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La Mer de la fertilité tome 4 sur 4

Tanguy Kenec'hdu (Traducteur)
EAN : 9782070385591
288 pages
Gallimard (10/11/1992)
4.18/5   108 notes
Résumé :
La Mer de la fertilité, testament littéraire de Mishima, réunit quatre romans qui couvrent l'histoire du Japon de 1912 à 1970, sur quatre générations :

Neige de printemps ; Chevaux échappés ; Le temple de l'aube ; L'ange en décomposition.

- " Et pouvez-vous dire avec certitude que, tous les deux, nous nous sommes déjà rencontrés ?
- Je suis venu ici il y a soixante ans. - La mémoire est comme un miroir fantôme. Il arrive qu'el... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (12) Voir plus Ajouter une critique
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Dans la récente critique sur "Le temple de l'aube", le troisième opus de la tétralogie de Mishima, nous avions quitté Honda, l'avocat cinquantenaire, en proie aux affres du démon de midi et incapable de refréner un voyeurisme obsessionnel.

Nous le retrouvons en 1970 dans le dernier opus intitulé "L'ange en décomposition" sous les traits d'un vieux monsieur de 76 ans, maintenant veuf et marchant péniblement avec l'aide d'une canne. Depuis le décès de son épouse il vit plus ou moins avec Keiko, une voisine de son âge. Celle-ci a gardé un penchant prononcé pour les belles jeunes femmes, penchant qui s'harmonise assez bien avec le voyeurisme de Honda.

Nous connaissons ce personnage central de la tétralogie depuis ses 18 ans, date à partir de laquelle s'est manifestée chez lui une attirance croissante pour les anciennes lois indiennes de Manu qui donnaient une importance particulière à la réincarnation.
Ainsi Honda a-t-il approché, deux fois déjà dans sa vie, deux personnes qui à ses yeux étaient la réincarnation de Kiyoaki, son ami de jeunesse tragiquement disparu :

- en 1932, il a pris la défense au pénal d'un jeune nationaliste, Isao, accusé de tentative d'assassinat,
- en 1940, il a rencontré fortuitement lors d'un voyage professionnel à Bangkok une princesse siamoise, Clair de lune, jeune femme qu'il a revue quelques années plus tard à Tokyo dans des circonstances très particulières.

Comme Kiyoaki, Isao et Clair de lune avaient tous deux, sous le bras gauche au niveau de l'aisselle, trois grains de beauté parfaitement alignés.

Alors que débute "L'ange en décomposition", Toru Yasunaga est à son poste d'observation et guette l'arrivée des cargos au large du port de Shimizu. Son travail consiste à alerter les différentes institutions portuaires une heure avant que les bateaux accostent.
Orphelin d'une grande beauté, ce garçon de seize ans est tout à fait convaincu qu'il n'appartient pas à ce monde, d'ailleurs les choses situées hors de portée de son télescope ne présentent aucun intérêt à ses yeux. A force d'observer la ligne d'horizon, s'est forgée dans son esprit la conviction qu'il vient d'une autre planète...
Trois grains de beauté marquent son côté gauche et le lecteur comprend assez vite que Toru est la troisième réincarnation de Kiyoaki.

Quels vont être les rapports entre Toru le jeune homme qui a tout d'un ange et Honda le vieil homme assailli par ses vieux démons ?

L'ultime tragédie de Mishima est en place. le dénouement approche, le personnage central avance lentement vers la fin de sa vie et une profonde tristesse gagne peu à peu le lecteur qui tourne, comme à regret, les dernières pages de "L'ange en décomposition".
Il sait que tout à l'heure, son oeuvre littéraire achevée, le grand écrivain japonais va tronquer sa plume pour le sabre et que l'homme s'en ira, dans la pure tradition samouraï, vers le destin qu'il a choisi…

Ainsi s'achève cette célèbre tétralogie intitulée "La mer de la Fertilité" en rapport à une étendue d'eau sur l'astre lunaire (aussi appelée "La mer de la Fécondité"). Peu d'écrivains ont contemplé les cieux comme l'a fait Mishima, bon nombre de ses romans recèlent de descriptions du ciel et de la voûte céleste plus magnifiques les unes que les autres et ce titre étrange n'a sans doute pas été choisi au hasard.

