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Critiques de Marguerite Yourcenar (810)
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Mémoires d'Hadrien

Détour par la Rome antique telle qu’imaginée par l’Académicienne Marguerite Yourcenar.



D’entrée de jeu, l’écrivaine nous place dans le roman plutôt que la biographie en débutant le texte par des pensées d’Hadrien, un homme malade qui écrit à son petit-fils adoptif. Bien que l’ouvrage soit très bien documenté, on sait que l’autrice ne peut pas être « dans la tête » d’Hadrien et connaître ses pensées.



Ce procédé littéraire donne un côté plus humain au personnage qui devient plus attachant et rend la lecture plus accessible. Il permet aussi à Marguerite Yourcenar de mettre ses propres réflexions dans la bouche d’Hadrien. Avec la grande qualité de son érudition et de son écriture, ce sont des dizaines citations que j’aurais pu reproduire, sur des sujets aussi variés que l’insomnie, la bureaucratie ou le déclin de la civilisation.



En choisissant les « Mémoires », plutôt que la biographie, Yourcenar donne la parole à Hadrien. Elle choisit donc de présenter le point de vue du grand homme, sa version des faits, pas de place ici pour d’éventuelles opinions de ses victimes. Pour devenir empereur, il faut une forte estime de soi (peut-être même un brin de narcissisme) et on s’attend donc à ce qu’il donne une image positive de lui-même dans ses mémoires. Hadrien n’a pas fait de massacres ou de génocides, il a pacifié. Il ne comprend pas pourquoi un peuple peut se révolter pour ne plus être soumis aux coutumes et aux lois bienveillantes de Rome. Il n’avait pas le choix d’être un despote et de faire assassiner ses ennemis, c’était pour protéger l’Empire…



De même, lorsqu’Hadrien parle de son jeune amant Antinoüs qui éventuellement se suicide, il en fait l’éloge, raconte combien il a été malheureux de sa mort et décrit les statues et les monuments qu’il a fait ériger en son honneur. Peu auparavant, j’avais lu « Le Consentement «  de Vanessa Springora et je me suis demandé quelles auraient pu être les « Mémoires d’Antinoüs »? (Et si Vanessa s’était suicidée « par amour », son écrivain éphébophile n’aurait-il pas élevé pour elle des monuments de mots dans ses mémoires ?)



Cette place importante que donne Yourcenar aux amours homosexuelles d’Hadrien n’est peut-être pas anodine, car ce pourrait être pour elle une façon de défendre une cause. En effet, au moment de la publication des Mémoires, elle vit aux États-Unis, en couple avec une autre femme, alors que, jusqu’en 1962, les 50 États américains criminalisaient les relations sexuelles entre personnes du même sexe.



Au final, une lecture très intéressante que je n'aurais pas faite si ce n’avait été du défi « mission impossible » proposé par l’émission littéraire quotidienne à la radio de Radio-Canada : « Plus on est de fous plus on lit »*. Un défi qui s'est avéré tout à fait possible et agréable, un défi que je suis très heureuse d’avoir relevé!



(disponible sur le web : https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/373/plus-on-est-de-fous-plus-on-lit)
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Mémoires d'Hadrien

Erudit mais bien ennuyeux !

Qu’est-ce qui ne va pas, chez moi, pour m’être autant ennuyé à la lecture de ce chef d’oeuvre ? Je viens de parcourir les avis cinq étoiles pour tenter de comprendre ce que j’ai raté : « L'écriture est splendide, le vocabulaire est merveilleux », « le style est limpide, esthétique, élaboré », « Un concentré d'érudition, de talent...un pur chef d'oeuvre ! », « un Hadrien plus vrai que nature. »

Il y a beaucoup d’adjectifs et d’affirmations mais peu de démonstration comme si les lecteurs avaient du mal à concrétiser leur plaisir. Allons voir ce que disent les grincheux ?

Oiseaulire me semble plus précise et nettement plus convaincante :

« L'empereur Hadrien développe des réflexions bien contemporaines qui sont plutôt celles de Marguerite Yourcenar elle-même : un parfum d'anachronisme se dégage de ce roman, accentué par la volonté de l'auteure de restituer autant que possible le style à la fois fleuri et viril des textes anciens.

Hadrien se présente comme un homme pourvu de mille qualités : peu de pages dans lesquelles, sous une apparente modestie, il ne fasse sa propre apologie : voyez comme je suis intelligent, sensible, viril, perspicace, lettré, aimant la paix mais bon guerrier et stratège, excellent ami, bon chef d'état, amoureux sincère. Seule ma carrière d'époux n'est pas exemplaire, mais est-ce ma faute ? Sabine est si maussade.

Il m'a semblé lire une excellente dissertation, pleine de solides qualités, mais lisse, très lisse, un exercice académique bien mené sans aspérité, sans vrai souffle. Intelligent mais sans génie. »

Ca semble acquis, Hadrien n’aimait pas sa femme qui le lui rendait bien. Il préférait les garçons en particulier le (très) jeune Antinoüs qui, si j’en crois la statuaire, était effectivement très beau. Il mit fin aux guerres de conquête de son prédécesseur Trajan… quoique… il mit quatre années à « pacifier » la Judée (comprendre mâter la rébellion juive qu’il avait provoquée en décidant de faire bâtir un temple dédié à Jupiter sur l’emplacement du Temple) de telle sorte que «cinquante forteresses, et plus de neuf cents villes et villages avaient été saccagés et anéantis ; l’ennemi avait perdu près de six cent mille hommes » et, détail intéressant, aujourd’hui encore : « La Judée fut rayée de la carte, et prit par mon ordre le nom de Palestine. »

