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Critiques de Karl Ove Knausgård (175)
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Au printemps

« Tu comprends, la beauté de ce monde ne signifie rien si tu es seule sur terre ».



Connaissez-vous Karl Ove Knausgaard ? Il est l'auteur coqueluche norvégien dont les livres se vendent en nombre, autant que la Bible, 500 000 exemplaires rien qu'en Norvège qui compte 5 millions d'habitants…Né en Norvège en 1968, cet auteur a accédé à une reconnaissance internationale (particulièrement aux Etats-Unis) avec son cycle autobiographique en 7 volumes intitulé « Mon combat ». Mêlant réflexions, digressions, faits vécus, Karl Ove Knausgaard est parfois comparé à Proust ou à Kundera, c'est dans tous les cas un auteur qui marque son temps, qui marque les lettres norvégiennes. «La mort d'un père» a même reçu le Prix Brage en 2009 (l'équivalent du Prix Goncourt en Norvège). Et c'est l'auteur préféré de mon libraire. Ce cher Yann me parle aussi de sa femme, Linda, qui a écrit quelques livres dont le très sombre « Fille d'octobre », lente descente aux enfers marquée par sa dépression dont il est tant question dans les livres de son mari.



Avant d'aborder le cycle de « Mon combat », j'ai choisi de découvrir cet auteur avec le quatuor vivaldien des saisons, autre cycle autobiographique, publié plus récemment, conçu autour du dernier nouveau-né de l'auteur. Nous avons là un récit bouleversant d'un jour dans la vie d'un père confronté à un drame familial. Celui de l'internement de sa femme, de la jeune et fragile maman, et d'un père resté seul avec ses quatre enfants. de plus ce livre est un magnifique objet enrichi des illustrations d'Anna Bjerger, artiste suédoise. A l'image de la couverture du livre, des tableaux bucoliques de fleurs, d'arbres, d'oiseaux parsèment le livre telles des fleurs sauvages venant d'éclore. Un tableau en particulier me plait beaucoup : nous sommes sous un arbre, à l'ombre, nous devinons le ciel bleu, le soleil étincelant derrière les épaisses branches brunes auréolées de fleurs mauves en éclosion. Ces respirations printanières apportent beaucoup de sérénité au milieu des réflexions de ce père qui, bon an mal an, tente de garder le cap familial et d'apporter de la lumière à ses petits en absorbant les ténèbres qui rôdent. C'est un peu à l'image de ce tableau évoqué d'ailleurs que j'aurais volontiers mis en couverture du livre.



« En règle générale nous levions le camp vers neuf heures et nous partions explorer les petites routes gravillonnées qui subsistent par endroit, sans autre but que de découvrir des choses que nous ne connaissions pas encore. Je glissais un CD dans le lecteur et je laissais mes pensées vagabonder, car parfois, c'est aussi simple que cela : les corps statiques engendrent des pensées statiques ; si le corps se met en mouvement, les pensées commencent elle aussi à bouger ».



C'est donc le printemps. le moment de l'année où "le paysage donne l'impression de s'ouvrir de toutes parts", avant que le vert explose pour de bon. Un entre deux entre le grand sommeil et le grand bond. Dans une voiture, un père et son bébé de trois mois parcourent la campagne suédoise, traversent des champs plantés d'éoliennes, aperçoivent la mer, pendant que les trois autres enfants, plus grands, sont à l'école. Ils semblent heureux. le bébé bercé par la voiture, alternant siestes et observation d'un ciel bleu étincelant. le papa alternant réflexions, pensées philosophique et observation de la nature qu'il parcourt. Nous déambulons dans les méandres de ses pensées, dans son histoire, notamment dans son histoire de couple, dans ses angoisses, ses faiblesses, ses espoirs…Mais, au fil des heures, une réalité moins douce se dessine.



Il est étonnant de constater combien l'auteur peut mêler les choses les plus animales et intimes aux pensées les plus nobles et philosophiques. Ainsi décrit-il ce qu'il ressent en allant à la selle, sensations assorties immédiatement de réflexions profondes sur le sens de la vie. C'est par ailleurs un récit bien ancré dans la société suédoise et norvégienne, tant par les paysages caractéristiques qu'il nous est donné à contempler, que par la culture évoquée, les films de Bergman notamment sont régulièrement convoqués tant le couple aime ce réalisateur.



« Un après-midi pendant que ta mère dormait à l'étage, je fis la vaisselle. Par la fenêtre au-dessus du plan de travail, je regardais la pluie légère qui tombait en continu, la lumière grise donnait au vert cette intensité particulière typique des étés pluvieux de l'Europe du Nord que j'aimais tant, sûrement parce qu'elle me rappelait des étés dans l'ouest de la Norvège où il pleuvait en permanence et où le paysage d'une luxuriance froide était aussi vert que la jungle, l'exubérance et le voile de chaleur humide en moins ; son caractère sauvage était plutôt empreint de sobriété, ressemblait davantage à une extase froide. Les truites, les cascades écumantes, l'herbe moirée sur les flancs des collines, le ventre des nuages frôlant la surface de l'eau. Gris, vert. Vert, gris ».



Un récit touchant, un petit road-movie d'un père et de son nourrisson de trois mois à qui il raconte une journée au sein de cette famille marquée par le drame de l'hospitalisation de la mère, lors de son premier printemps parmi eux. Un récit dans lequel ce père s'adresse directement à sa petite fille, cadeau fait car elle ne gardera aucun souvenir de cette période. Touchant et tendre, pudique et profondément intime.



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La mort d'un père

La puissance désarmante de la confession !



La mort d'un père est le premier tome de l'autobiographie du norvégien Karl Ove Knausgaard, ou plutôt le premier tome de l'oeuvre monumentale de sa vie d'écrivain, une hexalogie, intitulée, non sans une certaine ironie, Mon Combat, référence explicite à Mein Kampf apparemment éclairée dans le sixième volume, il ne me reste plus qu'à patienter…

Dans un style direct, franc, sincère, et unique il faut bien le dire, l'auteur se livre sans fard et transforme son vécu personnel en une expérience universelle. Dans ce premier tome, il met en scène la mort à la fois intime et universelle, puisqu'il s'agit de celle de son propre père, mais aussi de manière philosophique, scientifique, fascinante, monstrueuse, chaotique voire artistique, cubique, tant ses réflexions sur la mort le mènent dans toutes les directions.



J'ai trouvé ce livre fascinant : tout en étant simple et exempt de tout rebondissement, de toute aventure, de toute intrigue, je n'ai cessé d'en tourner les pages et de me sentir bien dans cette lecture, d'y trouver des échos personnels. Knausgaard m'a désarmée, moi qui aime les aspérités de certaines plumes, leurs reliefs particulièrement acérés, l'écriture assez plate et sans relief de cet auteur m'a totalement séduite.



« Aujourd'hui, nous sommes le 27 février 2008 et il est 23h43. C'est moi, Karl Ove KNAUSGAARD, né en décembre 1968 et donc dans ma trente-neuvième année, qui écris. J'ai trois enfants, Vanja, Heidi et Hohn, et j'ai épousé Linda Boström KNAUSGAARD, en secondes noces. Ils dorment tous dans leurs chambres autour de moi, dans un appartement de Malmö où nous vivons depuis un an et demi. Exception faite de quelques parents du jardin d'enfants de Vanja et Heidi, nous ne connaissons personne ici. Cela ne nous manque pas, en tous cas pas à moi, car de toute façon, je ne retire aucun bénéfice du contact avec les autres. Je ne dis jamais ce que je pense vraiment, ni ne dévoile mes convictions, au contraire, je me range systématiquement à l'avis de la personne avec qui je parle et je fais semblant de m'intéresser à ce que les gens disent. Sauf quand je bois : dans ces moments-là, je vais trop loin dans l'autre sens et je me réveille avec cette peur d'avoir dépassé les limites qui n'a fait que grandir avec les années et qui peut maintenant me tenailler pendant des semaines. Quand je bois, j'ai des absences et je perds le contrôle de mes actes, qui se révèlent souvent désespérés et idiots mais parfois aussi désespérés et dangereux. C'est pour ça que je ne bois plus. Je voulais être inaccessible et invisible et c'est maintenant chose faite : personne ne m'atteint et personne ne me voit ».





D'où provient cette fascination ?



Tout d'abord, la fascination provient étonnement du style. L'écriture est mécanique et spontanée, permettant de toucher sans fioriture le coeur des choses les plus anodines, les plus élémentaires, mais aussi d'aborder les pensées les plus inavouables, les plus repoussantes sans fausse pudeur, sans masque ni paillettes, laissant à la fois un goût tantôt douceâtre tantôt amer en nous, goût serti d'une puissance d'évocation captivante, de sorte que nous le suivons, nous tournons les pages, installés confortablement, comme aux côtés de l'auteur, dans une proximité désarmante. Installés parfois comme devant son propre reflet, dans une mise en abime déstabilisante.

Le tout entrecoupé par des digressions, des détails, des considérations philosophiques. C'est la vie dans ses moindres détails les plus futiles, dans ses moindres pensées les plus enfouies, dans ses moindres souvenirs les plus lointains, c'est la vie qui s'écoule devant nous et qui est aussi la nôtre. Entre listes de course, considération sur la mort, groupes de musique, réflexions enchantées sur la peinture, description d'un petit déjeuner, souvenirs de poèmes, chagrins, achat d'une bouteille de Cif, grandes hontes et petites fiertés…banalité et complexité, trivialité et subtilité. La vie dans tous les sens du terme que l'écriture mécanique fait jaillir pour toucher parfois l'indicible que, confusément, nous percevons sans toujours pouvoir, savoir, le mettre en mots.



« Voilà.

Les métaréflexions augmentèrent tout d'un coup. J'étais dans l'avion, en route pour enterrer mon père pendant que je pensais que j'étais dans l'avion, en route pour enterrer mon père. Tout ce que je voyais, les visages, les corps qui traversaient lentement la cabine et qui déposaient leurs bagages et s'asseyaient, déposaient leurs bagages et s'asseyaient, étaient suivis d'une ombre réflexive qui ne pouvait s'empêcher de me dire que c'était ce que j'étais en train de voir pendant que je pensais que c'était ce que je voyais et ainsi de suite jusqu'à l'absurde. En même temps, la présence de cet échos, ou plutôt de ce miroir, comportait la critique que je ne ressentais pas plus que ça ».



Même si le récit n'est pas linéaire, multipliant les va-et-vient entre son passé et sa position actuelle d'écrivain et de père de trois jeunes enfants, entre sa Norvège natale et la Suède où il s'est expatrié, entre le récit méticuleux sur sa vie et les digressions multiples, je suis assez étonnée d'avoir aimé ce style d'écriture simple, quand habituellement je me fais une joie d'un style avant tout chose, chose qui me remplit d'admiration et de bonheur par exemple avec un autre norvégien, Jon Fosse, et que Knausgaard, lui, précisément, rejette le prétexte du style autant que les romans à la thématique trop prononcé.

