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France Camus-Pichon (Traducteur)
EAN : 9782070130818
400 pages
Gallimard (10/03/2011)
3.4/5   313 notes
Résumé :
Michael Beard aurait tout de l’antihéros pathétique (boulimique, chauve, bedonnant, il est proche de la soixantaine et son cinquième mariage est sur le déclin) s’il ne s’était vu décerner le Prix Nobel de physique.
Croyant que son heure de gloire est derrière lui, il végète en faisant de vagues recherches sur les énergies renouvelables, et c’est par ailleurs un coureur de jupons invétéré. Mais voilà qu’il rencontre un étudiant, Tom Aldous, qui prétend avoir t... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (61) Voir plus Ajouter une critique
3,4

sur 313 notes
On dit d'une personne qu'elle est solaire lorsqu'elle est charismatique, qu'elle rayonne.
Michael Beard, le personnage principal de cette histoire, est tout …sauf solaire.

La cinquantaine, petit, bedonnant, dégarni, collectionnant les conquêtes rien que pour son propre plaisir, en passe de divorcer pour la 5e fois, et jaloux qui plus est, Beard, pour moi, est un minus.
Scientifique ayant obtenu le prix Nobel lorsqu'il était jeune, il ne se contente plus que d'aller de conférence en conférence, de donner des poignées de main, de faire semblant de s'intéresser aux jeunes pleins d'enthousiasme et de créativité sous sa tutelle, dans le centre créé à Reading.
Un de ces jeunes lui voue une admiration sans bornes, et lui explique une technique qui pourrait être révolutionnaire. Cet Aldous connaitra un accident malencontreux, enfin, ça dépend pour qui…

Vous l'avez compris, c'est un anti-héros que Ian Mc Ewan a mis en scène dans ce roman, « Solaire ».
Vous aurez donc compris aussi que « solaire » désignera une autre réalité que la personnalité de ce personnage odieux.
Comme c'est un scientifique, c'est du côté du photovoltaïque que l'on va se tourner. L'énergie solaire, eh oui, montre le bout de son nez, si j'ose dire, en ce début du 20e siècle.
L'écologie, le réchauffement climatique, la Terre en danger : tout ceci est abordé dans ses prémices, mais tout ceci est galvaudé par le caractère douteux de Michael Beard.

Ce roman ne m'a pas passionnée. Je sortais des « Relations d'incertitude » d'Elisa Brune qui expliquait avec brio un aspect de la science, la physique quantique. Ici, je suis tombée de haut. Bien sûr, l'humour british éclate de temps en temps, bien sûr la psychologie est fouillée, mais je n'ai pas retrouvé le brio de l'auteur de « L'intérêt de l'enfant » ou « Sur la plage de Chesil ». Je n'ai pas retrouvé non plus de ligne directrice forte, il m'a semblé que l'auteur touchait à tout.
Et la fin, parlons-en de la fin : trop chargée, et en même temps frustrante.

Bref, oui à l'énergie solaire, non à Michael Beard, ni oui ni non à « Solaire ».
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C'est à la dérive d'un incontinent en devenir, que nous fait assister Ian McEwan à travers les atermoiements d'un cynique -divorcé cinq fois, le compte est bon-, égocentrique et attiré par la lumière que lui vaut un prix Nobel obtenu par les efforts fournis dans un temps où il avait Milton pour plaire. Obtenu par défaut, aussi. Le personnage qu'est Michael Beard prend en épaisseur et en densité au fil du récit, pour son malheur, et pour notre plaisir subversif, il n'a de trajectoire ascendante que sa courbe de poids corrélée à son infatuation. Ce portrait de scientifique sur le retour, cette photo, synthèse de la pensée d'un homme chérissant son moi bien plus que son chez soi, serait pénible, désagréable, insupportable même s'il n'émanait d'un Anglais, s'il n'était émaillé de cet humour désabusé, distant et distingué. Un humour inimitable à cent lieues de la question que je vous pose, mais pourquoi ce titre : Solaire si le héro n'est pas une crème ?

