AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Henri Michaux (139)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Plume (précédé de) Lointain intérieur

Plume et Lointain intérieur, deux titres qui, longtemps après que j'ai découvert le recueil, restent chargés d'un charme poétique particulier.

Henri Michaux est de ces auteurs qui m'ont fait entrer en poésie, Plume précédé de Lointain intérieur de ces recueils qui m'ont et continuent de me marquer par son caractère mais aussi par l'histoire qui me lie à lui.



L'écriture d'Henri Michaux n'est pas des plus accessibles, elle surprend, peut déconcerter par certains aspects mais elle révèle cependant une intentionnalité, une originalité touchantes.



Dans toute son oeuvre, Michaux n'a jamais voulu s'installer dans une subjectivité figée, se compromettre dans un déjà vu, un ressassement de style. Il a toujours souhaité renouveler une écriture en mobilisant la langue, en se jouant des convenances morales, du sens donné aux choses. Très perceptible dans Lointain intérieur (oublié en 1938), Michaux se livre à un combat, à un affrontement verbal dans lequel il cherche à débusquer le sens, comme pour le mettre à mal, l'éprouver. Sous le désordre apparent de l'écriture et dans une variété des registres, le poète expérimente la ductilité, la souplesse du langage.

Cette malléabilité, ce renouvellement constant de la subjectivité sont chez Henri Michaux les conditions essentielles de son écriture, l'impératif de toute sa poésie.



Un peu différente est son approche dans Plume. C'est un ensemble de textes qui ont été publiés en 1930 puis retravaillés jusqu'en 1963 et qui mettent en scène un personnage, celui de… Plume. " Un homme paisible ", " Plume au restaurant ", " Plume voyage ", " Dans les appartements de la Reine ", " La Nuit des Bulgares ", " La vision de Plume ", " Plume avait mal au doigt ", etc. sont quelques-uns des titres des chapitres de ce récit poétique. Michaux utilise ici le registre de l'absurde pour imaginer un personnage qui peut nous paraître comme étrangement familier.



Indifférent à lui-même, à toute interaction sociale, à tout ce qui l'entoure (même sous la menace d'un danger ou de la violence), Plume incarne la vulnérabilité de l'être humain, le tragique existentiel. Michaux inverse le propos de l'homme livré à une société de consommation. Dans Plume, c'est la société qui a consommé l'individu. Face à une époque devenue violente et impersonnelle, le personnage de Plume va se désengager moralement du monde, se mettre en retrait de toute pensée, de toute conviction. Dans le comportement de Plume, apparaît la perte de toute valeur humaniste, l'abandon de tout projet historique pour l'homme, le délitement d'un rapport moral à soi et aux autres.



Plume n'est cependant pas un manifeste, un plaidoyer contre un monde en perte de valeurs. Il est avant tout une oeuvre poétique, l'expression libre d'un imaginaire à portée de la réalité.

Henri Michaux, qui était aussi peintre et voyageur, à toujours été à la recherche d'une totalité, d'une satiété poétique. Il voulait une écriture qui soit en perpétuel mouvement, qui soit mobile et mobilisante. Exercice mené jusqu'aux limites de la conscience, jusqu'à se perdre soi-même. Les exigences d'une poésie incomparable.
Commenter  J’apprécie          252
Un barbare en Asie



"Qu'est-ce que c'est qu'une pensée ? Un phénomène qui trahit un esprit - son cadre - et ce que ce cadre désirait.



L'occidental sent, comprend, divise spontanément par deux, moins souvent par trois et subsidiairement par quatre. L'Hindou plutôt par cinq ou six, ou dix ou douze, ou trente-deux ou même soixante-quatre. Il est extrêmement abondant. Jamais il n'envisage une situation ou un sujet en trois ou quatre subdivisions."



Michaux non poète...

Michaux nous parle ici des Hindous, des Chinois, des Japonnais... C'est de l'Asie qu'il veut parler, et de l'humanité dans son rapport avec Dieu, le divin, autrui, le monde. Mises en regard, comparaisons, ce livre est agréable à lire, léger et parfois amusant.

Aussi, Michaux nous fait discrètement part de certaines réflexions philosophiques qui nous éclairent un peu sur ses idées si peu dévoilées...



