AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Alain Gnaedig (Traducteur)
EAN : 9782070779574
448 pages
Gallimard (04/09/2008)
3.81/5   31 notes
Résumé :
Asger Eriksson finira par savoir comment son grand-père Askild a traversé la guerre, et comment il a séduit sa grand-mère Bjork, malgré l'opposition des parents de la jeune fille, riches armateurs à Bergen, en Norvège. Il nous parlera des boîtes de conserve de Bjork, remplies de l'air de sa ville natale, dont elle aura besoin une fois loin de chez elle, et des grandes oreilles de son propre père Niels qui lui permettent d'entendre des choses inouïes...

>Voir plus
Que lire après Tête de chienVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (17) Voir plus Ajouter une critique
3,81

sur 31 notes
5
5 avis
4
8 avis
3
2 avis
2
0 avis
1
0 avis
Hundehoved
Traduction : Alain Gnaedig


ISBN : 9782070417780


Voici un roman comme il y en a peu. Tour à tour cocasse et cruel, "Tête de Chien" conte l'histoire de trois générations d'une famille norvégienne émigrée au Danemark, à grands coups de retours en arrière et de questions qui demeurent provisoirement en suspens et auxquelles on obtient enfin, quand on ne s'y attendait plus, des réponses pour le moins déstabilisatrices. le narrateur, Asger, celui-là même que hante la "Tête de Chien" qui donne son titre au livre, nous entraîne à la découverte des siens, depuis les années trente et son grand-père Askild, ingénieur diplômé et adorateur gravement anarchisant de la Dive Bouteille, jusqu'à notre époque et sa soeur Stinne qui, devenue adulte, épouse La Bonde, ancien associé de son père, que les séquelles d'un périple malencontreux dans l'Himalaya contraignent désormais à porter une prothèse à la place du nez.

La Bonde, c'est un surnom et, des surnoms, vous en rencontrerez à la pelle dans "Tête de Chien". Ainsi, Niels Junior, le père d'Asger, doit à une paire d'oreilles un peu trop remarquables et remarquées l'évocateur sobriquet de "Feuilles de Chou" qu'il traînera jusqu'à l'adolescence. le cousin de Niels - le personnage sans doute le plus jovial du livre, qui a cru bon, au temps où il avait pris la mer, de se faire tatouer le nom de sa bien-aimée en un endroit que ma mère m'a interdit, croyez bien que je le regrette, de nommer ici - restera toute sa vie "Tête de Pomme." Au hasard des chapitres, vous rencontrerez aussi une Grosse Tomate, un Knut le Marin, une Blonde ... et, dans les petits rôles de l'enfance, un certain "Tête de Lard", par ailleurs un gamin jamais à court de mauvais tours. Parmi tous ces surnoms, mérités ou non, bienveillants ou moqueurs, seul "Tête de Chien" ne correspond à aucune entité réelle. Derrière cette tête hideuse, se dissimulent en fait les angoisses et le malaise existentiel de notre narrateur. Rappelé au Danemark par l'état préoccupant de sa grand-mère moribonde, Asger trouvera finalement la force d'exorciser non seulement ses démons mais aussi ceux de la famille tout entière par la rédaction, que n'adoucira aucun fard si ce n'est celui de l'autodérision, de ce récit où de nombreux drames éclosent au milieu de personnages si loufoques, si déjantés, que le lecteur ne peut que rire et sourire alors même qu'il sait bien que la situation n'a rien de véritablement drôle, en tous cas pour ceux qui la vivent.

