Dans un futur proche, la surpopulation a radicalement modifié l’ensemble des sociétés humaines. Les politiques eugénistes fleurissent, seuls les couples au génome sain peuvent avoir un enfant, et en avoir plus de deux est très mal vu. Des drogues légales permettent au commun des mortels de supporter promiscuité, éclatement de la sphère privée et disparition de la liberté individuelle. Régulièrement, les amocheurs, individus rendus fous par ces conditions de vie, sèment la mort et la destruction dans une crise de rage. Aucune grande décision politique ou économique n’est prise sans l’avis du super-ordinateur Shalmaneser, propriété de la multinationale General Technics.
Nous suivons Norman House, membre du conseil dirigeant de cette entreprise géante, mandaté pour négocier le rachat d’un pays africain en vue de son industrialisation. Son colocataire Donald Rogan, agent des services secrets américains envoyé en Asie du Sud Est pour s’emparer des découvertes sensationnelles d’un célèbre généticien. Et Chad Mulligan, sociologue marginal par la voix duquel s’exprime l’auteur.
Tous à Zanzibar reste un roman fascinant, et sa lecture est toujours une expérience hors du commun, 50 ans après sa conception. Le récit est composé comme un patchwork, alternant quatre types de chapitre (intrigue principale, personnages, contexte et vignettes). Récit déroutant, difficile à apprivoiser, particulièrement au début, mais qui parvient à exprimer parfaitement le tourbillon chaotique qui semble emporter l’espèce humaine dans cette dystopie visionnaire. Car c’est bien là une des qualités évidentes de John Brunner dans ce roman (ainsi que dans quelques autres, Le troupeau aveugle en tête). Il est effrayant de constater que la plupart de ses avertissements font partie de notre réalité contemporaine un demi-siècle plus tard : aggravation de la pollution, impact sur la santé et le génome humain, globalisation de l’information, évolution des rapports géopolitiques, permanence de la menace terroriste, manipulation médiatique à grande échelle, etc…
L’autre grande qualité de ce roman est l’immense originalité formelle de la narration. Empruntant de nombreuses figures au langage cinématographique, Tous à Zanzibar est une mosaïque saisissante, dense, alternant de multiples formules et niveaux de lecture. Il est difficile d’échapper aux effets hypnotiques de ce kaléidoscope démentiel.
Bien sûr, Tous à Zanzibar souffre de certains défauts. La volonté de l’auteur d’en faire un choc stylistique en fait une oeuvre difficile. Certains chapitres, particulièrement dans la catégorie « Le monde en marche », sont excessivement longs et auraient gagné à être plus compacts. La fin du roman est particulièrement décevante, et clairement destinée au public américain. Et enfin, certaines situations censées exprimer la folie de ce monde tombent parfois dans un loufoque un peu prévisible.
On ne sort pas indemne de Tous à Zanzibar, dont la lecture est parfois éprouvante. Ce roman reste malgré tout un incontournable, pour son originalité formelle et pour son propos prémonitoire. L’humour très britannique de Brunner y est omniprésent, et le récit est entièrement fondé sur une ironie amère parfois crispante, souvent drôle, et qui ne laisse jamais indifférent.
Prix Hugo 1969 et Prix Apollo 1973, Tous à Zanzibar est une oeuvre d’une actualité troublante. Produit de son époque par certains de ses thèmes (liberté sexuelle, usage des drogues, considérations politiques, raciales et économiques, …) et par son expérimentation de style, ce livre de 700 pages parfois indigestes préfigure également le cyberpunk. Une oeuvre difficile mais incontournable.
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