"Qu'est-ce qu'une civilisation ? Une impasse.

Non, Confucius n'est pas grand.

Non, Tsi Hoang Ti n'est pas grand, ni Gautama Bouddha. Mais depuis on n'a pas fait mieux.

Un peuple devrait être honteux d'avoir une histoire.

Et l'Européen tout comme l'Asiatique, naturellement.

C'est dans l'avenir qu'ils doivent voir leur Histoire."



Une histoire collée à la Contemplation.



Commenter  J’apprécie          241
Qui je fus (précédé de) Les Rêves et La Jambe (et..

Encore un recueil que j'aurai parcouru en diagonale. Il y a quelque temps je me serais obstinée par conscience de lectrice, à lire ces textes dans leur intégralité, ce temps est révolu. Henri Michaux n'écrit pas des textes qui me parlent et même si c'est un auteur reconnu, un grand poète, je ne suis pas assez snobe pour suivre les lecteurs bien pensants et dire que je raffole de ses textes. Je suis une amoureuse des livres et de la littérature, mais je n'ai pas de goût pour les textes bien trop intellectuels et complexes qui me tombent des mains. Je ne dis pas que Henri Michaux est un mauvais écrivain, loin de là, je ne me le permettrais pas, je dis simplement que je ne le comprends pas et ne puis l'apprécier à sa juste valeur.
Commenter  J’apprécie          240
Passages

Michaux a rassemblé ici une série d'articles qui nous parlent avant tout de la création. Création tous azimuts, littéraire, picturale, musicale... il nous parle de lui-même bien entendu mais aussi de l'humain, de sa beauté... C'est bien l'homme Michaux qui se bat avec sa création/créature... qui la laisse prendre ses aises puis la bâillonne, c'est le peintre qui laisse glisser l'aquarelle ou rassemble ses petits motifs en de grands assemblages noir et blancs, plus écrits qu'aucun livre.

Cependant contrairement à tous ces auteurs (y compris moi-même) qui aiment à parler de leur geste d'écrivain, pour Michaux, cela semble être la même torture de parler de son écriture que de s'adonner à la création devant la page blanche... car il s'agit bien entendu de toujours le même don de soi.
Commenter  J’apprécie          220
Face à ce qui se dérobe

Publié en 1975, Face à ce qui se dérobe n'est pas un recueil de poésie à proprement parler mais un ouvrage composé de six textes dans lesquels Henri Michaux livre encore son rapport particulier à la langue, dans une écriture qui agit comme un incessant moyen de se rapprocher au plus près de lui-même, pour mieux se fondre ensuite dans toute la potentialité de l'imaginaire.



“Soudain pivotent, dirait-on, enlacés ensemble, se détachent, et de moi se libèrent mes deux pieds (je venais de glisser), cependant que mon corps, basculant de dessus la terre et soustrait à son emprise, s'engage en l'air, en arrière, quand plus soudain encore, dans mon dos, un brusque brutal se plaque contre moi, le sol, le sol évidemment, ce ne peut-être que lui, le sol revenu, sur quoi je gis maintenant, inerte [...]”

Ainsi commence Bras cassé, le premier des six textes de l'ouvrage. Avec l'évocation de cet accident personnel, Henri Michaux digresse sur la perte d'usage du bras et de la main (droite), sur la décorporalisation de son bras devenu immobile, la sollicitation maladroite du bras gauche. L'écriture lui permet ici d'objectiver sa blessure, de la rendre comme autonome, indépendante et d'en faire un objet d'observation et de description. Abordé dans un style un peu hermétique, qui semble manquer de structure, le bras cassé est pourtant un texte qui m'a plu.



Les autres titres du livre (Relations avec les apparitions, Dans l'eau changeante des résonnances, Survenue de la contemplation, Arrivée à Alicante, Moriturus) sont des textes plus courts et plus “abordables”. Henri Michaux pousse encore ici sa conscience hors d'elle-même, pour approcher un autre état de celle-ci, un état qui lui permet de souligner combien sont nombreux les éléments qui nous traversent, combien nous sommes soumis, traversés dans notre corporalité par une multitude de mouvements tous imperceptibles, insaisissables par notre conscience, de forces invisibles qui nous font pourtant sentir ce que nous sommes (ce peut-être par exemple l'air d'une pièce dans laquelle nous nous trouvons).