Le point de départ de "Tête de Chien", c'est le bon petit magot que Askild, le grand-père alors jeune homme, a caché dans son matelas, chez sa logeuse, avant que les Occupants allemands ne viennent l'arrêter pour des activités de marché noir. Seulement, quand il rentre du camp de concentration où on l'avait expédié, Askild ne veut plus rien savoir de ses activités illicites du passé. Ce qu'il a été contraint de faire pour survivre à la barbarie nazie l'a irrémédiablement changé et son caractère, déjà foncièrement anticonformiste, ne s'est guère arrangé au cours des années de soumission sous la botte allemande. Dans le temps, il buvait déjà, rien cependant comparé à ce qu'il va désormais absorber quotidiennement afin d'essayer d'oublier disons sa propre "Tête de Chien", le fait d'avoir, sous la contrainte des SS et pour avoir la vie sauve, battu à mort un camarade de camp avec qui il avait tenté de s'évader. Ce mutisme inexplicable, cette détermination à ne plus évoquer un passé devenu cauchemar, ne font pas l'affaire de Bjørk, fille d'excellente famille qui, après l'arrestation d'Askild, qu'elle fréquentait déjà malgré l'opposition de sa famille, a déniché le fameux magot et tout compris de la double vie que, sous ses allures d'étudiant bien sage en ingénierie, menait son amoureux ... Envers et contre tout, poussée par cette aberration biscornue et totalement incompréhensible que l'on nomme l'amour, Bjørk épouse tout de même Askild. Elle va mener auprès de lui une vie plutôt précaire, son mari perdant régulièrement ses emplois et échafaudant l'un après l'autre des rêves d'avenir tous plus irréalisables les uns que les autres tandis qu'elle se console en se plongeant dans des romans à l'eau de rose dont l'héroïne épouse en apothéose un médecin beau et intelligent - le rival d'Askild dans le coeur de Bjørk, au temps de leur jeunesse, était médecin. (Sachez d'ailleurs qu'ils se retrouvent, qu'elle lui amène très régulièrement ses enfants à soigner et qu'ils finissent par avoir une liaison. Je ne vous raconte pas la réaction d'Askild quand il se sait cocu et encore moins les circonstances, d'un très haut comique, dans lesquelles il le découvre parce que, vraiment, il faut que vous fassiez le détour pour constater par vous-même.)

Avec de telles prémices, certains diront que "Tête de Chien" n'a rien pour attirer. Et pourtant, croyez-moi, c'est un excellent roman, qui joue sur plusieurs registres parfaitement maîtrisés par son auteur, dont la nostalgie et la tendresse du souvenir, la cruauté sans complexes de l'existence et par dessus tout un humour féroce, réjouissant, jubilatoire et qui traverse sans efforts toutes les couleurs du spectre tout en s'attardant, ici et là, sur le noir, qui n'est peut-être pas une couleur, mais sans qui, convenons-en, on ne pourrait pas faire grand chose quand on a décidé de régler ses comptes avec son enfance, sa famille et tant d'autres choses. (Enfin si, on pourrait essayer mais on deviendrait complètement dingue.)

A lire. Et à relire. Avec délectation. Je signale, à toutes fins utiles , que "Tête de Chien" décrochera sans doute l'un de mes Nota Bene d'Or personnels pour l'année 2014 : si ce n'est pas un gage de qualité, ça ... ;o)
Commenter  J’apprécie          80
Le Norvégien Askild Erikkson, ingénieur cubiste, ivrogne, contrebandier et survivant des camps de concentration, domine sa famille qu'il tyrannise pendant de longues années. En nous racontant son histoire, son petit-fils nous entraîne page après page dans une fresque extravagante, débordante d'énergie où les anecdotes se répandent, hors de contrôle, pleines de coeur de chiens fous, de vilains garçons, de parents étranges et de secrets. Elles révèlent la vraie fortune de cette famille "tuyau de poêle": la survie entre dysfonctionnement profond et persistance l'amour.
Ramsland capture magistralement une litanie zigzagante de souvenirs à travers les trois générations d'une smala scandinave pour nous offrir un roman drôle et touchant où l'on ne s'ennuie jamais. C'est parfois sombre, même brutal, grossier et dérangeant par endroits, surtout quand il aborde les thèmes des camps de concentration, de la maltraitance envers les enfants, de l'alcoolisme, et du viol mais c'est le plus souvent très drôle, chaleureux et émouvant. Une jolie découverte.
Commenter  J’apprécie          180
Celui qui a été toute sa jeunesse terrorisé par des têtes de chien nous raconte l'histoire de sa famille.
Nous nous perdrons avec lui en rencontrant ses arrière grand parents … Ses grands parents … Ses parents … ses oncles et tantes … ses cousins et cousines … les prénoms s'enchaînent Niels, Thorsten, Ellen, Askild, Anne Katrine, Line, Stine … et encore j'ai du en oublier … il y a tant de personnages que parfois on s'y perd un peu surtout que la chronologie n'est pas toujours respectée … un récit d'aujourd'hui et des sauts dans le temps !
Il faut être attentif car c'est une famille où il se passe beaucoup de choses.
C'est passionnant, on y croise la route de Folke Bernadotte (1), l'homme qui a réalisé l'opération de sauvetage « les bus blancs » sans laquelle l'histoire de la famille n'aurait pu être écrite.
Le style est plaisant, l'humour et la dérision toujours au rendez-vous. Une lecture agréable pour commencer l'année.
Il ne me reste plus qu'à rechercher « l'oeuf » l'autre roman traduit de cet auteur.