Assez curieusement lorsqu'un livre me passionne, j'adore faire traîner les derniers chapitres ; ainsi m'arrive-t-il régulièrement de commencer un nouveau bouquin alors que le suspense s'intensifie dans celui en cours. Ce pavé de Mishima, aux rebondissements incessants, n'a bien sûr pas dérogé à cette habitude de faire durer le plaisir. de surcroît, une période de décantation entre chaque opus de la tétralogie n'est pas superflue tant est grande l'érudition de l'auteur sur des thèmes historiques, philosophiques et religieux.

Voici quelques temps, émerveillé par la beauté de la prose de "Neige de printemps", je m'étais inspiré d'une splendide référence de Mishima à la constellation Orion, pour évaluer ce premier livre éblouissant. Les 8 étoiles du baudrier d'Orion furent donc retenues lors de cette notation, bien évidemment subjective.
Les trois livres suivants sont du même tonneau, c'est donc la tétralogie dans sa globalité (*) qui mériterait, à mon sens, cette distinction suprême.

"La Mer de la fertilité" est un roman incontournable, il a permis à Yukio Mishima d'entrer dans le tout premier cercle des écrivains du XXème siècle !


(*)
Livre 1 - « Neige de printemps » : débute à Tokyo en 1912
Livre 2 - « Chevaux échappés » : débute à Osaka en 1932
Livre 3 - « le temple de l'aube » : débute à Bangkok en 1940
Livre 4 - « L'ange en décomposition » : débute à Tokyo en 1970
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C'est toujours un peu tristounet quand une tétralogie, une saga prend fin. Et La mer de la fertilité ne fait pas exception. En effet, dans ce quatrième tome, L'ange en décomposition, on retrouve un Shigekuni Honda vieillissant, à septante-six ans, qui n'a plus que ses souvenirs. Il a vu les gens passer et mourir devant lui. D'abord, son ami d'enfance Kiyoaki Matsugae, puis successivement les deux réincarnations de cet ami cher, l'idéaliste Isao Iinuma puis la voluptueuse princesse siamoise Ying Chan. Tous morts avant d'atteindre leur vingtième anniversaire.

Ce roman porte bien son titre. On sent, on voit la décadence, la décomposition. Pas seulement chez le protagoniste, sur le déclin, mais dans tout. La société japonaise dépérit, même la température n'est guère encourageante : le ciel est souvent grisâtre et le climat, venteux. Sinon, il est vide. « L'immense étendue semblait abandonnée. Pas même d'ailes de mouettes. Puis, tel un fantôme, un navire apparut, pour disparaître à l'ouest. » (p. 13) Aussi, le climat n'est pas seulement déprimant, il est pollué. « Au long du môle, un tas énorme de détritus était soumis au lessivage des vents du large. […] Les rebuts de l'existence y dégringolaient pour se heurter à l'infini. La mer, un infini jamais rencontré auparavant. Les rebuts, pareils à l'homme, incapables de rencontrer leur fin sinon de la façon la plus laide et la plus sale. » (p. 16) C'est assez clair comme image. Mais, partout, la nature n'est que désolation et mort. L'ancienne maison de la famille Honda, brûlée, n'a jamais été reconstriute. le parc n'est guère plus réjouissant. « En arrivant au pin, Honda était épuisé. C'était un pin géant sur le point de mourir […] » (p. 73) Mais je n'ai pas été rebuté par toute cette morosité, elle semblait tout à fait appropriée aux thèmes exploités dans ce roman.

Pareillement pour Honda qui ne se laisse pas détourner par cette nature désolante ; il aime bien s'y promener, particulièrement voir la mer à Shimizu. C'est là qu'il croise le jeune Toru, un orphelin de seize qui est « convaincu qu'il n'appartenait pas à ce monde. » (p. 23). Et il a bel et bien trois grains de beauté sous l'aiselle. Serait-il la réincarnation de Kiyoaki, puis de Isao et Ying Chan ? Il est né vers la même période où la princesse serait morte. Les dates concordent… ou presque. Si seulement on pouvait connaître la date exacte de la mort de Ying Chan ! Ainsi, le doute persiste tout le long du roman mais cela n'empêche pas Honda de l'adopter.

Si le jeune homme n'est qu'une imposture, Toru n'en a que faire. Il ne demande rien à personne. Au début, il semble un candidat prometteur : intelligent, brillant. Mais quelque chose en lui est brisé. Encore là, on retrouve ce symbole de l'ange en décomposition. Peut-être l'âme de Kiyoaki s'est-elle réincarnée trop de fois et que des parties s'étaient étiolées, ne laissant qu'un être incomplet errer à la surface de la terre. Sa relation avec Honda, malgré qu'il en ait fait son héritier, se détériore rapidement. « L'aversion que ressentait Toru envers Honda semblait avoir grandi au cours des quatre années passées ensemble. » (p. 209) C'est comme si le bonheur leur était interdit.