Dans Relations avec les apparitions, Henri Michaux interroge ce qui porte et fixe notre regard, ce qui au travers de lui retient ou éloigne notre attention. Il utilise pour son propos une statue en bois de Nouvelle-Guinée, le regard se porte sur l'objet mais derrière sa forme, son apparence se cache une histoire, une mémoire à atteindre...



Les deux textes suivants Dans l'eau changeante des résonnances et Survenue de la contemplation sont plus courts, le recours à l'anecdote plus fréquent. Dans le premier, l'écrivain évoque son rapport particulier à la musique (il ne l'aimait à vrai dire pas beaucoup) par le biais d'un instrument pour lequel il avait une affection toute particulière, le sanza *.

Dans le texte suivant, Henri Michaux livre des considérations sur la contemplation, le détachement de soi et du monde comme conditions essentielles de sa pratique... Un texte que j'ai trouvé un peu en demi-teinte, un peu convenu.



Arrivée à Alicante est un récit fait à la première personne d'un genre très étrange. Un homme arrive dans la ville d'Espagne, sort de son hôtel et va parcourir les rues alentour. Arrivé sur une place, il s'assied à la terrasse d'un café à l'ombre des palmiers. Il ne le remarque pas tout de suite mais un brusque malaise va s'emparer de lui quand son attention sera attirée sur la taille des passants... Fatigue du voyage ? Effet d'optique ? attaque cérébrale ? La conscience des choses est toujours limitée en soi, elle est portée dans ce récit à son point le plus aigü, le plus sensible. Un texte fascinant.



Plus troublant encore est Moriturus, dernier texte de Face à ce qui se dérobe. Un marcheur nommé N... avance au milieu d'un vaste et haut paysage montagneux. Lors de sa progression, N... reçoit comme un appel, une étrange injonction de la montagne, celle d'aller se précipiter dans le gouffre. Troublé, l'homme choisit d'abord de ne pas y prêter attention mais peu à peu, l'invitation se fait plus pressante. N... va choisir de faire des détours, de revenir sur ses pas, d'avancer à vue,... Mais l'inexorable se fait de plus en plus proche...



J'ai retrouvé dans Face à ce qui se dérobe toute la singularité du style d'Henri Michaux, un style introspectif mais résolument libre, jamais enfermé en lui-même mais toujours en quête d'un possible, d'un au-delà de la conscience. Une poésie subtile, essentielle.





(*) le sanza est un instrument originaire d'Afrique composé de lamelles métalliques fixées sur une planche en bois avec une caisse de résonnance.
Commenter  J’apprécie          212
Plume (précédé de) Lointain intérieur

Plume, précédé de Lointain intérieur est publié dans la collection Poésie de la NRF Gallimard. Point de vers pour autant, plutôt de très courtes nouvelles, voire quelques paragraphes, des dialogues aussi, indépendants les uns des autres, faisant offices de poèmes par leur absence complète de rationnalité, par leur puissance onirique, surtout leur absurdité notoire, phrases décousues, sans queue ni tête, destabilisantes à loisir, et pourtant si jolies, parfois si sensées sous couvert de l’absurde, étonnament elles interpellent le lecteur malgré lui, le questionnent, l’intriguent ou le bousculent. L’amusent. Henri Michaux m’apparaît avant tout comme un auteur ludique, aux écrits frais et vivifiants. De la poésie drôle en somme !



Mais finalement assez hermétique. Je m’excuse par avance auprès des fiers littérateurs que j’aurais pu offenser par ma candide ignorance.
Lien : https://synchroniciteetseren..
Commenter  J’apprécie          201
Plume (précédé de) Lointain intérieur

Est-ce un recueil de poèmes en prose? un conte pour enfant? un rêve éveillé pour surréaliste? Plume-le-livre est tout cela à la fois, et bien plus encore.



Plume c'est surtout un personnage. C'est l'enfant rétif qui sommeille en nous, c'est l'éternel étranger, c'est le clown blanc attrapeur-de-nuages, c'est l'empêcheur de rationaliser en rond, c'est Candide en Absurdie.