Avec un talent fou, l'auteur arrive à faire rentrer plus de choses dans ce roman que ne le ferait n'importe laquelle des conquêtes de notre boulimique physicien maître es-séduction dans un sac à main. Les nombreuses digressions sont très savoureuses et malgré cela vous ne prendrez pas un gramme. Et si Micheal Beard donne l'impression de vouloir prendre toute la place, le lecteur assiste néanmoins ébahi à une série de tableaux hauts en couleurs -Ah, voir l'entropie à l’œuvre dans le vestiaire, quel moment d'anthologie !- et découvre une brochette de seconds rôles plus appétissants que des mannequins dans un défilé de lingerie fine. Ah cette physicienne féministe, ah ces manifestants bien pensants et haineux, ces journalistes de tabloïds, ces artistes en Arctique, ces futurs docteurs en physique, ces représentants de fonds de placement. Les femmes, les amantes. Et puis, c'est l' plombier qui fini à l'ombre, alors pourquoi ce titre : Solaire ?

Voilà donc un personnage narcissique, opportuniste sans états d'âme, propension marquée à l'alcoolisme, plutôt lâche, physique ingrat qui se traîne dans un livre qui n'est ni un polard noir, ni une tragédie, ni une comédie, ni non plus une pièce de boulevard, ni une thèse de doctorat, ni un conte. Mais faut-il être beau et honnête pour sauver le monde ? La route de l'enfer n'est-elle pas pavée de bonnes intentions ? Et si un égoïste n'agissant que pour satisfaire son ego surdimensionné finissait par faire le plus de bien à la planète ? Et au concours du plus gros menteur, qui gagne finalement ? Qu'est-ce donc pour un livre qui contient aussi une part de philosophie ? Désolé, zéro, pour celui ou celle qui vient de répondre : un sac à main. Il, elle peut commencer de suite la lecture du bouquin, notez c'est une récompense pour avoir suivi et participé. Mais, zéro quand même. Pour le livre, je relève la note, je mets 4/5.

Revenons à la question initiale ; mais pourquoi ce titre : Solaire si le héro n'est pas une crème ?
(C'est un comique de répétition pas de l'humour anglais ; la crème, par contre, pourrait l'être)
1. Micheal Beard a besoin du soleil pour son propre rayonnement.
2. Sans soleil Narcisse ne sait pas se mirer dans l'eau.
3. Il faut du soleil pour la photosynthèse (si j'en ai parlé, relisez vos notes)
4. Micheal Beard va mourir d'un cancer de la peau. (non ce n'est pas un spoiler, c'est une hypothèse, d'où l'importance de la crème dans cette question)
5. All of the above (bien oui, un peu d'anglais tout de même, pour saluer Ian McEwan)
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Michael Beard a atteint une cinquantaine plus que mûre. Il est chauve, rondouillard, dénué de toute séduction et, au moral, il ne vaut guère mieux. Mais il a dans le temps obtenu le prix Nobel de physique ; depuis lors il se repose sur ses lauriers et recycle indéfiniment la même conférence, se faisant payer des honoraires exorbitants. En même temps, il soutient sans trop y croire un projet gouvernemental à propos du réchauffement climatique. Quant à sa vie privée, elle aussi laisse à désirer. En coureur de jupons invétéré, Beard voit sa cinquième femme lui échapper. Alors qu'il ne croyait plus se soucier d'elle, le voilà dévoré de jalousie.
Bientôt, à la faveur d'un accident, il pense trouver le moyen de surmonter ses ennuis, relancer sa carrière, tout en sauvant la planète d'un désastre climatique. Il va repartir de par le monde, à commencer par le pôle Nord…
À travers les mésaventures de ce prédateur narcissique, incapable de se contraindre, Ian McEwan traite des problèmes les plus actuels. Et sur ces sujets très sérieux, il parvient à nous fait rire. Voici peut-être le roman le plus comique, le plus intelligent, le plus narquois de cet auteur, l'un des plus grands en Angleterre aujourd'hui." (Synopsis Folio)


"Un seul photon frappant un semi-conducteur libère un électron : ainsi naît l'électricité, tout simplement, du seul rayonnement solaire. C'est le Photovoltaïque. Einstein l'a décrit et a reçu le Nobel. Si je croyais en Dieu, je dirais qu'il s'agit du plus beau cadeau qu'il nous ait fait. Comme je suis athée, je rends grâce aux lois de la physique!" (page 219-220.)