Ici c'est juste la vie dans sa banalité la plus totale qui est relatée par le menu, depuis les détails les plus infimes jusqu'aux réflexions les plus fondamentales, en citant les gens nommément, tous les gens depuis son enfance jusqu'au prénom de sa femme devenue ex-femme, narration au moyen d'une plume lente et enveloppante, d'une sincérité désarmante et d'une profondeur psychologie rare.





La fascination provient par ailleurs de la thématique du livre, celle de la mort de son père, l'occasion pour l'auteur, dans une première partie, de présenter la relation qu'il a eu avec lui alors qu'il était adolescent dans les années 80, ce père si proche et pourtant si distant, autoritaire, dur, taiseux. La deuxième partie est davantage centrée sur la déchéance puis la mort de son père qui a peu à peu sombré dans l'alcoolisme. Divorcé de sa deuxième épouse, il est allé s'installer chez sa vieille mère grabataire et ne pense qu'à boire. Karl Ove et Yngve, son frère ainé, vont découvrir, à la mort de leur père, une maison transformée en un véritable dépotoir où des centaines de bouteilles vides se mêlent à des tas de vêtement en train de pourrir sous les couches d'immondices, de crasse et d'excréments. La description frise véritablement l'horreur et c'est dans cette ambiance à l'odeur pestilentielle que Karl Ove va peu à peu réaliser la mort de son père. le récit se transforme alors, au-delà de cette expérience déroutante où le fils va littéralement laver la crasse paternelle, faire disparaitre les excréments du père défunt, en une expérience universelle d'un fils à la mort du père. Ou comment est transcendée la plus vile expérience en une expérience confinant au sacré.



La fascination enfin provient de la sincérité totale de l'auteur qui ne nous cache absolument rien. Fascination qui pourrait s'apparenter à du narcissisme et du voyeurisme, le matériau de ses écrits étant lui et ses proches. Je sais que cela peut m'énerver et avec certains auteurs, ça ne passe pas du tout. Je pense notamment à David Vann qui s'inspire de ses proches de façon plus indirecte, avec moins de franchise je dirais. Dans Komodo par exemple, je n'avais pas aimé sa façon de décrire son personnage principal avec condescendance, vulgarité et mépris. Cette façon de la mettre plus bas que terre pour ensuite nous expliquer, main sur le coeur, que la cause de son aigreur, de son amertume est tout simplement la maternité et la famille. Sa belle-soeur si je me souviens bien a inspiré ce personnage, sous prétexte de montrer à quel point il est dur d'être une jeune maman, il rend le personnage horrible, au moyen notamment d'une plume incroyablement vulgaire renforçant la perception négative du personnage qu'il aura réussi au final à détruire sous couvert de la défendre.

Hausgaard ne procède pas ainsi, il dit les choses, les nomme, les objectivise de façon directe et sincère. de façon authentique. Cela n'a pas évité cependant de susciter une vive polémique entre lui et sa famille au moment de la parution du livre. Qu'importe, Knausgaard est tout entier dans son livre qui est un véritable marqueur d'une épopée familiale, d'une période, d'un pays, le pays de la retenue qui plus est…





Nous sentons qu'en écrivant sur soi, Karl Ove Knausgaard a tenté de s'effacer derrière l'universalité de la chose vécue, de se dépersonnaliser. Cela me fait penser au concept de « dé-peindre » que développe Jon Fosse avec la peinture dans Mélancholia mais aussi dans L'autre nom : peindre une image qui nous obsède, c'est la « dé-peindre », l'enlever de nos obsessions en l'extériorisant. La poser pour en faire quelque chose d'extérieur à soi et que les autres, en l'admirant, prendront en eux, socle pour de nouveaux sentiments.

L'autofiction est un exercice très délicat, elle peut tomber dans un nombrilisme sans intérêt. Il me semble que c'est un genre réussi lorsque le lecteur trouve précisément dans cet intime mis en pâture des échos de ses propres pensées, de ses propres sentiments. C'est bien que ce nous offre ici l'auteur norvégien. Son autofiction ambitieuse est un voyage littéraire peu commun. Ni une littérature de l'aventure, ni une aventure de la littérature. C'est le récit précis d'une vie écrite comme on respire, avec le coeur, avec les tripes, avec l'âme, avec le cerveau aussi…J'ai très hâte de lire le tome 2 car après la mort, ce sera l'amour, et avec Knausgaard, je m'attends à tout et à rien à la fois…

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La mort d'un père

« J’avais essayé pendant plusieurs années d’écrire sur mon père mais sans y parvenir, sans doute le sujet m’était-il trop proche et je peinais à lui imposer une forme, ce fondement même de la littérature. Et son unique loi : tout doit se plier à la forme. »



Ce propos, prélevé au sein du premier tome d’un cycle — Mon combat — qui en comporte six se déroulant sur plus de 4.000 pages, me semble assez bien résumer le projet de l’auteur norvégien, qui précise dans un entretien en 2012 :

« Et puis, j’ai commencé à écrire quelque chose de totalement différent, une sorte de confession, où je disais tous les secrets que je n’avais jamais racontés. L’esthétique n’avait plus d’importance. Et c’est comme si une énergie se dégageait. Je me suis mis à écrire très vite. »

On a là ce qui fait le très grand charme de ce cycle autofictionnel dont j’ai entendu parler pour la première fois grâce à notre dénicheuse de pépites, Chrystèle (@HordeDuContrevent), mais aussi ce qui en fixe les limites à mes yeux : une écriture naturelle, spontanée qui libère une énergie réjouissante, dont la contrepartie, à savoir un réalisme minutieux ne nous épargnant aucun détail, m’a progressivement lassée, de sorte que je suis finalement sortie moins enthousiaste que je ne l’aurais cru de cette lecture. Parvenue au dernier tiers du livre, j’ai eu de plus en plus de difficultés à surmonter mon agacement face à l’énumération répétitive des gestes du quotidien : le café trop clair ou pas assez chaud, les cigarettes à peine consumées qu’on écrase sur un mur, sur l’asphalte ou sur le goulot d’une bouteille vide, les portières de voiture qu’on ouvre, qu’on ferme ou qu’on claque, les tartines qu’on entame, qu’on mord ou qu’on avale goulument… etc.

Il reste qu’en dépit de ce bémol, j’ai été profondément séduite par la candeur, la sincérité de la confession de Karl Ove Knausgaard, par ses efforts désespérés pour tenter de circonscrire une figure par essence insaisissable, la figure du père telle qu’elle lui apparaissait, enfant — autoritaire, imprévisible, intimidante, sarcastique, à la fois terriblement proche, d’une proximité écrasante, et désespérément lointaine, à jamais inaccessible — et telle qu’il tente de l’appréhender à vingt et trente ans de distance, alors qu’il est devenu père à son tour.



« L’image que j’ai de mon père ce soir de 1976 est double : d’un côté je le vois comme je le voyais alors, avec mes yeux de huit ans, imprévisible et terrifiant, d’un autre côté je le vois comme quelqu’un de mon âge dont la vie subissait les rafales du temps qui passe, entraînant avec lui des pans de sens. »



Ce va-et-vient entre le temps vécu dans le passé et le temps présent qui actualise en quelque sorte le passé, projetant sur lui une lumière rétrospective, est l’une des grandes richesses du livre. C’est dans l’alternance de ce double regard, celui de l’enfant puis de l’adolescent d’alors et celui de l’adulte qu’il est devenu, que l’on s’approche au plus près, à mon sens, de la personnalité énigmatique de ce père à la fois craint et admiré, et de la relation complexe — emplie de silences ponctués de malentendus et de rendez-vous manqués — qui le lie à son fils. Mais l’auteur y recourt finalement assez peu, préférant nous immerger dans le vécu du passé, qu’il ressuscite au moyen de l’énumération, répétitive et exhaustive, des gestes du quotidien que je mentionnais plus haut. J’ai lu que certains critiques anglo-saxons avaient comparé Knausgaard à Proust dont l’oeuvre se déroule précisément selon un va-et-vient incessant entre le regard du narrateur-acteur au moment des faits et celui du narrateur-observateur des années plus tard. Même si on peut repérer ça et là quelques points de jonction entre le cycle Mon combat et la Recherche, ce sont plutôt les différences qui m’ont frappée, en premier lieu dans la forme, déterminante car elle est au fondement de l’oeuvre. Confession et écriture spontanée pour l’un, roman d’une vocation et écriture indéfiniment travaillée pour l’autre, autofiction littérale presque exclusivement autocentrée pour l’un, quand l’autre s’attache à recréer tout un monde en et hors de lui, à peindre la société et les moeurs de son temps…etc.

Mais peut-être serai-je amenée à réviser en partie mon jugement lorsque j’aurai avancé dans le cycle. Il est sans aucun doute réducteur de se forger une opinion définitive sur la base du seul premier tome.



Pour en revenir au récit de Karl Ove Knausgaard, j’ai été frappée par la différence de ton entre la première partie centrée sur l’enfance et l’adolescence de l’auteur, dominée par une tonalité tendre, solaire, certes parcourue de difficultés et d’incompréhensions, mais nimbée de la lumière printanière des premières fois, traversée par la vitalité de la jeunesse et la seconde baignant dans une lumière glauque, crépusculaire, marquée par la tristesse, le chagrin, la déréliction et la mort.

« Je grimpai les marches et, arrivé derrière lui dans l’entrée, je dus détourner la tête tellement l’odeur était insoutenable. Ça sentait la pourriture et la pisse. Yngve balayait le vestibule du regard. La moquette bleue était parsemée de taches et de marques sombres. La penderie ouverte encastrée dans le mur débordait de bouteilles et de sacs remplis d’autres bouteilles encore. Partout des vêtements traînaient et encore des bouteilles, des portemanteaux, des chaussures, des lettres non décachetées, des publicités et des sacs en plastique. Mais le pire c’était la puanteur. »



Là encore, plutôt que de se livrer à une énumération ad nauseam de détails particulièrement sordides dans la seconde partie du récit, j’aurais préféré que l’auteur s’attarde plus longuement sur l’ambivalence et la complexité de ses sentiments. Car lorsqu’il se met à nu, lorsqu’il se livre avec une sincérité désarmante, c’est là qu’il touche le coeur du lecteur, en tout cas le mien. Lui qui longtemps souhaita la mort de son père, se prenant même, dans les dernières années, à l’espérer, est frappé, quand celle-ci survient enfin, par un chagrin d’une force telle qu’elle le laisse abasourdi. Désemparé, hésitant sur la conduite à tenir — y résister ou s’y abandonner — il semble finalement renoncer à contenir une émotion qui le submerge.