Privé de descendance, il ne le regretta pas : « certes, aux heures de lassitude et de faiblesse où l’on se renie soi-même, je me suis parfois reproché de n’avoir pas pris la peine d’engendrer un fils, qui m’eût continué. Mais ce regret si vain repose sur deux hypothèses également douteuses : celles qu’un fils nécessairement nous prolonge, et celle que cet étrange amas de bien et de mal, cette masse de particularités infimes et bizarres qui constitue une personne, mérite d’être prolongé. »

Il y a bien quelques pages émouvantes sur la fin de vie, ses affres et ses hontes, quelques intéressantes considérations politico-philosophiques sur l’empire, son expansion, ses limites et son déclin, dont on peut malgré tout penser qu’elles sont, comme les lignes ci-dessus, plus imputables à Marguerite qu’à Hadrien. Rien de bien palpitant. De même les, à mon goût, trop longs développements sur « l’attachement » de l’empereur au jeune (14 ans) Antinoüs, les références à Achille et Patrocle et la divinisation du jeune homme, pourraient sans doute, pour des esprits étroits dont j’avoue ne pas être totalement éloigné, apparaître comme un manifeste pro domo en faveur de mœurs qu’à la vision idyllique de Marguerite, les esprits chagrins pourraient opposer celle de l'historien Sextus Aurelius Victor écrivant dans son Livre des Césars, près de 250 ans après, alors que les relations entre hommes et éphèbes sont tombées en disgrâce : « On le (Hadrien) vit enfin rechercher, avec une scrupuleuse sollicitude, tous les raffinements du luxe et de la volupté. Dès lors mille bruits coururent à sa honte : on l'accusa d'avoir flétri l'honneur de jeunes garçons, d'avoir brûlé pour Antinoüs d'une passion contre nature : c'était là, disait-on, le seul motif pour lequel il avait donné le nom de cet adolescent à une ville qu'il avait fondée ; c'était pour cette raison qu'il avait élevé des statues à ce favori ».

Il pourrait paraître piquant qu’à une époque où tout un chacun condamne à juste titre un Weinstein, personne ne se demande si le petit Antinoüs était vraiment consentant au « grand amour » d’un empereur de quarante ans dont ce roman fait le panégyrique.

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Les yeux ouverts

Portrait d'une femme d'exception, qui porte sur le monde une vue d'ensemble clairvoyante.

Enfance dans un milieu bourgeois, passée au milieu des livres dés le plus jeune âge, avec la complicité d'un père aimant. Son éducation s'est forgée à travers cet homme libre, riche de sa liberté, indépendant et dont la maxime était : "Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille? N'importe où, et aussi : "On n'est bien qu'ailleurs" .

Cet homme, qui résolvait les soucis de sa fille en disant : "Ça ne fait rien, on s'en fout, on n'est pas d'ici, on s'en va demain.", a su insuffler à celle-ci l'élan pour aller toujours de l'avant, le plaisir d'être nomade, le goût du voyage et de l'aventure.

Marguerite Yourcenar se définit comme un esprit libre, à travers laquelle traversent les idées, des courants , des vibrations, qu'elles retranscrit dans ses livres et qui guident aussi sa vie, avec toute l'humilité qui la caractérise; elle n'est que le cristal traversé par ces vibrations.

Comme son père, elle ne s'intéresse pas aux possessions, elle a horreur de l'avidité. Elle préfère la liberté à la sécurité.Elle n'est d'aucun pays, se définissant contre tout particularisme de pays, de religion, d'espèce et de sexe,

Pour elle , les étiquettes et les partis politiques sont dépassés. Ils n'apportent rien de bon. Les petites gens, les gens simples valent bien les grands de ce monde.

Les hommes vivent désormais dans un monde uniforme,dont les guides sont la télévision,la publicité, la mode. Il faudrait revenir à une vie plus saine, dans le respect de la nature et des animaux. Nous partageons cette planète avec tous ces êtres vivants et l'homme n'est pas le plus important d'entre eux.

Il faudrait rééquilibrer ce monde, en passant aussi par l'équilibre des naissances, car rien ne sert de faire autant d'enfants si c'est pour en faire de petits malheureux, sur une planète qui ne pourra plus les nourrir.



Marguerite Yourcenar , à travers son regard aiguisé sur notre monde, nous montre le chemin qu'il nous faudrait prendre si nous ne voulons pas que notre monde aille à sa perte, si nous voulons retrouver notre statut d'homme libre et digne, en faisant de notre vie la simple accumulation de petits bonheurs, dans la contemplation de la nature.

Cela parait utopique et pour l'auteure, il faudra attendre plusieurs générations pour que cela s'accomplisse. Il n'est jamais trop tard d'espérer et de lutter, tant qu'il reste de la vie.



Son témoignage nous apporte aussi ses petits secrets d'auteure, comment les personnages qu'elle crée prennent forme, vivent en elle et font finalement partie de sa vie. Elle parle de son métier comme de celui d'un artisan, d'un boulanger, qui pétrit sa pâte jusqu'à ce qu'elle prenne forme.

Elle donne aussi son avis sur les lecteurs que nous sommes, n'ayant pas toujours une vue globale du livre, mais plutôt à la recherche de ce qui nous ressemble.



Très belle découverte.











