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Critiques de Jean Rouaud (276)
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Les champs d'honneur

Sublime ! Un Prix Goncourt 1990 mérité ! Il y a des rencontres avec certains auteurs qui s’imprègnent durablement dans la mémoire comme ces « Champs d’Honneur ». Une très belle écriture chargée émotionnellement, des phrases longues d’une douce fluidité, d’une pureté de cristal. La prose de Jean Rouaud à cela d’exceptionnel qu’elle suscite immédiatement des images, on se croirait au cinéma de minuit ! Mais ce qui retient l’attention dès les premières pages, c’est la beauté du style, la minutie des détails qui contribue à nous immerger dans le spectacle qui s’offre à nous.



Et puis la voix du narrateur, celle que l’on entend du plus profond de notre silence intérieur, surement celle de Jean Rouaud, qui raconte les facéties de son grand-père, Alphonse Burgaud avec sa 2CV. Ce couple pittoresque qui devient du coup l’objet d’un conflit avec la grand-mère. Un portrait haut en couleur aussi, celui de la tante Marie, vielle fille à l’image de Mademoiselle Lelonbec de Fernand Raynaud, petite bonne femme, institutrice dans une institution religieuse. Elle possède ses petits rituels pour obtenir les faveurs de certains saints dont elle possède les statuettes. Si par malheur, le saint ayant la charge de réaliser le souhait, manque à sa mission, le saint patron défaillant se retrouve au coin, à regarder le fond de son alcôve ! Qui mieux que Jean Rouaud peut nous parler de la pluie, nous sommes en Loire-Inférieure, aujourd’hui Loire-Atlantique, et elle inspire l’auteur cette pluie : « Et preuve que nul n’en veut à cette pluie, les cheveux dégoulinants, on se regarde en souriant. Ce n’est pas la pluie mais une partie de cache-cache, un jeu du chat et de la souris. D’ailleurs, le temps de reprendre son souffle et le ciel a retrouvé son humeur bleutée. Une éclaircie, vous avez déjà pardonné. »



C’est drôle, ironique, certaines scènes ouvrent les portes de notre mémoire et font ressurgir des scènes cocasses de notre passé. Car c’est aussi l’histoire familiale des anonymes qui ont traversé le XXème siècle avec leurs joies mais aussi leurs peines. Nous pouvons tous nous reconnaître dans ces tableaux surtout si nous avons déjà fait un petit bout de chemin. Les années passant, certains souvenirs revêtent comme un goût de « barbe à papa », une douceur infinie.



C’est nostalgique, tendre, et puis tout doucement, l’air de rien, d’analepse en prolepse, l’auteur nous dévoile les rêves brisés, les familles fracassées. A onze ans, Jean perd son père, Joseph, qui n’a que quarante ans. Alors, Jean nous confie les deuils successifs qui affligent toutes les familles ! C’est un chant d’amour à ceux qui ne sont plus, au vide de l’absence qui nous tourmente. Il nous emmène jusque sur les champs de bataille pendant l’absurde Grande Guerre, et son écriture qui se veut minutieuse, visuelle, ne nous épargne pas. Elle nous montre l’horreur et pose la question du sens.



C’est un livre particulièrement émouvant par ce qu’il touche à l’intimité de chacun de nous. Qui n’a pas eu une tante Marie, un grand-père Joseph, un arrière grand-père dans les tranchées. Ce livre parle à nos cœurs, il se fait passeur de mémoire.



« La mémoire la plus profonde est une mémoire de toute notre destinée – Jean Guiton ».



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Les champs d'honneur

Un très beau livre qui retrace fidèlement l'histoire et la mémoire d'une famille. le style est remarquable, Jean Rouaud possède une très belle plume. Ce livre très plaisant à lire est très émouvant dans ses dernières pages qui évoquent des épisodes dramatiques de la guerre de 14 et de ses suites toutes aussi tragiques. Un roman autobiographique que je recommande. Une oeuvre qui a amplement mérité son Prix Goncourt en 1990.
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Kiosque

C'est un plongeon dans les années 80, au sein d'un microcosme de société marginale du 19ème arrondissement de la rue de Flandre, c'est un kiosque incarné en « théâtre de marionnettes posé sur le trottoir parisien» dans lequel Jean Rouaud a évolué pendant sept années en supplétif de P. l'anarchiste (avant d'en sortir par la voie de ses fameux champs d'honneur), c'est à cette immersion que nous invite ce récit à la saveur nostalgique et touchante, à l'expression d'une élégance jouissive. La galerie des personnages est hétéroclite, elle gravite autour du kiosque comme une constellation pittoresque, avec en tête de gondole Chirac ou Norbert les duettistes désoeuvrés, l'un surnommé ainsi parce qu'il attend sans commune mesure un appartement de la mairie, toujours sapé comme un ministre pour un rendez-vous avec l'institution, l'autre au destin tragique, anciennement factotum de Jacques Brel d'après ses dires, excusez du peu. Jean Rouaud se fait le porte-parole digne et commémoratif de cette galerie, son hommage est vibrant, humaniste.

(« Tout me revient à mesure que je regagne le temps du kiosque, toute une galerie magnifique. Comme je leur dois à tous. Comme ils m'ont aidé à me concilier le monde, comme ils m'ont appris. Comme j'aimerais à mesure qu'ils s'invitent leur faire la place qu'ils méritent ici. »)



À l'image du kiosque dans lequel les sujets de conversations peuvent être imprévisibles, même si la plupart des échanges s'y limitent à des bons mots ou des réflexions sur la météo, le récit nous embarque dans des thématiques diverses et variées, de la politique française à l'état du monde en passant par la passion des courses ou celle de la couture, des différentes guerres ou de l'architecture, sans oublier la genèse de l'auteur, son parcours et son évolution littéraire au contact de ce beau monde populaire (ou artistique comme M. le peintre maudit), itinéraire d'un « sans-papiers poétiques » avide de nouvelles formes littéraires, finalement éclos en romancier débarrassé des contingences de la modernité.