Plume c'est la légèreté grave, la gravité en apesanteur..



.Il fait rire- c'est un clown- il fait pleurer -c'est un clown- il fait penser, critiquer, se rebeller, mais surtout rêver...



Plume se glisse sous notre oreiller...de plumes, et c'est toute la nuit qui s'agite et palpite au battement de ses ailes blanches.



Plume se met au bout des doigts de l'écrivain-peintre Michaux, comme une histoire un peu folle, un croquis volé, un conte esquissé à finir en songe...
Commenter  J’apprécie          200
Ailleurs : Voyage en Grande Garabagne - Au ..

Pays sauvages, pays aux passions complexes, aux lois iniques, pays aux nuits interminables en bord de mer et où les femmes accouchent aux bercements des vagues, pays où frères et voisins s'entretuent dans un bain de boue, sous les ovations de la foule, pays de langueurs, de fierté ou de magie, où l'on déplie les enfants, où l'on retient l'eau de couler, et où l'on entoure de brouillard - sept différents - ce qu'il y a de plus important.

Le pays de la Magie, celui des Ourgouilles, des Emanglons ou encore des Orbus. Voici ceux qu'Henri Michaux, grand voyageur, a rencontrés, imaginés, fantasmés, cauchemardés avant d'en faire ce recueil de poèmes en prose.

Lire ce livre, c'est comme pénétrer dans un monde parallèle, fantastique, régi par des lois incompréhensibles ou inacceptables. Mais finalement, à y regarder de plus près, les descriptions de ces pays pourraient bien ressembler à celles qu'un voyageur ferait d'un lieu totalement inconnu, présent ou passé.

La poésie de Michaux est infiniment riche, belle, émouvante et complexe. Si complexe que j'ai le sentiment de n'en avoir découvert, dans ce livre, qu'une infime partie. A acheter donc, et à relire encore et encore. Je ne connaissais encore rien de cet auteur et c'est une très belle découverte.
Lien : http://pourunmot.blogspot.fr..
Commenter  J’apprécie          202
Epreuves, exorcismes, 1940-1944

Michaux mêle ses monstres personnels à ceux de la Seconde Guerre mondiale, à ceux d'une humanité qui s'aliène, qui crée en elle son ennemi. Les souvenirs et les idéologies mal digérées se condensent en silhouettes dures et hostiles, en statues, en sphinx. Ces masses paralysent des échafaudages ascensionnels branlants, signes des tentatives précaires de l'humanité et du poète pour se surmonter au milieu du chaos. Avec autant de lucidité que possible, Michaux tente d'observer les charniers que ces années ont laissé en lui et chez les autres et à les assimiler pour mieux les digérer, au milieu des décombres. Mais le chaos apparaît avant tout sous forme sonore, car on entend retentir l'écho des voix du siècles, celles qui poussèrent les masses à s'entretuer, à s'exterminer. La voix du poète cherche à les faire taire, ou plutôt à les assourdir par un « martèlement des mots » dont l'horreur atteint paradoxalement le calme. Une surdité par saturation.



C'est ce type d'exorcisme que défend Michaux en l'identifiant à un état qui précède l'écriture. Et précède peut-être même l'intelligence, comme le préconise le Maître de Ho (comme « haut » ?), un drôle d'individu qui pourrait symboliser l'élévation mystique de l'âme ou bien la simple faculté de s’étonner (ho !), voire un rire salutaire (ho ! ho !), exorcisme par second degré, « par ruse ». le rire se fait d'ailleurs plus franc en fin de recueil, à travers les descriptions grotesques des créatures échappées d'une partie imaginaire du cerveau, éloquemment baptisée le « Lobe à monstres ». On y retrouve les aliénations michaldiennes inspirées De Lautréamont, car c'est bien connu : l'autre est à monstres. Surtout pour qui a la nostalgie du vieil océan. En effet, chez Michaux les monstres sont des « masques du vide », comme le vide de n'avoir pas pu vivre une vie de matelot... au plus près des monstres marins ?
Commenter  J’apprécie          199
Moments

« Entre les lignes de l'Univers

un microbe est pris »



Michaux a longtemps habité les interstices. Déjà, dans un précédent recueil, des créatures filandreuses et souvent filiformes, vivaient leur « vie dans les plis ». Avec Moments, l'auteur poursuit son repli vers une poésie épurée, qui va paradoxalement le propulser hors des plis, vers un plus grand espace. Les courtes lignes de ses vers sont ainsi prolongées abstraitement par des images géométriques en début de recueil, qui semblent tracées par un avion où Michaux résiderait, « dans son cockpit dans sa petite galaxie ». Adoptant le style lapidaire des communications aéronautiques, notre pilote de ligne annonce :



« Air commande Terre ».