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Comment Wang-Fô fut sauvé

« Wang-Fô aimait l’image des choses, mais non les choses elles-mêmes »



N’est-ce pas le paradoxe de l’artiste ? Il est celui dans la cité qui, grâce à sa sensibilité, traduit le mieux nos affects et en même temps, celui qui manque le plus cruellement d’empathie pour le réel.



Yourcenar illustre bien ce personnage (Wang-Fô) fasciné par les gens non pas comme des fins mais en tant que moyens au service de son art, les poussant jusqu’au sacrifice ultime sans en ressentir autre chose qu’une forme d’inspiration artistique ou du moins, s’il en est affecté, cette affliction est immédiatement récupérée.



L’artiste est-il égocentrique et d’un ingénu narcissisme par nature ou bien, pour le lucre de l’art, doit-il s’interdire d’éprouver de l’empathie (car cette dernière conduirait inévitablement Wang-Fô à renoncer à certaines de ses peintures, notamment celles de l’épouse de Ling) ?



Et l’art… Se doit-il de dire la vérité ? Peut-on le condamner sous prétexte qu’à nos yeux il dépeint le réel de façon si illusoire qu’il le rend écœurant ? Finalement, l’art serait-il l’ennemi du réel en ce sens qu’une trop fastidieuse exposition aux œuvres d’art rend (même un Empereur) inapte à la vie ?



Toujours est-il que l’art affecte intimement les personnages de cette nouvelle orientale. Face à la tiédeur de la vie, l’art pousse un homme à qui rien ne manquait à tout sacrifier dans une relation de maître à disciple endogène au continent asiatique.



Cruel est l’art, en témoigne la beauté sémantique émanant d’une scène d’exécution fugace. Et comme si la réalité eut été trop odieuse pour l’auteure elle-même, la seule issue de ce conte fut la fuite chimérique.



Cette nouvelle légendaire - nous sommes proche du récit mythologique - de Marguerite Yourcenar ne souffre aucune surabondance. Les couleurs s’entremêlent à l’image du réel et du fantastique et la brièveté du texte y côtoie l’épaisseur du récit.



Finalement au sortir de ce conte, le lecteur face au texte est pareil à l’artiste face au réel, reconnaissant la beauté de l’œuvre et le génie de l’artiste sans pour autant ressentir d’empathie.



Qu’en pensez-vous ?

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L'Oeuvre au noir

Comment approcher un tel sommet de la littérature autrement qu'avec modestie et, dans mon cas particulier, j'avoue, avec une certaine dévotion aussi, que je ne saurais cacher?



L'oeuvre au noir, dans la tradition hermétique, est le premier échelon à gravir avant toute mutation alchimique. L'«opus nigrum», oeuvre de «dissolution et de calcination des formes» («solve et coagula», selon la formule du célèbre Nicolas Flamel) serait l'étape la plus difficile à réaliser et, en même temps, celle qui dépendrait le plus étroitement de la volonté propre de l'alchimiste.



Outre, bien évidemment, les expériences qui peuvent être conduites sur la matière elle-même, il s'agirait en l'occurrence, pour ce dernier, sur un plan plus symbolique, de s'affranchir de ses passions et de ses instincts primitifs, de ses croyances personnelles les plus enracinées, ainsi que «des routines et des préjugés» provenant en grande partie du formatage extérieur exercé par son époque, dans le but de dissoudre son moi profond dans l'universel et, le cas échéant, de pouvoir accéder à une forme de connaissance nouvelle et supérieure. L'image du Phénix s'impose ici : renaître à partir de la «calcination» de sa condition humaine...trop humaine!



Séparation et dissolution qui, mutatis mutandis, auront demandé plus de trente ans à Marguerite Yourcenar avant de parachever son oeuvre à elle, entamée en 1923-24, écrite et réécrite de nombreuses fois pendant plus de trente ans, depuis la toute première apparition de son personnage central, Zénon, dans ses fictions de jeunesse. Personnage en or parmi ceux que l'auteure abritait en elle et avait réussi à rendre autonomes et à vivre en dehors d'elle-même («chaque écrivain ne porte en soi qu'un certain nombre d'êtres»), ce médecin et alchimiste, né au début du XVI siècle, semble avoir été, plus qu'aucun autre (y compris que son cher Hadrien !) proche de l'auteure. Pour preuve, ce qu'on peut lire dans ses «Carnets de notes de l'Oeuvre au Noir» incorporés, selon sa volonté, aux éditions de son roman:

« Que des fois, la nuit, ne pouvant dormir, j'ai eu l'impression de tendre la main à Zénon (...) Je connais bien cette main d'un brun gris, très forte, longue, aux doigts en spatules, peu charnus, aux ongles assez pâles et grands, coupés ras. le poignet osseux, la paume assez creuse et sillonnée de nombreuses lignes. J'en connais la pression, de cette main, son degré exact de chaleur. (Je n'ai jamais pris la main d'Hadrien.) »



Et comment ne pas vous comprendre ? Parfaitement, chère Dame Yourcenar ! Votre sublime homoncule est un personnage inoubliable, et il se transformera aussi en un être proche à ceux qui, grâce à votre art, auront eu la chance de le croiser et de s'arrêter sur sa route.



Partant avec lui de Bruges dans sa prime jeunesse, «in media res», l'on cheminera dans l'Europe de son temps, et bien au-delà, jusqu'au aux portes de l'Orient, jusqu'aux limites des savoirs consacrés par son époque, notamment la scolastique, avant de le retrouver à nouveau à Bruges, à l'âge mûr, obligé désormais à cacher sa vraie identité dans sa ville d'origine, toutes les conditions étant réunies pour qu'il se sente enfin prêt à délaisser «les douteux produits de sa pensée » lui ayant valu entre autres de figurer à l'Index , pour s'intéresser davantage à «l'acte de penser lui-même».



