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Critiques de Maurice Pons (154)
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Les Saisons

Une pochade crayonnée par Jérôme Bosch?

Une fable racontée par un Rabelais qui aurait le vin sombre?

Un conte à la fois drôlatique et inquiétant , cruel comme ceux de Villiers de l'Isle Adam, amer comme ceux de Nodier,  ironique comme ceux de Barbey d'Aurevilly?

 Ou alors une version romanesque des poèmes en prose d'Aloysius Bertrand avec Scarbo qui mène le sabbat?..



Je m'aperçois que face à cet inclassable, cet hallucinant, cet étonnant bouquin, je convoque le 16e ou le 19eme alors que ce livre culte, écrit avec une plume ciselée, limpide, presque classique,  a à peine 55 ans d'existence.



Une fable, certainement, car derrière le réalisme magique de la trame,  se devinent de troublants , et de troubles apologues.



Un étranger arrive dans un petit village de montagne, noyé sous une pluie diluvienne et permanente. On le reçoit mal, on l'estropie même en lui jetant sur l'orteil un crâne  de mouton.

Siméon - c'est son nom- est la patience, la douceur, la résignation personnifiées. La laideur aussi, hélas.  Un bouc émissaire - expression qu'une de mes élèves , qui en ignorait le sens biblique, orthographiait  joliment: "un bouquet de misères", on ne peut mieux dire, en effet, du pauvre Siméon - "un bouc- émissaire -bouquet -de- misères" donc,  destiné à  la vindicte et à la frustration  des habitants  de ce village voué au déluge, à l'ordure et à  la pourriture.



 Toutes les brimades, les cruautés,  Siméon veut les voir comme des rituels d'intégration un peu rudes. Et sur le beau papier de luxe qui est son seul bagage, il consigne religieusement, comme autant de bonheurs,  toutes les vexations dont il est l'objet.



Du "positive thinking" avant la lettre. Le positif, c'est la beauté,  c'est l'art qui comme chacun sait, depuis Baudelaire, maquille l'affreuse nature, l'horrible réalité et les transforme en idéal. Il écrira, c'est son destin, car si Simeon n'a rien écrit jusqu'ici , à part son journal,  il se sait écrivain. Le beau papier de son havresac,  c'est à son grand oeuvre qu'il le réserve.



Ce messie de l'écriture croit que les mots peuvent sauver des maux.



Transformer en beau temps les pluies désespérantes,  combattre le gel bleu puis les tomberaux de neige qui , après la saison des pluies,  apportent la deuxième saison: un hiver rigoureux et assassin où les corps putrescents gèlent , craquent et tombent en poussière de grésil. Obtenir l'amour d'une femme. Trouver sa place parmi les hommes.



Vaste programme! Haute ambition conférée à la plume!



 Autour du futur écrivain qui l'observe grouille un petit monde qui semble tout droit échappé d'un cauchemar : Louana, un petit chaperon rouge vicelard et malicieux, au verbe  ordurier et à la curiosité en éveil, Clara, une jeune épouse fragile mais aux défenses secrètes redoutables,  Ham, la grosse aubergiste,  corsetée et bardée de fourchettes,  et surtout le  Croll,  sorte de mage guérisseur aux méthodes barbares, malicieux inventeur du pendule à desserrer le coïtus canis le plus tenace, amputeur radical de moignons infectés, grand perceur d'ulcères et videur de bubons..



Vous criez grâce ?  Mais c'était juste un petit aperçu!



Il y a ausssi la bêtise jumelle des deux pandores locaux, qui apporte sa petite touche de réalisme rassurant.



Face à cette misère machinale et sans horizon, à tous les sens du mot,  Siméon, qu'on devine échappé d'un monde pire encore , dresse le fragile discours d'une espérance utopique, confortée par l'arrivée sensationnelle de deux anges blonds, bottés et douillettement vêtus qui disent venir d'une terre -et d'un climat-de félicité et d'abondance...



Il faut partir vers ce pays de lait et de miel, ou plutôt de riz et de soleil...



Messie sans pied, sans bras, sans sexe, et bientôt sans voix, Siméon va  les y emmener pour leur perte,   non sans croiser, en sens inverse, d'autres marcheurs , leurs doubles, qui prennent  le village qu'ils fuient  pour une terre promise..



Le déluge, les anges exterminateurs, le messie, l'exode  ...la parodie est évidente.



Comme se lit aussi la parabole amère d'une histoire de l'humanité,  aussi saccageuse que misérable, prisonnière de ses rites et victime de ses rêves, douce à ceux qui commandent et dure à ceux qui n'ont rien.  Dupe des apparences et du cruel espoir.