(« Le travail de classement et les comptes achevés, dérangé par rien que par le martèlement de l'averse sur le toit de plexiglas, j'avais tout le temps de la regarder tomber. Et c'était mon pays de pluie qui ressurgissait. LE kiosque patiemment recollait les morceaux de mon enfance. »)



J'ai trouvé ce récit de vie le plus souvent beau, toujours passionnant (tant dans sa partie altruiste avec les différents protagonistes du kiosque, que dans sa partie plus égotiste consacrée au cheminement artistique de l'auteur pendant cette période).

Je ne sais trop qu'en dire de plus. Si, voilà un auteur qui n'oublie pas ses sept années passées dans le kiosque, les anecdotes le poursuivant parfois aussi après, au long de son parcours d'auteur reconnu. Voilà un lecteur comme moi qui je ne sais pourquoi avait délaissé cet auteur, emballé que j'avais été pourtant dans les années 90 aux lectures de « Les champs d'honneur », « Le monde à peu près » ou « Des hommes illustres ». Et voilà un livre à cinq étoiles bien méritées et bien suggestives comme toutes les notations de lectures, à laquelle je rajouterais bien une demi-étoile supplémentaire si je pouvais, pour l'envie que j'avais à le découvrir, et surtout la joie que j'ai eu à le recevoir. Un gros merci pour le cadeau aux Éditions Grasset, à Masse Critique et Babélio.
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Les champs d'honneur

Combien de familles françaises pourraient se reconnaitre dans cette autobiographie familiale qui évoque les anciens et les disparus de la Grande Guerre ?



En 1990, cette touchante chronique a reçu le prix Goncourt et je viens de la relire pour coller davantage avec l’actualité historique du moment. Mon plaisir a été identique au souvenir de ma première lecture.



Jean Rouaud nous offrait, il y a plus de vingt ans, un premier roman attachant en évoquant sa famille dans un village de l’arrière-pays nantais (que je connais d’ailleurs très bien).

Une famille heureuse mais touchée par des décès récents et rapprochés qu’il a eu à cœur d’évoquer, en les rapprochant subtilement de la disparition de grand-oncles, victimes de la guerre de 14/18.



Comme on pourrait évoquer des histoires et des souvenirs à la veillée, en ressortant les vieilles photos jaunies, le lecteur découvre par petites touches des histoires de vies, des anecdotes, des objets, indices émouvants du souvenir toujours vivace de la perte terrible de jeunes hommes.



La narration se fait en méli-mélo, comme une boite des clichés oubliés et qu’on explique un à un.

On évoque ici peu la guerre. Elle est en filigrane, par images furtives et évocatrices. En se faisant chroniqueur de ses anciens, Jean Rouaud en fait un portrait nostalgique et gentiment ironique pour leurs travers et petites manies.



Les Champs d’Honneur interpellent en devoir de mémoire, mêlant la nostalgie des hommes glorifiés sur les monuments aux morts du village et les pertes familiales plus intimes, qu’on honore en discrétion.



Je n’ai pas lu le cycle romanesque familial que Jean Rouaud consacre à sa famille. Je me promets de réparer cet oubli.



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L'avenir des simples

«L'imagination au pouvoir est un oxymore. La volonté de pouvoir marque le degré zéro de l'imagination. le pouvoir ne s'imagine que se perpétuant. Si les hommes et femmes de pouvoir s'accrochent avec un acharnement pathétique à leur fonction, c'est qu'ils sont démunis sans ce tuteur institutionnel, c'est qu'en dehors ils ne savent littéralement pas quoi faire».



Jean Rouaud est en colère. Je ne connaissais pas encore le talent de pamphlétaire de cet auteur avant cette lecture. Dans « l'avenir des simples » il fait feu de tout bois et dresse un tableau effrayant, mais malheureusement difficilement contestable, des impasses dans lesquelles le monde entier est enfermé. L'avidité incontrôlable des puissances financières, avec la complicité de beaucoup de politiciens, l'empoisonnement lent de tous les êtres vivants par un système de production devenu fou, irrespectueux des personnes, des animaux et des ressources qui nous restent, voilà ce qui est au centre de cet essai.



Visiblement Jean Rouaud souhaite tirer la sonnette d'alarme, et la déclaration portée sur le bandeau du livre « petit traité de résistance » est tout à fait justifiée. Il n'attend plus rien des institutions et appelle à prendre en charge au niveau local les problématiques les plus urgentes, d'abord par une conduite personnelle juste et puis par des actions collectives à taille humaine. Ce qui heurte le plus le végétarien, et même végan, qu'il est, c'est l'éternel massacre et les souffrances imposés aux animaux…



Le livre est dédicacé à Eugène Varlin, un ouvrier anarchiste lynché pendant la Commune de Paris, et à l'association L214 de défense des animaux : on voit bien là son positionnement. La fin de cet essai peut sembler utopique, tablant sur une volonté de plus en plus répandue d'un changement décisif vers plus de frugalité. Il est pourtant convaincant : de qui d'autre que de nous même pourrions-nous attendre un coup de frein ?



Je remercie les éditions Grasset et NetGalley, qui m'ont donné accès à l'édition numérique de cet essai.