Zénon exerce cette même fascination éveillée par certaines de ces figures emblématiques qui semblent avoir ouvertement inspiré sa créatrice, un Érasme, un Leonardo ou un Giordano Bruno, dont le génie, l'humanisme, l'éthique personnelle et la liberté de pensée continuent à personnifier pour la plupart d'entre nous les plus nobles aspirations et les plus hautes cimes atteintes par l'esprit humain. Maîtres à penser intemporels que, à l'image des mots qui seraient adressés par Pessoa des siècles plus tard à son guide spirituel, dans ce bas monde des apparences, purement «sensationniste », rien n'a semblé avoir «touché, ni blessé, ni troublé», « sûrs comme un soleil faisant son jour involontairement».



C'est n'est que dans ce bref et magnifique intervalle ouvert dans l'histoire des idées, à l'orée du XVIe siècle, que l'on peut situer la démarche intellectuelle d'un Zénon, lorsque celui-ci tente de faire converger et d'embrasser, sans faire s'entrechoquer, connaissance de la matière et quête spirituelle. Une pensée absolument suspecte et passible d'hérésie à cette époque - dont par ailleurs notre médecin et alchimiste, comme nombre de ses contemporains de génie, finirait lui-aussi par faire les frais - , et que le triomphe progressif d'un empirisme et d'un scientisme de plus en plus conquérants vouera, au cours des siècles à venir, aux gémonies de l'irrationalité, du mysticisme, voire du pur charlatanisme. Une démarche intellectuelle dans un juste équilibre, encore possible à ce moment-là, entre ce que l'auteure définit, dans ses notes consacrées à la genèse de son personnage, comme «le dynamisme subversif des alchimistes et la philosophie mécanistique (...) l'hermétisme qui place un Dieu latent à l'intérieur des choses et un athéisme qui ose à peine dire son nom, entre l'empirisme matérialiste du praticien et l'imagination quasi visionnaire de l'élève des cabbalistes».



L'oeuvre au noir ne s'opère cependant pas aisément ici, et le roman risque de rebuter fortement les amateurs invétérés de page-turners. On n'y trouve en effet aucune concession à l'assimilation facilitée, ni à la grande vitesse de lecture : on est aux antipodes de toute préparation littéraire lyophilisée à consommation instantanée...

Il est donc tout à fait recommandé à ses potentiels lecteurs de prendre le temps et faire preuve d'une certaine constance. Nous n'avançons et ne pénétrons que peu à peu les arcanes d'un roman dont, d'une part, la recherche de fidélité à un cadre historique particulier, assez peu connu et par ailleurs très complexe lui servant de toile de fond (celui de la Flandre espagnole au XVIe siècle, prise en étau entre divers conflits d'intérêt locaux, politiques et religieux, à géométrie variable et ayant abouti à la révolte d'une grande partie des provinces des Pays-Bas contre la monarchie espagnole, jusqu'à conduire enfin, en 1568, à la guerre des Quatre-Vingts Ans), d'autre part le perfectionnisme manifesté dans la recherche d'adéquation à la mentalité et au champ lexical d'une époque déterminée, la subtilité du propos et l'étendue de l'érudition qui les sous-tend, ne se laisseront guère apprivoiser, et pour cause, sans une participation active du lecteur pour combler peu ou prou ses lacunes plus ou moins conséquentes en la matière.



Dans la mesure, cependant, où ses bienheureux lecteurs-apprentis accepteront humblement de s'y soumettre, le temps de franchir cette étape «initiatoire» avant de pouvoir rentrer de plain-pied dans l'oeuvre, tout en acceptant les embûches que cela pourrait éventuellement comporter pour chacun, la lecture de cette exaltante quête d'absolu telle qu'elle ait pu être vécue de l'intérieur par un médecin alchimiste du XVIe siècle, dans un mouvement en quelque sorte en sens inverse, subséquent à la réussite de l'oeuvre de séparation et de dissolution mûrie longuement par l'immense talent de Yourcenar, pourrait alors leur permettre d'expérimenter à leur tour cette autre sublime opération alchimique que la littérature seule nous autorise par moment à accomplir: celle d'implanter solidement un personnage, à l'origine parfaitement irréel et imaginaire, dans notre propre paysage psychique, de le réintégrer d'une certaine manière comme une partie de soi-même.



À l'instar de sa créatrice, moi aussi, il suffit maintenant que je ferme parfois les yeux pour que Zénon soit là.





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Souvenirs Pieux - Archives Du Nord - Quoi ?..

Ma plus belle lecture. J'ai adoré. Chaque ligne est un plaisir, on se délecte de l'écriture de Marguerite Yourcenar. C'est l'histoire d'une famille et c'est l'Histoire du monde vues par un esprit supérieur, érudit, original, ironique et critique.

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La Voix des choses

Ce Beau Livre, illustré par de tranquilles photos destinées à la pure contemplation, mêle aphorismes et poèmes issus des mondes oriental et occidental, de la sagesse ancienne et des fulgurances modernes. Marguerite Yourcenar, au crépuscule de sa vie riche en écriture, s'y affirme définitivement comme cette auteure qui réconcilie les temps et les modes de pensée. Il en émane une profonde sagesse, un hymne à la paix et à la fraternité. Même si les textes recueillis ne sont pas d'elle mais de penseurs et poètes qui la précèdent, on y retrouve Marguerite Yourcenar toute entière, comme si elle les avait de sa main repensés et mis sur papier, à l'encre de son âme. Son regard qui voit loin dans le temps, sa pensée universelle, elle les transmet par ces courts textes qui résonnent depuis les lointains :



"Sans souci des choses situées loin de nous, les désastres sont proches."