(1)
Folke Bernadotte est un diplomate suédois né le 2 janvier 1895. Il est connu pour avoir négocié la libération de 15 000 prisonniers des camps de concentration durant la seconde guerre mondiale. Il est mort assassiné le 17 septembre 1948 a Jérusalem, par des membres du groupe terroriste juif sioniste Lehi.
Avant la guerre, il joue un rôle important dans le scoutisme suédois.
En 1945, alors vice-président de la Croix-Rouge suédoise, Bernadotte essaya de négocier un armistice entre l'Allemagne et les Alliés. À la toute fin de la guerre, il reçut l'offre faite par Heinrich Himmler d'une reddition complète de l'Allemagne vis-à-vis de la Grande-Bretagne et des États-Unis, à la condition que l'Allemagne soit autorisée à poursuivre la résistance contre l'union soviétique. Cette offre fut refusée par le Royaume-Uni et les États-Unis.
Peu avant la fin de la seconde guerre mondiale, Bernadotte organisa l'opération de sauvetage Bus blancs pour évacuer des déportés, notamment norvégiens et danois, dans des hôpitaux suédois, ainsi que des déportés francophones du Cap Arcona. Il libéra ainsi 15 000 personnes de l'enfer des camps de concentration, et acquit une immense popularité. Cette opération résulte de l'intervention de plusieurs personnes, en particulier en Allemagne, et le rôle de Folke Bernadotte fut moins central - tant sur le plan des décisions à obtenir du côté de l'administration allemande dirigée par Himmler que sur le plan de l'organisation pratique des transports et de l'évacuation des déportés - que ce qu'il a pu être dit et écrit, par lui-même en particulier ou dans la Suède d'après-guerre.
Cependant, des travaux historiques récents1 indiquent que cette opération avait un coût moral, longtemps occulté : pour permettre la libération des prisonniers scandinaves, quelque 2 000 autres prisonniers, malades ou mourants « principalement français, mais aussi russes et polonais », furent sortis du camp nazi de Neuengamme et transférés vers d'autres camps nazis. le transfert fut effectué dans les mêmes « bus blancs », conduits par des chauffeurs suédois, qui servirent à l'évacuation des Scandinaves.
Commenter  J’apprécie          50
Tête de chien, c'est le surnom du narrateur (Asger, de son vrai nom) qui raconte l'histoire de sa famille, transbahutée entre la Norvège et le Danemark.

Tout commence par le grand-père Askild, échappé d'un camp de concentration en Allemagne, en échange de la vie d'un autre. Un passé dont ce grand-père, alcoolique notoire et peintre cubiste à ses heures, ne se remettra jamais et engendrera une descendance haute en couleurs. de sa rencontre avec (Grand-mère) Bjork, qui, à l'époque avait pour marque de fabrique d'avoir les gencives qui saignent, naîtra Niels Junior, autrement nommé Feuille de chou (à cause d'une paire d'oreilles digne de Jumbo l'Elphant), tête de turcs des autres gamins jusqu'au jour où son cousin Tête de Pomme lui montre comment décocher des coups de pieds à l'endroit sensible masculin pour se faire respecter et dont la voix - imaginaire - de la Dent Dure lui révèle comment faire fortune au port de Bergen grâce à la chasse aux crabes géants. Feuille de Chou est le frère aîné d'Anne Katrine l'attardée mentale, dite La Merdeuse (qui deviendra une grosse tata au quintal gélatineux, moquée par Tête de chien, son neveu, et sa nièce, Stinne, qui passe leur temps à la traiter de "grosse tomate". Anne Katrine est la grande soeur de Knut, le petit frère qui a mis les voiles pour la mer le jour de ses 14 ans en lui promettant de revenir la chercher pour l'emmener avec lui en voyage en bateau où elle pourra boire des jus de fruits à longeur de journée.