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Kiosque

"C'est un sentiment que je connaissais bien, ce besoin de rectifier sa position dans le miroir de l'autre. Une façon de dire ne vous méprenez pas sur moi, ne tirez pas de conclusion à partir de ce que vous percevez. Tentation de se démarquer de la fonction à quoi les gens vous réduisent. Et vous réduisent longtemps quand bien même elle n'est plus d'actualité. J'avais beau avoir quitté le kiosque depuis des années, il se trouvait toujours des gens qui me renvoyaient au marchand de journaux. Ce qui ne partait pas toujours d'une intention bienveillante. Ce qui traduisait dans ce cas, en cherchant à me rabaisser, le peu d'estime qu'ils avaient pour la fonction." (p. 72)



Livre de gratitude... autobiographique autour du vécu de "kiosquier" de l'auteur , entre 1983 et 1990, qui possède la malice et l'astuce de nous faire revisiter 30 ans de chronique sociale française et parisienne, tout en se révélant parallèlement un apprentissage personnel de la vie et de l'observation des gens , d'un quartier populaire de la Capitale....pour " l'écrivain en devenir !..."

Un "laboratoire " extraordinaire...



"Mais c'est vrai que là où j'étais, ayant choisi de vendre des journaux plutôt qu'autre chose de plus valeureux afin de dégager du temps libre pour écrire, la perspective de la retraite était le cadet de mes soucis, une hypothèse sans fondement aussi longtemps que mon horizon était barré par la seule question qui me préoccupait, celle de la reconnaissance littéraire. (p. 23)



Un cadeau pour la Saint-Sylvestre d'un récit autobiographique dont j'étais très curieuse...

Pour plusieurs raisons : à la fois pour ces kiosquiers, "pittoresques marchands" de la Capitale, travail exercé quelques années par notre futur Prix Goncourt, Jean Rouaud. Une manière originale d'appréhender et de décrire la vie des parisiens !

Deuxième curiosité de ce texte: le 19e arrondissement que j'ai habité de nombreuses années entre la Porte de Pantin et Stalingrad, incontournablement allait m'offrir des images et des souvenirs !!



Un texte qui est aussi de gratitude envers tous ces personnages rencontrés pendant ces années de "kiosquier" : "Tout me revient à mesure que je regagne le temps du kiosque, toute une galerie magnifique. Comme je leur dois à tous. Comme ils m'ont aidé à me concilier le monde, comme ils m'ont appris. Comme j'aimerais à mesure qu'ils s'invitent leur faire place qu'ils méritent ici." (p. 69)



Un récit vivant, attachant, qui parle, décrit des figures hautes en couleurs tant les clients habitués que le kiosquier avec lequel a travaillé Jean Rouaud [dont il apprend au début du livre, la mort, dans un avis nécrologique, publié dans un journal]

Portraits augmentés augmentés de digressions, d'observations sur les mutations, les transformations de la ville et des mentalités !!



"Si l'on considère que le kiosque évoque un théâtre de marionnettes- d'ailleurs les enfants le percevaient ainsi qui, s'éloignant, ne pouvaient s'empêcher de se retourner encore une fois, et de demander à leurs parents, pensant ne pas être entendus, mais par où il rentre le monsieur ? ou bien, c'est sa maison ? ou bien, c'est le père Noël ?

-, il en était le héros récurrent, d'où ne dépassaient que la tête, le haut du corps et les bras derrière ses piles de magazines." (p. 42)



Réflexions à dimensions et directions multiples sur la Modernité et la nostalgie du passé... Des digressions amusantes sur les controverses apportées par les projets architecturaux du Centre Beaubourg et de la Pyramide du Louvre, avec des analyses commentées des différents pouvoirs et gouvernements !!! Autre questionnement qui affleure , "c'est quoi être de son temps ?!!"



Cette très intéressante lecture me redonne l'envie de lire un autre texte de cet écrivain (depuis un moment, dans mes réserves d'écureuil !!...) , "Comment gagner sa vie honnêtement ? " où Jean Rouaud raconte les mille petits métiers qu'il a exercés... tout en offrant un miroir étonnant des mutations sociales !!...





Il est aussi énormément question des doutes de Jean Rouaud sur ses rêves et premières tentatives d'écriture...On assiste également à la genèse des "Champs d'honneur" , un de ses tout premiers textes, qui vaudra à son auteur le Prix Goncourt....en 1990. [ Une lacune que je vais m'empresser de réparer !! ]



Un récit "Balcon sur rue" , miroir social...et quête de littérature sans omettre les rêves de reconnaissance littéraire d'un écrivain endurant , passionné et déterminé depuis ses jeunes années,... sur son goût et soif des mots ...

© Soazic Boucard- Février 2019
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Les champs d'honneur

C’est un peu après la guerre, en Loire inférieure, un jeune garçon nous décrit sa famille endeuillée à plusieurs reprises. Jean Rouaud en parle avec tendresse et humour dans ce roman autobiographique.



On n’est pas prêt d’oublier son grand-père en train de conduire sa 2 CV, cigarette aux lèvres, sa tante, une vieille fille institutrice, petite souris grise toujours active, veillant sur la famille avec ses médailles pieuses, et l’on s’attache à toute une galerie de personnages. Sous le crachin persistant, les souvenirs s’entassent, images pieuses, dentiers et alliances des morts de la famille, la vie continue. C’est la vie de gens simples dans laquelle bien des personnes se retrouveront…



Jean Rouaud fait revivre toute une époque, son album de famille s’anime sous sa plume élégante et la fin du roman donne encore plus de force au récit, prouvant une fois encore que les secousses de la guerre poursuivent les hommes bien longtemps après l’armistice, comme les répliques après un séisme majeur continuent leurs dégâts sur les hommes impuissants….



Prix Goncourt 1990





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Les champs d'honneur

Au moins, je n'ai pas eu à attendre longtemps mon premier coup de cœur de 2019. Ceci étant dit, je me sens tout vergogneux de ce constat : il m'aura fallu près de trente ans pour découvrir Jean Rouaud. Cela en dit long sur mes priorités de lecture, tristement professionnelles durant tant d'années, et subséquemment sur le retard que j'ai accumulé en matière de bons livres...