Sa sagesse ? S'effacer devant toute l'humanité qui nous précède et celle dont on sera capable:



"Rien ne brûle en Enfer, sauf le Soi."



Marguerite Yourcenar dans ses écrits donne aux mots et aux fictions la force de vieillir et de se (re)construire.

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Anna, soror...



Après avoir posté une citation extraite de ce livre, je fus surprise par une réaction : « Histoire d'inceste entre un frère et une soeur. A fuir. » Qui doit fuir ? Ce fut en fait une succession de surprises. L'histoire est clairement annoncée. La thématique similaire est abordée dans par exemple « La Patiente » de Jean-Philippe Mégnin sans que cela fasse sourciller qui que ce soit. Ou pire encore, les romans qui abordent des « transgressions » de toutes sortes sont légion ne semblent pas effrayer plus que cela les lecteurs. Peut-être alors est-ce choquant de la part de Marguerite Yourcenar. Toujours est-il qu'au lieu de me refroidir, l'effet contraire se produisit, probablement lié à mon esprit de contradiction.



Cette histoire d'amour dans la Naples du XVIIème ressemble à un tableau tout en clair-obscur de le Caravage. L'issue est sans appel : suicide programmé pour l'un ; l'autre refuse le couvent pour expier sa faute en cette période de Contre-réforme et son mariage placé sous le signe de la fidélité ressemble à une petite mort. Roman court au style ciselé.





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Mémoires d'Hadrien

Ce livre, exigeant, est un véritable chef d'oeuvre.

Il allie avec pertinence faits historiques avérés et fiction, descriptions et réflexions philosophiques.

Hadrien, sur son lit de mort, évoque sa vie, ses joies et ses peines, ses réussites et ses déceptions, avec une intelligence certaine et des réflexions très modernes.

C'est une véritable plongée au coeur de l'antiquité, bourrée de références difficiles à comprendre pour le néophyte, mais le tout est relativement abordable et c'est une approche captivante de l'histoire antique.

Certains passages sont réellement splendides et le récit d'Hadrien est émaillé de nombreuses questions philosophiques amenées avec intelligence.

C'est une lecture qu'il faut déguster avec lenteur, et, c'est là le seul reproche que je pourrais faire à ce livre, avec une attention soutenue.

A découvrir absolument, ne serait-ce que pour la langue magnifique...
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Mémoires d'Hadrien

"Memoires d'Hadrien", ou le livre de chevet idéal. Celui que l'on lit et relit, dont on coche les phrases qui vous correspondent si bien. Celui qui met à nu , intimement, un grand homme, et délivre en même temps un message universel.

Merci à Marguerite Yourcenar d'avoir aussi bien su digérer les tonnes (du moins c'est ce que j'imagine) de documentation sur le règne de ce grand empereur, de se les être appropriées au point que Hadrien vieillissant, c'est Marguerite jeune prodige de la littérature (le projet de ces Mémoires est né en 1925) , et Yourcenar vieillissante, c'est Hadrien dans toute la splendeur de sa jeunesse.

En fait, ces deux vies se sont fondues dans un mimétisme fascinant. J'aime ce concept d'un écrivain érudit qui va glaner au gré des différents témoignages et récits historiques la quintessence de son personnage, pour le porter littéralement, le sublimer et en faire ressortir l'humain.

A cela s'ajoute bien sûr la plume ô combien précise et évocatrice de Marguerite, qui accompagne l'esthète, l'homme d'état, et l'homme qui sait que ses jours sont comptés, mais qui défie la mort en se tournant du côté des vivants.

Bravo , mille fois bravo ! Ce livre est fascinant.
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Mémoires d'Hadrien

Ceci n'est pas un roman historique! Marguerite Yourcenar récusait cette appellation pour son roman. C'est que chacun de ses livres était un projet unique. Son côté aristo empêchait qu'il se mêle au commun des reconstitutions hâtives. Et, en un sens, on la comprend.

Quand on voit la somme de documentation et de d'érudition qu'il a fallu pour ce roman, l'écrire n'était pas à la portée de n'importe qui. Les historiens l'ont admirée pour cela. Et elle savait bien qu'elle n'était pas n'importe qui!

La lecture de cette oeuvre se perdait dans le passé, sa relecture a été savoureuse. J'en ai sans doute mieux goûté toutes les subtilités. La prose est somptueuse sans être rébarbative. Le point de vue est singulier mais vise l'universel. L'immersion dans l'Antiquité est une grande réussite. Pour y parvenir, l'auteur (elle n'aimait pas la féminisation du vocabulaire) se mettait dans une sorte d'état second empathique avec son personnage. Pour autant, elle n'en fait pas un homme idéal: il a ses doutes, ses défauts, ses erreurs, et ses fautes.

Tout cela pourrait sembler suranné ou passéiste. Mais le miracle est que cela nous touche. Peut-être l'humanisme n'est-il pas tout-à-fait dépassé. L'ambition, le pouvoir, la guerre et la paix, l'argent, les effets de nos actions, l'aménagement de l'espace, l'architecture, la tolérance, l'amour et le mariage, la vieillesse, la maladie, la mort, voilà qui est de tout temps. Cela appartient à l'humain, pas aux hommes ou en femmes en particulier.