« (…) cette idée déclencha en moi une nouvelle vague de pleurs et lorsqu’une fois de plus j’appuyai la tête contre la paroi pour me cacher, ce fut sans conviction puisque mes voisins avaient dû comprendre depuis le décollage qu’ils étaient à côté d’un homme qui pleurait. J’avais mal à la gorge et ne maîtrisais plus rien, tout se liquéfiait en moi, j’étais béant, non pas au monde extérieur, c’est tout juste si je le percevais encore, mais à l’intérieur de moi où les émotions avaient totalement pris le dessus. »



Ses pleurs surgissant de façon récurrente et impromptue sous le regard gêné d’inconnus, ou sous l’oeil perplexe de son frère aîné, nous renseignent mieux qu’un long discours sur la profondeur de son chagrin, un chagrin multiforme cheminant selon un cours sinueux, imprévisible, obéissant, comme tous les sentiments profonds et puissants, à un incessant mouvement de flux et de reflux. Un chagrin avec lequel il devra vivre désormais, sa vie entière.



« Les émotions sont comme l’eau, elles sont façonnées par leur environnement. Et quand un immense chagrin, si bouleversant et long soit-il, ne laisse pas de trace, ce n’est pas parce que les émotions se sont figées, elles ne le peuvent pas, mais c’est qu’elles font une pause, comme l’eau d’un étang fait une pause. »

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Un homme amoureux

De l'extra-ordinaire à partir de l'ordinaire…



C'est avec beaucoup d'attachement et de tendresse pour l'auteur norvégien Karl Ove Knausgaard que je viens de terminer le deuxième tome de son autobiographie titanesque, intitulée non sans une certaine ironie Mon Combat.

Les mille et une variations sur l'amour, sa survenue en coup de foudre pour Linda, jeune femme d'une très grande fragilité, ses débuts balbutiants et idylliques, son acmé en une explosion enchanteresse, l'arrivée des enfants fruits de cet amour, puis son délitement d'abord progressif, puis violent, font suite aux variations sur la mort, en l'occurrence la mort de son père, dans le premier tome.

Combat de l'auteur adolescent face à un père d'une autre époque puis combat du deuil à mener à la mort de celui-ci dans le premier tome. Combat de l'écriture, ici dans ce second opus, au milieu des couches, des poussettes, des crises, nombreuses, avec Linda, des amis qui l'ennuient avec lesquels il faut composer, de la voisine alcoolique qui ne supporte aucun bruit, de ce quotidien absurde que seuls l'art et la nature permettent d'illuminer, que seule l'écriture permet de transcender.



« Quand j'étais avec les autres, je me sentais lié à eux, incroyablement proche d'eux et mon empathie pour eux était profonde. Si profonde même que leur bien-être passait toujours avant le mien. Je me soumettais à eux jusqu'à l'effacement et, par un mécanisme interne que je ne contrôlais pas, je faisais passer leurs réflexions et leurs opinions, quelles qu'elles soient, avant les miennes. Mais dès que j'étais seul, les autres ne signifiaient plus rien. Non pas que je ne les appréciais pas ou les avais en horreur, au contraire, j'aimais la plupart d'entre eux et ceux que je n'aimais pas vraiment, je leur trouvais toujours une qualité qui me plaisait ou du moins que je trouvais intéressante et qui pouvait m'occuper l'esprit dans l'instant. Mais les aimer ne voulait pas dire que je m'intéressais à eux. C'étaient les contingences sociales qui me liaient, pas les gens. Entre les deux, il n'y avait rien. Soit j'étais dans l'étroitesse de l'effacement, soit dans l'ampleur de la distanciation. Or la vie quotidienne se jouait entre les deux. Peut-être était-ce pour ça que j'avais tant de difficultés à la vivre. La vie quotidienne, avec son lot de devoirs et d'habitudes, je l'endurais. Mais elle ne me réjouissait pas, je n'y voyais aucun intérêt et elle ne me rendait pas heureux. Ce n'était pas le manque d'envie de laver par terre ou de changer les couches mais quelque chose de plus profond que j'avais toujours ressenti : l'impossibilité d'y voir une quelconque valeur doublée d'une profonde aspiration à autre chose. Si bien que la vie que je menais n'était pas la mienne. J'essayais de la faire mienne, c'était mon combat, je le voulais vraiment, mais en vain, car mon envie d'autre chose vidait tout ce que je faisais de son contenu.»



L'amour est donc au centre de ce deuxième opus mais aussi son combat pour écrire, tiraillé entre son engagement familial prenant (trois enfants arrivent très vite dans ce couple à la relation compliquée dès le départ) et son besoin vital de solitude et de liberté, également son regard très caustique de Norvégien sur la Suède, mais aussi les émotions complexes induites par la paternité depuis l'émerveillement, l'adoration en passant par la fierté mais aussi l'agacement, le tout analysé à travers le prisme du quotidien le plus prosaïque (je sais à présent ce qu'aime cuisiner Karl Ove, ce qu'il aime boire, notamment ce thé noir avec une goutte de lait de très bon matin, sa première cigarette dans la petite cour lorsque le soleil se lève…) quotidien qui le dispute aux nombreuses réflexions philosophiques, métaphysiques les plus profondes, brillante construction digressive qui avait fait le sel du premier tome et que nous retrouvons ici de façon encore plus présente, je trouve, donnant une belle profondeur à ce livre.



L'articulation de la pensée sur des sujets aussi variés que l'amour, la peinture, la famille, ses difficultés avec la parentalité, les connaissances et les amis, la littérature, les différences culturelles entre son pays d'origine et la Suède, fait de de récit éminemment personnel et intime une histoire universelle dans laquelle nous nous retrouvons, confusément, en lumineuses réminiscences ou troublantes hontes. J'ai fait miennes ses odes à la nature, à la littérature, à la vie, miennes ses pensées inavouables pourtant avouées avec une franchise déconcertante. Je me disais parfois « oui j'ai déjà éprouvé cela », pensée enfouie, cachée sur laquelle l'auteur pose des mots, extériorise.

Ce livre est riche de références musicales, de peintures, de photos et de références littéraires. Il nous parle par exemple avec passion du langage de Paul Célan dans ses poésies, de la couleur dans les peintures de Georges Braques et de David Hockney, de la couleur de la neige dans celles de Claude Monet, de l'idéal chrétien dans les livres de Dostoïevski…et lui-même, en tant qu'amateur de peinture, ne cesse d'avoir le regard du peintre sur les couleurs, de nombreux tableaux ne cessent d'émerger de cette lecture notamment lorsque l'auteur décrit la nature.



« Quelques rares pommes pendaient encore aux deux pommiers en contrebas du sentier. Leur surface, ridée et couverte de taches noires, avait gardé ses couleurs rouge et vert assombries, atténuées, qui semblaient avoir grandi en elles, en même temps que les branches nues et noires qui les entouraient, les renforçaient. Quand on les voyait se détacher sur la forêt incolore, elles chatoyaient littéralement. En revanche, quand on les voyait sur fond de cabanons rouges, leurs teintes s'estompaient, se voyaient à peine ».



Knausgaard touche également d'un doigt délicat les aspects métaphysiques de l'existence. C'est moins un nihilisme qui anime l'auteur qu'une croyance absolue aux éléments naturels dont les cycles se déroulent au-delà de nous.

« Les étoiles clignotent au-dessus de nos rêves, le soleil brille, l'herbe croît et la terre, oui, la terre, elle engloutit toute vie en effaçant la moindre trace et elle recrache de la vie toute neuve en une cascade de membres et d'yeux, de feuilles et d'ongles, de paille et de queues, de peau, de fourrure, d'écorce et d'entrailles, pour les engloutir de nouveau. Et ce que nous ne comprenons jamais vraiment ou ne voulons pas comprendre, c'est que ça se passe au-delà de nous, que nous ne sommes pas partie prenante, que nous sommes seulement ce qui vit et meurt, aussi aveuglément que les vagues de l'océan ».



Le livre ne manque cependant pas d'humour, j'ai parfois explosé de rire en imaginant la tête de Karl ove lors du cours de rythmique postnatale secouer des maracas, en l'imaginant animateur contraint d'une crèche parentale une semaine durant, ou en poussant son landau dans les rues de Stockholm, rongeant son frein, comme atteint dans sa virilité.

Son regard de Norvégien sur la Suède est également savoureux. le côté réactionnaire, lisse, froid et distant de ce pays est décrit de façon réjouissante. Je n'aurais pas cru qu'il y avait tant de différences culturelles entre la Norvège et la Suède, ces deux pays scandinaves. On sent à quel point il ne trouve pas sa place dans ce pays, sorte de grain de sable bien rustre, brut de décoffrage, personnage plein de crevasses et d'aspérités dans cette société bien huilée. Et, surtout, monter des meubles Ikea le rend littéralement fou.





Ce qui est étonnant et troublant c'est d'imaginer l'auteur, de le voir comme si nous étions avec lui et qu'il nous parlait. J'avais vraiment le sentiment d'être à ses côtés, de l'écouter en prenant un verre avec lui. Sans doute que sa plume au style direct, franc, spontané, sans fioritures ni circonvolutions, sans compromis, sans idéalisme participe à cette proximité. Son visage charismatique aussi, son regard profond, assez médiatisé depuis l'obtention de plusieurs prix, notamment le prix Brage qui met à l'honneur chaque année la nouvelle littérature norvégienne, sans oublier en 2017, le tome "Aux confins du monde" sacré meilleur livre de l'année par le magazine Lire. L'auteur a également obtenu le Prix Médicis essai 2020 pour "Fin de combat". Et comme pour le premier tome, cette proximité participe au fait de ne pouvoir lâcher le livre, totalement immergée dans l'intimité de l'écrivain. Certes l'auteur ne parle que de lui, il y a indéniablement un côté narcissique que certains lecteurs ont pu trouver gênants, voire malsains, ce d'autant plus qu'il nomme précisément absolument toutes les personnes, n'embellit pas, n'enveloppe jamais son récit d'aucune fiction, mais j'ai eu le même sentiment que pour le premier tome, le fait que de cette histoire très intime il parvient à effleurer l'indicible et à faire émerger l'universel.



Je finis donc sous le charme alors que j'avais commencé ma lecture avec la crainte d'être déçue après le coup de coeur éprouvé pour le tome précédent, souvent perçu comme le meilleur de l'hexalogie. Ce livre m'a donné des clés sur ma vision d'être avec les autres, moi qui suis également assez solitaire, voire sauvage par moment, il m'a fait sourire, m'a troublée par moment tant je comprenais ce que ressentait l'auteur, m'a choquée à d'autres tant il frise la misanthropie et la mauvaise foi. Il m'a donné envie de découvrir plus en détail certains auteurs et certains peintres, il m'a invité imperceptiblement à plonger en moi-même, à reconsidérer mon quotidien, mes désirs, mes aspirations, ma propre liberté. Un livre somme, un livre monde. Un livre profondément humain.