Car fiche le camp est une spécialité des enfants de cette famille : Feuille de chou disparaît dans la forêt ensorcelée du Nordland, habitée par des personnages et animaux fantastiques. Il y entre adolescent boutonneux pour en ressortir une semaine plus tard, homme, ayant rencontré 2 jeunes filles féériques, une blonde et une brune ! Seulement voilà, il aurait mangé des champignons hallucinogènes...

Le cousin Tête de Pomme a pris le large à bord d'un bateau pour fuir ses responsabilités vis-à-vis d'une jeune fille. Mais c'est pour mieux revenir, transformé en héros des temps modernes, en mec, en vrai, tatoué et tout (je ne vous dirai pas où!) aux yeux de Knut qui suivra son exemple.

Tête de chien à son tour, fuit à Amsterdam pour ses études de peinture.

Des personnages qui passent leur temps à fuir une réalité économique et familiale un peu difficile : Askild se fait virer chez tous les employeurs à cause de son alcoolisme, les affaires de Tête de chou adulte péréclitent, les grand-parents sont trop envahissants. Etre ailleurs pour être "comme des coqs en pâte", selon l'expression d'Askild. Voici donc un petit aperçu de cette famille pas tout à fait comme les autres.

Un roman dense, très drôle et bourré de tendresse, parfois triste aussi. Un saga familiale danoise que je lâche difficilement. J'espère qu'un jour Morten Ramsland écrira la suite car franchement, c'est génial. Une narration vive et franche où un chat s'appelle un chat, sans fioriture, mais d'où la poésie n'est cependant pas absente.

Une belle découverte avec cet écrivain danois dont j'ignorais jusqu'à l'existence il y a peu.

Je remercie les Editions Gallimard et Babellio pour l'envoi du livre.
Commenter  J’apprécie          30
le récit débute en Allemagne. Askild, le grand-père du narrateur, fuit les allemands et leurs camps à toutes jambes. Puis nous voilà transporté en Norvège (et plus tard au Danemark) où on retrouve le même homme désormais grand-père. Un homme difficile qui rudoie ses petits-enfants et refuse de parler de son séjour en Allemagne qui l'a changé à tout jamais. Justement, c'est son petit fils Asger qui nous raconte son histoire. Son histoire mais aussi celle de la famille toute entière sur plusieurs générations. Sa grand-mère est mourrante et il décide de se pencher sur l'histoire familiale.

Dès lors va s'ouvrir devant nos yeux une histoire de famille complexe, douloureuse mais aussi extremement réjouissante !
Car si les premières pages laissent présager un contexte familial difficile et un roman plombant, le lecteur est très vite rassuré par la tournure ironique que prend une narration haute en couleur.

Alternant les époques, le récit nous plonge, de façon très fouillée, dans l'histoire de cette famille.
Asger mélange les temps, revient à son présent pour mieux repartir dans le passé. Si on est un peu perdu au début par l'abondonce de personnages, on finit par identifier chaque membre de la famille tant leurs portraits sont bien troussés.

Askild se prend de passion pour la peinture et le cubisme qu'il introduit dans ses plans d'ingénieur de chantier naval, au grand dam de ses employeurs déjà excédés par son alcoolisme. Sa femme Bjork accouche de son premier enfant au dessus de la cuvette des toilettes et il faut repêcher le gamin plein de merde en tirant sur le cordon ombilical. le dit fils ( "Feuilles de chou") a des oreilles surdimensionnés que les gamins du quartier bourrent de merde d'anguilles. Sa mère l'obligera alors à porter le "truc de merde", instrument coercitif qui l'empêche de bouger. Sa soeur Anne Katrine handicapé mentale ("grosse Tomate" ou "La merdeuse") excerce une affection un peu tendancieuse envers son neveu alors que son frère Knut balance tout par la fenêtre. L'oncle "Tête de pomme" s'engage sur un navire pour fuir la jeune fille qu'il a mis enceinte pour mieux revenir quelques années plus tard, tatoué de partout et même de la verge qui arbore le prénom de la demoiselle en question... C'est lui aussi qui enverra des boites de conserves bourrés d'air pur à sa grand-mère clouée au lit.
Il y aura aussi "La dent dure", "Madame Maman", "LA Bonde", et le fameux "Tete de chien", monstre caché dans la cave qui sera le déclencheur d'un autre drame dont Asger porte encore le poids...
Bref, j'en passe bien plus encore !