J'ai mis quelques pages à entrer dans le vif du sujet.
Puis, j'ai compris : Je vais suivre une espèce de héros, Michael Beard, prix Nobel, qui aime les femmes et qui ne ressemble à rien!!!!
Les pages défilantes, je me rends compte qu'il n'a pas vraiment le profil d'un héros de roman.
Il vit la fin de son cinquième mariage, la cinquantaine bedonnante et sa femme Patrice (j'ai mis du temps à comprendre que c'était une femme), le trompe avec Tarquin, le maçon qui a rénové leur salle de bains.Beard, lui, ne peut s'empêcher d'inviter les femmes qu'il croise à dîner.
Il commence un projet ,avec le Centre,un "établissement de recherche fondamentale", sur les énergies renouvelables car le réchauffement climatique est sa principale préoccupation. Il commence à travailler avec Tom Aldous qui a le projet d'une éolienne particulière;
Beard est invité à partir sur un bateau au pôle nord avec des artistes concernés par le réchauffement climatique.
A partir de ce fait, le roman prend son sens.
Beard nous fait même sourire quand il raconte des faits assez cocasses que provoquent le froid à -26 degrés...Comme avoir envie de se soulager par cette température extérieure!!!! En revenant de cette expédition, il prend même la résolution de se mettre au régime et de faire du sport!!!
Beard est très cru dans sa façon de parler, de penser et ne cache rien au lecteur.
Il évoque presque sans cesse, en terme scientifique, la façon dont le soleil se transforme en énergie... On sent vraiment que le roman est axé physique, science, écologie, climat, énergie solaire!!! Mais pas seulement....
Les sentiments, me direz-vous??? Les femmes, même de vraies beautés l'aiment...Lui, se pose beaucoup de questions et ne tombe pas amoureux...
Les digressions sont très nombreuses et étoffent son histoire.
Il se retrouvera dans des situations très insolites et le lecteur sera témoin du déroulement des situations.

Le talent de Ian McEwan est de garder son lecteur assidu jusqu'à la fin sans que ces termes scientifiques soient trop pesants.
Je l'ai lu presque d'une traite et c'est ce que je conseille aux futurs lecteurs pour mieux apprécier l'histoire qui se déroule en trois parties: 2000-2005-2009.
C'est un roman atypique que mérite de détour... Cet anti-héros ne fait rien pour être attachant et pourtant, il est aimé...
La fin est même déroutante!!!
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Michael Beard est physicien, lauréat du Prix Nobel. C'est aussi un infatigable coureur de jupons et il en est déjà à son cinquième mariage.
Cette union suit pourtant le même chemin que les quatre autres et semble s'acheminer vers une fin certaine. Mais les choses sont différentes, cette fois. C'est Patrice, l'épouse de Beard, qui a un amant et Michael aime toujours sa femme.
Sur fond de réchauffement climatique, McEwan nous offre un roman tragi-comique, au personnage principal attachant malgré ses défauts.



McEwan mélange les genres dans ce roman qui a remporté le prix Wodehouse du roman de fiction humoristique en 2010. Car, pour une fois, j'ai ri aux larmes avec certains passages d'un récit de McEwan.

L'auteur reste d'abord fidèle à son style propre. Il développe une certaine analyse psychologique de Michael Beard grâce aux nombreuses introspections du personnage. Beard pense à sa vie privée, à son mariage qui part en vrille, aux aventures de son épouse. Il analyse sa vie professionnelle aussi et se rend compte qu'il n'atteindra plus jamais la même passion qu'avant, celle qui l'a conduit au Prix Nobel de physique.