Keiko, la meilleure amie de Honda, lance à Toru : « Kiyoaki Matsugae fut pris au piège d'un amour imprévisible, Isao Iinuma de la destinée, Ying Chan de la chair. Et vous ? de l'impression injustifiée que vous n'êtes pas comme les autres, peut-être ? » (p. 243) Il se sent différent mais il ne sait pas pourquoi. Il n'a pas d'ambition particulière, pas de rêve. C'est peut-être pire que d'échouer à réaliser des grandes – ou petites – choses. En ce sens, son sort est-il enviable ? Ceci dit, c'est peut-être le lot de la majorité des personnes sur cette terre, ceux qui ne sont pas appelés à changer le cours de l'histoire. Sommes-nous plus résignés pour autant ? Sommes-nous malheureux ? Je ne crois pas. Mais Toru, lui, n'y arrive pas : se croire si exceptionel et ne pas savoir pourquoi ni vers quel but donner à sa vie, c'est impensable. Pas étonnant qu'il ait choisi une voix si extrémiste. Et, là encore, il n'a pas pu aller jusqu'au bout et devra passer le reste de sa vie - (sur)vivre – diminué. Comme un ange en décomposition.

Ne reste que Honda, celui qui demeure alors que tous les autres sont partis les uns après les autres. Mais le vieillard sent sa fin approcher, il ne pouvait en être autrement. Toutefois, il reste encore un acteur de cette saga qui est encore en vie : Satoko. L'ancienne flamme de Kiyoaki, celle par qui tout a commencé, celle qui peut vraiment tout comprendre. C'est le temps de lui rendre une dernière visite. Leur échange ne se passe pas comme prévu, leurs propos sont énigmatiques, ils remettent en question bien des certitudes. Des croyances. Ce mystère est tout à fait approprié pour une oeuvre de cette envergure. Merci beaucoup, Yukio Mishima.
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Quatrième et dernier (?) opus de la mer de la fertilité. Il n'est que d'extraire certains passages de cet ouvrage pour comprendre que nous sommes parvenus au bout du chemin. Ce chemin n'est pas seulement celui d'une oeuvre littéraire. C'est aussi celui d'une vie. La vie de son auteur.

45 ans ! C'est l'âge de Yukio Mishima lorsqu'il met le point final à son oeuvre testament. Sa jeunesse lui a filé entre les doigts. Il est plus que temps.

"Il n'y a jamais eu pour moi ce qu'on aurait pu appeler l'apogée de ma jeunesse, et par conséquent aucun moment pour l'arrêter. C'est à l'apogée qu'il faudrait s'arrêter. Je n'en ai discerné aucune. Chose étrange je n'en ai nul regret.
Mais non, il est encore temps après que la jeunesse est un peu passée. Survient l'apogée, c'est alors le moment."

25 novembre 1970, c'est alors le moment de quoi ? le regard s'est-il suffisamment appesanti sur le paysage ? le verbe l'a-t-il suffisamment célébré ?

La beauté du corps s'est dissoute dans les traits de ceux qui narguent leurs aînés de leur vigueur toute fraîche. C'est donc le moment de ne plus se compromettre dans le naufrage de la vieillesse, dans la décomposition de l'ange.

"Beauté physique infinie. Voilà le privilège particulier de ceux qui abrègent le temps. Juste avant l'apogée où il faut abréger le temps, se trouve l'apogée de la beauté physique."

Le bout du chemin est là. L'ascension est terminée. Après, c'est la déchéance.

"Quelle puissance, quelle poésie, quelle félicité ! Pouvoir abréger le temps, au moment même où l'on aperçoit la blancheur étincelante de l'apogée. On en a la préscience dans la fièvre délicieuse de la montée, le décor changeant de la flore alpine, l'approche de la ligne de crête."

C'est avec lucidité et la pleine possession de ses facultés qu'il faut décider de basculer dans la lumière de l'autre monde. le monde blanc.

"Je n'aime pas le genre de personnes, faibles ou malades, qui se suicident. Il n'y en a qu'une catégorie que je conçoive. Ce sont ceux qui se suicident pour démontrer leur personnalité."