« C'était la vie rêvée. Se lever à six heures, prendre une tartine au petit-déjeuner, une cigarette et un café sur le pas de la porte que le soleil commençait à chauffer et d'où on voyait le pré et la lisière de la forêt, aller à bicyclette à la gare avec dans mon sac à dos les sandwichs qu'Ingrid m'avait préparés, lire dans le train, monter au bureau et écrire, rentrer vers six heures en traversant la forêt comme saturée de couleurs sous le soleil, et reprendre la bicyclette à travers champs jusqu'à la petite maison où ils m'attendaient pour le dîner, et le soir peut-être faire un plongeon dans l'eau avec Linda, rester dehors à lire un peu et se coucher de bonne heure ».



Oui, voilà…Tout simplement…vibrations de connivence d'une lectrice amoureuse d'un auteur « brut de décoffrage » à la sincérité désarmante placé dans une lutte, perpétuelle, entre ce qu'il aimerait être dans l'idéal et celui qu'il est...





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La mort d'un père

Dans beaucoup de critiques, on compare Karl Ove Knausgaard à Marcel Proust. Son style n’est certainement pas égal à celui du génie français mais son autobiographie en six tomes (dont seulement trois sont disponibles en français à ce jour) raconte des moments-phare de l’existence de l’écrivain norvégien, qui était au début de la quarantaine au moment de l’écriture. Son œuvre est certes impressionnante, ses romans sont de véritables pavés, mais elle soulève aussi la polémique et la controverse. Ouvre le fait de dévoiler au monde entier des pans de la vie de sa famille, son œuvre s’intitule « Mon combat ». Et, si c’est très approprié, on peut se rappeler que c’est aussi le titre du livre rédigé par Hitler… N’empêche, le témoignage qu’il présente dépasse la simple biographie et pourrait même devenir le roman d’une génération.



Ce premier tome, intitulé « La mort d’un père », traite de la relation difficile de l’auteur avec son paternel. Tout jeune, le père est comme un Dieu, un personnage tout puissant, omniprésent, qui devine… non, qui sait tout ce qui se passe dans la tête de son fils. Puis vient l’adolescence. Karl Ove est maintenant un jeune homme, et sa relation avec son père devient très conflictuelle. Il n’est plus la figure à laquelle on obéit avec un respect craintif. Non. C’est un adulte comme n’importe quel autre, qui fait des erreurs, qu’on se permet de juger et de critiquer. Même, parfois, contre lequel s’emporter. Surtout, un adulte d’une autre génération, aux goûts à l’opposé des siens. Le jeune homme aime la littérature, la musique rock, s’éclater avec ses amis dans des fêtes où l’alcool coule à flot, même faire des bêtises en sachant que les conséquences risquent d’être graves si découvertes… Pendant ce temps, son père sirote un verre de vin en écoutant de la musique classique alors que son couple bat de l’aile et que la famille éclate. D’ailleurs, éventuellement, l’auteur déménagera en Suède.



« La mort d’un père », c’est toutefois beaucoup plus que la description de la relation entre Karl Ove et son parternel, c’est l’histoire des relations entre tous les garçons et leurs pères. Aucun homme ne peut se sentir indifférent par ce récit autobiographique qui devrait le rejoindre. Même si les détails changent d’un individu à l’autre, le fond restera toujours là. C’est un thèmer universel. Aussi, par toutes les références aux événements norvégiens et mondiaux qui se sont produits à cette époque, les années ‘80 (et j’inclus dans le lot toutes les allusions à la cultures, à la musique, aux spectacles et sorties d’album), quiconque a vécu cette époque ne peut que ressentir un brin de nostalgie, s’émouvoir en se rappelant ceci et cela. En ce sens, la précision des détails relatés – que certains minimalisent en les comparant à un simple inventaire – eh bien, moi, je les trouve précieuses.



Mais l’histoire de Karl Ove ne s’arrête pas là. Les sauts dans le temps continuent sans cesse et on se retrouve plus tard, alors que son père décède dans des circonstances étranges. Le jeune homme retourne en Norvège et, aidé par son frère aîné Yngve, il s’occupe des funérailles. C’est le moment pour lui de se recueillir, de faire la paix avec son père. Il faut dire que, entre temps, il est devenu père lui-même et ça l’a amené à reconsidérer toute sa relation avec lui. Ainsi, le thème de la famille émerge. D’ailleurs, vers la fin du roman, l’auteur s’ouvre un peu plus sa relation avec Yngve, les années qu’ils ont passé ensemble à l’université, ses débuts dans le journalisme et le monde de la littérature. En ce sens, « Mon combat » est aussi la relation de Knausgaard avec les mots, l’écriture et son métier d’écrivain, en perpétuel développement. Décidément, c’est une œuvre riche que je continuerai à lire avec intérêt.
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La mort d'un père

Si vous aimez l’action, les rebondissements, il vaut mieux éviter de lire « La mort d’un père », car le moins que l’on puisse dire c’est qu’il ne se passe pas grand-chose dans ce livre.



Si par contre, vous avez envie de découvrir un texte minutieux, précis, qui décrit la vie dans les moindres détails, souvent jusqu’à l’inutile, alors foncez.



Ce qui m’a fascinée dans ce roman, qui est plutôt une autobiographie, c’est justement cette lenteur qui m’a enveloppée et isolée dans une bulle hors du temps.

KOK décrit la relation compliquée qu’il a eu avec son père depuis l’enfance où il est terrifié par ses accès de colère, jusqu’à l’adolescence et ses premiers émois, ses premières cuites, ses premières déceptions.

Aucun détail ne nous est épargné, depuis la marque des cigarettes, la couleur du chemisier ou des cheveux de la vendeuse jusqu’au bruit de la caisse enregistreuse.



« La mort d’un père » est une histoire pleine de regrets, de nostalgie dont j’ai beaucoup de mal à parler. C’est l’histoire de ce qui aurait dû être et qui n’a pas existé faute de communication.

En tout cas, pour moi c’est une véritable découverte.



Je suis déjà plongée avec la même passion dans le deuxième volume «Un homme amoureux ».







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Aux confins du monde

J'aime bien les biographies. En plus d'en apprendre davantage sur certains grands hommes et grandes femmes, je peux faire mon exercice de catharsis. Je suis Napoléon, victorieux à Austerlitz ou Wagram. Je suis Christophe Colomb, foulant le pied sur le Nouveau Monde. Je ne considère ma vie comme ennuyeuse mais je n'aurai jamais l'occasion de mener des troupes dans des combats épiques. Puis, de temps à autre, vient une autobiographie comme celle de Karl-Ove Knausgaard. Pour moi, c'était un parfait inconnu. Un auteur quelconque. Même dans sa Norvège natale, il ne semblait pas compter parmi les romanciers les plus prolifiques ni les plus vendus. Deux de ses romans ont connu un certain succès critique mais c'est son histoire en six tomes qui l'a fait sortir du lot. La question se pose : quel intérêt à lire l'autobiographie qui a donné sa popularité à son auteur ? Eh bien, justement pour la raison contraire à celle que j'ai mentionnée plus haut. Non pas pour vivre par procuration mais pour m'aider à replonger dans mon passé, dans ma propre existence, et y trouver un sens.



Dans ce quatrième tome de sa série, Aux confins du monde, Karl Ove est un grand adolescent de seize, dix-sept ans, qui termine l'école secondaire, qui s'amuse (un peu trop) avec ses amis, qui boit et qui expérimente la drogue, qui se sent maladroit dans ses relations avec les filles, qui ne s'entend pas avec son père. À dix-huit ans, il veut devenir écrivain et s'exile un an dans le nord où il a déniché son premier emploi : enseignant suppléant. Sa première vraie incursion dans le monde des adultes. Bref, il est en train de trouver ses repères, de décider quel genre d'homme il veut devenir. Un roman d'apprentissage, en somme.



Moi aussi, je suis passé par là, par presque toutes ces étapes. Bien sûr, le contexte est différent. Au lieu des groupes rock norvégiens des années 80, j'écoutais la pop américaine de la décennie suivante. Au lieu des écrivains scandinaves, je lisais les auteurs français ou québécois. Et je n'ai jamais fait l'expérience de la russ (quoi je l'aurais assurément appréciée). Mais l'esprit est là. À chacun son époque, elles se valent toutes.



M'imaginer à la place de Marie Curie alors qu'elle découvre le radium, ça fait rêver mais ça ne m'aide pas dans le quotidien. (Bien sûr, on peut me répondre que je pourrais en apprendre sur la détermination et la condition de la femme au tournant du 20e siècle...) Toutefois, voir Knausgaard se battre avec des difficultés semblables à celles que j'ai vécues, ça m'a rassuré. Régulièrement, je me suis pris à me rappeler mes embûches, mes joies et mes peines. Ça me rappelle que j'ai fait les bons choix (la plupart du temps) et ça me permet de constater que ces choix ont fait l'homme que je suis. Tout au long de ma lecture, j'ai ressenti un drôle de lien avec cet auteur, j'ai connecté avec lui, même s'il ne le sait pas et ne le saura jamais. Dans des entrevues, il ne cache pas avoir écrit son autobiographie dans un but très personnel (égoïste ?), surtout pour canaliser ses frustrations dans sa relation avec son père. Mais son projet a débouché sur quelque chose qui le dépasse et je lui en suis très reconnaissant.



Cela en fait-il une grande oeuvre ? L'avenir le dira. Certains n'apprécient pas son style, qui évolue au fil des tomes. Oui, parfois, le roman s'étirait, des passages semblaient superflus. Pas les descriptions, elles m'étaient importantes pour visualiser cet univers nordique, son époque. C'est un peu comme si l'auteur tenait à tout dire, mêmes les événements qui, à première vue, peuvent sembler anodins, inutiles. Ses cuites, ses visites chez ses grands-parents, ses appels téléphoniques avec son père alcooliques, ses difficultés à s'adapter à son travail et à l'ambiance dans une ville du cercle polaire, etc. Cela était primordial pour cerner la personnalité de Knausgaard ? Non. A-t-il besoin de tout justifier, de se donner le beau rôle ? Encore une fois, non. Mais, d'un autre côté, notre être tout entier n'est-il pas la somme de tous les moments que nous vivons ?