Et Marguerite Yourcenar glisse dans son oeuvre ce qui lui tient à coeur: l'homosexualité bien sûr, à travers le personnage d'Antinoüs, et même si l'homosexualité antique était vécue bien différemment d'aujourd'hui, et aussi les préoccupations environnementales, moins évidentes, mais qui pressentent la fin d'un monde.

Le seul petit bémol est qu'elle a voulu tout dire de son personnage. De là un côté systématique et platement chronologique. Mais ce défaut là est largement compensé par tout le reste.

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Mémoires d'Hadrien

Que dire de plus sur ce livre qui n’a déjà été écrit. J’ai été transporté dès les premiers mots et mon attention n’a pas faibli. Je suis éblouie par tant de talent. Yourcenar est une grande dame de la littérature, un joyau, un diamant brut. Ce livre m’a jeté à terre. C’est une œuvre magistrale. Un chef-d’œuvre. Un livre à lire une fois dans sa vie. Ma critique s’arrête ici parce que je ne saurai trouver plus de mots pour dire à quel point je suis contente comme lectrice d’avoir eu ce bouquin entre les mains.
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Nouvelles orientales

Départ immédiat pour un Orient de rêves et de légendes en ouvrant les sublimes pages du recueil Nouvelles orientales. Marguerite Yourcenar nous emporte et transporte par delà le temps et les frontières de la réalité pour rendre visite à un héros serbe aussi beau et grand que cruel. A un vieux séducteur de l'époque Heian qui quitta les ors et les fastes de la capitale pour une réclusion avant que le grand âge ne montre à tous sa déchéance. En Grèce, Néréides, Nymphes et Sylvains continuent leurs danses séculaires d'avant les hommes. On rencontre en Chine un vieux peintre et son fidèle disciple sauvés par la magie de ses encres et laques. Quant à la redoutable Kâli, qui laissa son nom à la mégapole de Calcutta, on lit ici une variante des cosmogonies hindoues, mâtinée de réflexions philosophiques sur l'être et la vie.

Autant d'histoires, contes et apologues qui permettent rêveries, voyages fantasmagoriques et réflexions sur les thèmes abordés. Car chez Marguerite Yourcenar, la forme égale le fond d'où transparaît une impressionnante érudition et une connaissance des civilisations orientales et d'Extrême-Orient.



Les quelques récits réunis dans ce recueil traduisent également l'art et la maestria de cette grande dame de la littérature. La beauté de son écriture, la poésie délicate qui imprègne sa prose, la manière de sublimer les mots pour pousser les portes de l'illusion et de la légende, tout incite à découvrir ou redécouvrir ces Nouvelles orientales aux charmes aussi infinis qu'intemporels.



Et, last but ont least, Gallimard nous offre ici un recueil où le texte superbe est encore magnifié par les délicates illustrations de Georges Lemoine. Exquises peintures dont les teintes douces et comme translucides éclairent les pages de chaque récit.



Alors bon voyage!
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Le Labyrinthe du monde, tome 1 : Souvenirs ..

Yourcenar l'explique assez vite à son lecteur : le souvenir pieux est un petit feuillet à glisser dans un missel et invitant, parmi quelques citations tirées des Écritures, à se souvenir devant Dieu d'un défunt ou d'une défunte. Tel est en somme le principe de son livre tout entier. Mais s'il y a ici de la piété, elle tourne le dos à la bondieuserie pour n'être que familiale, sans exclure d'ailleurs l'esprit critique, ni même une touche corrosive souvent savoureuse.



Avant d'être le portrait d'une famille, c'est celui d'une époque et d'une société, et même de la bonne société : l'aristocratie et la bourgeoisie industrielle de Belgique, au tournant des XIXème et XXème siècles. Souvenirs pieux tient ainsi à la fois du portrait de caractères, de la chronique sociale, de l'essai et de l'autobiographie. Yourcenar n'y cache ni son affection ni ses moqueries, voire plus rarement sa détestation d'un personnage. Elle ne dissimule rien non plus de ses questions de petite fille, à l'époque des faits, ou de vieille dame lorsqu'elle écrit ce texte. Il y a un dialogue permanent entre ce qu'était le monde de ce temps-là et celui qu'il a enfanté par la suite. Le livre se transforme même parfois en une charge virulente contre l'idéologie du progrès qui a gouverné tout le XXème siècle avec les éclatants triomphes que l'on sait. L'auteure prend le parti de la liberté contre les conformismes, de l'harmonie du monde contre son exploitation effrénée, de la nature et de l'animal contre l'arrogance humaine. Pas trace de militantisme dans son propos, mais une délicate broderie de notations et de rapprochements, dessinant peu à peu une morale que je trouve admirable.



Certes, le lecteur se perd parfois dans les ramifications et les enchevêtrements de cette famille. L'architecture du livre favorise d'ailleurs cet égarement, en invitant à la flânerie et à la rêverie plutôt qu'à l'exploration sèche et méthodique d'archives parcellaires. Yourcenar n'a pas voulu que l'on confonde son œuvre avec une austère entreprise de généalogiste : l'objet n'est pas pour elle de tracer au cordeau un réseau de filiations ou d'héritages, mais de redonner vie et souffle à quelques figures de son enfance ou de sa mythologie familiale, en des histoires émouvantes qui atteignent à l'universel. On mesure la nature de l'exploit, tant les histoires de famille sont en général aussi incompréhensibles que dénuées d'intérêt, dès lors que ce sont celles des autres. Mais voilà, c'est tout simple : ce qu'écrit Marguerite Yourcenar n'appartient pas au monde des autres.
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L'Oeuvre au noir

Comment osez "poster" une "critique" sur un texte porté aux nues , sur une femme écrivain au charisme hors pair, sur une historienne et philosophe de haut rang ?