J'ai plus d'une fois pensé au poème À chacun sa Chimère de Baudelaire...Et pas seulement par image...dans l'âpre saison du gel, chacun, s'il ne veut pas mourir de froid, porte contre lui, sous ses hardes et  contre son ventre, un animal à sang chaud...



Vous dire que c'est une lecture revigorante, qui donne la pêche....vraiment pas.



La stupéfaction, le dégoût parfois, malgré la très haute tenue de la phrase, vous met le coeur au bord des lèvres..



Mais ce mélange d'un univers baroque et d'une langue cristalline et pure, cette cruauté et soudain  cette ironie joyeuse qui claque comme un éclat de rire au milieu d'un enterrement,  cette flexibilité générique qui fait que l'oeuvre relève tour à tour du poème, de la fable, du conte, de la parabole, sans vouloir cantonner cet étrange roman à un genre précis, tout cela fait des Saisons un ovni littéraire - une Chimère, c'est vrai, tête de lion, corps de chèvre, pattes de griffon, - un objet insolite, attachant, unique.



Un livre-culte.
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Les Saisons

« Tout est vraiment pourri dans le royaume de Pourriture ! »… Mais, l'herbe est-elle vraiment plus verte ailleurs ?



Conte burlesque et fantasmagorique, fable monstrueuse et fellinienne, « Les saisons » de Maurice Pons a imprégné mon esprit et enlacé mon âme avec son ambiance totalement dantesque qui est de celles qui forgent une mémoire et l'habitent durablement.

Le grotesque côtoie le merveilleux, le burlesque se conjugue au vulgaire, l'imaginaire se pare de robes d'un noir éclatant, aux reflets gothiques, dont les bords s'effilochent en lambeaux noirissimes.

Tour à tour enchantée par la poésie du récit, puis aussitôt écoeurée tout autant que fascinée, littéralement, par des scènes d'une violence ou d'une laideur abjecte, par les odeurs et les visions de putréfaction, ahurie et amusée par son côté burlesque et drolatique, pour enfin être profondément attendrie par la pureté du personnage dans ce monde brutal et injuste, ce récit ne peut laisser insensible tant il sait, avec une réelle virtuosité, convoquer une large palette de sentiments et de sensations.



Maurice Pons par le biais de son « héros » Siméon, si tant est que nous pouvons appeler ce pauvre bouc émissaire un héros, nous convie dans un pays imaginaire dans lequel seules deux saisons coexistent, deux saisons rudes, celle des pluies et celle du gel, en dehors de nos repères habituels d'une année à douze mois. Lors de la saison du gel, le pays est bleu de glace, pétrifiant les éléments, et dure quarante mois, quarante mois sans une goutte d'eau et où « le gel est la pire des sécheresse ».

Lors de la saison des pluies, dite la saison pourrie, de quarante mois également, les pluies sont incessantes, drues, abondantes, les gouttes tombent sans discontinuer, fines le matin pour devenir grosses et grasses au fur et à mesure de la journée, transformant le territoire en un pays de boue et de moisissures. Durant la saison des pluies, les habitants n'ont pas le droit d'avoir un animal chez eux alors que durant la saison du gel les animaux constituent leur chauffage, portés à même leurs corps, quitte, même, à se les mettre dans leur culotte. Chacun se trouve une bête où il peut et comme il peut.



Nous sommes loin, très loin, de ce que le titre, bucolique, peut laisser penser, à savoir un livre sur la diversité et l'alternance des saisons et leurs beautés et plaisirs respectifs. Point de boléro, pas de printemps ici, pas d'herbe tendre, pas de petites fleurs, pas de soleil et de végétaux luxuriants…Maurice Pons nous plonge la tête dans un endroit qui ressemblerait aux pires de nos cauchemars, à l'enfer, ou disons, pour reprendre l'idée excellente de Paul le Caméléon avec j'ai lu ce livre en lecture commune, au purgatoire.



« L'hiver était venu dans la nuit. En quelques heures, comme à l'accoutumée, le pays tout entier se trouva pétrifié par le gel, balayé par un vent sec et violent qui descendait des montagnes. Entre les maisons, le chemin détrempé se trouva changé en une rivière de glace bleue vive et des glaçons, gros comme des pieux, arrachés par le vent, s'y brisaient dans un éclat de métal ».