Par le rejet de la « soumission » symbolisées par l'élément terrestre, Michaux cherche à étendre sa vie hors des sombres anfractuosités, des « cases » où nous sommes parfois cantonnés. A ce dessein contribuent également l'eau : dans les strophes fluides sont invoquées « les ondes de l'océan », comme si le ruissellement du texte cherchait à se mêler à l'immensité.



Les moments épiphaniques de ce recueil se manifestent par une dissolution de l'individu, aboli de « l'hérésie des distinctions ». Grand explorateur des états de conscience modifiés, Michaux s'essaie à la méditation. Les influences orientales sont ici omniprésentes, à l'instar de celle que la calligraphie chinoise exerçait en particulier sur l'oeuvre graphique de Michaux : dans ses poèmes comme dans ses peintures, on voit des signes prendre corps au sein de l'espace symbolique (page blanche ou toile vierge), qui s'obscurcit à mesure que l'on essaie, à tâtons, de retracer un modèle réduit de l'univers.



« Celui qui est né dans la nuit

souvent refera son Mandala »
Commenter  J’apprécie          190
Face aux verrous

Une salamandre myriapode, une hydre-phasme, un nain de jardin avec une matraque, une danseuse qui se fait gratter le dos par une étoile de mer, une cage thoracique griffue et velue… Les peintures de Michaux feraient un bon test de Rorschach. Elles évoquent une aberrante « zoologie », terme utilisé par Michaux pour le réfuter et lui préférer « signes », tels des idéogrammes signifiant le mouvement dans ses variations infinies.



On peut aussi considérer ces signes comme un alphabet runique destiné à des incantations, pour invoquer les « démons effrénés accompagnateurs de nos actes et contradicteurs de notre retenue ». Et quand Michaux se met à évoquer les mouvements de la mer et de ses créatures, on croirait presque que le spectre de Maldoror va apparaître dans un nuage d'encre de poulpe, où notre poète trempe sa plume pour signer un pacte avec toutes les entités permettant d'échapper aux « mots des autres », au langage commun, et plus généralement aux systèmes de pensée qui verrouillent le corps.



Le graphisme et le texte se mêlent dans un hymen féroce, une « opération requin ». Il en résulte une poésie qui « va plus avant », comme aurait dit Paul Celan.



Dans le sillage de ce jaillissement initial apparaissent les pronoms personnels « je » et « tu ». Un échange s'installe, entre violence (« Je rame contre ta vie ») et douceur (« Je fais des nappes de paix en toi »). Happé par ce dialogue, le lecteur est secoué par des courants contraires établissant de force un mouvement en lui.



Et Michaux continue à ramer sur son frêle esquif, dans la vaine poursuite d'un contact représenté par la métaphore d'appels téléphoniques aussi intempestifs qu'insaisissables. Ses efforts achoppent sur les « pièges de la communication », où sa vie et celles des autres se font obstacle au lieu d'aller de l'avant ensemble.



L'action se fait réaction, à la limite de l'allergie. On le voit fuir la présence de personnages de cinéma rentrant dans son univers par métalepse. Hypersensibilité et misanthropie se mêlent avec humour, et si la vie des autres apparaît gênante, celle de Michaux paraît, en conséquence, invivable. Cercle vicieux.



Face à cette aporie, la recherche scientifique s'organise. le remède qu'elle propose est de manipuler l'identité. On passe à la deuxième personne du pluriel, sur un ton détaché, chirurgical (synthétisé par l'expression « tranches de savoir », qui évoque à la fois l'art de l'aphorisme et le mouvement du scalpel tranchant dans le vif). D'inquiétants savants semblent introduire un corps étranger dans les pensées d'une tierce partie, afin de manipuler ses états d'esprit. On commençait à peine à s'y retrouver que tout a déjà changé. « Même si c'est vrai, c'est faux ».