Doté d'un humour féroce qui n'épargne personne, l'auteur dresse un portrait jouissif, rien de moins, de cette famille un peu barrée qui passe son temps à déménager, tel le cirque ambulant pour lesquels on les prendra une fois.
Leur quotidien minable est enjolivé par des fulgurances langagières et des passages absolument extravagants qu'on prend plaisir à voir se dérouler sous nos yeux.

Distribuant les histoires des uns et des autres sans y toucher, Asger remonte le fil de sa famille, de ses traumatismes, des non-dits qui lui ont permis malgré tout de se former et de rester lié malgré les aléas. A la fois pathétiques et débridés, ces anecdoctes familiales sont le terreau fertile de sa propre identité construit sur la honte et la culpabilité.

Alternant entre drame, ironie et récit d'initiation, Ramsland a su créer une grande saga familiale hors-norme qui loin du misérabilisme attendu plonge dans la drôlerie et l'inventivité.

Un grand roman ! Ne le ratez surtout pas !!!
Lien : http://legrenierdechoco.over..
Commenter  J’apprécie          40

Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
[...] ... - "Hé ! Feuilles de Chou ! Qu'est-ce qui se passe ? Vous allez où ?" demandèrent les gamins dans la rue.

Niels Junior répondit : "On s'en va", et retourna dans la maison pour disparaître dans les cartons, pour explorer l'intimité de la famille ainsi mise à nue : sous-vêtements, vieilles lettres, dont celles, nombreuses, d'un certain Thor, médecin de son état, et des photos jaunies. Il réussit à couvrir les caisses et les cartons de tant de monstres que cela déconcerta les déménageurs, au point que le déménagement tourna au chaos. Certes, le fait que Bjørk soit enceinte jusqu'aux yeux n'aida pas la situation. De plus, ces jours-là, Askild se montra complètement à côté de la plaque : il ne cessait pas de trinquer avec les déménageurs, il jouait au poker avec eux jusqu'au milieu de la nuit, et, à trois heures du matin, il se mettait en tête de faire découvrir à des déménageurs ivres morts toutes les joies et les finesses du jazz.

Quel spectacle ne fut pas offert aux voisins et aux enfants du quartier lorsque la famille débarqua dans Havnebakken, à Stavanger. A la gare, Askild s'était entiché d'un vieux canasson qui mâchonnait un bout de carton de l'autre côté du quai. Malgré les protestations des déménageurs et les faibles tentatives de Bjørk pour raisonner son mari, Askild décida que la vieille rosse allait tirer le chargement jusqu'à Havnebakken.

A l'arrière du chargement, qui tanguait dangereusement, trois déménageurs soûls comme des vaches s'étaient endormis et ronflaient comme des sonneurs. A l'avant, un homme aux cheveux et aux yeux noirs tenait sa canne dans une main et les rênes de l'autre, perché sur son épaule gauche, un perroquet criait : "Qui va là !" et "Bordel de Merde !" A ses côtés, une femme sur le point d'accoucher , et qui n'avait pas fermé l'oeil de la nuit. Et tout en haut, comme la cerise sur le gâteau : un petit gamin aux oreilles gigantesques, harnaché d'un attirail étrange qui l'empêchait de bouger les bras ...

Les voisins se précipitèrent sur le pas de leurs portes, les gamins derrière l'équipage. Certains furent fort dépités en comprenant que ce n'était pas un cirque qui venait de débarquer en ville. D'autres furent ravis, car la ressemblance avec un cirque était indéniable.