L'avantage d'arriver après une bataille est que tout est déjà joué et que l'on n'y changera plus rien. Il est ainsi permis de ne pas s'attarder. Ce roman est donc l'exploration d'une mémoire familiale, à peine transposée de celle de l'auteur lui-même, entre la guerre de 14 et les années 60. S'il y a incontestablement un récit, ce dernier n'obéit pas au sens classique du terme et ne s'oblige pas non plus à respecter la chronologie des faits. Le livre se construit par des détours et des digressions, qui n'ont à vrai dire rien de difficile à suivre tant les personnages sont à la fois peu nombreux et bien campés. C'est un livre qui touche son lecteur au plus profond parce que cette histoire, somme toute, est celle de chacun d'entre nous. Toute famille possède son fonds d'histoires tristes et de décès soudains, son lot d'épisodes cocasses ou ses entrelacs complexes de grands renoncements et de petits ressentiments. Lire Les Champs d'honneur, c'est se condamner à ranimer cette mémoire-là, et ce peut être douloureux de s'apercevoir qu'il y a des questions que l'on n'a jamais osé poser et qui ne se poseront plus.

Le talent de Rouaud tient à la délicatesse extrême avec laquelle il aborde son sujet. Son livre aurait pu être un gros mélodrame. Or c'est au contraire quelque chose de très aérien, un texte habité d'amour et de malice, pétri d'humour et parfois tout simplement désopilant, y compris au cœur même de la tragédie. Il n'y a pas une page où l'on ne sente chez le narrateur cette tendresse viscérale pour tous ceux qui l'ont précédé, et qui en un mot ont fait de lui ce qu'il est. Si l'affection est parfois moqueuse, c'est par pudeur, et peut-être aussi parce qu'il ne faut pas donner l'air de se plaindre. Se plaindre serait d'ailleurs bien inutile : pourquoi faudrait-il s'infliger cette nouvelle épreuve ?

Il en ressort, en fin de compte, que la mémoire d'une famille se construit avec des morts et ne s'entretient que par le récit toujours fragile des vivants. C'est une évidence toute simple, bien sûr, mais dont Rouaud tire une lumière qui continue de brûler longtemps après la dernière page de son livre.
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Kiosque

Quel joli livre ! Je renoue avec Jean Rouaud, après les cinq livres (plus ou moins égaux) de sa saga familiale des années 90, publiés aux Editions de Minuit. Et je ne le regrette pas. Ses souvenirs de kiosquier associent une galerie de personnages fichtrement attachants et un tableau de Paris qui pourrait opportunément faire le pendant contemporain à celui de Louis-Sébastien Mercier. Le style sinueux est envoûtant. Et le parcours de notre auteur est pour le moins original. Ses combats acharnés avec l'écriture offrent un témoignage dont pourront se délecter les écrivains en herbe. Un prix Goncourt pour un premier roman, chez un éditeur ayant affiché peu de décoration jusque là (exception faite de Marguerite Duras, qui est passée par là six ans auparavant), n'est certes pas courant. Mais que l'on ne s'y trompe pas: ce n'est pas de l'histoire de son prix qu'il est question ici. Pour ça, voir le récent récit de Yann Queffelec. Non, ses personnages principaux, encore une fois, ce sont sa ville d'adoption et ses métamorphoses, ainsi que le petit monde du19ème arrondissement. A ce titre, "Kiosque" rejoint sans encombre le rayon "Paris" de ma bibliothèque !
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Des hommes illustres

C'est l'histoire d'un héros du quotidien, d''un père qui se démène pour les siens.

Représentant en porcelaine, il connait tous les recoins de Bretagne. A des solutions pour tout, travaille le dimanche ou les jours fériés. Rassemble et épingle au mur les cartes Michelin pour visualiser l'ensemble de cette belle région. Est rarement chez lui, mais n'hésite pas à reprendre la voiture pour emmener sa famille se divertir, parfois à Paris qu'il connait comme sa poche.

Son histoire nous est racontée par son fils, qui tout jeune n'a pas compris pourquoi son héros a disparu si vite.

Un style fluide et une accélération progressive au niveau de l'intensité de la lecture.

Un témoignage intense d'un fils pour son père.

C'est une fois qu'ils ont disparu que l'on peut mesurer tout l'espace que ces demi-dieux occupait.

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Les champs d'honneur

J'ai lu ces Champs d'honneur il y a plus de vingt ans. Il m'en reste une impression de grand bonheur. L'auteur raconte la vie de sa famille, de ses grands-parents en particulier, à travers une série de souvenirs anodins, d'anecdotes qui peuvent sembler insignifiantes mais qui, mises bout à bout, donnent une image saisissante de ce qui fait qu'on est content de vivre. Je me souviens, par exemple, de la description de la pluie bretonne, ce crachin fait de minuscules gouttelettes qui s'insinuent jusqu'au plus profond sous les vêtements,

Quand le bouquin est sorti, Rouaud était entouré d'une espèce de mythe. Présenté comme un vendeur de kiosque qui écrivait sur un carnet entre deux clients, au long d'un boulevard parisien. On a su après que ce n'était pas tout à fait la vérité. Les souvenirs c'est comme ça, parfois ils sont authentiques, parfois construits et parfois déformés, mais ils nous aident toujours à vivre.
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L'avenir des simples

NON NON



Je me suis longuement demandé quelle note j'allais attribuer à ce livre. Et force est de constater que je l'ai baissée jusqu'à 1,5. C'est sévère, très sévère mais ça s'explique.