Conséquence kafkaïenne de ces métamorphoses : Michaux va vivre sa vie chez les insectes. C'est parti pour une lune de miel grotesque avec des nymphe(tte)s gluantes. Bien sûr, cela mènera aussi à rencontrer une guêpe parasitoïde, une espèce qui a inspiré le mode de reproduction de l'alien du film du même nom. Une fois introduite en soi, l'altérité peut rejaillir sous des formes peu ragoûtantes.



Qu'importe, Michaux est prêt à explorer celle-ci jusque dans un au-delà aussi intangible qu'inquiétant. Nous y écoutons parler une ombre féminine, écho du principe féminin nommé « Anhimaharua » plus tôt dans le recueil. Elle poursuit sa chute dans l'obscurité d'un sommeil toujours plus profond, qui se confond ici avec la mort. Et elle nous fait le récit au présent des phénomènes qui l'entourent, comme une sorte de retransmission en direct du Bardo Thodol sur les ondes d'une radio alien. Yama le dévoreur est remplacé par des essaims d'ombres prédatrices. Dans cet univers anxiogène fait de dépossession, le savoir ne peut être que transitoire. On ouvre alors son transistor pour capter les fréquences de la vérité du moment, juste avant son engloutissement imminent. La muse malade de Michaux fonde une démarche poétique qui marquera entre autre Philippe Jaccottet (il reprendra la citation suivante dans son Entretien des Muses) : « Savoir. Autre savoir ici. Pas savoir pour renseignements. Savoir pour devenir musicienne de la vérité. »
Commenter  J’apprécie          187
Plume (précédé de) Lointain intérieur

Ce fût une drôle d'expérience... dans les deux sens du terme : à la fois bizarre et cocasse.



L'une des caractéristiques les plus remarquables de ces textes, est de prendre sans cesse le lecteur à contre-pied. Il ne s'y passe jamais ce à quoi vous vous attendiez, Henri Michaux déployant une logique -ou une absence de logique- qui lui est propre. Lire "Plume", c'est par conséquent accepter de se détacher de nos critères de "normalité", de parcourir des chemins aux méandres inattendues, d'aboutir à des conclusions sans aucun rapport avec ce qui les a amenées...



Les historiettes qui composent le recueil ont tout de même un point commun, c'est de mettre en scène le même personnage, celui qui en l’occurrence lui a donné son titre.



Plume voyage, va au restaurant, chez le médecin, marche au plafond... il rencontre quantité de personnages souvent étranges, et qui bien souvent font preuve envers lui d'une violence ou d'une agressivité injustifiées. Et si j'évoque en préambule de cette chronique la drôlerie de "Plume", il faut préciser qu'il s'agit d'un humour certes décalé mais surtout d'un humour noir, qui en appelle à l'horreur davantage qu'à la joie. On rit d'épisodes en réalité dramatiques, voire sanglants, parce qu'ils sont décorellés de toute notion de gravité, et présentés comme des faits n'induisant ni suite ni conséquence (la femme de Plume, déchiquetée par un train en début de recueil, réapparaît par la suite dans toute son intégrité...).



N'allez pas imaginer Plume lui-même comme un joyeux boute-en-train. D'après la manière dont les autres le considèrent, il apparaît comme un individu plutôt insignifiant, victime d'événements extraordinaires qu'il subit avec une passivité qui peut donner parfois l'impression qu'il est dénué de toute sensibilité. C'est d'ailleurs aussi cette absence d'impact sur ses émotions des tragédies qu'il subit qui nous les fait considérer avec détachement. A d'autres moments, c'est davantage par commodité et volonté de discrétion qu'il semble accepter sans regimber brimades et atteintes à sa personne, se montrant alors magnanime et philosophe.