Siméon est un exilé qui a vécu certaines atrocités dont il est fait furtivement allusion, et qui se cherche une nouvelle terre d'accueil. Bon de coeur et d'âme, patient, pur, optimiste, il est également terriblement laid avec son «teint basané, mais sale sous la barbe vieille. Il avait plus d'une paume de distance entre ses gros yeux et un nez proéminent qui lui donnait l'air triste d'un vieux bélier. Les sourcils lui mangeaient le front et le visage ».

Il arrive un matin dans ce pays sous des trombes d'eau, c'est en effet la saison des pluies.

Le peuple rencontré est rustre, alcoolique - dès la première enfance les petits suçotent des chiffons imprégnés d'alcool de lentilles - vulgaire, grossier, illettré, et chacun, plus ou moins, souffrent de tares, à en juger par la présence de boiteux, de bossus, d'unijambistes, de mongols, de manchots et de culs-de-jatte. Il faut dire que le « médecin » du coin, le mage guérisseur plutôt, dénommé le Croll, ne lésine pas sur les moyens expéditifs pour soigner ses patients. Ses méthodes barbares pour amputer, percer les ulcères, vider les poches de pus, désassembler des corps enchevêtrés et coincés l'un dans l'autre en position post-coïtus, m'ont parfois donné des haut-le-coeur, les scènes de soin s'apparentant davantage à des scènes de boucherie que de médecine.



« le Croll ronflait puissamment sur sa couche de fagots, le ventre à l'air, énorme, indifférent au manège de l'âne qu'il avait installé chez lui pour l'hiver et qui lui broutait des branchages jusque sous les pieds. La bête avait répandu des crottins dans toute la demeure ; certains fumaient encore et l'atmosphère était douillette ».



L'activité préférée de ces étranges habitants est de boire tout en se pressant et se crevant les points noirs du nez…c'est aussi d'assister publiquement à tout ce qui a trait à l'intimité des femmes, et si c'est scabreux et inhumain, c'est mieux : fécondations, dépucelages, avortements, césariennes…

Autant vous dire que l'accueil qu'ils vont réserver à Siméon, différent et plus intellectuel, sera des plus impitoyables, l'estropiant dès son arrivée, le forçant à se nourrir exclusivement de lentilles noires, le reléguant dans une pièce exigüe et sale faisant office de chambre, puis finissant par l'accepter, bon an mal an, en lui confiant notamment une tâche absurde. Siméon vit toutes ces brimades comme des rituels d'intégration un peu durs qu'ils couchent sur papier avec amour et recul, sagesse et résignation, car notre homme veut devenir écrivain. Il veut faire de toute cette boue, de l'or. Au point de se sacrifier physiquement me faisant penser au Christ. Au point de devenir comme eux.



« Je ne suis pas venu vers vous pour prendre mais pour donner et si démuni que je sois, vous ayant laissé déjà plusieurs orteils, un pied presque entier et bientôt, je le crains, une main (une nouvelle fois, sur ces mots, Siméon tendit vers ceux qui l'écoutaient la plaie sanglante de sa paume), je voudrais vous laisser, à défaut d'un livre, une sorte de monument exhaustif, qui perpétuerait mon passage parmi vous… ».



L'art comme moyen de transformer la laideur en beauté, la réalité en idéal, c'est en effet par les mots et leur agencement, mais pas seulement on le devine par la citation précédente, que Siméon veut procéder à cette transformation. Il faut dire qu'il est servi tant les situations sont ubuesques et tant les personnages sont marqués d‘un réalisme magique rendant le récit captivant : la petite Louana, mongole, est une sorte de chaperon remplie de malice et d'audace qui saura le guider et même lui sauver la vie, Clara, dont il tombe amoureux, est une maigre et frêle femme, toujours attifée d'une toute petite robe rose mais dont la fragilité cache une fine connaissance de la biologie reproductive, le Croll est une force de la nature, un guérisseur, un rebouteux aux méthodes d'une inventivité folle et terrifiante semblables à des méthodes de torture, L'aubergiste, la veuve Ham, est une femme énorme souffrant d'éléphantiasis aux moeurs douteuses, la doyenne du village une sorte de monstre fantomatique…A travers l'horreur de ses aventures, l'horreur de ses rencontres, Siméon veut atteindre la beauté, celle qui va purifier le monde. Il veut l'offrir à ce peuple qui l'a pourtant brimé…la référence biblique est évidente, d'autant plus que le Croll l'appelle « mon petit agneau » qui n'est pas sans rappeler la figure de l'agneau sacrificiel. le déluge et l'exode sont également convoqués comme une réinterprétation des grands moments bibliques.