Beard est un personnage "paumé" dans sa vie privée, mais aussi dans sa vie professionnelle. Il ne sait pas quoi faire pour reconquérir Patrice. Il se repose aussi sur le prestige de son Prix Nobel, qui lui permet au moins d'être respecté par les autres physiciens, mais il ne fait plus de recherches et semble peu au courant des dernières avancées de sa discipline.

Et le pire, c'est qu'il se rend compte que sa vie et que sa profession ne lui apportent aucune satisfaction. Mais, malgré cela, il ne fait pas grand chose pour changer cette situation. Il se laisse vivre et porter au gré du vent, jusqu'au moment où un dramatique accident va l'obliger à mettre de l'ordre dans sa vie, avant qu'elle ne lui file entre les doigts.

Mais McEwan fait aussi preuve de beaucoup d'humour dans ce roman. Les situations dans lesquelles Beard se retrouve plongé sont parfois tellement cocasses, qu'on a l'impression de se trouver plongé(e) dans un roman de David Lodge. Et même si cet humour et cette dérision envers ses personnages ne sont pas habituels chez McEwan, cela marche.

La réflexion sur le changement climatique est aussi bien présente dans le récit, même si la manière dont les différents personnages l'aborde n'est pas toujours géniale. Beard, peu convaincu au début, se lance dans la lutte contre le réchauffement parce qu'il y voit uniquement son intérêt professionnel. Et il essaye de convaincre de riches hommes d'affaires d'investir dans l'énergie solaire, afin d'en tirer le maximum de profit financier. Réactions décevantes, mais malheureusement très répandues. Les discours tenus par Beard lorsqu'il présente ses projets en matière de technologie photovoltaïques sont pourtant très convaincants et nous montrent à quel point il est important de faire quelque chose pour notre pauvre planète.

Solar m'a donc beaucoup plu. A la fois parce que McEwan y déploie tout son talent de romancier contemporain; mais aussi parce que le récit traite, sans en avoir l'air, d'une problématique climatique très intéressante. McEwan a d'ailleurs souvent cette "manie" de cacher une réflexion plus profonde que prévu dans ses romans. Une fois encore, il ne déroge pas à cette règle.

Un vrai coup de coeur!


