du terme (de l'abolition de la réglementation à l'abolition de la prostitution). Il montre aussi les « ambiguïtés » et les « non-dit » des nouvelles politiques de réglementation.

« La prostitution – c'est la thèse centrale de ce livre – trouve sa place au coeur de la question sociale, et plus précisément à l'entrecroisement des problématiques de la sexualité et de la précarité »

Après une introduction méthodologique, à mes yeux, inutilement polémique car ne s'appuyant pas sur les larges plages d'accords avec, entre autres, Richard Poulin (sur la suppression de toutes les brimades et pénalités envers les prostitué-e-s et l'insistance de cet auteur, sur le droit fondamental de ne pas être prostitué-e-s), l'auteur analyse l'espace de la prostitution puis la place de la violence dans le monde de la prostitution.

Il insiste particulièrement sur la légitimité des revendications d'accès aux droits sociaux qu'expriment les prostitué-e-s. L'univers de la prostitution est violent, les agressions y sont fréquentes. L'auteur décrit les moyens déployés par les unes et les autres pour éviter et contrer ces violences. Faut-il le rappeler les prostitué-e-s ne sont pas des personnes passives dans leur mode de vie.

Dans le chapitre le plus emblématique « La prostitution, zone de vulnérabilité sociale », Lilian Mathieu explicite la notion de « désaffiliation » empruntée à Robert Castel. Il nous rappelle que « l'entrée dans la prostitution n'est jamais le fruit d'une décision pleinement libre, mais relève toujours d'une forme de contrainte » que s'engager dans cette activité est « une forme d'adaptation à une situation marquée par la détresse, le manque ou la violence ».

Il énumère un certain nombre de propositions, de politiques non exclusivement en direction des prostitué-e-s, mais qui « s'inscrivent dans une politique sociale globale et volontariste dont elles et ils seraient bénéficiaires au même titre que d'autres catégories de précaires (ce qui évite le risque d'étiquetage inhérent à toute politique spécialisée) » dont l'abrogation de la loi sur la toxicomanie de décembre 1970, la rupture avec les loi répressives sur l'immigration, le RMI accessible aux moins de 25 ans…

Le chapitre cinq traite des politiques de la prostitution, du réglementarisme et de l'abolitionnisme. Enfin, le dernier chapitre du livre revient sur les différences dans les relations entre prostituées et féministes en 1975 et en 2002 et l'incapacité d'agir aujourd'hui ensemble, au delà des positionnements divergents, pour refuser les politiques répressives.

La perspective de « désafiliation” » ne renvoie pas aux seules conditions économiques se jouant dans l'accès au travail et à ses protections, mais plus généralement à l'intégration sociale Néanmoins, il me semble que placer l'activité prostitutionnelle au coeur de la question sociale, implique aussi de prendre plus généralement en compte les effets de la division sexuelle du travail, les rapports entre les classes et entre les sexes. La prostitution ne peut être abordée hors cadre de la domination et de l'oppression spécifique des femmes. de ce point de vue, la question des clients, essentiellement des hommes, ne peut-être considérée comme secondaire. Leur absence, dans le livre, me semble révélatrice des limites de l'ouvrage. Sans compter les réflexions nécessaires sur la place du pouvoir dans les relations sexuelles et sur la castration sociale que révèle une sexualité « vénale » réduite à des pratiques « mécaniques » (pénétrations, fellations, etc.).

Ces critiques énoncées, il convient néanmoins de donner raison à Lilian Mathieu pour son insistance à monter l'inconséquence et la stérilité de bien des termes actuels du débat entre reconnaissance et abolition de la prostitution, surtout en absence de réponses pratiques à la situation des prostitué-e-s.

