1.
JULES CESAR Traduction de
Jérôme Hankins
2.
OTHELLO. Traduction de
Jean-Michel Déprats.
3. TITUS ANDRONICUS. Traduction de
Jean-Pierre Richard.
1.
JULES CESAR.
Jules César appartient aux "pièces romaines "de
Shakespeare dont Titus Andronicus fait aussi partie (voir plus bas)
C'est une des premières pièces du Barde, recensée en 1599. L'intrigue est assez simple : le pouvoir grandissant de César présente un danger pour la république, il est donc assassiné par une conspiration menée par Brutus son meilleur ami. A partir de la mort de César – qui ne vit en fait que dans l'acte – son fantôme pose un problème sérieux de partage du pouvoir entre ses deux plus proches amis : il y a le camp de Brutus avec Cassius et celui du triumvirat formé par
Marc-Antoine, Octave et Lépide.
Shakespeare s'est librement inspiré de la vie des hommes illustres de
Plutarque.
Cependant,
Shakespeare tisse une toile plus subtile lorsqu'il inclut les réflexions et méditations des protagonistes. Il s'agit surtout de celles de Brutus qui s'interroge sur la finalité de l'attentat partagé entre son amitié profonde pour César et le devoir envers Rome:
I would not, Cassius, yet I love him well (I,1, 80)
(Je ne le veux pas ,Cassius, et pourtant je l'aime.)
Set honour in and death I'th' other
And I will on both indifferently ;
For let the gods so speed me, as I love
The name of honour more than I fear death.(I,1,84-87)
(Placez l'honneur dans un oeil, et la mort dans l'autre,
Je les fixerai tous les deux indifféremment ;
Et que les dieux me protègent tant que j'aime
Le nom de l'honneur plus que je ne crains la mort. )
La pièce est en fait composée en parallèle avec effets de miroir plus au moins déformant. Ainsi les réflexions intimes de Brutus se font-elles l'écho de ses agissements pour le bien commun, cette république au peuple si versatile à tel point que c'est le dernier qui leur parle qui a raison. On sent tout ce que cette pièce peut avoir d'universel et d'intemporel, notamment en politique où la disparition d'un seul tribun solide qui sait rassembler implique une lutte de pouvoir sur fond d'intérêts personnels.
La fameuse bataille de Philippe oppose certes Brutus à Antoine mais la mort de Cassius dérègle tout l'équilibre puisqu'à priori il n'y a pas de vainqueur. le meurtre de Brutus a probablement une légitimité aux yeux de la collectivité mais son remords d'homme de bien n'en est pas moins touchant. Cette prise de conscience qui se déchire entre deux choix annonce déjà les affres de
Hamlet, fantôme inclus. Mais ici il semble que le seul personnage qu'est devenu
Hamlet ait éclaté en plusieurs ici, dont certains ont choisi la mort plutôt qu'une défaite autant collective qu'individuelle. Mais laissons parler Cassius, un des conjurés victime de la Roue de la Fortune :
The fault, dear Brutus, is not in our stars
But in ourselves, that we are underlings. (I,2,137-138)
(La faute, cher Brutus, n'est pas dans nos étoiles
Mais en nous-mêmes, si nous sommes des sous-fifres.)
2.
OTHELLO
Iago, enseigne, du général Maure
Othello, dépité de n'avoir pas été choisi comme officier, fomente sa vengeance contre Michael Cassio, meilleur ami d'
Othello, qui lui ravit ce poste. de plus, Iago convoite aussi la belle Desdemona femme du Maure tant haï.
La fascination de cette pièce provient de la façon dont Iago met en place son stratagème, recrée en quelque sorte une intrigue dans l'intrigue. Il provoque d'abord la disgrâce de Cassio en le faisant boire lors de son tour de garde jusqu'à il se retrouve impliqué dans une rixe, sème des doutes dans l'esprit d'
Othello sur la relation de Cassio avec Desdemona auprès de laquelle celui-ci essaie de plaider sa cause, puis appuie ses preuves avec un indice : un mouchoir brodé de Desdemona que son mari lui a offert et qu'on retrouve chez Cassio par l'entremise de la propre femme de Iago, Emilia, personnage tout aussi profond que les autres – force de
Shakespeare – et prouve même être un révélateur. Iago agit toute en finesse, s'attirant les bonnes grâces des uns et des autres, jouant l'innocent, semant petit à petit un mal qui doit assouvir sa vengeance. Il se sert de l'absence momentanée d'
Othello et de la fortune d'autre amoureux transi de Desdemona, Roderigo.