Lu en anglais, édition Vintage Books.
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Ian McEwan, né en 1948 à Aldershot, est un romancier et scénariste britannique. Il a passé une grande partie de sa jeunesse en Extrême-Orient à Singapour, en Afrique du Nord (en Libye), et en Allemagne, où son père, officier écossais dans l'armée britannique, était en poste. Il a fait ses études à l'université du Sussex et l'université d'East Anglia, où il a été le premier diplômé du cours d'écriture créative créé par Malcolm Bradbury. Dès le début des années 1980, Ian McEwan s'impose sur la scène littéraire britannique et plusieurs de ses ouvrages ont été adaptés pour le cinéma. Son roman, Solaire, est paru en 2011.
Michael Beard, la cinquantaine, chauve et rondouillard à la moralité douteuse, a obtenu le prix Nobel de physique. Depuis lors il se repose sur ses lauriers et recycle indéfiniment la même conférence, se faisant payer des honoraires exorbitants. En même temps, il soutient sans trop y croire un projet gouvernemental à propos du réchauffement climatique. Quant à sa vie privée, elle aussi laisse à désirer. Coureur de jupons invétéré, Beard voit sa cinquième femme se venger en prenant un amant et le voilà dévoré de jalousie. Bientôt, à la faveur d'un accident, il pense trouver le moyen de surmonter ses ennuis et relancer sa carrière, tout en sauvant la planète d'un désastre climatique.
Si le titre du roman et son thème aborde le problème du réchauffement climatique, nous sommes loin de l'essai écologique ou du bouquin à thèse lourdingue, au contraire, ici tout n'est qu'humour et n'est guère loin d'un David Lodge, du moins est-ce à cet écrivain que j'ai pensé immédiatement durant les premières pages. Bien entendu il y a cet humour britannique fait de petites phrases ou remarques vachardes, lâchées comme si de rien n'était, mais Ian McEwan sait aussi utiliser le burlesque (le chapitre au Pôle Nord est une grosse rigolade), le vaudeville (le mari, la femme, l'amant et même le cadavre dans le salon !) ou le comique de répétition (analogie de scène entre Beard face à l'amant maçon et Beard face au passager du train avec le paquet de chips au vinaigre).
Nous sourions donc souvent et McEwan avec ce roman, prouve – pour ceux qui n'en seraient pas encore convaincus – qu'on peut rire de tout lorsque l'on sait y faire, car les thèmes abordés ici auraient aussi parfaitement convenu à un drame : les relations de couple qui se délitent, un homme qui ne veut pas d'enfant quand sa partenaire en veux un, l'amant décédé brutalement et un innocent accusé d'un crime qu'il n'a pas commis, des travaux scientifiques « empruntés » sans scrupules et un réchauffement climatique de plus en plus prégnant.
Un roman extrêmement agréable à lire, pour se détendre, à intercaler entre deux lectures plus complexes.
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Citations et extraits (49) Voir plus Ajouter une citation
Beard s'était surpris lui-même en se portant si vite volontaire pour un nouveau voyage en motoneige. La claustrophobie l'avait poussé dehors, ainsi que la lumière fauve baignant le fjord derrière les hublots de la salle à manger, et le fait qu'il était interdit d'aller où que ce soit sans guide armé d'une carabine. Il enfourcha la dernière motoneige et le groupe partit vers l'est en file indienne, s'enfonçant à l'intérieur du fjord. Ç'aurait d^^u être amusant, de dévaler ce large couloir de glace et de neige entre deux chaînes de montagnes aux flancs abrupts. Mais le vent transperçait à nouveau toutes ses épaisseurs de vêtements, ses lunettes s'embuèrent et se couvrirent de givre en quelques minutes, et il ne distingua plus que la masse grisâtre de la motoneige devant lui. Il roulait dans le sillage de six pots d'échappement. Pendant dix kilomètres Jan leur imposa une vitesse démente. Là où la neige avait été balayée par le vent, la surface du fjord ressemblait à de la tôle ondulée sur laquelle les engins rebondissaient avec fracas.