Ceux qui me suivent savent que je suis très intéressée par les questions d'écologie et de développement technique qui sont souvent sources d'inspiration pour agir dans ce monde bizarre qui est le nôtre.

Ici dans son "traité de résistance" l'auteur nous parle d'écologie et de technologie comme le ferait le premier beauf venu au café du coin.

Aucunes sources, aucunes données chiffrées, aucune piste pour l'avenir.

Que du constat... mais du constat partisan et pamphlétaire, écrit à la façon d'un roman avec des amalgames gros comme une maison.

L'homme est communiste ça se sent, végétalien prosélytiste sans doute mais dangereux certainement.

Quand je lis que les carences des végétaliens seraient un bon tour de Sanof, alors qu'il y a un consensus scientifique pour reconnaitre les besoins en vitamine B12 que le végétalien ne peut pas obtenir par son alimentation. Quand il remet en cause la vaccination des nourrissons en laissant entendre qu'il s'agit d'un besoin développé par les entreprises pharmaceutiques, et donc se montre ouvertement antivaxx, moi ça me pose des problèmes. Quand il remet en doute la médecine moderne en plaisant que les anciens savaient se soigner par les plantes, il est dangereux. On ne peut pas à ce point nier les avancées en médecine sous prétexte que les laboratoires veulent se faire du fric.



Bref, je ne conseille pas du tout du tout ce bouquin qui ne sert strictement à rien. Il y a bien mieux que ça à se mettre sous les yeux !





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Comédie d'automne

Choisi mi- novembre 2023 / Périple 2 - Boulogne Billancourt



Lecture fort agréable achevée, il y a déjà

deux mois !... .Je retrouve mes notes mises de côté ...en attente ! le temps manque cruellement , et je me hâte de les retranscrire avant de les oublier ou les égarer !!



Ayant lu avec enthousiasme son récit personnel " Kiosque ", j'avais choisi spontanément son dernier opus, celui-ci étant la prolongation du précédent....

En sus de son métier de " kiosquier" sur lequel il revient, il s'attarde au début sur un de ses fidèles clients , aristocrate désargenté, érudit , bibliophile dicret, et stendhalien passionné et dernière qualité et pas des moindres, il fut le tout premier lecteur....de " notre kiosquier national" !

Un personnage attachant , complètement atypique, lecteur très assidu, pleinement habité par la Littérature, en qui, notre écrivain a la plus grande confiance , pour son amour de la culture tous

azimuts !



Parmi la galerie de personnages croisés, il y a les clients du " kiosque ", la mère de l'auteur, des plus réservées quant à la renommée littéraire de son fiston, ses rencontres avec Doisneau, photographe pour lequel il a la plus grande sympathie...les anecdotes sur les coulisses du monde de l'édition, la course aux prix littéraires, l'accueil divers de ses textes;parmi ceux-ci, il nous parle légitimement plus abondamment des " Champs d'honneur" , roman qui lui vaudra le prix Goncourt, en 1990, et changera sa vie...



J'allais omettre "Le Personnage "...qui l'accompagne et qu'il connait mieux que lui-même : Son Cher Chateaubriand !..



Récit plaisant qui nous offre le parcours d'un apprenti- écrivain gravissant toutes les marches pour parvenir à la consécration de son art !



Toutes les étapes et les efforts d'un homme qui ne pense qu'à une chose : Écrire et trouver un éditeur ....



Le titre donne aussi l'autre face de ce récit: une ironie certaine sur ce monde parisien de l'édition!!

le ton : " Comédie d'automne "...allusion assez évidente à la période des " Prix littéraires " , de la petite cuisine entre les éditeurs et les différents jurys!



"Pénible, la vente des journaux pouvait l'être, principalement les longs mois d'hiver où je désespérais de la venue des beaux jours.(...)



Quant au faible prestige de la profession, inutile de m'enfoncer davantage, j'étais parfaitement au courant.



"(...)Mais ça m'était égal à présent que mon manuscrit était accepté par l'éditeur. Je pouvais bien vendre des journaux à vie.J'avais désormais le seul passeport qui m'intéressait à présenter à mes semblables.On ,et quelqu'un dont le jugement valait de l'or, m'avait reconnu écrivain. Je figurais dans le même catalogue que Beckett et les auteurs du Nouveau Roman (...)"



Parmi les nombreux portraits, le plus fourni concerne de façon fort compréhensible,son tout premier éditeur, Jérôme Lindon, grand patron des éditions de Minuit.Portrait des plus contrastés, ombres et lumières mêlées suggérant fort bien la complexité de cette très importante figure de l'Édition française...La reconnaissance de Jean Rouaud subsiste bien envers lui, tout en ayant aussi un regard critique et lucide sur les contradictions et " idées bien arrêtées" de

"son découvreur"...



J'achève ce billet par un très extrait parlant fort bien de l'Écriture et de ses tourments :



"Mais la vérité, c'est que dans le choix binaire qu'offre la naissance, je partageais avec notre mère d'être un solitaire.L'esprit de camaraderie, vital pour l'enfant unique qu'était notre père, m'était étranger. Un avantage, parfois.Cette posture qui consiste à se débrouiller seul, sans jamais rien demander, convient parfaitement à l'écriture. L'écriture se condamne d'elle-même si elle appelle à l'aide.Le surgissement de phrases inédites sur un terreau de solitude, c'est sa récompense et son châtiment, sa vanité et sa prétention, son humilité et sa grandeur (..)"











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Kiosque

«Le kiosque est la plus belle encyclopédie in vivo» explique Jean Rouaud dans son nouveau roman qui détaille ses sept ans passés rue de Flandre. Une expérience fascinante et… une école de littérature!