Nombreuses références bibliques donc mais également références mythologiques ponctuent le récit telle cette Vénus sortie des eaux lorsque Clara est découverte en secret par Siméon, sortant des eaux après son bain, celui-ci en tombant alors profondément amoureux.





La force de ce livre réside dans la vision du monde proposée qui est tout simplement inoubliable, inclassable, décalée. Les thèmes soulevés, rejet de l'étranger, opprimé et bouc émissaire, rejet de la beauté dans un monde trop pragmatique et fermé à tout changement, attirance pour un ailleurs fantasmé, sont certes classiques mais cette manière de les relater avec autant de burlesque et de poésie d'une noirceur à vous couper le souffle, avec ces nombreuses références bibliques et mythologiques, rend le livre complètement unique, hypnotique, culte ! Un chef d'oeuvre !



« Je suis écrivain [...] je travaille à mains nues. Je façonne mes mots, avec des voyelles et des consonnes que j'accroche les unes aux autres, un peu à la façon du vannier. Mais avec mes petits paniers, mes corbeilles, j'essaye d'attraper la beauté ».



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Les Saisons

L'ambition est grande : à travers l'horreur de son récit Siméon veut atteindre la beauté, « une beauté qui purifiera le monde ». Et pour ce faire l'apprenti écrivain a échoué dans une vallée perdue, tantôt rincée d'une pluie diluvienne tantôt gelée d'une incommensurable froidure. Choisis par Siméon comme premiers témoins de son livre à venir les habitants pour le moins frustres de ce lieu pourri vont lui réserver un accueil plutôt hostile, dont ils savourent les raffinements tordus. Mais Siméon ne se décourage pas et à la vindicte populaire il oppose un discours intellectuel, beaucoup de hauteur d'âme, et une bien curieuse proposition...



Une fable burlesque et monstrueuse, de celles qui fascinent et dégoûtent, où pourriture et laideur du monde ont raison de toute tentative d'élévation de l'esprit. Mais pas seulement. Les saisons c'est aussi une référence au bouc émissaire biblique, au rejet de l'étranger, à la difficile place des idées et de la beauté dans un monde trop terre à terre. Par son irrésistible ironie et sa sombre poésie, c'est une vision du monde désespérée assez inoubliable.
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Chto !

http://14ruefranklin.hautetfort.com/archive/2005/10/07/maurice-pons-un-ecrivain-necessaire.html



( de Martine Layani-Le Coz et Jacques Layani)



Pons se situe là aux antipodes des recherches esthétisantes. Il demeure fidèle à son univers de merveilleux, d’étrange et de poésie. Moins noire que ses romans, cette pièce suppose pourtant, dès l’abord, l’abandon de toute raison. L’on sourit à sa lecture... jusqu’à la fin, jusqu’aux toutes dernières répliques où l’on prend conscience que le Mage, s’il a été floué comme le croient les autres personnages, est en réalité le seul à savoir ce qui va vraiment se passer. Pons use en orfèvre de la technique théâtrale.
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Les Saisons

Je ne connaissais rien de cet auteur. Rien. Je suis tombé dans cette histoire comme on tombe sur un rêve glauque, au matin, entre la fin du sommeil et l'appel de l'aube. Une vallée borgne, encaissée de roches et morte de soleil. Des habitants terrés dans des taudis de pierres, à moitié écroulés, la haine aux lèvres. Puis Siméon...l'étranger, l'empêcheur de pourrir en rond qui s'avance au milieu de ce non-lieu, de cette cicatrice purrulente.



Ce livre est une "curiosité", comme celles que l'on exposait aux 17ème et 18ème siècles dans des cabinets, derrière des vitrines, entre deux crânes hydrocéphales. A mi-chemin entre monstruosité du genre humain et farce bouffonne, ce récit écorche, déprime, dégoûte, intrigue ; comme une croûte que l'on ne se lasse pas d'arracher pour la voir à nouveau se reconstituer en une palette de formes et de couleurs inédites.



Derrière ces crachats, ces liquides séreux, ces gangrènes, c'est d'Espoir, de Différence, d'Humanité dont il est question.



Une "question", comme une "torture"...