   Vingt minutes plus tard, ils se tenaient dans un silence soudain à cent mètres de l'extrémité du glacier, mur bleu et déchiqueté qui barrait la vallée sur quinze kilomètres. On aurait dit une ville en ruine, crasseuse et dépravée, pleine de décombres, de tours détruites, de brèches géantes. À moins vingt-huit, expliqua Jan, il faisait trop froid ce jour là pour voir des blocs se détacher, signe de la fonte des glaciers. Ils passèrent une heure à prendre des photos et à marcher de long en large. Quelqu'un découvrit une empreinte dans la neige. Ils firent cercle autour d'elle, puis reculèrent pour permettre à leur guide avec sa carabine en bandoulière de prouver ses compétences. Une empreint d'ours blanc, bien sûr, et de fraîche date. La couche de neige étant fine à cet endroit-là, il fut difficile d'en trouver une autre. Jan inspecta l'horizon avec ses jumelles.
   "Ah, dit-il calmement. On va devoir rentrer".
   Il désigna un point au loin, mais ils ne virent rien. Quand le point se mit à bouger, en revanche, les choses furent claires. À un kilomètre et demi environ, un ours se dirigeait lentement vers eux.
   "Il a faim, précisa Jan avec indulgence. Il est temps de remonter sur les motoneiges."
   Même avec la perspective d'être dévorés vivants, ils gardèrent leur dignité et coururent mollement vers leur machine. En atteignant la sienne, Beard savait ce qui l'attendait. Tout dans ce voyage conspirait contre lui. Pourquoi la chance tournerait-elle en sa faveur ?Il appuya sur le démarreur. Rien. Très bien. Que ses sinus soient brûlés jusqu'à l'os. Il réessaya, encore et encore. Autour de lui des nuages de fumée bleue et des vrombissements stridents, enfin l'expression adéquate d'une terreur panique. Une moitié du groupe fonçait déjà vers le bateau. Chacun pour soi. Beard ne gaspilla pas ses forces çà jurer. Il tira sur le starter tout en se le reprochant car le moteur était encore chaud. De nouveau il réessaya. De nouveau, rien. Une odeur d'essence. Il avait noyé le moteur ; il méritait de mourir. Tous les autres étaient partis, et le guide avec eux, faute professionnelle qu'il se promit de signaler à Pickett, ou au roi de Norvège. Sous l'effet de son énervement, ses lunettes s'embuaient et, comme d'habitude, se couvraient  de givre. Inutile de regarder en arrière, donc, mais il le fit quand même, et ne vit que de la buée gelée autour d'une parcelle de fjord pris par les glaces. Selon toute vraisemblance, l'ours se rapprochait, mais Beard avait apparemment sous-estimé la vitesse de la bête sur la terre ferme, car au même instant il reçut un violent coup dans l'épaule.
   Plutôt que se retourner pour se faire arracher le visage, il se recroquevilla sur lui-même, s'attendant au pire. Sa dernière pensée - pour le testament qu'il avait oublié de modifier et dans lequel il léguait tout ses biens à Patrice, c'est à dire à Tarpin - l'aurait déprimé, mais il entendit la voix du guide.
   " Laissez-moi faire."
  Le prix Nobel avait appuyé par erreur sur la commande des phares. La motoneige démarra au quart de tour.
   "Allez-y, dit jan. Je vous suis."
   Malgré le danger, Beard regarda une nouvelle fois en arrière, espérant apercevoir l'animal, qu'il était sur le point de prendre de vitesse. Dans l'étroit périmètre de semi-clarté entourant la couche de givre sur ses lunettes, il y eut un mouvement, mais ce pouvait être la main du guide ou sa propre cagoule. Dans le récit qu'il ferait jusqu'à la fin de ses jours, celui qui lui tiendrait lieu de souvenir, il raconterait qu'à vingt mètres de lui un ours blanc à la gueule béante chargeait quand sa motoneige s'élança - non par goût du mensonge, ou pas seulement, mais parce qu'il ne fallait jamais se priver d'une bonne histoire.
   Retraversant l'étendue glacée dans un bruit de tôle, il laissa échapper un cri de joie, perdu dans l'ouragan glacé qui lui cinglait le visage. Quelle libération de découvrir qu'à nôtre époque moderne, lui, le citadin vivant entre son clavier et son écran d'ordinateur, il pouvait être chassé, dépecé et servir de repas, de source de nourriture à d'autres créatures
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- Au fait, Chef, avec moi tu peux parler franchement. Dis-moi, c'est vrai que la planète se refroidit ?
   - Quoi ?
   - Tu répètes sans arrêt qu'il n'y a plus de discussion possible, mais si. On n'entend que ça. La semaine dernière, une femme professeur d'études atmosphériques, ou quelque chose comme ça, en parlait encore à la télé.
   - Quoi qu'elle prétendre être, elle se trompe.
   - On en parle aussi beaucoup dans les milieux d'affaires. Ça fait de plus en plus de bruit. Les scientifiques se seraient trompés, mais refuseraient de l'admettre. Trop de carrières et de réputations en jeu.
