De l'épopée de la gloire à l'évangile du dénuement
Lawrence fut comme Ulysse - il édita sa propre traduction de l'Odyssée d'
Homère - héros adulé de sa guerre de Troie dans ce Moyen-Orient dominé par l'empire ottoman, balloté sur l'océan des dunes de sables, n'ayant de cesse après la victoire de fuir la gloire et la célébrité, de renoncer aux cimes héroïques pour se plonger, dès son retour sur sa terre natale, dans la radicalité de l'effacement de soi. « Choisir l'évangile du dénuement... Etre un moine laïc. Il faut qu'il redevienne humain. A la frugalité de l'homme du désert, il a d'abord associé la pénitence du chevalier, du croisé. Aujourd'hui c'est à la discipline de l'homme de troupe qu'il veut se plier ».
Sa vie est en effet épopée dont les frères POIVRE d'ARVOR nous détaille les exploits. A commencer par son nom de naissance, Lawrence - il en aura d'autres - non celui de son propre père Thomas Chapman, baronnet, mais celui du probable géniteur de sa mère Sarah : Thomas Edward Ned Lawrence (1888-1935) et ses quatre frères apprendront sur le tard que leur père a abandonné ses quatre filles - il ne les reverra jamais plus - pour fuir avec leur gouvernante Sarah, quinze ans d'écart, une épouse bigote et acariâtre, Holy Viper qui les poursuivra de sa haine et ne leur laissera aucun répit.
De petite taille, 1 m 66, la fracture d'une jambe à l'adolescence lors d'une bagarre aurait freiné sa croissance, il se révèle l'un des meilleurs étudiants d'Oxford, se passionne pour l'archéologie, visite la Syrie et ses châteaux des Croisés, objet de sa thèse, se mortifie le corps par des marches harassantes, apprend l'arabe, en adopte les habits pour participer enfin aux fouilles de la cité hittite de Karkemish sur l'Euphrate à la frontière turco-syrienne actuelle.
Il est fin prêt pour sa grande oeuvre, dans le contexte de la Grande guerre 14-18, être le plus jeune chef de guerre britannique de la Révolte arabe du Moyen-Orient qui va se libérer par les armes d'un empire ottoman déliquescent. Après l'Arabie, la révolte gagne de proche en proche. Aqaba est prise à revers par son audacieuse manoeuvre, une marche héroïque dans l'enfer estival du désert. Cependant que les grandes puissances coloniales prévoient de dépecer dès 1916 les territoires du dindon turc (turkey) par les fameuses lignes sur le sable des accords Sykes-Picot : à la France la partie nord (A sur la carte), Liban et Syrie, aux Anglais le sud (B), le contrôle de la Mésopotamie (l'Irak actuel), une vaste zone allant de la Palestine à la ville de Kirkouk.
T.E. Lawrence dont la tête est mise à prix par les Turcs, 20.000 livres, protégé de sa garde personnelle d'une centaine d'hommes, des Bédouins-mercenaires, multiplient les razzias-rezzous et raids-éclairs de sabotage contre la ligne du chemin de fer nord-sud du Hedjaz, assiste sur son flanc droit le général Allenby qui, sur ordre du premier ministre anglais Lloyd Georges, va, de l'Egypte, conquérir la ville de Jérusalem. Allenby y renoncera à une entrée spectaculaire. C'est à pied qu'il pénètre dans la capitale le 11 décembre 1917. « Le Christ plus modestement marchait. »
L'offensive se poursuit vers le nord avec la prise de Damas et d'Alep en Syrie par les Anglais et les troupes chérifiennes, les nationalistes arabes occupent la ville libérée dans la liesse des habitants. Enfin le 30 octobre 1918, l'armistice est signé entre le Royaume-Uni et la Turquie, le 11 novembre avec les Allemands.
« La guerre est finie. Sa guerre est finie. » C'est l'ère des diplomates et des conférences, de la Paix à Paris en janvier 1919, le traité de Versailles signé en juin, du Caire en 1921 : sont décidés la paix entre Hussein et Ibn Séoul en Arabie, le mandat britannique sur la Palestine, Abdallah nommé émir de Jordanie (roi en 1946) et Faysal installé sur le trône d'Irak à Bagdad.
Et soudain stupéfaction. Lui, roi sans couronne, colonel DSO, rejoint la Royal Air Force sous le faux nom de John Hume Ross - encore un nom d'emprunt - comme 2ème classe, un rampant, prêt à assumer toutes les tâches les plus humiliantes du soldat. La supercherie est révélée par la presse, il est renvoyé de la RAF. Parvient à se faire affecter dans un corps de blindés. Sous un ultime nom, Thomas Edward Shaw, qu'il adoptera définitivement à l'état civil. Finit par être réintégré dans l'armée de l'Air, est muté au Pakistan pour rejoindre enfin l'Angleterre.
Tout à son rêve de postérité littéraire, il se consacre à la rédaction de ses oeuvres, essentiellement
Les sept piliers de la sagesse, mille fois écrit, mille fois repris, se retire à Clouds Hill, minuscule cottage du Dorset acheté avec ses droits d'auteur, cocon de l'âge mûr, « J'ai gagné le repos ». Un accident de moto ce matin de 1935 - sa grande passion la vitesse - le blesse à mort : il décède le 19 mai à l'hôpital militaire de Bovington, camp de blindés tout proche de sa maison.
Le grand
Churchill lui rendra hommage dans son introduction aux Home Letters of T.E. Lawrence : « Se mouvant en marge des courants habituels de l'activité humaine, aussi prompt à la violence qu'au plus haut sacrifice, il était un être solitaire, austère, l'habitant des cimes, là où l'air est froid, vif et raréfié, et d'où l'on domine, les jours clairs, tous les royaumes du monde et leur gloire. »