Ne vous-y méprenez pas, c'est une oeuvre unique.
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L'oiseau bariolé

« L'oiseau bariolé » (1965) est, disons-le franchement, un livre un peu spécial. Écrit par Jerzy Kosinski, l'ouvrage - de renommée internationale – est réellement déroutant : s’agit-il d’une autobiographie romancée sur la Shoah ? d’une parabole surréaliste sur la destinée humaine ? d’un exutoire écrit par un vrai-faux témoin privilégié mais impuissant et culpabilisé par une réalité effrayante qui le dépasse ? L’ouvrage offre à mon sens plusieurs niveaux de lecture. Autre particularité : il soulève des questions d'une brulante actualité, sur la vérité, l’adoption et l’utilisation des témoignages. En effet, qu’est-ce que la vérité, considérant que la vérité historique n’est ni la vérité littéraire ni la vérité psychologique ? qu’est-ce que l’adoption sinon une position (temporairement ?) inconfortable, entre le déracinement (d’une ancienne famille) et l’enracinement (dans une nouvelle famille) ? comment éviter la récupération des vrais-faux témoignages, lesquels appliqués à la Shoah peuvent encourager le négationnisme ?



Le thème du livre ? Nous sommes en 1939, en Pologne. Un petit garçon, Juif polonais, âgé de six ans, est confié par ses parents (son père est un activiste anti-nazi) à la garde de paysans, dans un village situé à l'Est du pays (donc loin de l'Allemagne), dans le but que l'enfant ait quelque chance de survie dans un univers marqué par la montée du nazisme et les persécutions. Les parents perdent la trace de l'enfant. Celui-ci erre de village en village, fuyant une campagne hostile et violente. Pourchassé, l'enfant - qui a les yeux et les cheveux noirs, là où tout le monde est blond aux yeux bleus - évolue au milieu des hommes tel un oiseau bariolé : il tente de se fondre dans la communauté villageoise polonaise mais il est celui par qui le malheur arrive (les Juifs n’ont-ils pas assassiner le fils de Dieu ?) et il est donc condamné à être persécuté, tel un oiseau dont on peint les ailes afin qu'il soit assassiné par ses congénères qui ne le reconnaissent pas. Dans ce voyage au bout de l'enfer, l'enfant – en quête de ses semblables, semblables dont il dépend pour sa survie - ne restera en vie qu’au prix de blessures physiques et psychiques ineffaçables. L’auteur nous rapporte les troubles, les violences et les persécutions subies par l’enfant : il effectue des travaux très pénibles ; il est battu, pourchassé, humilié, témoin d'atrocités, de tortures, de meurtres et de viols ; dans chaque famille où il va, les choses tournent mal pour lui et il doit s'enfuir. Jerzy ne nous épargne rien. Ainsi, mais je n'en dirai pas plus, une jeune Juive handicapée se fait violer par un homme, un lapin est dépiauté vivant sous les yeux du petit garçon, un homme arrache l'œil d'un autre avec une petite cuillère, les petits paysans immergent l’enfant dans l’eau glacé afin de le noyer, l’enfant est jeté dans une fosse à purin, etc.



Jerzy Nikodem Kosinski, de son vrai nom Jozef Lewinkopf, est né à Lódz en Pologne en 1933, quelques mois après l'accession d'Hitler au pouvoir. Né d'une famille d'intellectuels et d'artistes Juifs, il survit à la Seconde Guerre mondiale en se cachant sous une fausse identité chez des paysans polonais dans l'Est du pays. Un prêtre catholique lui aurait délivré un faux certificat de baptême afin de le faire passer pour un vrai chrétien. Jerzy Kosinski ne retrouve ses parents qu'en 1945. Il serait resté longtemps muet jusqu'à ce qu'un accident de ski ne lui fasse recouvrer l'usage de la parole.



A ce titre, « L'oiseau bariolé » ressemble à s’y méprendre à l’histoire personnelle de Jerzy Kosinski. Alors, est-ce une autobiographie romancée sur la Shoah ? Non, d’ailleurs l'auteur déclara qu'il s'agissait d'une fiction littéraire, affirmant « Quand vous écrivez de la fiction, la partie de vous qui écrit est totalement séparée de celle qui vit votre propre vie. ». Par ailleurs, et bien que ces événements étaient, hélas, monnaie courante à cette époque, d’aucuns pensent qu’ils n'ont selon toute vraisemblance pas été personnellement vécus par Jerzy Kosinski. La preuve ? Les témoins de la Shoah sont généralement moins bavards sur les démonstrations de sadisme dont ils ont été l’objet ou dont ils ont été les témoins. De plus, sous une telle avalanche de tortures un enfant de six ans n’aurait pas survécu seul aussi longtemps, là où un adulte aurait rapidement sombré. Enfin, à l’examen, le livre ne paraît pas avoir été écrit par Jerzy Kosinski seul : il ne maitrisait pas suffisamment la langue anglaise et de longs passages du livre semblent avoir été empruntés dans des textes polonais méconnus, ce qui expliquerait certaines différences de style.



