François Salvaing a eu son heure de gloire autour des années 1990, avec le Prix du livre Inter pour
Misayre! Misayre! (1988) et
Parti en 2000. Il continue d'écrire mais j'avoue que je n'ai rien lu depuis. Entre ces deux repères, il est l'auteur de plusieurs beaux livres. J'ai un faible pour le sensible
La Nuda et le roboratif
Vendredi treizième chambre.
La Boîte est également parmi ses meilleurs. Ses qualités s'y déploient sans retenu : un style alerte, une phrase incisive, une intelligence aigue et une méchanceté assez jubilatoire. Cet ancien journaliste de l'Humanité s'attaque aux années Mitterrand en tant qu'elles furent celles de la mondialisation, du libéralisme économique décomplexé et d'un nouveau Far-West. "Le monde comme une seule mine de matières premières, un unique vivier de main d'oeuvre, le monde comme marché commun, comme vaste terrain du jeu financier."
Son personnage, Patrick Bardeihlan, est un aventurier de son temps qui "aime faire le bien et que ça lui serve. (Oui et alors ?)" Devenu DRH il sermonne les syndicalistes : "Est-ce qu'ils voulaient faire capoter la gauche, à réclamer tout, tout de suite ?"
L'appel de la modernité et celui de son propre intérêt le dresse facilement contre le capitalisme à papa où des individus existent encore parmi les ressources humaines. Il faut surfer sur les mots, les nouveaux concepts, ne pas se laisser distraire, car "dès que [le réel] déployait sa réalité les mots étaient menacés d'usure, de déformations, de dévoiement, d'impuissance, d'ineptie."
Qu'à cela tienne, changeons les mots ! La charge que mène
François Salvaing n'est pas seulement politique, elle est aussi littéraire, elle vote pour la ressource de mots qui aident à vivre, à comprendre le réel, et non à le trahir, le déformer.
"A la modernité ! dit-il"
Patrick Bardeihlan épouse l'air du temps et en saisit les opportunités, part en croquer dans les fusions & acquisitions : "Ils coururent comme des dés sur un Monopoly géant, guettant les cases libres ou libérables, le moyen, le moment de les investir." le signal avait été donné : "Le président de la République venait de prononcer le mot profit sans le mettre au pluriel et au péjoratif comme dans la tradition marxistoïde."
Patrick Bardeihlan est de ces personnages qu'on aime haïr.
François Salvaing (et nous aussi) s'en régale. Mais à la fin le réel rattrape Bardeihlan et se venge, méchamment. Ca fait plaisir, mais c'est aussi un peu artificiel, parce que si ce n'est lui c'en est un autre, et les temps n'ont pas tellement changé depuis cette époque. le roman paraît même avoir une acuité toute
particulière sur les ruines de la start-up nation et des inventions langagières du macronisme.
"Les paroles changent, l'air est le même." La problématique aussi : "Comment faire sans les hommes, et être un homme sans faire."