Bon, j'ai assez philosophé. J'ai passé un excellent moment de lecture avec Aux confins du monde et j'ai hâte de lire les deux derniers tomes de « son combat ». Pour être complètement franc, tous les longs romans me font cet effet, j'ai l'impression de grandir avec leurs personnages que j'apprivoise et qui font partie de mon quotidien pendant des semaines et des mois. Mais celui-là, peut-être du fait qu'il est plus récent, moderne, occupe une place particulière. J'espère que, si vous aussi vous lancez dans ce défi monstre, vous en retirerez quelque chose.
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Un homme amoureux

Alors que j’avais été emballé par le premier tome de « Mon combat », le deuxième m’a moins plu. Je n’ai pas détesté « Un homme amoureux », mais … Le style de Karl Ove Knausgaard a peu changé. Toujours, ses descriptions minutieuses – trop, peut-être ? – et ses sauts dans le temps. L’histoire commence alors qu’il doit s’occuper de sa fille et concilier écriture et vie de famille. Puis, on recule de quelques années alors qu’il quitte sa Norvège. Ses débuts à Stockholm m’ont intéressé : il se cherche un travail et un appartment, il fait la fête avec les amis et il rencontre Linda, sa future épouse. On assiste à la naissance d’un grand amour. Va-et-vient entre le passé et le présent (et plusieurs entre-les-deux), à son envie d’écriture, aux conférences auxquelles il a participé, aux filles qu’il y a rencontrées, aux échanges intéressants qu’il a eus, etc. Puis, on a droit à une narration détaillée de la naissance de sa première fille. Bref, mêmes si l’auteur revient toujours à ses thèmes principaux, ses circonlocutions m’ont agacé.



Bien sur, la paternité et l’amour sont des thèmes aussi universels que la relation père-fils, quelque chose dans son développement manquait. En fait, je crois que c’est l’importance que Knausgaard apportait à tous les détails de la vie quotidienne qui dérangeait. C’est comme si l’essentiel y avait été noyé. C’est exactement cela : tout le long, je me disais qu’il manquait quelque chose à ce roman mais c’était tout le contraire : il y avait quelque chose en trop. Je me suis rappelé que certaines critiques comparaient le roman à un long inventaire ennuyeux et, si je trouve que c’est un peu exagéré, ce n’est pas non plus trop loin de la vérité. Subir une description détaillée des déambulements de Karl Ove avec le landau de sa fille dans les rues de Stockholm, pas nécessaire. Est-ce que tout le monde était supposé être intéressé par ça ? Idem pour les chicanes de couple pendant les vacances. Était-il nécessaire de parler des problèmes dépressifs de Linda ? N’eût-il pas été mieux laisser ça dans la sphère du privé ? Mais bon, je suppose que l’auteur ne voulait pas faire les choses à moitié. De toutes façons, ses détracteurs l’auraient accusé d’embellir sa vie, de n’en montrer que le positif…



Ce que j’ai beaucoup aimé, mais que peut-être certains ont détesté, c’est les soirées où Knausgaard et ses amis discutaient philosophie et poésie et littérature. Surtout littérature. Évidemment, c’est le genre de truc qui me passionne. Je ne suis pas écrivain mais je suis grandement intéressé par ce processus et par tout ce qui l’entoure. Et, dans un « petit pays » comme la Suède, il est beaucoup plus facile de frayer avec l’élite intellectuelle. Tous ces échanges dans les cafés à parler aussi bien de Tchekov, de la poétesse Inger Christensen, des films de Bergman que de l’époque des Lumières. Mais bon, c’est un type de son temps, alors les pages suivantes font référence à IKEA ou au groupe de musique The Cardigans. Ces paradoxes me font rire. Au final, je n’ai pas détesté et je lirai certainement la suite.
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La mort d'un père

Karl Ove Knausgaard est présenté comme le Proust norvégien. Auteur primé, prolifique et bancable, il semble être devenu un phénomène d'édition.

La Mort du père est le premier tome de sa grande œuvre, six opus autocentrés pour se raconter, parler, parler et toujours parler de lui, de sa vie, de ses proches, avec un souci du détail obsessionnel.



J'ai entamé cette lecture sans apriori, attirée par ce que j'imaginais être l'éducation par un père impossible, ours mal léché, colérique, peu aimant et violent.



Ce fut une descente douce vers un ennui abyssal.

Noyée par les détails des faits et gestes quotidiens ad nauseum, frustrée de l'indigence d'approche psychologique de cette relation père-fils, j'ai suivi d'abord avec bienveillance l'apprentissage à la vie d'un adolescent entre copains, premiers flirts, premières fêtes, études et musique. Rien que de très normal, si ce n'est cette impression de vide d'un jeune livré à lui même, qui se raconte minutieusement, sans contexte familial.

Des pages et des pages sur un événement, des digressions sans intérêt, et aucune vue d'ensemble qui permettrait au lecteur une immersion, une compréhension, un décodage.

Certains crient au chef d'œuvre, moi à la supercherie. Constat récurrent et divergeant de toute production artistique à la marge.



À mi chemin des 500 pages, j'ai eu un vrai coup de mou.

La déchéance du père m'a achevée. Devenu une vraie loque alcoolique, dont les fils vont devoir s'occuper post mortem, en nettoyant, décapant l'appartement poubelle, je n'ai au final jamais vraiment compris qui il était.



Coup de chapeau (ironique) pour l'autobiographie, et pour ma part, Prix Citron Vert littéraire.

La suite dans Un Homme Amoureux.

Entamer les opus suivants des Riches Heures de Karl Ove Knausgaard s'apparente pour moi à de la torture psychologique.



;-)

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Comme il pleut sur la ville

Je suis devenu rapidement un grand fan du norvégien Karl Ove Knausgaard, dès le premier tome de sa série autobiographique Mon combat. Les trois tomes suivants m’ont emballé, chacun pour une raison différente. C’est que je peux facilement m’identifier au protagoniste (l’auteur lui-même) ou du moins à quelques unes des difficultés qu’il rencontre sur son chemin. Hélas, le cinquième opus n’a pas réussi à me rejoindre comme les quatre premiers avaient su le faire. Remarquez, je n’ai pas détesté, loin de là, et ça ne me détournera pas de lire le prochain et dernier tome.



Pourtant, le début de Comme il pleut sur la ville m’a replongé avec joie dans cette série, j’y retrouvais la même ambiance, le même protagoniste qui découvre le monde, qui cherche un sens à sa vie. Karl Ove est maintenant un jeune adulte, il voyage en Europe mais, rapidement sans le sou, il doit rentrer sur le pouce. De retour en Norvège, il s’installe chez son frère, commence des cours en littérature à l’université… Puis… eh bien… c’est là qu’il m’a perdu. Des rencontres d’un soir, des beuveries, dont j’avais eu des aperçus dans les tomes précédents mais en plus petites doses.



Mon attention s’est ravivé quand Karl Ove participe à des séminaires, parle littérature avec d’autres jeunes étudiants. Même si la majorité des auteurs norvégiens ou scandinaves dont ils discutent me sont inconnus (j’ai vérifié, la plupart ne sont pas traduits en français, guère plus en anglais), j’ai aimé baigner dans cette atmosphère.



Puis, un travail d’été comme gardien dans un hôpital psychiatriques, d’autres cours, d’autres rencontres entre amis ou des conquêtes féminines qui ne semblaient mener nulle part. Je me suis un peu ennuyé. Je comprends que ce cinquième tome relatait un pan de la vie de l’auteur où, jeune adulte, il commence à écrire, cherche son style et, surtout, devient véritablement un homme. Il fait des erreurs, apprend d’elles, un peu comme tout le monde. Seulement, à trop faire d’erreurs, le Knausgaard perd un peu ma sympathie. Et puis, cette lecture me semblait un peu trop longue à mon goût. Néanmoins, j’ai hâte au sixième et dernier tome, voir comment tout ça va se terminer.
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Un homme amoureux

Je me demande bien pourquoi ce texte exerce une telle fascination sur moi !

Le moins que je puisse dire c’est que l’auteur a du talent pour raconter sa vie aussi banale que monotone.

Karl Ove Knausgaart tombe amoureux, se marie, fait des enfants, les élève tout en essayant de terminer et de faire publier son premier roman.

Homme au foyer, il nous décrit ses journée avec minutie, aucun détail ne nous est épargné, ni les goûters d’enfant, ni les dîners entre amis pas même les relations avec le voisinage ou sa belle-famille.



Il ne se passe rien d’original. Sous la plume de n’importe quel autre écrivain, j’aurais depuis longtemps jeté le livre à travers les murs.

Mais l’écriture de KOK où plutôt celle du traducteur m’enveloppe d’une sorte de calme et de sérénité.

Impossible cependant de lire ce livre d’une traite, je le prends en lis une cinquantaine de pages, l’abandonne quelques jours pour mieux y revenir, comme aimantée par cette drôle d’histoire.

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L'Étoile du matin

Atmosphère fluctuante : mi-crépusculaire, mi-hypnotique.



Il n’est pas si facile de raconter l’ambiance générale de ce livre qui se déroule sur deux jours dans une petite station balnéaire de Norvège et qui parle d’une immense étoile se rapprochant dangereusement de la terre. La quatrième de couv. annonce un roman choral que j’ai certes retrouvé mais dont je n’ai pas toujours cerné l’intérêt qu’il y avait d’y apporter autant de personnages qui finalement n’interviendront pas dans l’intrigue finale, ni ne servaient tangiblement à la mise en valeur de l’histoire.



Si l’on occulte ce point, on retient par contre que les personnages de Karl Ove Knausgaard sont convaincants, que plein de situations sont des miroirs de nos vies et que son écriture est intéressante. Par moment on se croit à sa table d’écriture tant sa plume avance vite, comme sortie d’un boulet de canon. On le visualise, on le sent. Un peu comme s’il ne serait plus arrivé à freiner son cerveau, ni d’ailleurs son jet d’écriture. Une idée en amène une autre, une situation en induit une autre, un oeil qui voit une chose puis se retourne et en voit une autre se situant à une autre époque de la vie du personnage. D’où la sensation de semi-hypnose annoncée en sous-titre.



Les personnages sont éclectiques. Chaque personnage devient le narrateur de son chapitre, de son histoire. Je ne parlerai, et que très succinctement de deux trois d’entre eux.

Il y a Arne, ce mari chamboulé par une épouse bipolaire, épouse que Knausgaard a su rendre agaçante. Où que se trouve cette famille qu’il forme lui, son épouse Tove et leur deux fils Heming et Asle, jamais elle ne peut déguster la vie.

Il y a ensuite Kathrine, pasteure et ayant elle aussi une famille, qui prend la parole dans son chapitre à elle. Puis la jeune femme Emil qui plonge proprement suite au fait qu’elle vient de laisser tomber un bébé, la caissière Iselin qui a interrompue ses études ou encore le médecin Solveig qui soigne son ancien pote.