C'est à un voyage au cœur de l'absurde et de la fantaisie que nous convie Henri Michaux. Un voyage à pratiquer en visiteur curieux et sans a priori... Parce qu'au final, que reste-t-il, lorsque vous ne pouvez vous raccrocher à la rationalité, ou à vos repères habituels ?... le pur plaisir que peuvent procurer l'écriture, et l'intelligente insolence de celui qui, refusant de suivre les sentiers battus, sait jouer avec les mots !
Lien : http://bookin-inganmic.blogs..
Commenter  J’apprécie          180
Plume (précédé de) Lointain intérieur

Plume » est un recueil de récits et de poèmes regroupés sous le titre "Lointains intérieurs". Les récits des mésaventures de Plume sont étranges, il y manque les décors et les portraits de personnages. de Plume lui-même on ne sait rien. Pourquoi voyage-t-il continuellement ? L'histoire se résume à une série de question et de réponses, une série de contraintes... .

Ces textes prennent sans cesse le lecteur à contre-pied. Il ne s'y passe jamais ce à quoi vous vous attendiez, les conclusions sans aucun rapport avec ce qui les a amenées... Henri Michaux déploie une logique -ou une absence de logique- qui lui est propre. Il nous force à nous pencher sur nos fantômes, nos fantasmes, nos rêves, nos peurs, nos désirs, nos espoirs. L'écriture est sublime, faites de trouvailles syntaxiques incroyables, d'images fortes.

Le recueil m'a enchantée, les aventures de plume sont fantastiques très proches pour certaines du surréalisme, il y a le plaisir de ces histoires un peu folles, de la qualité de l'écriture, de sa subtilité et parfois de sa sensualité.

Commenter  J’apprécie          160
Les Commencements

Les commencements. Les origines. Avant le mot, avant la lettre. Le cercle, le fourmillement, l'espace, LA COULEUR ! ""Celui qui ne sait pas ou si peu et si mal sait aussi quelque chose. Sans pouvoir, il tient un autre pouvoir.Les petits apportent à la peinture des espaces libérés de l'Espace". Les commencements de Michaux devrait être lu par l'adulte qui prenant un crayon, une mine, une plume envisage...Par l'adulte également qui ne sait plus voir dans un dessin d'enfant. Par celles et ceux qui ont perdu la mémoire des commencements de leur geste, de leur liberté de mouvement, de leur spontanéité, . Celui qui unissait et combinait "le su et le connu, le vu par l'oeil et le connu par l'esprit, le lointain avec le proche, le dedans avec le dehors lequel cesse de le dissimiler". Base essentielle donc que cet écrit d'Henri Michaux sur l'Enfance de l'art, là où tout a vécu, germé, là où, malheureusement, pour grand nombre d'entre nous, rien n'a survécu...

Merveilleux et réjouissant livre que celui-ci !

Astrid Shriqui Garain.



Commenter  J’apprécie          160
Misérable miracle : La Mescaline, avec quaran..

Quel livre indéfinissable. Je m'attendais à plus de poésie. Michaux nous compte ici ses premières expériences avec la mescaline et en marge, apparaissent quelques vers, trop peu à mon goût. Pour le reste, je me sentais un peu voyeuse et n'ai donc pas été totalement emballée par cette lecture.



J'aime par contre beaucoup ses dessins. Certains sont très forts !
Commenter  J’apprécie          160
Plume (précédé de) Lointain intérieur

« Plume » est un recueil de 13 récits qui prend la suite des poèmes regroupés sous le titre "Lointains intérieurs".

Plume , c'est ce personnage loufoque, rêveur, plongé dans un monde souvent surréaliste. Plume regarde sans rien dire sa maison disparaître, mange patiemment sa salade lavée au cambouis ou se retrouve, par mégarde, à marcher au plafond... Tantôt voyageur étourdi ou arracheur de têtes, tantôt innocent dans les bras de la Reine ou mari gourmandé par sa femme acariâtre, Plume est un personnage candide et décalé. On le voit placé dans des situations banales qui deviennent étranges, voir comiques par la façon dont elles sont vécues.



Le personnage emblématique du poète Henri Michaux est un double de son être qui révèle tout son monde intérieur. le texte est parfois ambigu, parsemé de question et de réponses. L'absurde et l'humour se côtoient dans toutes ces situations où Plume – dont on ne sait pas grand-chose finalement – apparaît.



Agréable à lire, ce recueil d'Henri Michaux nous offre une poésie légère et ludique, tout à l'image de son personnage phare.





