Claire Castillon

Ma vie prend alors de la vitesse et mon lit m'emmène vers des sommets merveilleux. À condition qu'aucun de mes bords ne touche les parois de mon rêve. Elles sont comme des lames de rasoir. C'est pour cette raison que je me réveille souvent en criant.

Il y a tant de grands projets humains qui nous attendent.

Mais il y a des choses inaltérables, des choses plus stables que le béton, et ces choses ont un cœur, une âme, ce sont les êtres proches.

Depuis que je suis rentrée en sixième, je ressens des hauts et des bas, un peu comme des nuances de couleurs.

Depuis le déjeuner de moules, elle répète . qu'on est bien tranquilles toutes les J'ai réintégré son univers. Elle a froid, mais qu'elle respire mieux quand il n'est pas là. « Tu devrais lui dire que tu en as marre qu'il te dispute, lui dis-je. Il ne me dispute pas, se défend-elle, il m'explique des choses intéressantes.. II n'a pas toujours la façon de les dire, c'est tout.» Quand elle lit l'interrogation dans mes yeux, elle se rappelle qu'elle doit aussi m'apprendre à rester libre alors elle conclut : « Tu as raison.Te concernant en tout cas, il n'a pas de conseils à me donner. Alors viens, on a faire le grand chelem! Je te propose la fin du Corniaud puis La Grande Vadrouille, t'en dis quoi? » Je crois que je lui réponds que je ne le répéterai pas, que c'est notre secret.

Il cafte. Il se plaint de moi. Dans ces cas-là, ma mère ne voit pas ce qu'il veut dire. Alors elle ne fait pas ce qu'il faut. Tout empire. On dirait qu'elle n'a pas compris qu'il faut bannir certains termes, ne plus tenter d'analyser son comportement quand il l'accuse d'avoir modifié la composition de son parfum ou quand la sentence tombe sur elle et que le sujet suit le verbe : "Tais-toi".

Alors que nous, avec maman, on est pas des gens comme ça. On est jamais comme ça. On est respectueuses des autres et quand on commet une erreur, on ne se fâche pas. On ne se défend pas, on s'excuse.

En gros, je vis un calvaire. Moi, sportive, subtile et délicate. Elle, bruyante et brutale. Un peu crado aussi.

River encaisse toujours mais ce sont les yeux de papa qui s'embuent. Il existe une buée de colère. Papa sent qu'il va retourner la table s'il ne choisit pas de dire des mots. Des mots pour sauver sa River.

Toutes les deux, on se parle d'esprit à esprit. C'est-à-dire qu'elle peut se trouver n'importe où, moi pareil, et on communique. J'ai pris l'habitude de lui céder une partie de ma vie. En retour, je connais la sienne comme ma poche. Et justement, l'échange est peu équitable. Sa place est meilleure que la mienne. Ressentir des bribes de ma vie réussie est sûrement plus agréable que vivre la sienne, même de loin. La sienne et toutes les injures qui vont avec puisque sa pauvre vie n'est faite que d'agressions répétées. Page 105

Elle n'est plus là, parce qu'elle n'est plus nulle part. Elle est dans mon coeur, elle peut très bien y vivre. Je la fais battre. Pour la réanimer.

Le problème dans la vie, dit River, c'est tout ce qui est déjà mort.

Je suis sortie de chez toi, je me suis accroupie contre le mur chaud, j'ai entrouvert les lèvres et j'ai perdu ma sève.

J'ai vu que ma mère avait ses yeux des années 80, ses yeux disco qui dansent quand mes parents organisent une soirée et qu'elle s'occupe de la playlist, ses yeux désespérément gais qui attendent Richard Cocciante pour se fermer sur l'épaule de mon père. C'est son paradoxe, la musique pourrie. Et celui de mon père, d'aimer le paradoxe de ma mère alors qu'il porte d'ordinaire un regard plus que critique sur les textes qui ne sont ni de Renaud ni de Le Forestier.

Après la mort de mon père, la langue de ma mère s'est déliée. Elle m'a dit qu'ils avaient été heureux tous les deux pendant quarante-cinq ans. Elle m'a demandé de vérifier, chaque jour après l'autre, que j'étais heureux là où je vivais. Et sinon, il fallait partir. Parce que le bonheur était forcément quelque part. Elle était sûre de ça.

- La vie m'a montré que l'homme a plus d'ardeur pour acquérir que pour conserver.

Quand je te disais Ma grande, tu me souriais vraiment. Ça durait juste le temps de redescendre de là-haut, là-haut où ça te mettait, l’amour dans nos draps froids. Tu avais lu quelque part que grelotter fait brûler. Les calories, je parle. Si toi tu avais froid, il fallait que nous aussi. Tu arrêtais le chauffage. La petite contre son lion. Je me pelais contre toi et tu supportais pas. C’était femmelette. Tu aimais bien les vrais hommes. Je te sentais traversée par un grand courant chaud quand un colonel des armées disait Mes hommes à la télé. Moi, j’étais pas jaloux.

 J’écris sur ce dont j’ai peur », a dit mon auteur fétiche. John Irving. J’ai lu tous ses livres. Même ceux que tu as noyés dans une baignoire pour pas que je fasse autre chose que te regarder, en vacances. Même ceux dont tu as déchiré les couvertures par petits fragments, pour cracher tes chewing-gums.

Quand nous nous sommes embrassés, j'ai été rassuré de voir que les nez n'étaient pas une entrave aux baisers - ils se croisaient sans empêcher la respiration -, mais j'ai été fortement perturbé par son odeur un peu rance, vive entrave à mon excitation.

Je l'appelle Apothéose parce qu'il n'y a aucun prénom logique à lui mettre sur le visage, ni un prénom classique, ni un prénom ancien, ni un prénom mixte, de fruit ou de fleur. Je la klaxonnerai avec ma tête jusqu'à ce qu'elle se retourne.