Une parabole surréaliste sur la destinée humaine ? Probablement. Pour être accepté par ses semblables, l’homme doit indiscutablement avoir des comportements similaires aux leurs. Être Juif ou bohémien dans la Pologne de cette époque c’est incontestablement être différent. Or, si l’homme a peur du changement, il a encore plus peur de la différence. Être différent, c’est à la fois visible et dérangeant ; c’est s’exposer et provoquer l’autre, parfois au péril de sa propre vie. « L'oiseau bariolé » regorge de preuves accablantes en ce domaine, l’enfant Juif n’ayant dû sa survie qu’à sa débrouillardise et à la chance. Prenant un peu de recul, on pourrait dire que la vie de tout être humain recèle une part de tragédie : il faut l’accepter et ça donne un sens à la vie, laquelle perd de sa banalité. Cette tragédie est d’autant plus acceptable qu’elle s’accompagne de petites joies, et c’est le destin de l’homme. Des joies, il y en a dans « L'oiseau bariolé » : ainsi, l’enfant Juif se prend d’affection pour le petit garçon jeté par les siens en dehors du wagon plombé qui l’emmenait vers un camp de concentration ; l’enfant Juif se lie d’amitié avec un adolescent muet mais costaud, surnommé « le Silencieux » ; l’enfant Juif découvre les premiers gestes amoureux dans les bras d’une jeune paysanne.



Comment accepter d’avoir survécu là où nombre de vos proches ont disparu, innocents réduits d’abord à l’état de squelettes vivants avant d’être broyés par la barbarie nazie ? L’histoire nous le rapporte : les fours crématoires servaient à exterminer en priorité les enfants ; venaient ensuite les handicapés, les personnes âgées et tous ceux qui étaient en grande faiblesse. Or, la protection des plus faibles est une des valeurs de notre civilisation judéo-chrétienne. Le survivant, en l’espèce Jerzy Kosinski, était un enfant à l’époque des faits : or la violence nous paraît d’autant plus grande qu’elle est exercée contre un enfant. Jerzy Kosinski ressent en tant qu’adulte sa survie comme une faute, car il n’a pas fait partie des victimes. Enfant, il était impuissant devant l’occupant, devant les barbelés, devant l’impassibilité des gouvernements occidentaux, etc.. Adulte, après la Seconde Guerre mondiale, cette impuissance et cette culpabilité le martyrisent. Écrire, c’était résister, s’opposer, cracher une partie du venin qui le rongeait, redevenir vivant et se reconstruire enfin une identité autonome. Alimenté par des éléments réels, écrit en 1965, « L'oiseau bariolé » pourrait avoir servi d’exutoire pour un vrai-faux témoin impuissant, durablement culpabilisé par une réalité effrayante et inacceptable, et malheureux de n’avoir jamais été à sa place.



« L'oiseau bariolé » est un best-seller mondial, souvent cité parmi la liste des incontournables. Poignant, atroce mais fascinant, le livre est un long et pénible monologue, sec, sale, sombre, brutal, violent et effrayant, jusqu'à l'insupportable. Le style est sobre. Les personnages sont variés (Olga, la guérisseuse, Martha, la sorcière, Lekh, le chasseur d’oiseau et les autres, sans oublier les Kalmouks et les soldats de l’Armée Rouge). Rude à supporter, l’ouvrage contient heureusement quelques éléments poétiques et fantastiques qui permettent de supporter les images de la guerre, de la barbarie et de la monstruosité humaine mise à nue. La fin du livre est une délivrance.



Destiné à un public averti.
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Les Saisons

Je vous emmène ce soir à la lisière de l'humanité, à l'endroit où un homme Siméon est entré dans le paysage de ce livre et où nous avons fait sa connaissance.

Ne vous attendez pas à une promenade de plaisir. Ici, c'est sombre, c'est glauque, c'est humide, ça pue, il fait froid. Je parle ici autant de cette vallée perdue, que du peuple égaré, confiné, sorte de damnés de la terre, que s'apprête à rencontrer Siméon.