Neuf narrateurs défilent ainsi pour raconter leur vie et ces fameuses journées où apparait une énigmatique étoile. Elle prend tant de place dans la vie des personnages qu’elle finit par les déstabiliser.

Si tout du moins leur vie avait un tant soit peu de stabilité, de réalité, de fond.



Un dernier élément, celui de la traduction qui m’est apparue excellente puisque, justement, on ne suspecte pas de traduction. Je me suis rappelée avoir appris un jour que le norvégien avait bien plus de synonymes que le français. Dans cet ouvrage traduit du norvégien, je n’ai jamais douté d’un mot ou d’une image. La lecture est si facile et évidente, qu’on ne se pose pas la question de savoir si la traductrice, Loup-Maëlle Besançon, aurait pu faire un autre choix de mots. 840 pages patiemment traduites.
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Un homme amoureux

Une claque .

Il m'arrive rarement de terminer un livre ou de voir un film , en me disant que je suis différent apres cette expérience , c'est le cas içi.

Je ne suis point trop adepte des autobiographies en general , ce sont souvent des produits mercantiles a l'intérêt littéraire proche du néant , tel le livre sur Ibrahimovich ou celui de Patrick Sebastien .

J'ai abordé celui ci suite à une émission sur France Culture , où il etait questiôn du traitement de la vie privée dans la litterature .

Car oui , içi le lecteur est en présence d'une oeuvre clairement ancrée dans la litterature .

Tout d'abord , je voudrais dire un mot sur le principe de cette oeuvre .

En effet , l'auteur propose içi de le suivre dans sa vie de tout les jours , d'être le témoin privilégié des évolutions de sa vie , de celle de sa famille , au quotidien ...

Vous me direz , quel manque de pudeur , et je vous réponds qu'il faut le lire avant de dire cela .

Knausgaard détruit tout les préjugés hâtifs , car au fond , c'est notre vie qu'il expose , la vie lambda qu'il décris avec une abscence de pathos plus qu appréciable .

On peut se demander si sa démarche n'est pas au fond une prise de conscience de la complexité de l'existence quotidienne , qu'il interroge avec un souci de réalisme constant .

On trouve içi beaucoup de philosophie , qu'il tire de ces expériences , de ces rapports avec ceux qui constituent son univers , ainsi on peut retirer de ces expériences un enseignement personnel conséquent .

Ce livre , cette oeuvre , est unique , pour ma part je n'ai jamais lu de textes de ce type , même si Herzog de Bellow s'en rapproche quelque peu , etant quand même traite de maniere romanesque .

L'expérience qui est celle du lecteur devant cet opus est riche d'enseignements , on y apprends entre autre qu'il ne faut pas forcément une intrigue avec des morts violentes , du sang , des psychopathes , pour parvenir à un texte tout simplement captivant , addictif...

Le style est d'une beauté à tomber par terre ...

J'aime les textes riches sur le plan lexical , qui questionnent le lecteur , qui demandent parfois au lecteur de reprendre à deux reprises la lecture d'une page , afin de ne point laisser une idée cachée ...

Et la , la , c'est le bonheur ...

Depuis Arden je n'avais pas eu un texte aussi profond , riche , intelligent , c'est une jubilation , une extase cérébrale ...

On finis exsangue , comble de satisfaction cérébrale ...

Il y a des livres à ne pas manquer dans une vie , celui ci occupe une place essentielle dans mon cheminement intellectuel , et je le conseil absolument !!!
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Au printemps

« À toute chose gaie, chose triste, le printemps est là,

Il est trop tard pour pleurer, ce n'est vraiment pas le moment,

J'ai redécouvert le temps perdu ».



Ces paroles de Véronique ne peuvent rester sans son dans la mesure où l'air de sa chanson ressemble étrangement à une autre de Donovan, « Sunny Good Street ».

Mais ces mots retentissent avec ceux de l'auteur de ce livre. L'association entre la gaieté et la tristesse pour exprimer la douceur et la douleur de la vie.



« Tu ne sais pas ce qu'est l'air, cela ne t'empêche pas de respirer. Tu ne sais pas ce qu'est le sommeil, cela ne t'empêche pas de dormir. Tu ne sais pas ce qu'est la nuit, cela ne t'empêche pas d'être cernée par celle-ci. Tu ne sais pas ce qu'est le coeur, cela ne l'empêche pas de battre tel un métronome dans ta poitrine, nuit et jour, nuit et jour, nuit et jour ». (Incipit)



Karl Ove Knausgaard, je viens de passer avec toi des moments sublimes, entre questionnement et certitude, entre vide et plénitude.

Je ne sais si tu permets que je m'adresse à toi, qui plus est en te tutoyant. Mais j'ai décidé de le faire, peut-être pour te remercier d'avoir instauré cette forme de communication que tu as choisie pour expliquer à ta petite fille dernière-née les soubresauts de l'existence.

Tu vois, KOK, - désolé c'est plus court et percutant que les trois mots de ton identité graphique – j'ai essayé de comprendre en te lisant ce besoin de te mettre en scène de cette façon. Il a fallu que j'arrive au bout de ma lecture pour arriver à l'évidence. le « tu » est direct et sans emphase, c'est un « tue » sans e, sans eux, les autres, qui pourraient te répondre, avec des arguments que tu ne pourrais réfuter, alors que ce petit bout de chou te laisse toutes les possibilités de t'exprimer sans retenue, de mettre tes pensées à nu.

Un « tu » sans e pour combattre la mort, pour encenser la vie.



Ton épilogue commence ainsi.



« Nous sommes aujourd'hui le 13 avril 2016, il est onze heures moins dix et je viens juste de finir d'écrire ce livre pour toi ».



Etonnant, non ? Même date, même heure, huit années plus tard.

Bon, d'accord, quand on choisit de lire un roman qui s'intitule « Au printemps », on s'arrange pour choisir l'époque correspondante. Mais la probabilité de tomber juste est infime. D'aucuns diront c'est le destin.

Mais pas que. Tu vois, KOK, tes mots me percutent, en plein coeur.



« Je ne maîtrise pas assez l'art de la conversation pour avoir des amis proches, d'autant plus que, étant en permanence dans l'introspection, ce que les gens ne manquent pas de remarquer, personne ne tente de pousser trop loin nos discussions. Pour peu que quelqu'un s'y essaie, en général, je rentre dans ma coquille ».



Faire l'escargot, c'est prendre le temps de sentir le monde, surtout quand on en bave. Alors, KOK, je comprends que tu te rattaches à des détails pour exprimer ta pensée, à de minuscules fragments qui peuvent sembler insignifiants, une observation minutieuse et une description parfaite de ton ressenti.



« En cette saison, l'ensemble était encore assez ténu, le paysage n'avait pas cette opulence que lui apportait l'été, le vert des arbres commençait tout juste à poindre, car le mois d'avril, c'est cela : des bourgeons, des germes, l'incertitude, l'hésitation. Avril se trouve entre le grand sommeil et le grand bond. Avril, c'est l'envie de passer à autre chose, sans que l'on parvienne à définir ce qu'est cette autre chose ».



C'est fou ce que le temps change ! En à peine une décennie, mars a pris la place d'avril. Aujourd'hui, tout est déjà en fleurs, la chaleur est arrivée, mais le dérèglement ne nous augure rien de bon, l'incertitude et l'hésitation sont toujours de mise.

Oui, KOK, tu as raison, c'est le sel de la vie de ne pas savoir à l'avance ce qui va se produire dans les secondes qui suivent. Entre hasard et nécessité, entre bazar et cécité. Heureusement, la nature nous promet chaque année le même renouvellement, bien que décalée qu'elle est.



« Au printemps, durant quelques jours, le paysage donne l'impression de s'ouvrir de toutes parts, dans les semaines qui précèdent le moment où la verdure explose pour de bon, quand les arbres sont encore dépourvus de feuilles, quand le sol demeure nu, ce qui pourrait laisser croire que l'on est toujours en hiver, tandis que le soleil brille avec l'abondance de l'été, sans buter sur le moindre obstacle, sans être absorbé par toutes ces choses qui poussent et qui, dès lors qu'elles sont là, forment des petits espaces à part entière. le paysage durant ces quelques jours au printemps ne semble plus rattaché à aucun lieu et le volume d'air sous le ciel traversé par cette lumière est intense ».



J'aurais aimé, KOK, ajouter plein d'autres extraits, pour montrer à quel point tu atteins la perfection descriptive. Par exemple, les quelques minutes passées dans le cabinet de curiosités, la minuscule pièce que toute personne normalement constituée visite plusieurs fois par jour. Il te faut deux pages et demi, de la 40 à la 42, pour exprimer ce qu'est ce moment intime. C'est pousser l'envie jusqu'au paroxysme, mais c'est un régal de sensations, visuelles surtout, faudrait pas croire que…

Alors, je choisis un autre extrait. Tu te souviens, lorsque tu as décidé de parler de ton voisin, celui qui habite au milieu de nulle part.



« Je levai les yeux vers lui alors que, au-dessus de moi sur les marches du perron, il tendait son visage vers le soleil. Il avait un foulard élégant noué autour du cou, un pull fin bordeaux et un pantalon de costume marron foncé trop large ; chez lui, l'élégant côtoyait l'élimé, et il en allait de même du dos droit et du corps affaissé, de la détermination et de l'hésitation, de l' enjouement et de l'inquiétude. Quand il se tenait ainsi sur les marches, droit comme un I et la tête levée vers le soleil, il émanait de lui une sorte de douce autorité naturelle, tandis que dans la cuisine, quand il préparait le café, son langage corporel exprimait plutôt l'incertitude, la fragilité, avec sa nuque courbée, son dos voûté, ses mains qui dévissaient la cafetière avec lenteur et hésitation, comme s'il se rappelait à peine comment faire ».



J'en profite, cher KOK, pour féliciter ta traductrice française, Loup-Maëlle Besançon, qui a su trouver les mots justes pour transcrire ta prose poétique.

Puisque c'est le moment des honneurs, quel délice de découvrir au fil des pages les illustrations d'Anna Bjerger, traits et couleurs tout en nuances, un accompagnement exquis.



Je sais, KOK, que tu t'es lancé dans un cycle autobiographique, le « Quatuor des saisons ».

Et que tu avais précédemment consacré six volumes à ta vie tumultueuse.

Et bien je vais te dire, cher KOK, que je vais m'en tenir là. D'abord, histoire de rester sur une bonne impression, et aussi parce qu'il y a tant à lire… J'espère que tu me comprendras, que tu ne m'en voudras pas d'avoir préféré le printemps pour te découvrir, juste un fil de ta vie, celui d'avril. Mais ne dit-on pas « en avril, ne te découvre pas d'un fil ».