   - Où sont les preuves ?
   - Il paraît qu'une hausse de zéro degré sept depuis l'ère préindustrielle, c'est-à-dire sur deux siècles et demi, est négligeable et ne dépasse pas les fluctuations habituelles. Et que les températures de ces dix dernières années ont été plus basses que la moyenne. Ici, on a eu quelques hivers assez rigoureux, ce qui n'aide pas nôtre cause. Il paraît aussi que trop de gens espèrent s'enrichir grâce aux subventions d'Obama et aux crédits d'impôts, pour dire la vérité. Et puis il y a tous ces professeurs, dont celle que j'ai citée, qui ont signé le rapport de la minorité sénatoriale - tu as dû voir le document.
   Beard hésita, puis commanda une autre bouteille. Le problème avec ces vins rouges californiens, c'est qu'ils se buvaient facilement, comme de la limonade, alors qu'ils titraient à seize degrés. Il ne put s'empêcher de trouver cette conversation indigne de lui. Elle le fatiguait autant que les discussions pour ou contre la religion, les cercles de culture ou les ovnis. " On en est à zéro degré huit, dit-il, ce n'est pas négligeable sur le plan climatique, et ça s'est produit pour l'essentiel au cours des trente dernières années. Par ailleurs, dix ans ne suffisent pas pour établir une tendance. Il en faut au moins vingt-cinq. Certaines années sont plus chaudes, d'autres plus fraîches que la précédente, et, si on traçait une courbe des températures annuelles, elle serait en zigzag, mais ascendante. En prenant pour point de départ une année exceptionnellement chaude, on peut facilement conclure à une baisse, du moins sur quelques années. C'est un vieux tour de passe-passe : on appelle ça de l'écrémage. Quant aux scientifiques qui ont signé ce document contradictoire, ils représentent une minorité de un pour mille, Toby. Ornithologues, glaciologues, épidémiologistes et océanographes, pêcheurs de saumons et opérateurs de remontées mécaniques : le consensus est écrasant. Certains journalistes à petites cervelles écrivent des articles critiques en croyant faire preuve d'indépendance. Et un professeur qui prend position contre le réchauffement climatique fera toujours parler de lui. Il y a des scientifiques incompétents, de même qu'il y a des chanteurs nuls et de mauvais cuisiniers."
   Hammer semblait sceptique. " Si la planète ne se réchauffe pas, on est foutu. "
   En remplissant son verre, Beard s'étonna qu'en tant d'années de collaboration ils aient si rarement discuté du problème à grande échelle. Il s'étaient toujours concentrés sur l'aspect financier, les problèmes qui se présentaient. Il prit également conscience qu'il était pratiquement soûl.
   " Les bonnes nouvelles maintenant. D'après les estimations de l'Onu, il y a déjà trois-cent cinquante mille personnes par an qui meurent à cause du changement climatique. Le Bangladesh est en train de sombrer parce que les océans se réchauffent, se dilatent, et que leur niveau monte. La forêt amazonienne connaît des périodes de sécheresse. Le permafrost sibérien libère du méthane dans l'atmosphère à haute dose. La glace fond sous la banquise du Groenland, mais personne ne veut en parler. Des plaisanciers ont emprunté le passage du Nord-Ouest. Il y a deux ans, on e perdu quarante pour cent de la banquise arctique d'été. Maintenant c'est le tour de l'Antarctique. L'avenir est là, Toby.
   - Mouais, possible
   - Tu n'es toujours pas convaincu ? Prenons le pire scénario. Imaginons l'impossible : les mille personnes ont tort et une seule a raison ; les données ne sont pas fiables ; il n'y a pas de réchauffement. Les chercheurs ont des hallucinations collectives, ou bien il s'agit d'un complot. Dans ce cas, il reste les arguments de toujours : sécurité énergétique, pollution atmosphérique, pic de la production pétrolière.
   - Personne ne va nous acheter des panneaux sophistiqués simplement parce qu'une pénurie de pétrole interviendra dans trente ans.
   - Qu'est-ce qui t'arrive ? Des problèmes conjugaux ?
   - Pas du tout. C'est juste que je me démène, et ensuite des types en blouse blanche viennent dire à la télé que la planète ne se réchauffe pas. Ça me fait flipper."
   Beard posa le main sur le bras de son ami, preuve certaine qu'il avait bu plus que de raison. " Écoute, Toby. La catastrophe est imminente. Détends-toi !