Siméon est un homme simple, bienveillant, sans doute naïf. Il vient d'un autre pays, il est blessé au pied, harassé par le souvenir douloureux d'avoir perdu sa soeur Enina, nous le devinons, nous devinons que ce fut brutal. Il est pauvre, sa disgrâce physique est à l'inverse d'un coeur que l'on devine aimant, épris d'un espoir fou, d'un désir farouche de comprendre les êtres qu'ils s'apprêtent à rencontrer, celui de venir à eux. Il aborde cet endroit comme un éden et cela en dit long sur la nature du pays dont il vient et sur son attente aussi...

Cela en dit long aussi sur la beauté de son cœur.

Il veut écrire...

Ici les gens de ce village sont soumis aux contraintes des saisons, deux saisons seulement, seize mois d'automne pluvieux pour l'une auxquels succèdent les quarante mois de la saison d'hiver couverte du gel bleu.

Ça fait long, non ?

Siméon est poète, il arrive avec ses seules mains nues, des mains faites pour écrire, sans doute faites pour aimer aussi, je le devine.

Il veut transformer de la boue en rêve. Il veut traverser la pourriture et le froid, atteindre avec le chemin des mots la beauté ultime qui pourra sauver le monde. Il arrive avec des pages blanches, un grand bloc, des crayons, il veut écrire... Il nous donne déjà un aperçu au travers d'un journal, son récit de voyage, je l'ai parcouru, il est beau, prometteur...

Le comité d'accueil va rapidement lui donner le ton. Il va ainsi se heurter à une forme d'hostilité des habitants sans pour autant que cela le décourage le moins du monde dans son dessein.

Et nous voyons ici se dessiner toute une ribambelle de personnages aussi affreux, laids que méchants, à commencer par ces deux douaniers, faisant aussi office de gendarmes, qui exercent dans le village une parodie de l'ordre.

Un coup de pied d'un des douaniers, - le plus méchant nommé Esclados, dans la ramette des jolies feuilles encore vierges d'écrits, symbolise pour moi déjà terriblement cette furie contre les mots.

Les autres personnages sont tout aussi détestables et immondes qu'attachants, à commencer par la veuve Ham, mesquine, antipathique, obèse, qui gère le seul café - hôtel du village où échoue Siméon. « Un jambon de cinq tonnes au corset monstrueux ».

Il y a la petite Louana, lubrique et fouineuse comme un limier, impertinente et trop mûre pour son âge.

Il y aussi l'impudique Clara Dogde, dont Siméon tombe amoureux en l'admirant depuis la rue derrière sa fenêtre, elle nue, faisant sa toilette. C'est à croire qu'elle laisse les volets ouverts exprès. J'ai adoré le délire de l'écrivain sur ce hasard heureux pour lui et la manière dont il entend se servir de ce hasard : fait-t-elle sa toilette nue ainsi tous les jours ? Une fois par semaine ? Une fois par mois ? Une fois par an ?

Et puis il y a le Croll, ce personnage grandiloquent, alcoolique, attachant aussi à sa façon, pas forcément dans celle de soigner, il est autant ingénieux que généreux, ce médecin tout à la fois vétérinaire, guérisseur, aidé dans sa discipline d'un âne à la langue qu'on soupçonne autant râpeuse que vertueuse. Il tente de soigner Siméon...

Siméon, c'est l'étranger, le passeur possible, l'invisible visiteur, la douceur d'un homme qui entre dans un paysage inconnu et hostile.

Des rites de passage lui sont imposés pour qu'il soit accepté au village, conduisant à des scènes inouïes autant grotesques qu'insoutenables.

Tout au long du récit, une étrangeté nous invite, nous étreint, nous envoûte presque, nous assaille, nous écoeure, nous fascine tant qu'à faire.

Ici surgit l'étonnement à chaque page.

J'ai accompagné Siméon dans ce texte, dont le corps se gangrène au fur et à mesure que le récit avance...

J'ai aimé la noirceur, les intempéries, les étranges relations qui peuvent se lier entre les personnages.

Fable sidérante, conte baroque et horrifique, plaidoyer contre le grotesque des foules parfois abjectes, vertige à la lumière des mots... Ce texte dit tout cela.

Ode à la littérature.

Aussi.

Et surtout.

Pour tout cela, ce roman est fabuleux...

Comme il est jubilatoire de lire ce texte avec toutes les portes qu'il nous livre cinquante-sept ans après sa parution !

L'écriture de Maurice Pons est magnifique, poétique, convie à l'étrange en entrelaçant horreur et beauté avec quelque chose qui relève du don, ou de l'art de nous élever dans un texte hors du commun.

Il ne faut surtout pas voir Les Saisons comme un précepte sur l'usage insolite que l'on peut faire des grenouilles... Cependant, j'y ai appris des choses...