Bien sûr l'Oeuvre au noir est une oeuvre 'monumentale, bien sûr avoir de très bonnes connaissances de cette période du XVIème siècle, des débats houleux entre croyants qui aboutirent aux mouvements réformistes , des conflits entre le Saint Empire romain germanique et le Roi de France ,de la haine viscérale entre Charles Quint et François Ier,de la géographie politique de l'époque se révèleront fort utiles voir indispensables !

Mises à part ces conditions pour moi nécessaires pour une compréhension a minima d'un texte aussi riche , la vie de Zénon , médecin, philosophe, alchimiste,en perpétuelle interrogation sur le monde qui l'entoure, est source de réflexions, voir même d'introspection ...le monde qui nous entoure est il au fond si différent ?

Un roman récompensé en 1968 par le prix Fémina, un roman austère, une lecture exigeante , une lecture certes enrichissante mais à quel prix ?

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Mishima ou La vision du vide

Mishima ou La vision du vide est un essai dans lequel Marguerite Yourcenar analyse la vie et l'oeuvre de Yukio Mishima (1925-1970) dans le but de comprendre ce qui l'a conduit à choisir la mort par seppuku (ou hara-kiri).



Dans l'ensemble, je dois avouer que je suis restée en retrait du texte. L'auteure fait de multiples comparaisons avec des auteurs que je n'ai pas lu.



Quoi qu'il en soit, l'auteure a attiré mon attention sur plusieurs textes de Mishima comme « Confessions d'un masque » (1949) et la nouvelle « Onnagata » publiée dans le recueil « La mort en été » (1953).



« Chaque jour, attendez-vous à la mort, afin, quand son temps viendra, de mourir en paix. le malheur, quand il vient, n'est pas si affreux qu'on le craignait... »



Pas une lecture très joyeuse pour débuter l'année mais intéressante.













Challenge XXe siècle 2023

Challenge ABC 2022-2023

Challenge non fiction 2023 (111)

Challenge plumes féminines 2023 (6)
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Nouvelles orientales

J'ai un peu honte. J'avoue ne pas avoir été conquis par ces « nouvelles orientales ». Je ne saurais pas trop expliquer pourquoi. Les intrigues ne m'ont pas captivées. Même si la toile de fond, la culture où elles se déroulent m'ont plues. Sentiment que les personnages se diluent dans l'intrigue. Je ne sais que dire de plus. Ce n'était peut-être pas le bon moment. Toutes mes excuses Marguerite !
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Mémoires d'Hadrien

Long monologue de l'empereur, tentant de redresser les finances de Rome, privilégiant la négociation et la paix, et beaucoup de digressions sur ses états d'âme, son amour pour la culture grecque, pour son jeune amant Antinoüs, digressions et lyrisme sans doute magnifiques mais jugés inutiles par mon côté cartésien et trop souvent inaccessibles à mon petit esprit.



En annexe, Le carnet de notes de l'auteure est intéressant.

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Mémoires d'Hadrien

"Attention chef d'oeuvre / classique incontournable / monument de la littérature française", lit-on un peu partout au sujet des ces mémoires (fictives) de l'empereur Hadrien.

J'étais prévenu, et par avance impressionné. Aussi avant d'entrer dans l'arène, je l'avoue, j'ai tremblé un peu.

Ave Marguerite, celui qui va te lire te salue !



Comme prévu, le combat fut épique. Il a parfois tourné au corps à corps acharné et forcément déséquilibré entre moi, petit lecteur anonyme aux connaissances historiques lamentablement dérisoires, et ce texte splendide et plein d'érudition, ce vertigineux puits de savoir d'une densité et d'une profondeur qui forcent l'admiration. Au terme d'une lecture pour le moins exigente, je ne saurais dire qui l'a emporté...

Ce qui est sûr, c'est que je me souviendrai longtemps de cet ouvrage, à mi-chemin entre autobiographie et roman historique, fruit de recherches sans doute titanesques et source inépuisable de commentaires passionnés, qui m'aura ébloui (style admirable, évidemment, bien que d'un classicisme parfois un peu aride) autant qu'étourdi (innombrables références culturelles de très haute volée !). Je reconnais volontiers que l'expérience ne fut pas de bout en bout une partie de plaisir, mais l'effort en valait la chandelle !



Même si je ne retiendrai sans doute qu'une infime partie des évènements relatés ici par le grand Hadrien qui, au crépuscule de sa vie, adresse un courrier à son petit-fils adoptif Marc Aurèle, je garderai au moins l'image d'un empereur profondément humain, d'un grand voyageur pacifiste, d'un fin lettré féru d'art et de philosophie. Comment ne pas se laisser séduire, à l'instar de Marguerite Yourcenar, par cet esprit curieux et éclairé qui, à la différence de ces prédécesseurs, a toujours su tempérer ses aspirations expansionnistes, se préoccupant davantage de la stabilité de l'empire et de la paix aux frontières que de la grandeur de Rome ?

Au fil de cette longue lettre (350 pages quand même, je te dis pas le prix du timbre :-)), il revient avec un incroyable discernement sur les faits marquants de son existence, sa carrière de soldat et son accession au pouvoir, sans oublier bien sûr sa passion dévorante pour le bel Antinoüs, qui occupe à n'en pas douter les plus belles pages du livre. Il porte en outre un regard d'une remarquable lucidité sur l'homme qu'il fut, dans ses grandeurs et ses travers ("j'ai utilisé de mon mieux mes vertus, j'ai tiré parti de mes vices"), et dresse finalement un autoportrait d'une rare précision.