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Il appartenait à cette classe d'hommes - peu avenants, souvent chauves, petits et gros, intelligents - que certaines femmes trouvaient inexplicablement séduisants. Du moins le croyait-il, ce qui semblait suffire à en faire une réalité. Que ces femmes le prennent pour un génie ayant besoin qu'on le materne jouait en sa faveur. Mais le Michael Beard de cette période était un homme aux facultés intellectuelles amoindries, un monomaniaque anhédonique et blessé. Alors que son cinquième mariage se désintégrait, il aurait dû savoir que faire, prendre du recul, reconnaître sa part de responsabilité. Les mariages, les siens en tout cas, ne ressemblaient-ils pas aux marées, refluant avant l'arrivée du suivant ? Or celui-ci était différent. Michael Beard ne savait que faire, prendre du recul lui coûtait et, pour une fois, il ne se reconnaissait aucune responsabilité. C'est sa femme qui avait une liaison, au grand jour de surcroît, une liaison punitive et sûrement sans remords. Il se sentait en proie, entre autres émotions, à d'intenses accès de honte et de désir. Patrice voyait un maçon, leur maçon, celui-là même qui avait rejointoyé leurs murs, aménagé leur cuisine, refait le carrelage de la salle de bains. (...) Beard découvrait avec étonnement la difficulté d'être cocu. Le malheur n'avait rien de simple.
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Même si elle se débarrassait des humains, la biosphère se maintiendrait contre vents et marées, et dans dix millions d'années à peine elle grouillerait d'autres créatures, dont peut-être aucune n'aurait une intelligence anthropoïde. Qui regretterait alors que Shakespeare, Bach, Einstein ou la colligation Beard-Einstein soient tombés dans l'oubli ?
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Le reste du temps, il écoutait et il buvait. Après deux ou trois verres de blanc, le rouge descendait aussi facilement que de l’eau, du moins au début. Il y avait différents thèmes, certains se répondant en canon, d’autres se mêlant, comme la déception et l’amertume : le siècle venait de se terminer et le changement climatique restait une préoccupation mineure. Bush avait mis en pièces les modestes propositions de Clinton, les États-Unis tourneraient le dos à Kyoto, les espoirs nés voilà longtemps à Rio étaient morts. Succédant à la déception, l’inquiétude finit par dominer. Le Gulf Stream allait s’arrêter, les Européens mourraient de froid dans leur lit, l’Amazonie deviendrait un désert, certains continents seraient la proie des flammes, d’autres noyés sous les eaux, et dès 2085 la banquise disparaîtrait l’été et les ours blancs avec elle. Beard avait déjà entendu ces prédictions et n’en croyait pas un mot. De toute façon, il n’était pas homme à s’inquiéter de l’avenir de la planète. À son âge, sans enfant, et sur le point de divorcer pour la cinquième fois, il pouvait se permettre une pointe de nihilisme. La Terre n’avait besoin ni de Patrice ni de Michael Beard. Même si elle se débarrassait des humains, la biosphère se maintiendrait contre vents et marées, et dans dix millions d’années à peine elle grouillerait de nouvelles créatures, dont peut-être aucune n’aurait une intelligence anthropoïde. Qui regretterait alors que Shakespeare, Bach, Einstein ou la colligation Beard-Einstein soient tombés dans l’oubli ?
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Vidéo de Ian McEwan
Rencontre avec Ian McEwan à l'occasion de la parution de son roman Leçons aux éditions Gallimard.


Ian McEwan a passé une grande partie de sa jeunesse en Extrême-Orient, en Afrique du Nord (en Libye), et en Allemagne, où son père, officier dans l'armée britannique, était envoyé. Il a fait ses études à l'université du Sussex et l'université d'East Anglia, où il a été le premier diplômé du cours d'écriture créative créé par Malcolm Bradbury. Insolite et insolente, provocatrice, hautement originale, l'oeuvre de Ian McEwan surprend par ses tours de force de concision et d'humour. L'auteur joue avec les énigmes qui sont l'essence de la narration. Tous ses romans affichent une parenté lointaine, sous forme de simulacre, avec l'énigme policière. Il a publié plusieurs nouvelles et romans pour adultes et, en 1994, le Rêveur, un recueil de nouvelles pour la jeunesse.
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Thème : Opération Sweet Tooth de Ian McEwanCréer un quiz sur ce livre

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