Et bien, si, toi, tu t'es découvert, dans tous les sens du terme. Sous couvert d'explorer les merveilles de la nature au printemps, la lumière et la chaleur qui arrivent progressivement, tu t'es dévoilé à ta manière. Tu as retiré, au fur et à mesure de ton écriture, des couches de vêtements qui engonçaient ton corps. Oui, je sais, c'est difficile de parler de soi, de ses proches, de ses tourments. Sache, KOK, que tu l'as fait avec délicatesse et subtilité qui m'ont procuré de l'émotion.

Arrive le moment où je me dois de parler de l'histoire, de ton histoire.

Rassure-toi, je saurai moi aussi rester pudique. Je pense que tu accepteras que j'écrive que ça se passe en Norvège et Suède. Ces pays où le froid et la nuit occupent une bonne partie de l'année. Ce manque de lumière et de chaleur qui engendrent la mélancolie, au départ, la déprime, par la suite.

Tu as choisi de raconter une journée avec ton bébé, cette promiscuité indispensable, ce lien indéfectible, afin de te sentir moins seul pour exprimer ton ressenti sur l'incommunicabilité des êtres.

La difficulté des pères à exprimer leurs émotions, celle des hommes en général, surtout sur des sujets douloureux, car intimes.

Ce petit bout de vie à qui tu t'es confié, à qui tu souhaites une vie belle et accomplie, au milieu des autres, pas à côté.



« Tu comprends, la beauté de ce monde ne signifie rien si tu es seule sur terre .

Vivre est parfois douloureux, mais il y a toujours une raison de vivre.

Crois-tu que tu réussiras à t'en souvenir »?



Voilà, KOK, je n'en dis pas plus. Suggérer, pour inciter à te lire, à te comprendre.

13 avril 2024, la lumière et la chaleur sont avec nous. J'espère, KOK, que tu profites de ce moment.

Comme toi, « j'ai grandi dans un milieu qui a toujours usé des mots avec circonspection ».

Prendre la plume est parfois plus facile que prendre la parole.

Les deux s'envolent, au gré du vent.







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Au printemps

Comme chaque jour, un père prend la route avec sa fille, désormais âgée de trois mois, pour aller rendre visite à sa mère, internée en maison de repos pour cause de dépression sévère. Cette routine quotidienne est l’occasion pour le narrateur de prendre des chemins de traverse et d'arpenter la campagne suédoise pour favoriser la découverte chez son nourrisson. Mais c’est aussi l’occasion de s’offrir un moment d’introspection et de partage avec son enfant, de créer un lien avec elle, tout en l’intégrant et en la préparant au monde qui l’attend…



Ce nom vous dit peut-être quelque chose… Bien que ne l’ayant jamais lu, j’avais pour ma part déjà entendu parler de Karl Ove Knausgaard et de son ambitieux projet autobiographique intitulé “Mon combat”. Désormais achevé et formant la bagatelle de six tomes constitués de plusieurs milliers de pages, le célèbre auteur norvégien s’attaque maintenant à un nouveau cycle, dédié cette fois à sa fille à naître et intitulé “Quatuor des saisons”.



Il s’avère que “Au printemps” est le troisième volume du cycle, ce qui n’est absolument pas gênant pour découvrir l'œuvre de l’auteur, chaque tome pouvant se lire indépendamment des autres et ce en dépit de la chronologie. Dans “Au printemps”, sa fille est née. gée de trois mois, Karl Ove Knausgaard revient sur la grossesse difficile de sa femme, mais aussi sur l’arrivée de sa petite dernière au sein de la fratrie déjà composée de trois enfants. Il évoque toutes ces petites choses qui nourrissent la parentalité et qui constituent la famille, s’adressant directement à sa fille. Ainsi, le “je” et le “tu” sont les deux sujets de cette lettre ouverte d’un père à sa fille. Pour autant, loin d’être exclusive, cette narration nous fait une place de premier choix au cœur de l’intimité de cette famille et le résultat, sans jamais être barbant, m’a paru très réussi!



J’avais rarement lu une écriture d’une telle précision, capable de décortiquer et de dépeindre une scène quotidienne tout à fait banale avec tant de justesse et de beauté au point d’en devenir poétique! Il y a chez Knausgaard une force et une intensité dignes des plus grands peintres. Un peintre littéraire certes, mais un peintre tout de même. Cette “écriture du vrai”, qui parle sans langue de bois, fait ressortir une impression d’absolue sincérité chez l’auteur qui ne peut que toucher et émouvoir. Knausgaard nous offre un regard à la fois poétique et acéré sur le monde, mais aussi plein d’humour et d’autodérision lorsqu’il s’agit de parler de lui et de se mettre en scène. On navigue au gré de ses pensées, tantôt philosophiques, tantôt plus triviales, et l’on se délecte de ces embardées qui invitent à la contemplation et à l’introspection. Un pur bijou de littérature!
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La mort d'un père

Voila achevée la lecture de ce premier tome de cet ovni littéraire propose par Knausgaard ...

Dire que je suis sous le charme serait peut dire .

Je suis addict de Knausgaard ...

Depuis longtemps attire par les textes ambitieux sur le plan littéraire , ayant dû endurer nombre de navets proclamés " chefs d'œuvre " , la passion etait toujours la , mais un certain découragement avait vu le jour.

Knausgaard bâlaye tout cela , et redonne la confiance et la croyance en une litterature qui ne vois pas le lecteur comme une eponge à page turner , mais comme un etre doté de sensibilité et d'intelligence .

Knausgaard a une réelle estime pour le lecteur , en témoigne la proposition de cet ouvrage dont la lecture est rigoureuse , forte , demande de la patience , de l'introspection , de l'ouverture d'esprit , divers elements que l'on trouve trop peu souvent malheureusement ..

Cette enfance , Knausgaard nous l'a fait vivre , sans fards , sans paillettes , en évitant aucune banalité , qu'il transforme en nectar .

Oui, il n'y a pas d'action , pas de supers flics ou de psychopathes , oui , c'est une oeuvre qui demande un effort au lecteur , mais à un moment Ïl fâut grandir , devenir adulte , quitter le confort douillet de l'adulescence , du populaire , et accepter un voyage en des contrées aux mentalités différentes , aux conceptions existentielles différentes , oui , Ïl fâut avoir l'audace a un moment dans sa vie , de remettre en question ces habitudes ....

Knausgaard si on le prends au premier degré , c'est un type qui raconte sa vie , vu de cette façon la , sans recul , de maniere populaire , oui ce n'est guère attirant .

Mais si l'on se forçe un peu , on découvre une oeuvre remarquable , d'une profondeur psychologique rare , d'une forçe et d'une ampleur qui participent à la transformation du lecteur de base en un lecteur amateur de vrais voyages littéraires .

Lire Knausgaard c'est devenir adulte , c'est quitter l'adulescence , c'est faire une croix sur le côté populaire , et cela c'est inestimable ....
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La mort d'un père

Le petit Karl Ove grandit dans une famille normale avec son grand frère et ses parents. Le peu de compassion que l’on peut éprouver à son égard quand il décrit ses rapports avec un père autoritaire, distant et souvent humiliant, disparaît peu à peu lorsqu’il devient un adolescent un peu crétin, passionné de musique et d’alcool. Au même moment, sa famille se disloque, son frère part étudié à Bergen, ses parents divorcent et Karl Ove partage son temps entre un petit appartement en ville et la maison familiale où vit son père. Celui-ci trouve une nouvelle compagne et sa personnalité change peu à peu. Moins sévère, il est plus ouvert et se met à boire.

Les années passent, Karl Ove s’installe à Bergen, rencontre sa première femme et se met à l’écriture. Pendant ce temps, son père sombre dans la déchéance. Séparé de sa seconde épouse, il s’est installé chez sa vieille mère et boit jusqu’à plus soif. Quand il meurt, Karl Ove et son frère retournent dans la ville de leur enfance pour s’occuper de l’enterrement. Ce qu’ils y trouvent est horrible. Leur père a transformé la maison de leur grand-mère en immense dépotoir. Le linge sale côtoie des centaines de bouteilles vides, tout est recouvert par la crasse et les excréments. Karl Ove et Yngve s’attaquent au nettoyage tout en assimilant, chacun à leur façon, la disparition de leur père.





Avant de me lancer dans cette autobiographie, je me suis un peu renseignée au sujet de Karl Ove KNAUSGAARD, auteur norvégien que je ne connaissais pas du tout.

J’ai donc appris que ce livre avait été sujet à controverses dans son pays mais aussi qu’il a eu un énorme succès, notamment en Norvège et en Suède.

Après ma lecture, je me demande d’où vient un tel engouement…

Narrateur de sa propre vie, Karl Ove KNAUSGAARD se raconte avec beaucoup (trop?) de distance. Peu attachant, il n’a pas réussi à m’émouvoir ou simplement m’intéresser à son histoire. Le style est plat, les digressions trop nombreuses et je me suis perdue dans un océan d’informations et de détails sans importance. Si la dernière partie, au moment où les deux frères arrivent chez la grand-mère, sauve un peu l’ensemble, il n’en reste pas moins que cette lecture fut laborieuse et ennuyeuse.

Ceci dit, c’est un premier tome. Peut-être que cela s’améliore par la suite…Mais je ne le saurai jamais, je ne compte pas continuer à explorer la vie de Karl Ove.

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Jeune homme

La fin du 20e siècle, nous la connaissons suffisamment bien et nous manquons encore de recul pour en apprécier le leg encore largement incertain (quoique Virgine Despentes y soit parvenu, à mon humble avis, avec Vernon Subutex). Donc, à quoi rime Mon combat ? Une autobiographie comme une autre ? Dans tous les cas, Karl Ove Knausgaard a réussi à m’accrocher. Après l’adolescence et la vie de jeune adulte, le troisième tome Jeune homme, raconte son enfance. L’auteur-narrateur décrit son arrivée sur l’île Tromoya en Norvège alors qu’il n’est encore qu’un bambin mais, après la description des lieux et du voisinage, ses aventures ne commencent réellement que lorsqu’il débute l’école. Puis, le temps passe, les années aussi. Mais combien ? Les indices du passage du temps sont vagues. Est-il rendu à six ans, huit ou dix ? Quand il se sent attiré par les filles et qu’il se fait des petites amies, je me dis qu’il n’est plus si jeune. Éventuellement, l’année 1980 est mentionnée puis, peu après, on apprend qu’il a douze ans. Le roman se termine alors que, rendu à treize, sa famille déménage à nouveau. Il doit abandonner ses amis et le monde qu’il a connu.