D'autre part, on s'étonne qu'
Othello soit plus enclin à croire Iago plutôt que sa femme qu'il voue de suite aux gémonies. Mais
Shakespeare aussi sème ses graines au long de la pièce puisque d'emblée,
Othello est soupçonné par Brabantio, père de la belle, de l'avoir envoûtée ; ce qui est à demi vrai puisque
Othello, racontant ses hauts faits militaires a provoqué la fascination de la belle :
OTHELLO :Elle m'aima pour les dangers que j'avais traversés,
Et je l'aimai d'en avoir pris pitié. (I ; iii ; 154-155)*
Un peu comme
le roi Lear,
Othello se laisse bercer par les flatteries. C'est un valeureux guerrier, un soldat fidèle et dévoué à son camp mais contrairement à Iago manque de jugement sur les autres.
IAGO : le Maure est une nature ouverte et franche,
Qui croient les hommes honnêtes pour peu qu'ils le paraissent,
Et il se laissera docilement conduire par le nez … (I ; iii ; 378-380)*
Iago analyse chaque personnage et voit comment il peut l'exploiter. C'est un politicien rongé d'ambition- et là il rejoint
Macbeth – sauf que Iago fait tirer les ficelles par d'autres ou s'arrange pour être pris pour le contraire de qu'il a fait ; ainsi s'il commet un meurtre, il apparaît pour celui qui porte secours et non pour l'auteur du crime.
Donc, semant ses graines de jalousie, soupçon après soupçon, il porte toute la tragédie à son apogée de folie meurtrière. Seul, le spectateur sait qu'il est le mal absolu puisque seule la haine le gouverne. Cette montée en puissance toute en nuance des doutes et fausses certitudes d'
Othello subjugue autant qu'elle montre l'illusion d'un spectateur de théâtre emporté par les mots d'un auteur – ici Iago en intermédiaire machiavélique – et qui accepte pour un instant la « réalité » qui l'arrange ou qui le possède. En fait d'envoûtement, c'est bien
Othello qui se retrouve piégé et non son épouse.
Une pièce hautement passionnante à tous les égards.
3. TITUS ANDRONICUS.
On connaissait la fin de
Hamlet comme une série de meurtres à l'arme empoisonnée, résultat de folie ambitieuse, d'adultère frisant l'inceste, de dialogues avec des fantômes ; on connaissait les ignobles complots de Lady
Macbeth qui poussent au meurtre de Duncan dans son sommeil innocent, et les visions de
Macbeth lors du banquet final, renversé lui aussi par une armée réorganisée par un banni. Dans Titus Andronicus, il y a tout cela et bien plus encore.
Pour Titus, général romain vainqueur des Goths, ses faits d'armes ne sont guère récompensés par Saturninus, l'actuel empereur qui, parce qu'il n'obtient pas la femme qu'il désire en la personne de Lavinia, fille de Titus, épouse par dépit Tamora, la femme Goth capturée par le général et son armée, elle-même acoquinée avec un maure, son âme damnée, et des ses deux fils Démétrius et Chiron. Lavinia, bafouée, violée, mutilée (on lui arrache la langue et lui coupe les mains) fait le désespoir de son père de même que ses deux fils, accusés d'avoir tué Bassanius, mari de celle-ci et frère de Saturninus, ont la tête tranchée malgré une pseudo promesse de grâce présentée par le maure à la condition qu'un des Andronicus coupe l'une de ses mains en gage. Titus offre la sienne et obtient les têtes de ses deux fils. Pendant que Saturninus est cocufié par le Maure, le dernier fils de Titus banni, la machine vengeresse se met en place et finira dans le sang et le cannibalisme.
Shakespeare revisite de nombreux mythes tirés des Métamorphoses d'
Ovide pour servir cette histoire romaine complètement fictive. Parmi eux nous retiendrons celui de Philomèle et Procné. C'est en quelque sorte un polar élisabéthain où les « méchants » sont punis et l'ordre rétabli par un nouvel empereur mais surtout où la vengeance est reine et légitime. Comme toujours le langage est roi chez
Shakespeare, la métaphore parfois cliché mais très souvent étonnante, et pour la première fois –depuis que je le lis en tout cas- une mise en abyme de ses mêmes Métamorphoses, que Lavinia utilise pour désigner les coupables de son crime, à mon sens une des plus belles scènes de cette tragédie. Comme elle,
Shakespeare les utilise pour récréer son propre langage. On note aussi de fines allusions sexuelles toutes en jeu de mots, sur le cocufiage entre autres.
On a souvent dit dans le peu qu'on sait de
Shakespeare, que les deux ou trois livres qu'il avait constamment sous les yeux étaient justement les Métamorphoses, la Bible et l'Histoire de la Grande Bretagne d'Holinshed. Dans cet opus, le dramaturge plonge au plus noir de l'âme humaine avec notamment cette figure du Maure – avec certes une analogie facile avec la couleur de sa peau, miroir de son âme –qui à la fin, condamné à être affamé et enterré debout, ne regrette aucunement ses forfaits mais aurait même souhaité en faire « mille de plus » et regrette seulement « d'avoir commis une seule bonne action. »