L'oeuvre littéraire est la perpétuation de son auteur. Sa vie n'est que le segment d'une continuité. Il se retrouvera sous les traits d'une nouvelle jeunesse quelque part dans le monde.

"Même si l'on arrête le temps, la vie se réincarne. Cela aussi, je le sais."

Il n'est pas de point final pour qui croit en la transmigration des âmes. Tout au long de sa vie, Honda s'est convaincu de voir son ami Kiyoaki, pris au piège d'un amour imprévisible, se réincarner sous les traits d'Isao Iinuma d'abord, de la princesse Ying Chan ensuite, du jeune Toru enfin. Chacun porteur de la flamme fragile de la vie.

Mais le doute pernicieux s'est insinué en l'esprit de Honda. le grand âge l'a peut-être leurré. Toru a brûlé le livre des rêves laissé par Kiyoaki.

"La mémoire est comme un miroir fantôme. Il arrive qu'elle montre des choses trop lointaines pour qu'on les voie, et elle les montre parfois comme si elles étaient présentes".

Est-ce donc avec le poison du doute insinué en son esprit quant à la réincarnation que Mishima a décidé de basculer dans le monde blanc le 25 novembre 1970 ? le point final de L'Ange en décomposition était-il celui de la Mer de la fertilité, ou bien quelque part en ce monde pourrait-il s'écrire un cinquième opus ?
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Quatrième et dernier volet du cycle « La mer de la fertilité ». Shigekuni Honda, 76 ans au début du roman, est à nouveau le témoin de cette nouvelle “réincarnation“.
Toru Yasunaga, orphelin de 16 ans, travaille dans un baraquement, un point de guet où il observe, note et communique les allées et venues des bateaux commerciaux ou transportant des passagers, dans le port de Shimizu, mer du Japon.
Un jour de promenade par Shimizu, Honda, accompagné de son amie et voisine Keiko, fait la connaissance de Toru, aperçoit à la dérobée les taches cutanées qu'avaient Kiyoaki, Isao et Ying Chan, résurrections les uns des autres, tous trois morts à vingt ans, et conclut que Toru est la réincarnation de Ying Chan, même si les dates de mort de l'une et de naissance de l'autre ne correspondent pas tout à fait. Honda adopte Toru, dont il veut faire son héritier tout en étant persuadé qu'il mourra comme les autres à vingt ans.
Toru est éduqué, scolarisé, il entre à l'université, et révèle son âme sombre, maligne, voire cruelle. Il se rend maître du logis de Honda, se moque et expédie la jeune beauté qui lui était promise, frappe son père adoptif qu'il veut même mettre sous tutelle, jusqu'à apprendre par Keiko la vérité sur Honda, ses intentions, la manipulation dont il a été victime et le sort qui l'attend. Toru cherche à se suicider et se rend aveugle.
Il a maintenant vingt et un ans, est toujours vivant.
Honda, vieil homme de quatre-vingt-un ans, arrivé au soir de sa vie, veut rencontrer l'abbesse Satoko dans son monastère. Satoko, le grand amour de Kiyoaki, qui avait renoncé à la vie mondaine soixante ans auparavant, et qui lui annonce qu'elle n'a pas connu de Kiyoaki : « La mémoire est comme un miroir fantôme… » Épuration des souvenirs, ceux qui ne valent pas la peine d'être conservés quand on change de vie. « Cela aussi est comme c'est dans le coeur de chacun », conclut Honda, qui tout comme Satoko semble remettre en cause l'existence même des jeunes êtres qu'il a côtoyés, aimés, accompagnés au cours de sa longue vie, allant jusqu'à leur consacrer toute son ardeur.

Jeunesse, beauté, pureté, passion, énergie caractérisent Toru et sont des attributs qui fascinent certainement Mishima puisqu'on les retrouve dans les quatre romans du cycle. le Mal - que l'on produit soi-même ou dont on est victime - cependant est accolé à la vigueur juvénile, victime de lui-même au final puisqu'il se résout dans la mort pour Kiyoaki, Isao et Ying Chan, dans la mutilation pour Toru.
À cette fascination pour la jeunesse et la pureté, s'oppose la hantise de la vieillesse, personnifiée par Honda octogénaire : les descriptions de son état sénile, décrépit abondent, et le spectre de la mort hante sa fin de vie.
Une question reste cependant en suspens : Toru est-il vraiment la réincarnation de Ying Chan ? Mishima laisse planer un doute, que corrobore à la fin du roman la thèse de l'abbesse Satoko pour qui la réalité pourrait n'être qu'une illusion.
La vision décadente du Japon de l'après-guerre n'est pourtant pas une illusion pour Mishima qui lui reproche de s'occidentaliser à outrance, de se “décomposer“, tout comme l'ange, tout comme Toru, tout comme la tradition. En fait, Mishima semble pris entre la tradition et la modernité, et s'il assume une certaine occidentalisation, il mourra en 1970 en véritable samouraï, par seppuku (éventration-décapitation).
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Honda adopte Toru, un adolescent qui travaille sur le port de Shimizu à un poste de signalisation. Il pense qu'il est la nouvelle réincarnation de Kiyoaki après Isao et Ying Chan...

