L'école des maris a été créée le 24 juin 1961 sur la scène du Palais Royal. L'année qui précède a été difficile pour la troupe de
Molière. En octobre 1660, les comédiens sont chassés du théâtre du Petit-Bourbon qu'ils partageaient avec les Comédiens Italiens, car le bâtiment doit être démoli pour permettre l'agrandissement du Louvre, projeté de longue date. On leur offre en échange la salle de théâtre du Palais Royal, construit par Richelieu et légué au roi après sa mort. La salle est très grande, et a été à la pointe de la technique lors de sa construction. Mais elle est délabrée et nécessite des travaux coûteux. La troupe de
Molière va donc connaître plusieurs mois sans pouvoir jouer, le temps de remettre la salle en état, au moins partiellement.
Le démarrage dans ce nouveau lieu est laborieux :
Molière a dans sa besace
Don Garcie de Navarre, qu'il a déjà crée à la cour. Mais cette pièce, qui est une comédie héroïque, genre éphémère inventé par
Pierre Corneille, et qui n'a pas le potentiel comique que le public associe déjà à
Molière, ne rencontre guère le succès. D'autant plus que les théâtres concurrents mettent à l'affiche des pièces qui attirent les foules : une tragédie de
Thomas Corneille pour l'hôtel de Bourgogne, et une pièce à machines,
La conquête de la Toison d'or, écrite par le grand
Pierre Corneille, pour le théâtre du Marais. le public délaisse le Palais Royal au profit de ces deux spectacles des frères
Corneille. Les revenus de la troupe de
Molière connaissent une baisse sensible. Il se doit donc de proposer à la troupe et au public une oeuvre qui fasse revenir les spectateurs en nombre, d'autant plus qu'il vient d'obtenir de recevoir deux parts au lieu d'une seule, dans le partage des bénéfices du théâtre.
L'école des maris est une pièce à la croisée des chemins. Jusque là,
Molière a connu le succès soit grâce à des grandes pièces en 5 actes, adaptées surtout du théâtre italien, soit grâce à des petites pièces en un acte, dont les trames pouvaient faire écho à des débats dans la société de l'époque, comme
Les précieuses ridicules.
L'école des maris sera une pièce en trois actes, qui va à la fois s'appuyer sur des canevas pré-existants, mais en même temps évoquer des thèmes en débat dans la société mondaine de l'époque, qui constitue l'essentiel du public de
Molière.
Une des sources de l'oeuvre se trouve dans une pièce espagnole de Mendoza, en cours d'adaptation par Scarron juste avant sa mort, et qu'il lègue en quelque sorte à
Molière. Deux frères qui ont épousé deux soeurs, ont des comportement diamétralement opposés avec leurs épouses : l'un se montre libéral, et l'autre répressif. Et c'est ce dernier qui se trouve trompé par son épouse. La liberté qui devait être ou non accordée aux femmes, de même que l'idée qu'il est impossible d'empêcher une femme qui décide d'être infidèle de l'être, étaient très discutées dans les milieux galants, et elle est évoquée dans de nombreuses oeuvres de l'époque.
Molière est donc complètement dans l'air du temps en s'y attaquant.
Nous retrouvons les deux frères de la pièce espagnole dans
l'Ecole des maris. Mais pour des raisons de bienséance, ils ne sont pas encore mariés. Ils sont tuteurs de deux jeunes soeurs, qu'ils envisagent d'épouser. Ariste, le plus âgé des deux, laisse une grande liberté à Léonor, au point de lui laisser décider si elle souhaite ou non l'épouser. A l'opposé, Sganarelle, limite au maximum la liberté d'Isabelle, qui trouvera pourtant moyen d'entrer en contact avec un jeune homme, Valère, qui en suivant les indications d'Isabelle, arrivera à l'enlever et l'épouser, en bernant Sganarelle ; alors que Léonor choisit de convoler avec le vieil Ariste. La trame est donc très simple, et le comique vient essentiellement de Sganarelle joué par
Molière, présent sur la scène presque en permanence.
La pièce connaîtra un beau succès, à la ville mais aussi à la cour. Elle sera d'abord représentée à
Vaux-le-Vicomte devant Fouquet, puis à Fontainebleau devant le roi. Elle est un peu oubliée maintenant, peut-être éclipsée par
l'Ecole des femmes, qui reprend en partie les mêmes thématiques, et qui est sans doute un peu plus aboutie et ambitieuse. Mais
L'école des maris a permis à
Molière d'asseoir sa place dans le paysage du théâtre parisien, et a été une étape importante dans l'évolution de son oeuvre.