Cependant, Stavanger ne fut pas la ville dont ils avaient rêvé et ils ne se retrouvèrent pas comme des coqs en pâte. Certes, les gamins du quartier se montrèrent plus que disposés à donner un coup de main au déchargement, ce qui était particulièrement nécessaire, car il était impossible de réveiller les déménageurs. En revanche, les voisins restèrent vissés sur le pas de leurs portes et, lorsqu'un brave voisin s'approcha pour saluer les nouveaux venus, il repartit en prenant ses jambes à son cou : "Et il se prétend ingénieur ! Non, mais, quel langage ! Ingénieur ! ... Un docker, oui, si vous voulez mon avis ..." ... [...]
Commenter  J’apprécie          00
Ses oreilles ne sont pas seulement bien développées. Elles sont énormes (...)
Par la simple évocation de Tête de chien, Stinne avait eu un coup de génie.
(...)
Tête de chien dans le réduit sous l'escalier, les propos confus de grand-père sur les Allemands et les chiens de sang, sans oublier les êtres mythologiques de Maman (...) Papa en eut rapidement assez de ce tiers qui venait sans cesse se glisser entre lui et son épouse, un tiers qui, à moitié endormi, marmonnait des phrases incompréhensibles sur une tête de chien.
Commenter  J’apprécie          40
[...] ... Ca se gâte, songeait souvent [Feuilles de Chou] quand il traînait dans les rues de Bergen avec son père ivre, sur l'épaule duquel trônait Kaj, le perroquet, qui criait "Bordel de Merde !" Et l'oiseau, qui avait jadis contribué à rapprocher le père et le fils, commençait à lui taper sur les nerfs.

Toc, toc, toc, entendait-on à toute heure : "Nous savons que vous êtes là !"

Alors, Askild criait :

- "Niels ! La procédure habituelle ! Va ouvrir !"

Et mon grand-père disparaissait dans la chambre, puis se cachait sous le lit.

- "Non, il n'est pas à la maison," répondait Feuilles de Chou. "Non, repassez un autre jour ..."

Des têtes apparaissaient aux fenêtres, des lettres comminatoires s'empilaient avec des factures aux montants irréalistes. Les crabes, sur la tombe de Thorbjørn, se répandirent dans tout le cimetière et causèrent des frayeurs immenses aux visiteurs en rampant dans tous les sens dans les allées. Et quand M. Kramer [= l'instituteur responsable de la mort de Thorbjørn] finit par quitter la ville pour de bon, quand les journaux de Bergen finirent par oublier qu'il avait existé un garçon du nom de Thorbjørn, alors Askild en eut soudain assez des créditeurs importuns. ... [...]
Commenter  J’apprécie          10
[...] Il y a tant d'autres destins qui s'entrecroisaient et se mêlaient à ma modeste petite histoire. Il y avait Anne Katrine, qui a été privée de l'amour de sa mère. Il y avait Leïla, qui a perdu ses parents. Il y avait Neils junior avec ses oreilles et son corset. Il y avait Knut et son nez cassé. Il y avait le chagrin accablant de Madame Maman, la maladie permanente de Grand-Mère Elisabeth et la tumeur galopante de Grand-Père Hans Carole. La faillite de l'arrière-grand-père Thorsten. Il y avait Grand-Mère et son alcoolique de mari, Grand-Père avec son undex sectionné et ses chiens de sang sur une plaine de l'est de l'Allemagne... Je me suis parfois demandé ce que représente mon histoire de Tête de Chien, à côté des histoires qui allaient se dérouler plus tard... (p.339)
Commenter  J’apprécie          20
Bjork commençait à être écoeurée par son époux alcoolique. Des rêves piochés dans toutes sortes de romans sentimentaux de médecins venaient la hanter la nuit, et, dans la journée, ces mêmes romans s'imposaient dans sa vie. Askild n'avait que du mépris pour le nouvel intérêt littéraire de son épouse et il a essayé, sans succès, de lui faire partager sa passion pour les livres d'art et le jazz. Il est indéniable que Bjork était assez mal disposée envers ces enthousiasmes : dans le cubisme, elle ne voyait que la folie de son mari, dans le jazz, elle n'entendait que sa dépendance bruyante à la bouteille. Oui, derrière la lutte sans fin entre les goûts soi-disant cultivés d'Askild et ceux soi-disant populaires de Bjork se cachait un condensé complet de leur relation, et ce combat connut seulement une espèce de trêve lorsque Bjork, sur ses vieux jours, développa un certain goût pour les finesses et les joies des tripots clandestins.
Commenter  J’apprécie          10

autres livres classés : littérature danoiseVoir plus
Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus

Autres livres de Morten Ramsland (1) Voir plus

Lecteurs (68) Voir plus



Quiz Voir plus

Etes-vous incollable sur la littérature scandinave ?

Qui est l'auteur du roman "Bruits du cœur" ?

Herbjørg Wassmo
Jens Christian Grondhal
Sofi Oksanen
Jostein Gaarder

15 questions
149 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature scandinaveCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..