L'ange en décomposition offre une conclusion étonnante et intense au cycle de la mer de la fertilité. Ce roman déjoue les attentes plus ou moins prévisibles qu'on aurait pu anticiper. Il n'y aura pas de véritable révélation spirituelle extatique qui offrirait un point culminant à la quête de Honda (même si le dernier et sublime chapitre est un séisme en apesanteur) ni de nihilisme misanthropique ou de pathétisme complaisant et suicidaire. Mais au contraire une terrible et lucide ambivalence qui confronte Honda autant à sa propre déchéance physique et morale (le pourrissement du titre) qu'au vide de son existence tout entière, à son illusion.

Il en va de même de la narration qui semble littéralement imploser après avoir subi des distorsions. L'enchaînement scénaristique "logique" des diverses réincarnations est dévié. Toru Yasunaga n'est peut-être pas la nouvelle enveloppe de la princesse Ying Chan. Et d'ailleurs ces interprétations de Honda concernant la métamorphose de Kiyoaki ne sont-elles pas des constructions de sa propre imagination? Toru initialement lumineux et pur semble progressivement se pervertir au contact de Honda comme à travers un miroir jusqu'à en devenir antipathique. Ying Chan était elle-même déjà apparue comme un personnage secondaire dans le temple de l'aube, simple incarnation d'une forme de perfection plastique et sensuelle. Il n'y a pas de continuité entre les différentes incarnations même s'il existe un réseau de correspondances nourri par la volonté de Honda. A moins qu'ils ne forment les différentes facettes d'une beauté idéale inaccessible et mortifère.

Ce roman comporte des descriptions sur la vieillesse et la perte des illusions d'une beauté et d'une dureté saisissantes. Mais elles sont compensées par une scène finale qui m'a laissé sans voix. Ce dernier chapitre atteint un tel niveau de pureté qu'il rachète tout ce que Mishima pouvait avoir a priori de dérangeant et de pervers. C'est un testament bouleversant qu'il nous laisse sans jamais chercher le lyrisme ou l'effusion émotionnelle.

