Les Combustibles est la seule pièce de théâtre écrite par
Amélie Nothomb.
Et je m'aperçois lors de ce long marathon que représente le défi de tout relire de l'auteure belge que son thème de prédilection n'est pas le rapport au corps, mais bien la guerre.
Hygiène de l'assassin se déroule pendant les événements du Golfe, l'hiver 1991.
le sabotage amoureux est une guerre des boutons revisitée. Dans
les Combustibles, la guerre est encore plus présente même si l'on n'y rencontre aucun de ses aspects les plus dégoûtants, mais juste ses conséquences.
Cette pièce à trois personnages n'est rien d'autre qu'une lutte désespérée contre le froid, comme
Hamsun a décrit la Faim. Trois universitaires, un professeur d'âge respectable et ses deux étudiants, amoureux l'un de l'autre.
Sartre disait « l'enfer, c'est les autres ». En réalité, davantage que les Autres, l'ennemi c'est le corps. Il a faim, il a froid, il a des besoins, des envies. Difficile d'en faire abstraction, y compris pour des intellectuels qui évoluent dans une pièce entièrement meublée de... livres !
Une fois tous les meubles brûlés, il faudra s'attaquer aux milliers de pages écrites.
Mais comment choisir par lequel commencer ? Cet implacable autodafé revient, par élimination, à se poser la question de quel livre emmener sur une île déserte.
Amélie brouille les pistes, mêlant quelques auteurs connus et d'autres, parfaitement inventés : Obernach, Kleinbettingen et surtout Blatek, sujet à controverse. Bien sûr, libre à chacun d'imaginer qui pourrait se cacher derrière ces allégories.
On se prend au jeu : il y a des livres incontournables et il y a ceux que l'on aime lire et relire. Ce ne sont pas forcément les mêmes. Faites le test.
Dans mon propre panthéon des essentiels, des indispensables, des éternels, il n'y a pas que
Stendhal,
Hemingway, Céline,
Platon,
Shakespeare,
Dante ou même
Umberto Eco. Ils n'y figurent même pas. Honteux ? Pas forcément, car l'écriture (et son envers, la lecture) ont un rapport direct avec l'émotion. Ils jouent sur des fibres que la raison ignore. On ne lit pas qu'avec sa tête, mais autant avec son coeur. de la même façon, on n'écrit pas uniquement avec son cerveau, mais avec ses tripes. L'encre et le sang.
Seulement, et cela n'implique que ma très modeste personne, Nothomb passe à côté de son sujet. On dirait même qu'elle a peur de s'y enfoncer, restant en surface. Cette longue nouvelle (moins de cent pages – je la savais concise dans ses enfants de papier, mais pas à ce point, du reste
les Combustibles est son plus court roman) pâtit des inconvénients liés au dialogue. N'est pas
Sartre ou
Shakespeare qui veut. Cela ne remet pas le talent de conteur d'Amélie. Bien sûr, sur la bonne trentaine de romans publiés, il y en a de moins bons que d'autres, mais
les Combustibles sont le moins abouti.
J'attendais une réflexion sur l'écriture, la lecture, les mots, l'éternité de l'oeuvre : rien de tout ça. Juste un trio qui se déchire, où il n'est même pas question d'amour, sans la légèreté des vaudevilles. Tout se concentre sur les rapports entre les personnages qui sont mal campés (bon, en moins de cent pages, difficile d'aller creuser en profondeur, façon
Balzac). Pas de suspens. On sait bien comment tout ça va finir, de toute façon. Pas d'humour : les intellectuels savent-ils ce dont il s'agit ? A peine quelques réflexions d'une rhétorique de bazar. Pas de réflexion poussée sur le froid, une thèse sur le glacé en quelque sorte. Ces duels à trois manquent d'une chorégraphie. Pour vous faire une idée, regardez la pièce mise en scène par Daniel Schell (qui a porté sur scène les trois premiers romans d'Amélie) disponible chez Youtube – dans la même foulée, regardez le reportage de la télévision belge en 1994 : très instructif où Nothomb avoue qu'elle pense toujours ses romans en « dialogues »... et ne tape que de deux doigts (notre seul point commun).
Les combustibles serait-il le premier livre de Nothomb à jeter au feu ?