P. est un vieil anar syndicaliste qui, après la mort de sa femme, va se noyer dans l'alcool et la dépression. Il tient un kiosque à journaux rue de Flandre, dans le XIXe arrondissement et va proposer à Jean Rouaud de le seconder. L’apprenti écrivain, accepte cette proposition qui lui permet de dégager beaucoup de temps pour sa vocation. Car même si tous ses manuscrits ont été refusés jusque-là, il persévère dans la voie qu’il a choisie.

Nous sommes dans les années quatre-vingt, au moment où la désindustrialisation fait des ravages dans tout le pays et où le chômage devient un fléau qui s’installe durablement dans le paysage économique.

Le kiosque à journaux joue alors un rôle social essentiel d'animation du quartier, de contrepoint à la solitude.

Si Jean Rouaud affirme que ce «théâtre de marionnettes» aura entrainé le naufrage de ses illusions, il va surtout nous démontrer combien ces sept années de sa vie auront été enrichissantes. Car, comme le souligne Bernard Pivot dans sa chronique du JDD, «Kiosque est une magnifique galerie de portraits de marginaux, de vaincus, de rêveurs, de déracinés… L’art et la bonté de Rouaud les rendent presque tous sympathiques.» Dans ce quartier cosmopolite, la revue de presse est en effet faite par ces réfugiés, immigrés, néo-parisiens qui n’oublient pas leurs racines et commentent les soubresauts de «leur» monde, qu’ils viennent d‘Afrique ou des Balkans, du Brésil ou du Proche et Moyen-Orient. Avec cette leçon toujours actuelle: ce n’est pas par gaîté de cœur qu’ils se sont retrouvés un jour à battre le pavé parisien. À leurs côtés, dans ce quartier populaire, les désœuvrés servent à l'occasion de commissionnaire, les habitués débattent des grands travaux engagés par François Mitterrand, comme par exemple cette pyramide qui doit prendre place dans la Cour du Musée du Louvre qui va être agrandi.

Cette soif de modernité va aussi s’abattre sur le kiosque à journaux. Durant dix années, nous explique Jean Rouaud, les concepteurs du nouveau modèle parisien ont travaillé pour livrer un kiosque qui n'avait «ni place, ni chauffage, ni toilettes et il fallait être contorsionniste pour atteindre certaines revues». On se réjouit de voir si le projet qui arrive cette année résoudra ces inconvénients!

N’oublions pas non plus que cette vitrine sur le monde permet aussi aux gérants de se cultiver à moindre frais. Si ce n’est pour trouver la martingale recherchée avec passion par les turfistes ou pour déchiffrer les modèles de couture proposés par Burda, ce sera dans les cahiers littéraires des quotidiens, les revues politiques ou encore les encyclopédies vendues par épisodes.

Puis soudain, cette révélation. Il n’est pas kiosquier par hasard. N’a-t-il pas mis se spas dans ceux des sœurs Calvèze qui, à Campbon, se levaient aux aurores pour aller distribuer la presse locale ? N’est-il pas lui aussi un passeur. De ceux qui parviennent à arracher une vie partie trop tôt de l’oubli? Les Champs d’honneur doivent beaucoup au kiosque de la rue de Flandre qui a construit Jean Rouaud, a aiguisé ses talents d’observateur, a démultiplié son empathie, a affûté sa plume.

Kiosque est aussi une superbe leçon de littérature.


Lien : https://collectiondelivres.w..
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Les champs d'honneur

Le titre, la couverture, un auteur dont je n'avais jamais entendu parler, rien de tout cela ne me disait, et pourtant, quel beau livre! Lu dans un excès de curiosité, j'ai goûté chaque phrase, me suis attendrie avec l'auteur et été très émue au dernier chapitre.

Jean Rouaud y rend hommage à "ses morts", trois morts qui se succèdent en peu de temps lors de son enfance, et une quatrième qui a eu lieu bien avant sa naissance. Il s'agit de son grand-père, sa grand-tante Marie, son père Joseph, et un autre Joseph, le frère de sa tante Marie, mort au front en 1916.

Etrangement, et par sans doute une sorte de pudeur dans la douleur, la mort de son père est surtout un repère dans la chronologie de celles du grand-père et de Marie et c'est l'autre Joseph qui lui servira, peut-être, de deuil littéraire...

Au travers de ces trois, ou plutôt quatre, événements, se dessine la famille du narrateur dans les années de guerre et les années 50, dépeinte avec beaucoup de tendresse, de respect mais aussi d'humour: la deux-chevaux du grand-père et sa décapotable aux prises avec la pluie et le vent, la tendre bigoterie de Marie, vieille fille maladroite quand il s'agit de démonstrations de tendresse, Yvon le croque-mort... mais les plus touchants sont, à peine dépeints, le père décédé à quarante ans et sa femme qui lui survit avec trois enfants à s'occuper et une tante qui perd la tête, et surtout, surtout, l'autre grand-oncle rentré un soir lors d'une permission qui vient caresser, ému, les petits poings de son fils nouveau-né, avant de mourir quelques semaines plus tard.



En écrivant cette "critique", je suis encore émue en repensant à tous ces personnages si vrais et si touchants qu'on pourrait rencontrer dans n'importe quelle campagne sans jamais découvrir tous ces secrets que leur vie recèle...

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Un peu la guerre

Une belle lecture. Jean Rouaud aborde l'évolution de la littérature et ses propres difficultés dans son cheminement en tant qu'écrivain. Tout en douceur, il nous dresse ses impressions et ses doutes sur cette longue mise au monde de l'auteur qu'il est aujourd'hui. Cet ouvrage est truffé de références culturelles et c'est une mine d'or pour moi qui suis toujours avide d'améliorer le niveau (très moyen) de mes connaissances.