Dernière pirouette: là où Proust achevait sa Recherche par le mot "temps", Mishima aurait pu terminer par le mot "néant" qui apparaît bel et bien mais dans l'avant-dernière phrase qui précède une évocation finale de la nature en paix. Ce cycle est inoubliable.
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Citations et extraits (33) Voir plus Ajouter une citation
En vieillissant, la conscience de soi devint la conscience du temps. [...] De moment en moment, de seconde en seconde, avec quelle conscience sans profondeur les hommes glissaient à travers un temps sans retour! L'âge seul enseignait la richesse, voire l'ivresse contenue dans chaque goutte de la beauté du temps, telles les gouttes d'un vin rare et généreux. Et le temps s'égouttait comme du sang. Les vieillards se desséchaient puis trépassaient, payant ainsi d'avoir négligé d'arrêter le temps à l'instant glorieux où le sang généreux, à l'insu de celui-là même qu'il habite, apportait une généreuse ivresse.
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Au-dessus même ou le soleil se lèverait, des nuages d'une grande finesse étiraient leurs plis en relief, semblables exactement au plissé d'une jupe, comme si une chaîne de montagnes eût surplombé la mer.
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La pensée que Toru devait mourir lui avait été une grande consolation. Dans son humiliation, il s’était raccroché à la mort de Toru ; dans son coeur, il l’avait déjà tué. En son coeur apaisé sourdait le bonheur, son nez se tortillait d’indulgence et de pitié en apercevant la mort, tel le soleil à travers un mica, par-delà ces violences et ces cruautés. Il s’enivrait de cette franche cruauté qu’on nomme charité. Peut-être était-ce là ce que lui avait découvert la lumière inondant les plaines immenses de l’Inde.
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Posées sur le registre, les mains fraîchement lavées était pareilles à des végétaux stérilisés. Pareilles à de jeunes rameaux à la surface d'un lac. Connaissant leur propre élégance, les doigts avaient une courbe d'essence surnaturelle. Ils ne semblaient faits pour saisir rien de matériel, mais seulement le vide. Ils paraissaient caresser l'invisible, mais sans qu'ils s'humilient ou implorent. S'il est des mains qu'il ne faut employer qu'à l'égard de l'infini et de l'univers, ce sont des mains masturbatrices.
Des mains admirables faites pour effleurer la lune, les étoiles, l'océan, impropres à aucune tâche matérielle. (1054)
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Je ne possédais pas l'art de devenir à tour de rôle navire et port. C'est cela que voudraient les femmes. Le concept de femme, devenu une réalité sensible, refuserait au bout du compte de quitter le port.
J'ai connu un orgueil et un plaisir secrets à voir le concept apparu à l'horizon peu à peu prendre forme.
J'ai avancé la main de par-delà le monde et créé une chose, et je n'ai pas goûté la sensation d'être amené dans le monde. Je n'ai pas senti qu'on me rentrait tel du linge qu'on rentre avant l'ondée. Nulle pluie n'est tombée pour me donner la vie au sein du monde. Au bord de la noyade intellectuelle, ma clarté d'esprit savait que les sens viendraient à temps à son secours. Car le navire toujours est passé. Rien n'est venu l'arrêter. Les vents marins ont tout changé en marbre tacheté, le soleil a fait du coeur un cristal.
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Videos de Yukio Mishima (17) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Yukio Mishima
Yukio Mishima (1925-1970), le labyrinthe des masques (Toute une vie / France Culture). Diffusion sur France Culture le 20 février 2021. Un documentaire d'Alain Lewkowicz, réalisé par Marie-Laure Ciboulet. Prise de son, Philippe Mersher ; mixage, Éric Boisset. Archives INA, Sandra Escamez. Avec la collaboration d'Annelise Signoret de la Bibliothèque de Radio France. 25 novembre 1970 : Yukio Mishima, écrivain iconoclaste japonais âgé de 45 ans, met en scène sa propre mort ; alors qu’il s’apprête à quitter le monde, il livre à son éditeur "La mer de la fertilité", véritable testament littéraire et spirituel de cet auteur tourmenté, fasciné par la mort rituelle. Cet homme nostalgique, avec son goût du vertige et de l'absolu, son amour des corps vierges et des âmes chevaleresques, sa quête effrénée des horizons perdus laisse une œuvre considérable qui raconte sans aucun doute la recherche d’une pureté illusoire et la laideur du monde. Lectures de textes (tous écrits par Mishima) : Barbara Carlotti - Textes lus (extraits) : "Patriotisme. Rites d’amour et de mort" (film de et avec Yukio Mishima, 1965. À partir de "Yūkoku", nouvelle parue en 1961) - "Confessions d’un masque" - "Le Lézard noir" - "La Mer de la fertilité". Archives INA : Ivan Morris et Tadao Takemoto - Flash info annonçant la mort de Mishima le 25 novembre 1970. Extraits de films : "Mishima" de Paul Schrader (1985) - "Le Lézard noir" de Kinji Kukasaku (1968) - Extrait du discours de Mishima juste avant son seppuku, le 25 novembre 1970.
Intervenants :
Pierre-François Souyri, professeur honoraire à l’université de Genève spécialiste de l’histoire du Japon Fausto Fasulo, rédacteur en chef des magazines "Mad Movies" et "ATOM" Tadao Takemoto, écrivain, spécialiste et traducteur de Malraux au Japon et vieil ami de Mishima Dominique Palmé, traductrice de Mishima chez Gallimard, spécialiste de littérature japonaise et de littérature comparée Julien Peltier, spécialiste des samouraïs, auteur de plusieurs articles parus sur Internet et dans la presse spécialisée, en particulier les magazines "Guerres & Histoire (Sciences & Vie)" et "Actualité de l'Histoire". Il anime également des conférences consacrées aux grands conflits de l'histoire du Japon Thomas Garcin, Maître de conférences à l’Université Paris 7 - Diderot, spécialiste de Mishima et de littérature japonaise Stéphane du Mesnildot, critique de cinéma, et spécialiste du cinéma japonais
Source : France Culture
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