L'atelier de Paul Cézanne, situé sur les hauteurs d'Aix en Provence, vaut assurément le détour. Aujourd'hui musée, ce lieu de création est sans doute un peu mieux rangé qu'au début du siècle dernier. Le béret et la blouse (1), accrochés dans un angle de la vaste pièce lumineuse, laissent à penser au visiteur que l'artiste s'est juste absenté un court instant et qu'il les revêtira tout à l'heure avant de se remettre à l'ouvrage.
Cézanne était un personnage entier qui jusqu'à son dernier souffle se consacra à sa passion en véritable bourreau de travail. Sans doute l'influence de son ami impressionniste Camille Pissaro, qu'il côtoya une vingtaine d'années, mit-elle fin progressivement au dilettantisme qui caractérisait les jeunes années du provincial.
Il semblait dans ses vieux jours habiter complètement sa peinture ; à peine se souciait-il des garnements qui lui lançaient des pierres lorsqu'il rejoignait, la barbe au vent et tout de noir vêtu, son domicile.
La première rétrospective parisienne de Cézanne, quelques mois seulement après sa disparition à l'âge de soixante-sept ans, se tient en 1907 au salon d'Automne. Dans les travées du Grand Palais, il est un visiteur particulièrement assidu en la personne de Rainer Maria Rilke.
Ce dernier n'est pas au mieux psychologiquement. Il a quelques remords d'avoir quitté sa femme, la sculptrice allemande Clara Westhoff, et leur bébé. La brouille récente avec Auguste Rodin, dont il était il y a peu encore le secrétaire, pèse également sur son moral...
S'il s'identifie pleinement à Cézanne et s'il en parle longuement et avec éloquence à sa femme, c'est peut-être pour faire comprendre à celle-ci combien sont grands les sacrifices que doit accepter l'artiste, mais aussi son entourage, pour atteindre l'excellence.
Les “Lettres sur Cézanne”, écrites de juin à novembre 1907, montrent l'érudition de l'écrivain autrichien en matière de peinture. Rilke donne un éclairage particulier sur la personnalité du peintre, capable par exemple de réciter du Baudelaire de façon impromptue. Son avis sur un certain nombre de tableaux est passionnant, celui intitulé “La Femme au fauteuil rouge” (2) lui permet notamment de mettre en avant la corrélation existant entre les différentes couleurs, et ce, en laissant vagabonder son imaginaire poétique.
Alors si vos pas vous conduisent un jour prochain d'Aix en Provence à la montagne Sainte-Victoire (3) qui inspira tant le maître aixois, vous apprécierez, tout en croquant une belle pomme dans quelque endroit ombragé, de parcourir ces “Lettres sur Cézanne”, véritable hommage posthume d'un grand écrivain à un grand peintre.
(1) et (3) Pour agrémenter cette critique, ces 3 photos par le lien ci-dessous:
https://adobe.ly/2Hhanup
(2) L'éditeur a eu la bonne idée de glisser au coeur de l'ouvrage, 16 tableaux en couleurs de Cézanne sur papier glacé.
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Je recommande vivement ce petit opuscule. Recueil de lettres adressées à sa femme, Clara Westhoff, par le poète Rainer Maria Rilke en 1907.
De retour à Paris pour compléter une monographie sur Rodin, Rilke découvre Paul Cézanne au Salon d'Automne : ses lettres sont autant de réflexions sur la peinture que des projections personnelles sur son propre parcours et celui de sa femme.
Les oeuvres de Cézanne magnifiquement mises en mots par le poète (traduit par Philippe Jaccottet). de toute beauté.
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Dès le matin, j'avais lu ce que tu m'écris de ton automne ; toutes les couleurs que tu avais glissées dans ta lettre se sont transformées en moi pour remplir ma conscience, jusqu'au bord, de force rayonnante. Pendant qu'ici, hier, j'admirais un automne translucide, tu marchais dans cet automne de notre pays qui est peint sur bois roux comme celui-ci l'est sur soie. L'un et l'autre nous atteignent, tant est profonde notre assise en toute métamorphose, à nous les plus changeantes des créatures, qui errons avec le goût de tout comprendre et qui avons fait de l'immense (tout en ne pouvant l'embrasser) la tâche de notre coeur, afin qu'il ne nous détruise pas.
Cette intégration de l'amour dans un travail anonyme, producteur de choses si pures, n'a peut-être réussi à personne aussi bien qu'au vieux Cézanne -aidé en cela par une nature devenue méfiante et morose. Eût-il encore connu l'amour, sans doute ne l'aurait-il pas avoué ; mais avec cette disposition aggravée par son isolement d'original, il se retourna vers la nature et sut ravaler son amour pour la pomme réelle et le mettre en sûreté pour toujours dans la pomme peinte.
Les œuvres d'art sont toujours le résultat d'un danger couru, d'une expérience conduite jusqu'au bout, jusqu'où personne ne peut aller plus loin.
"L"heure grave"
Poème de Rainer Maria Rilke, chanté par Colette Magny