Commenter  J’apprécie          150
La Vie dans les plis

Créatures fantastiquement humaines dont en ce moment me sens proche.

Ame : parole aquatique se prononce en mouvement de bouche de poisson
Commenter  J’apprécie          150
Plume (précédé de) Lointain intérieur

J'ai une certaine nostalgie pour cette oeuvre poétique, d'abord parce que je l'ai étudiée il y a longtemps pour le bac de français, ensuite parce que ce personnage de plume, un peu fou, fantasque et incongru, semble bien porter son nom, il reste léger comme une plume. La poésie de Michaux ressemble bien à cette plume: sans prétention, légère mais aussi une poésie qui permet de s'évader, de voyager et de planer dans l'air. Plume est complexe, littéraire et difficile pour ceux qui veulent l'étudier et l'approfondir mais légère et agréable pour ceux qui la lisent sans prétention.
Commenter  J’apprécie          150
Ailleurs : Voyage en Grande Garabagne - Au ..

Emerveillé par la poésie foisonnante d’Henri Michaux après la lecture d’un recueil rassemblant "Qui je fus", "Les rêves et la Jambe" et "Fables des Origines", je prolonge ma découverte par un autre triptyque intitulé "Ailleurs" incluant "Voyage en Grande Garabagne", "Au pays de la Magie" et "Ici, Poddema". Le poète nous embarque dans des territoires imaginaires non pas pour nous offrir quelques instants d’évasion mais plutôt pour prendre un peu de recul sur les réalités de notre propre monde. Grâce à ce principe souvent utilisé en littérature, Henri Michaux dévoile les absurdités de la soi-disant normalité. La violence, la brutalité et les rivalités destructrices, causées par les incompréhensions et les appréhensions entre peuples ou entre communautés, dominent dans ce recueil. La prose d’Henri Michaux témoigne ainsi de son époque, des montées fascistes des années 1930 aux difficultés de l’après-guerre en passant par le terrible et nauséeux second conflit mondial. Ce qui intéresse Michaux dans ces pays imaginaires ne réside pas dans le paysage ni l’environnement mais dans les êtres : leurs pratiques sociales, leurs mœurs et leurs coutumes. Nous assistons à des scènes incongrues, loufoques et improbables parce que Michaux s’amuse à les exagérer en utilisant le gros pinceau. Pourtant, en affûtant notre regard, nous percevons, derrière cette apparence cocasse, le ridicule de nos pratiques sociales et la déplorable bêtise de nos trop envahissants dogmatismes.
Commenter  J’apprécie          150
Epreuves, exorcismes, 1940-1944

‘’Pour mettre la paix entre deux personnes qui se battent, écrivez sur un billet ou sur une pomme le mot : H A O N et jetez l’objet au milieu des combattants. Ils s’arrêteront. »

(Le livre des conjurations)

« J’écris pour me parcourir. Peindre, composer, écrire: me parcourir. Là est l’aventure d’être en vie » (Henri Michaux)







Vous voyez le portrait d’Henri Michaux, sur la couverture du livre ?

Qui y-a-t-il derrière ces yeux ?ce regard ? Mystère, lointain, familier.



J’ai un peu honte, j’ai honte de parler de Henri Michaux, celui du « Donc, c’est non ! »

Il fait partie des phares près desquels on rode longtemps et où on finit par habiter.

Il y a longtemps j’y suis entré et j’aurai souhaité le garder pour moi seul. Mais…bon



Mais, Je vous en prie, lisez-le

Lisez-le, je vous en prie

Vous verrez, vous rentrerez dans un territoire ami,

Ami et dangereux.

Bon ! Ces jours-là il n’allait pas bien ! Ça passe. La mer, sans doute, aide, temps permettant. !



Commenter  J’apprécie          140




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Henri Michaux Voir plus

Quiz Voir plus

Littérature à l'école

Michel Tournier écrit en 1971 Vendredi ou la vie sauvage, souvent étudié au collège. Il s’agit d’une adaptation pour la jeunesse d’un autre de ses romans. Lequel ?

Robinson Crusoé
Vendredi ou les limbes du Pacifique
Vendredi et Dimanche
Seul au monde

10 questions
94 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature française , école , généralisteCréer un quiz sur cet auteur

{* *}