Attente
L’âme vidée de miracles,
On nous a poussés dans une salle de spectacles
Pour nous distribuer, par un système de tuyaux et moteurs,
À chacun une gamelle de vapeurs.
On était jeunes, on était militaires,
On était morts à peine, dans la grande guerre
Que nous avions livrée au Détroit.
Qui ne meurt pas ? Tout le monde choit…
Mais à quoi bon philosopher ?
Il valait mieux continuer
Le service, interrompu un moment
Jusqu’à l’arrivée du nouveau régiment
Qui devait nous relayer
On ne savait pas combien elle allait encore durer,
Notre attente dans cette grande salle-là,
On savait seulement qu’il y aurait un spectacle de gala
Et avant qu’il commençât
Nous tentions de comprendre pourquoi
Si haut, sur les corniches, furent mises
Les médailles que nous gardions dans nos valises.
(p. 49, Leonid Dimov)
Noces
Les cousettes élancées
Attendent nues dans leurs dentelles
Des taxis de fiancés
Sous les fenêtres parallèles
Adolescents et rieurs
Ils dressent sous le dôme en fête
D’un pas leste à l’intérieur
Des polyptyques de crevettes.
(p. 48, Leonid Dimov, traduit du roumain par Alain Paruit)
Le féliphone bavard
Dans l’espace héraldique où parfois il médite
Entre-en-nuit a rencontré le féliphone bavard
(linguam felium sonans) : il ressemble au magnétophone,
on lui parle à voix basse cependant qu’il vous fixe.
Plus tard et de la façon la plus inattendue,
il vous répète, fidèle, avec la voix d’Entre-en-nuit
les paroles mêmes d’Entre-en-nuit. Plein de tact,
le féliphone peut apprendre à chanter quelque peu :
de là vient le nom qu’il porte en langue latine.
Entre-en-nuit discute avec le féliphone, lui expose
certaines de ses pensées, il argumente
et fait l’éloge des étoiles qui scintillent
au ciel de l’espace héraldique. Pendant ce temps,
le féliphone ne l’interrompt jamais ;
il ne cesse de le regarder, fixement, sans cligner l’œil.
(p. 53, Mircea Ivănescu, traduit du roumain par Christian Audejean et Dumitru Tsepeneag)
Irisation
Rose poussière sur le mental
Musique aux blancs jardins
Je veux me souvenir
Des empereurs byzantins.
Voilà, une rivière j’ai passé
Voilà les soldats qui arrivent
Voilà, nous attend une fosse
Là-bas, parmi les ronces.
On s’y trouve des amis
Serrés entre des femmes blanches
Tous sur plans d’aiguilles de pin
Tous récitant des épopées.
Tiens, quelque chose de bien qui me passe
Doucement par l’âme entière !
Pâles, d’anciennes disciplines
Troublement y brouillent. Je comprends
(p. 36, Leonid Dimov, traduit du roumain par Michel Deguy et Dumitru Tsepeneag)
Racle donc les sourires des enfants derrière les vitres
pour regarder la mort comme un luxe des pauvres.
(p. 166, Mircea Dinescu, extrait du poème L'Apothéose des aveugles)
Dumitru Tsepeneag Un Roumain à Paris - éditions P.O.L : où Dumitru Tsepeneag tente de dire de quoi et comment est composé son nouveau livre, "Un Roumain à Paris", traduit du roumain par Virgil Tanase, son journal des années 1970 à Paris, et où l'on croise notamment Roland Barthes, Eugène Ionesco, Emil Cioran, Paul Goma, Nicolae Breban, Michel Deguy, Gabriel Marcel, Leonid Dimov, Paul Otchakovsky-Laurens, Alain Robbe-Grillet, Robert Pinget, où il est aussi question de la parution de ses premiers livres dans la collection Textes chez Flammarion, de sa déchéance de nationalité roumaine, de la revue "Les Cahiers de l'est", de Chine et de Roumanie, de jeux d'échecs et de courses de chevaux, de l'onirisme et du surréalisme, à l'occasion de sa parution aux éditions P.O.L, à Paris le 4 février 2021.
Dumitru Tspeneag - Dumitru Tepeneag - Ed Pastenague "un român la Paris"
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