Je suis abasourdi par la précision avec laquelle Karl Ove Knausgaard a réussi à reconstituer cette enfance. Certains événements remonentent à loin, très loin. Par exemple, moi, il me reste quelques souvenirs de mes cinq ans mais pas autant que cet auteur. Je me demande donc si tout est vrai et, sinon, quelle en est la part de vérité ? Par moment, je me demandais aussi si cet exercice de mémoire était un règlement de compte à l’endroit de son père (décédé il ya longtemps). Ce dernier joue le rôle du méchant. Il n’était pas violent physiquement, mais l’auteur-narrateur le dépeint toujours comme quelqu’un de froid, extrêment sévère, le punissant parfois sans raison, l’humiliant souvent, le terrorisant toujours. Même dans les moments plus agréables comme en vacances, il est dépeint comme un monstre, sinon ridiculisé (par exemple, lors de leur sortie en ski). Il faut dire que c’est la mort de ce père tyrannique qui constitue la petite madeleine de cet ouvrage proustien.



Même si le style a encore beaucoup à envier au génie français, Jeune homme est extrêmement bien écrit, mieux même que les tomes précédents qui nous balançait du présent au passé sans crié gare, au gré de… je ne sais toujours pas. Ce roman-ci est complètement linéaire. Et le peu de marqueurs temporels mentionnés plus haut ne nuisent aucunement à la compréhension. En ce sens, ce troisième tome me semble un peu plus cadré. Il y a un début, un milieu et une fin, une ligne directrice. C’est là qu’on reconnaît un esprit classique : malgré toutes les circonlucutions qu’il emprunte et les digressions dans lesquelles il entraine ses lecteur, il revient sans cesse aux mêmes points. Quand j’ai refermé le livre, j’ai vraiment eu le sentiment que Knausgaard avait bouclé la boucle de cet épisode. Un autre chapite de sa vie était terminé, il allait passer au suivant dans le quatrième tome.



Même si ce n’est pas un coup de cœur, Jeune homme reste une lecture agréable. Le style est si fluide qu’on se laisse emporter par ces anecdotes sans fin semblables à celles que probablement beaucoup ont vécu eux-mêmes quand ils étaient petits. Il faut dire que Knausgaard-enfant est un personnage assez typique. Il est un garçon comme tant d’autres, il a ses forces et ses faiblesses, il est peut-être un plus intelligent que la moyenne (ou, du moins, il se débrouille mieux à l’école), et conséquemment il se montre vantard sans le vouloir. Et je le trouve un peu pleurnichard, il chiale souvent. À part cela… N’importe qui peut s’identifier à lui. Sinon le prendre en pitié même si parfois il agit de façon insupportable. Il faut saluer l’honnêteté de l’auteur de ne pas se montrer seulement sous son meilleur jour, de s’embellir aux yeux du monde.
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Un homme amoureux

Je vous laisse deviner quel mot m’a échappé des lèvres lorsque, en tournant la première page d’Un homme amoureux, je me suis aperçue qu’il s’agissait d’un tome 2 … Mais heureusement, il se lit très bien sans le tome 1.

Alors que le premier volet était donc consacré à la mort du père de Karl Ove et à son deuil, le deuxième tome, lui, s’attache à ses amours, sa vie de famille et son travail d’écrivain.



Le récit offre le regard d’un homme qui se sent prisonnier d’un quotidien qui l’étouffe, d’un homme tiraillé entre son souci de bien faire, de respecter les exigences sociales bien qu’il ait le conformisme en horreur et son envie d’écrire. L’écriture est, pour lui, au même titre que boire, manger et respirer, un besoin vital, un besoin que les obligations de la vie quotidienne viennent contrecarrer. Une vie quotidienne subie plus que vécue d’où ne ressortent que l’ennui, la frustration et l’insatisfaction :



« La vie quotidienne, avec son lot de devoirs et d’habitudes, je l’endurais. Mais elle ne me réjouissais pas, je n’y voyais aucun intérêt et elle ne me rendait pas heureux. Ce n’était pas le manque d’envie de laver par terre ou de changer les couches mais quelque chose de plus profond que j’avais toujours ressenti : l’impossibilité d’y voir une quelconque valeur doublée d’une profonde aspiration à autre chose. Si bien que la vie que je menais n’était pas la mienne. J’essayais de la faire mienne, c’était mon combat, je le voulais vraiment, mais en vain, car mon envie d’autre chose vidait tout ce que je faisais de son contenu. »



De longs passages sont consacrés à son introspection, à la recherche des raisons qui pourraient expliquer son incapacité à trouver l’épanouissement . Il explore plusieurs pistes : nostalgie d’un temps révolu, responsabilité d’une époque dont les valeurs se perdent. C’est l’occasion de quelques mots loin des propos consensuels qu’on entend partout sur le sentiment d’émasculation des hommes dans une société de plus en plus féminisée :



« Je n’ai pas été assez prévoyant et j’ai dû suivre les règles du jeu en vigueur. Et dans le milieu socio-culturel auquel nous appartenions, ça signifiait qu’on assumait tous les deux le même rôle, celui autrefois attribué aux femmes. J’étais lié à lui comme Ulysse à son mât : je pouvais certes m’en délivrer mais pas sans perdre tout ce que j’avais. Et je déambulais, moderne et féminisé, dans les rues de Stockholm, alors qu’en moi bouillait l’homme du dix-neuvième siècle. »



Auteur emblématique du nihilisme, ce n’est pas pour rien si, au cours du récit, on retrouve Karl Ove en pleine lecture de Dostoïevski ou si le nom de l’auteur revient à plusieurs reprises.

Dans une existence qui lui semble vide de sens et dans laquelle toute relation sociale semble forcée et artificielle, Karl Ove voit le conformisme comme seul moyen de faire vivre ensemble des personnes qui n’y aspirent pas par nature.



« Et pourquoi crois-tu que la normalité soit si enviable, si ce n’est pour cette raison ? C’est le seul terrain sur lequel on est sûr de pouvoir se rencontrer. Mais même là, on ne se rencontre pas forcément. »



De là, sa tendance à se plier aux normes sociales tout en les rejetant et les critiquant et tout en cherchant désespérément un bonheur qu’il croit interdit ou impossible à atteindre. Karl Ove est un homme à fleur de peau en manque d’estime de soi et qui cherche à se rassurer au point qu’il en devient contradictoire entre ce qu’il pense et ce qu’il fait. Il est par exemple très soucieux de l’image qu’il renvoie dans les médias tout en essayant de s’en distancier et de ne pas y accorder d’importance. Ses relations avec les journalistes et sa façon de gérer ses obligations d’écrivain sont révélatrices de cet état.



Karl Ove va très loin dans l’introspection et la réflexion. Son souci de la justesse et de la précision s’exprime jusque dans les moindres détails, le moindre geste même le plus banal comme se servir un café, le moindre regard, la moindre pensée sont retranscrits. Certains pourront trouver le tout lourd et ennuyeux. Moi j’ai trouvé ça incroyable. Etre complètement immergée dans la vie de Karl Ove, l’accompagner de si près. Bien que je n’ai pas toujours été d’accord avec certaines de ses idées que j’ai jugées trop rétrogrades, je me suis sentie très proche de cet homme touchant dans son honnêteté. Pour un homme qui semble avoir autant de mal à se confier, il aura trouver dans l’écriture de ce cycle un moyen de se livrer complètement, à nu, au regard des autres. C’est troublant au point qu’une fois le livre achevé, on a l’impression de se séparer d’un ami de longue date.



Certains événements de la vie de Karl Ove l’ont beaucoup marqué, il en ressort des scènes « coup de poing » exprimant de manière poignante la souffrance lorsque Linda le rejette la première fois, ou encore l’impuissance lorsqu’elle accouche ( passage magnifique) où l’on ressent bien le besoin de l’auteur de créer un effet libérateur et cathartique. Sa façon de parler de sa relation avec Linda, le passage d’un état passionnel destructeur au mépris le plus profond est brillamment décrit.



Le style est celui d’un écrivain qui ne cherche pas à faire beau. Il ne veut rien d’artificiel. Karl Ove écrit sans fioriture, pour lui la littérature se sublime dans la liberté de ton, dans l’écriture spontanée et s’inscrit surtout dans la réalité. Karl Ove ne veut rien inventer :



« Je ne pouvais pas écrire de cette façon, ce n’était pas possible, à chaque phrase je me disais : tu ne fais qu’inventer. Ça n’a aucune valeur. Ce qui est inventé n’a aucune valeur[…] La seule forme qui eût encore de la valeur à mes yeux, qui eût du sens, c’était les journaux personnels et les essais, autrement dit ce qui dans la littérature ne produisait pas des histoires, ne racontait rien et se contentait d’être une voix, la voix de la personnalité propre, une vie, un visage, un regard que l’on peut croiser. Qu’est-ce qu’une œuvre d’art sinon le regard d’un autre être humain ? […]

Arrivé là, j’étais au pied du mur. Si la fiction était sans valeur alors le monde l’était aussi car c’était au travers de la fiction qu’on le voyait aujourd’hui. »



Ce qui ne l’empêche pas de construire son récit de manière cyclique baladant son lecteur dans son passé et ses souvenirs. Mais le texte est fait d’un seul bloc, sans chapitres, dans un seul souffle. Ce texte, c’est la vie dans toute sa complexité, des sentiments qu’on ne contrôle et ne s’explique pas, des événements subis, des réflexions, interrogations existentielles.



J’aurais encore tant à dire tellement ce livre est dense, profond, intense. Je ne crois pas exagéré en affirmant qu’il doit être un des plus beaux écrits qui existent sur notre époque. Je lirai assurément le tome 1 et les autres qui, j’espère, ne tarderont pas trop à être publiés.



Un très grand merci à Dana et aux éditions Denoël pour cette merveilleuse découverte.


Lien : http://cherrylivres.blogspot..
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Aux confins du monde

Karl Ove Knausgaard est, pour certains, le Proust norvégien.Je n’aime pas beaucoup Proust mais je lui reconnais un talent littéraire indéniable même si les sujets traités ne m’intéressent pas du tout.Je préfère Flaubert.Knausgaard est à la fois prétentieux (6 tomes pour une autobiographie , d’un auteur de moins de 50 ans, il faut un égo surdimensionné) et modeste (il reconnaît que ce qu ‘il raconte est assez banal)

Pour la longueur et l’art de raconter en dix pages ce qui peut être écrit un dix lignes, il est proustien

Pour le style, par contre,la comparaison est bien audacieuse.

Rien de bien original dans tout cela

Vous pouvez vous dispenser de la lecture de cet immense écrivain

Je suis toujours troublé par ces auteurs narcissiques qui résument leur création littéraire à leur propre vie , à leurs sentiments , comme si le monde tournait autour de leur petite existence

Comme souvent ,quand la déception est au bout de la lecture , je vais relire quelques pages des Vies minuscules de Pierre Michon, un maître écrivain, difficile certes, mais qui sait s’intéresser à la vie des petites gens et les mettre en valeur.Tout le contraire de KO.Knausgaard
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