Entre autres, j'y ai glané de nombreux renseignements sur ma région natale et sur la ville de Saint-Nazaire et ses neuf mois de guerre oubliés (la ville a été "libérée après tout le monde, dernière d'Europe, le 11 mai 1945").

J'y ai appris que Lovecraft était raciste et antisémite (déception) mais qu'il s'est amendé à la toute fin de sa vie.

J'y ai découvert qu'en 1969 en France, à la faculté des lettres de Nantes, on donnait encore à lire une version de l'Enéïde préfacée par Robert Brasillach "rédacteur de "Je suis partout", le journal collaborationniste..." alors que Primo Levi, Elie Wiesel ou Robert Antelme ne figuraient pas au programme ; et encore que Samuel Beckett a été un héros de la résistance au sein du réseau Gloria à Paris.

Et surtout, moi qui ai adoré les Champs d'honneur, l'auteur y explique tout (ou presque) de sa genèse laborieuse et je me suis régalée en en relisant quelques passages.



Du coup, j'ai refermé le livre, mais pas pour longtemps, car de ses pages dépassent une multitude de petits morceaux de papier avec des annotations sur des lectures à faire, des renseignements à prendre, des peintres à découvrir, des morceaux entiers d'Histoire à apprendre et à réapprendre.

En résumé, une lecture très enrichissante qui en plus (et j'aime ça) me renvoie vers une multitude d'autres (tant pis pour ma PAL).
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La vie poétique. Tome 1 : Comment gagner sa v..

Lu- 18 février 2020---



"Il était mélancolique et racontait volontiers son expérience communautaire. Pour lui qui n'avait pas fait d'études, la rencontre de ces jeunes gens avait été une chance. Il avait pris goût aux longues conversations philosophiques, aux débats d'idées, avait découvert le bonheur de la lecture- il remontait d'ailleurs une caisse de livres estimant que par son travail il les avait bien mérités. (...)

Le sentiment, le temps passant, d'être moins considéré, comme si l'ancienne hiérarchie reprenait ses droits, les intellectuels en haut, les manuels en bas. "(p. 308)



Un ouvrage assez inclassable, acquis à la librairie Texture , dans le 19e parisien, en juillet 2011, débuté et abandonné plusieurs fois....

Récit multiforme d'un jeune homme en devenir, récit débutant dans les années 60, le vécu de mai 68, les petits boulots exécutés par notre écrivain, dont l'expérience du travail en usine, à la chaîne, qui l' a marqué durablement.

Jean Rouaud, jeune garçon de 11 ans, orphelin de père, s'est mis à faire mille petits jobs, afin d'aider sa mère, veuve. Ainsi notre "narrateur" s'est immergé autant dans le monde ouvrier que dans l'univers étudiant !



Un ton d'autodérision constante accompagne ce récit autobiographique, où cette autodérision touche plus particulièrement les luttes de classes,mais aussi ses multiples mésaventures entre l'auto-stop, ses "ratés"

lamentables avec la moto du cousin, ses départs "écolos" dans les campagnes de l'hexagone, expériences plus ou moins concluantes de vie communautaire, son refus de rentrer dans le rang, de faire une quelconque carrière, ses allergies à l'autorité, au service militaire,ses refus constants, en somme !!..





Par moments, un côté franchement comique d'aventures à la "Gaston Lagaffe" !!!



Rouaud narre aussi ses admirations littéraires dont font partie à des siècles de distance Kamo No Chomei (12e) ( que j'ai découvert grâce à cette lecture), et Serge Rezvani...dont il parle abondamment avec une admiration sans réserve !





Après avoir eu du mal à rentrer dans le texte, je me suis rendue compte qu'il me fallait simplement aborder ce texte sans idée préconçue, me laisser porter par l'abondance des digressions de l'auteur, qui offre au final, un portrait très affiné, détaillé d'un jeune homme , ayant traversé "Mai 1968", même si ce dernier s'est laissé plutôt porter par les événements et les rencontres.Double portrait: celui de notre écrivain et celui, détaillé, réaliste de la société de l'époque ! Le collectif qui croise un destin personnel, modeste, se cherchant dans une société auquel le narrateur ne parvient pas à adhérer !



Un jeune homme attiré par rien, si ce n'est l'Ecriture, se cherchant, n'ayant pas encore trouvé son "chemin" , "sa voie"...

Il y livre ses remarques sur la société française où il a grandi, dans laquelle il vit, à une époque sociétale de basculement , de remise en cause du travail, des inégalités criantes, de la lutte des classes... Des passages très virulents, toujours d'actualité !!..



En sus de l'expérience difficile en usine, un autre "petit boulot" a fini d'écoeurer, de révolter notre apprenti-poète : la vente en porte à porte d'encyclopédies médicales. Un démarchage intrusif, scandaleux, s'attaquant aux classes les plus modestes, ne pouvant se défendre avec les mots (intimidés par ces derniers !), se retrouvant avec des crédits inutiles, quasi "extorqués" !!!...



Des années de "non-être", de petits boulots peu satisfaisants jusqu'à la parution de son premier livre qui le fera connaître, "Les Champs d'honneur"...





"En dépit des apparences, j'étais toujours sur le bord des routes à tendre le pouce, toujours saltimbanque, toujours à la marge quand il me semblait que j'avais laissé loin derrière moi mes années tristes, toujours un peu voyou. "( Gallimard, 2011, p. 54)





"Je m'imaginais réitérant inlassablement mon refus d'effectuer mon service militaire, comme je l'avais écrit sur toutes mes copies depuis deux jours. Objecteur de conscience, alors ?