Ce qui n'interdit cependant pas d'avoir une position politique sur la prostitution comme sur l'exploitation et les oppressions. de ce point de vue le dossier Rouge « Prostitution : (s')en sortir » montre qu'il est possible de défendre à la fois des droits pour les prostitué-e-s et des positions féministes. Des lectures à compléter par deux ouvrages récents écrit ou coordonné par Richard Poulin.
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La prostitution ne s'est constitué en « problème social » qu'à l'issu d'un long processus historique. On peut distinguer deux types de conceptions de la prostitution en France :
— Une approche abolitionniste qui considère la prostitution comme une forme d'exploitation et d'atteinte à la dignité humaine. Les prostituées sont alors considérées comme des victimes et il s'agit de punir les proxénètes et, parfois, les clients. Précisons bien : par « abolition » il ne faut pas entendre abolition de la prostitution (même si, à terme, c'est l'effet recherché) mais abolition de la réglementation autour de la prostitution. L'Etat se refuse à organiser de quelque manière que ce soit l'activité des prostituées.
— Une approche règlementariste qui considère la prostitution comme une activité « normale », au sens de similaire aux autres activités marchandes. On appelle alors les prostituées « travailleuses du sexe ». Il s'agit alors de contrôler leur activité à travers une réglementation spécifique.
Officiellement la France est aujourd'hui un pays abolitionniste. Il interdit la constitution de maison close, ou même de louer en local en vue d'une activité prostitutionnelle, et réprime le racolage. Pourtant la France traine derrière elle une longue tradition règlementariste dont elle n'a pas tout oublié. C'est ce qui fait que, juridiquement, la prostitution est dans un statut intermédiaire : elle n'est pas punissable en tant que telle mais constitue un préalable à plusieurs délits (racolage, proxénétisme). En outre, l'Etat prélève une partie des bénéfices de la prostitution sous le régime des « bénéfices non commerciaux ».
Cette situation ambiguë (ni vraiment autorisée, ni vraiment interdite) font dire à certains analystes que la prostitution en France serait une profession libérale interdite de toute publicité, de démarchage et même de lieu d'exercice. Avec une particularité forte cependant note Lilian Mathieu : les prostituées sont avant tout des « désaffilié-es » — il emprunte ce concept à Robert Castel.
L'auteur de la Condition prostituée nous dépend un milieu social marqué par une grande hétérogénéité de statuts. Dés lors les discours sur la prostitution échappent rarement à un écueil courant lorsque l'on parle de groupes dominés : l'essentialisation. La parole n'est jamais donnée aux premiers et premières concerné-es ; au contraire est posé sur eux un regard empreint d'idéologie, duquel en ressort une image déformée mais conforme aux attentes des groupes qui ont la parole. En effet, les abolitionnistes ne voient que victimes aliénées quand les réglementaristes voient travailleuses libres et affranchies.
Bien qu'opposées sur le fond, les représentations abolitionnistes et règlementaristes se rejoignent alors dans une certaine négation de la diversité des situations des prostituées, ainsi que dans le mépris qu'ils entretiennent à l'égard d'une partie des prostituées (celles « libres » ou forcées, selon le camp) qui font le choix de témoigner voire militer.
Dans La Condition prostituée, Lilian Mathieu reproche aux deux courants d'avoir une « vision atemporelle » de la prostitution et ainsi de ne débattre qu'à partir de visions fantasmées ou littéraires des prostituées, sans jamais se soucier vraiment des conditions concrètes d'exercice de cette activité. D'un coté une vision misérabiliste, de l'autre une vision populiste de la prostitution : les deux loupent ensemble, selon l'auteur, leur objet.
Cela nous amène à la formulation d'un paradoxe : abolitionnistes et règlementaristes se réclament tous deux d'une lutte féministe et se mobilisent dans le débat public pour défendre la « dignité des femmes » et/ou des prostituées ; ils confisquent pourtant la parole à ces personnes qu'ils prétendent protéger et décident à leur place ce qui est bien pour eux, sans jamais se pencher sur la réalité (ou plutôt les réalités) de la « condition prostituée ».
Pour surmonter ce paradoxe, nous dit Mathieu, il faut envisager les discours sur la prostitution dans un cadre plus large : celui d'une guerre contre la pauvreté qui prend bien souvent des accents de guerre contre les pauvres. Dans cette optique, le fait que la loi sur le racolage passif fasse partie de la loi dite Sarkozy de 2003 – qui vise tout à la fois la petite délinquance, la mendicité et les gens du voyage – est significatif : on assiste bel et bien à une entreprise de criminalisation de la pauvreté1 qui prend le doux nom de « tolérance zéro ».
Ouvrage très intéressant qui permet de prendre un recul salvateur sur la question de la prostitution, La Condition prostituée a quand même un petit défaut : l'auteur semble sans cesse se placer dans une position volontairement polémiste, et un peu stérile, en plaçant dos à dos les abolitionnistes et les règlementaristes.
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
La prostitution – c’est la thèse centrale de ce livre – trouve sa place au cœur de la question sociale, et plus précisément à l’entrecroisement des problématiques de la sexualité et de la précarité
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l’entrée dans la prostitution n’est jamais le fruit d’une décision pleinement libre, mais relève toujours d’une forme de contrainte
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Les prostituées forment l'unique prolétariat dont la condition émeut autant la bourgeoisie.
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