Déclarations d'amour enflammées, introspections approfondies, comptes rendus détaillés d'évènements historiques, considérations politiques, manoeuvres et intrigues de cour : dans cette belle "méditation écrite d'un malade qui donne audience à ses souvenirs", tous les lecteurs (fussent-ils des ignares dans mon genre) pourront trouver matière à s'intéresser de près au règne et à la vie bien remplie de ce grand réformateur.

Toutefois, les latinistes les plus accomplis restent je pense les mieux armés pour apprécier à sa juste valeur et pour digérer pleinement ce texte compact, monolithique et pur comme un bloc de marbre romain.
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L'Oeuvre au noir

Paru en 1968, ce roman connaît d’emblée la reconnaissance, il obtient la prix Femina et fait actuellement partie des œuvres les plus lues et citées de l’auteure avec les Mémoires d’Hadrien. Comme ce dernier livre, il s’agit d’un roman historique, l’époque du récit se situe au XVIe siècle, entre moyen-âge et époque moderne, une époque de bouleversements et remises en question.



Nous suivons le personnage principal, Zénon, de sa naissance jusqu’à sa mort une cinquantaine d’années plus tard dans sa ville natale de Bruges. Bâtard d’un prélat italien, et d’une bourgeoise flamande issue d’une famille aisée, il ne connaît pas vraiment son père et sera surtout élevé par son oncle, le frère de sa mère, car cette dernière a refait sa vie, s’est marié et a quitté Bruges. Zénon est destiné à devenir homme d’église, mais il se révolte conte le destin qui lui est assigné. Il va devenir alchimiste, médecin et sans doute philosophe : un intellectuel multiple, épris du savoir sous toutes ses formes, comme l’étaient les hommes de la renaissance. Il va voyager, voyages que nous ne connaîtront que par des bribes, des choses qu’il va raconter, ses livres sont condamnés et brûlés, il doit fuir. Il finit de se fixer sous un faux nom dans sa ville de naissance, dans un dispensaire dépendant d’un monastère et offre ses services surtout à ceux qui en ont le plus besoin. Mais son passé le rattrape, il est emprisonné et condamné.



Nous suivons aussi, en contrepoint, d’une manière plus brève, les destinées de certains de ses proches, dont son cousin Henri-Maximilien, qui lui aussi se révolte contre sa destinée de riche bourgeois et qui choisit la carrière militaire, ainsi que l’errance qui lui est associée. Une vie à l’opposé de celle de son cousin.



Cela a souvent été explicité, en alchimie l’oeuvre au noir est la première étape de l’opus magnus ou grande œuvre, qui vise la transformation (ou transmutation) des métaux vils en argent et surtout en or. On peut donc lire ce titre de manière métaphorique : Zénon, qui au départ est un jeune homme quelque peu arrogant, qui se rêve alchimiste, astrologue, mage, chemine au fur et à mesure de son expérience du monde et des hommes, vers la science et encore plus la philosophie, une compréhension du monde mais aussi une vision morale. De l’ambition initiale de dominer le monde grâce à son savoir, à son intelligence, de la recherche d’un savoir objectif et sûr il évolue vers une sorte de quête spirituelle, la recherche d’une vérité morale, d’une attitude juste devant la vie.



Mais au final plus que de vie, j’ai eu le sensation que ce roman parlait plus de la mort. Comme si c’est cette dernière, la manière dont elle se passe qui donne sens à vie, la résume. Et dans le monde de la renaissance, plein de bruit et de fureur, les occasions de mourir sont nombreuses. Les guerres provoquées par les ambitions des puissants croisent celles des religions. Les certitudes vacillent, les nouveaux savoirs mettent en question les vérités anciennes, mais provoquent en retour des persécutions, qui voudraient ralentir les transformations en route. Les riches comme de tout temps se veulent de plus en plus riches, en utilisant à l’occasion les avancées des sciences et techniques, comme ce métier à tisser conçu par Zénon, en appauvrissant encore plus les pauvres qui n’ont plus que la révolte ou une religion dissidente qui laisse l’espoir d’un autre monde. Marguerite Yourcenar met chaque personnage en face de lui-même à l’instant fatidique : chacun meurt comme il a vécu. Henri-Maximilien en soldat, la mère de Zénon y court comme à une évidence qui signe son échec. Sans oublier la vie de ceux dont l’existence est une mort lente, insidieuse, comme pour la demi-sœur de Zénon, qui a renoncé à tout ce qui avait un sens pour elle, et qui remplit ses jours d’activité futiles, en étant persuadée d’être damnée.



La mort de Zénon va être choisie, assumée, et couronner définitivement sa vie. Elle ressemble furieusement à celle d’un philosophe antique. En tant que médecin, il suit ses différentes étapes, en observateur presque détaché. Elle lui permet presque jusqu’à la fin d’essayer de comprendre, d’appréhender. Mais il n’y a pas de réponse définitive à ce qu’est la mort, c’est en quelque sorte la question éternelle et insoluble de l’espèce humaine.



C’est évidemment un roman à lire, devenu dès maintenant une sorte de classique moderne. Mais l’univers, le style, un je ne sais quoi qui caractérise Marguerite Yourcenar me laisse à distance. Cela tient sans doute plus à moi qu’à l’auteure, mais je reste un peu en dehors de cette belle ouvrage.
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