Non, non, pas seulement la conscience, tout objecte chez moi. Rien ne me va de ce que vous me proposez, ni l'uniforme quand je tiens à ma singularité, ni obéir aux ordres quand je tiens à ma liberté, ni porter une arme quand j'avance dans la vie, démuni, bras ballants." ( (Gallimard, 2010, p. 212)



Je suis prête et curieuse de lire et découvrir les trois autres volumes de cette "Vie poétique" qui semble composer un tableau sociologique très attractif, de la seconde partie du 20e à la première part du 21e, en passant par le parcours complexe d'un écrivain, talentueux, qui est parvenu à concrétiser son rêve de toujours : La reconnaissance de son "écriture" , de sa "Plume" !!
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L'imitation du bonheur

Après mon gros coup de cœur pour Les champs d'honneur, je me réjouissais à l'idée de retrouver la plume de Jean Rouaud. Qui plus est, plutôt que de poursuivre sagement dans la série de ses chroniques familiales, j'avais fait le choix de ce livre dont le sujet me semblait particulièrement alléchant : les lendemains de la Commune, la répression sauvage de l'insurrection par l'atroce Adolphe Thiers et son armée de Versaillais, l'affolement mesquin de la France des possédants,..., et au milieu de tout cela l'histoire d'amour impossible entre un proscrit en fuite et une bourgeoise malheureuse, dans les rudes et superbes paysages qui entourent le mont Lozère.

Soyons honnête, je m'attendais à quelque chose de beaucoup plus classique. Une aventure à la fois épique et romantique sur fond historique de guerre sociale, traitée d'une plume ample et délicate. Ceci dit, il est bien possible que j'aie des goûts aussi convenus que démodés. Quoiqu'il en soit, c'est précisément là que Rouaud attend son lecteur au tournant. Et le livre qu'il lui offre se révèle du coup assez déstabilisant, car il y est moins question d'un roman historique que d'une réflexion sur la littérature et sur le thème archi-rebattu de la fin du roman. C'est en fait le roman d'un roman en train de s'écrire (thème que j'avais déjà croisé dans Première ligne, de Laclavetine, mais ici avec du talent). L'auteur s'adresse directement à son héroïne tout au long de l'ouvrage, prend parfois son lecteur à témoin, s'accorde des digressions documentaires (parfois très éloignées de son sujet), cite ses sources et les commente, s'amuse à imaginer quelle sorte de film serait sorti de son histoire, raconte encore les doutes de l'éditeur à qui il expose son projet. Tout ceci, ce qui est très fort, sans jamais sortir vraiment de son récit.

Bien sûr, on en retire parfois le sentiment que Rouaud aime s'observer en train d'écrire son roman. Je me suis même demandé à quelques reprises si ce n'était pas là le sujet principal du livre. Les apartés ont beau être passionnants, emplis d'humour et d'autodérision, certains étaient peut-être dispensables, faisant parfois redouter de se perdre dans l'imbrication des multiples parenthèses. L'éclatement de la narration n'est pas des plus confortables pour le lecteur, c'est certain, mais je n'étais pas non plus obligé d'en faire une lecture de vacances ni de le lire le fauteuil planté dans la rivière avec les pieds clapotant bien au frais. Après tout, est-ce le but du roman de veiller au confort de son lecteur ? La réponse est évidemment négative.

Dans la dernière partie, l'auteur se fait plus discret et lâche la bride à ses personnages, comme impressionné lui-même par le souffle romanesque qu'il voulait tenir à distance, pour mieux en saisir l'essence peut-être. Arrivé là, il ne lui faut plus qu'une centaine de pages pour nouer la gorge de son lecteur, et proprement. On sort enrichi du livre, incontestablement, et sans plus savoir ce qui est authentique ou fictif dans cette histoire. Quelques questions demeurent pourtant, et surtout celle-ci : une cathédrale est-elle plus admirable, et témoigne-t-elle davantage de son sens, si on lui laisse ses échafaudages? Et incidemment, faudrait-il désormais conserver leurs échafaudages à toutes les cathédrales ?
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Les champs d'honneur

J’aime ce type de livre empreint de nostalgie où les souvenirs liés à l’enfance se rappellent au personnage principal du livre, remonte des tréfonds de son âme, pour évacuer la douleur due à la perte de personnes chères à son cœur, en l’occurrence, son père et sa tante, alors qu’il était petit, ainsi que l’atmosphère de l’après-guerre.



Cela me fait penser à « En vieillissant, les hommes pleurent » de Jean Seigle ou encore « Mémée » de Philippe Torreton.



Un beau moment de lecture.

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Sur la scène comme au ciel

Ce qui caractérise Jean Rouaud à mes yeux c’est son aptitude à la narration avec une touche gracieuse d'humour. Un véritable conteur que j’aime à lire avec son style frais dans lequel je retrouve sa description des journées pluvieuses de Loire inférieure ou des voyages en 2cv qui m'avaient emballé dans les « champs d'honneur ». Cette magnifique façon de zoomer sur un détail, une attitude, un objet, pour édifier un paysage psychologique



Cette fois c’est la mort et, au-delà, la vie intime de sa mère l'auteur évoque, notamment les visites supposées de ses chers disparus et plus particulièrement du seul homme de sa vie : son mari disparu si jeune.



Il est curieux de constater que jean Rouault se met rapidement à transformer la biographie de sa mère en celle de son père. Et oui, ainsi ressurgit cette vie des années 40 à 60 marquée par le patriarcat, la pression religieuse, la séquestration du féminisme.



Finalement, plus que la figure de la mère, puis celle du père, c'est plutôt celle de l'amour de ses parents l'un pour l'autre qui est évoqué. Ce long deuil de sa mère qui se clôt par sa propre mort.



Et puis cette question : comment, pour ce fils, accepter qu'au delà de cette mort, ses parents se retrouvent.



Un roman questionnant sur un sujet que nous rencontrons tous un jour où l’autre, prétexte à de très belles pages.
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