À la bonté innocente et vaine de Siméon, répond quelque chose qui n'est pas la barbarie mais se situe quand même à quelques encablures proches.

Siméon, venant écrire dans ce terrible paysage, tentant d'écrire, toujours empêché à chaque instant dans son geste de poser des mots, d'inventer des saisons nouvelles, de transmettre, comment faut-il s'approprier cet élan épris d'espérance et totalement désespéré ?

Je pose ces mots ce soir tranquillement, absorbant en moi les pluies et le gel qui viennent dans les pages.

Je ne regarderai plus jamais une grenouille de la même manière, ni peut-être même un chat ou une vache... J'aurai comme un arrière-goût étrange qui me remontera de la glotte devant un plat de lentilles...

« Chez nous, les grenouilles, elles servent à autre chose. C'est pour les femmes… À cause des enfants, tu comprends. Les maris ne le savent jamais ! Et pourtant, ça les chatouille, là-dedans ! »

Bon, je vous laisse, je vais à la pêche à la grenouille, je connais des endroits où les trouver...

Merci Chrystèle, Sandrine, Paul pour m'avoir guidé vers ce roman qui est un véritable coup de coeur.

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Rosa

« Rosa », on ne peut plus simple comme titre. Ou comme second titre devrait-on dire.

Imaginez-vous chez le libraire, lui demander la « Chronique fidèle des événements survenus au siècle dernier dans la Principauté de Wasquelham comprenant des révélations sur l'étrange pouvoir d'une certaine Rosa qui faisait à son insu le bonheur des plus malheureux des hommes » (ouf).

Et pourtant ça a bel et bien été le premier titre de cette chronique initialement parue dans « les temps modernes » puis publiée sous forme de roman en 1967, tirage de luxe de 1 à 15, avec une jaquette typographique à rallonge à la mode XVIII éme. Mais de succès en éditions successives, le livre finira par devenir plus simplement Rosa, raconte Maurice Pons dans ses « souvenirs littéraires ».



Rosa donc, personnage ventral, matrone d'estaminet, matrice de bonheurs militaires, à la psychologie plutôt simpliste même si elle ne couche jamais au grand jamais qu'avec des militaires, «Rosa ouvre ses cuisses et le miracle s'accomplit : les derniers des hommes entrent à genoux dans un temple de paix et de joie, voués à tous les délices, à jamais préservés.». 17 au total ont disparu (ou déserté), en un temps si court que le Colonel-Comte de Feldspath ne peut passer sous silence ce phénomène. De faramineuses équations mathématiques certes imparables mèneront vite l'enquête vers la patronne d'auberge.



Satire de récit historique aux tonalités anti-militaristes ou « chronique militarico-métaphysique » selon Maurice Pons lui-même, peu importe, l'essentiel est qu'on se marre bien. Le dénouement touche au fantastique, voire à l'élucubration, mais cela reste connoté de sens, avec une couleur métaphysique. J'y ai encore ressenti son besoin d'aller titiller le derrière du réel. Et même si les traits de ce roman m'ont paru un peu moins finauds que dans les autres lus de lui, j'ai une fois de plus bien adhéré, et beaucoup aimé.
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Mademoiselle B.

Mademoiselle B., créature mystérieuse à l'ascendance indéterminée, nimbée de blanc jusqu'au bout des gants, n'en finit pas de faire jaser dans le village de Jouffe, au bord de la Flanne. Et pour cause, on retrouve quantités d'hommes suicidés qui auraient eu le malheur de l'approcher. Maurice Pons se met en scène dans ce roman à l'allure fantastique, en endossant la panoplie de curieux, pour ne pas dire d'enquêteur. Mais il mêle aussi dans son récit ses préoccupations d'écrivain, en panne d'inspiration dans sa demeure isolée au bord de la Flanne. Les deux flux narratifs de ce roman de 73 serpentent en osmose, l'un bien ancré dans la réalité, l'autre aux confins de la vie. C'est peut-être un de ses tours de force, je n'ai pas eu l'impression de lire un roman fantastique ou un conte extraordinaire, juste un récit, celui d'un écrivain chercheur de mystère. Et dès les premières lignes j'ai basculé. Ses descriptions morbides m'ont glacé, sa réalité m'a envoûté. le mystère se fond dans le journalier, le glauque et le morbide y côtoient le léger, le ténébreux devient banalité. Maurice Pons (écrivain ou personnage) semble se muer en représentant de l'inaccessible, il y transgresse le réel dans une narration impeccable. Un regard porté sur la frontière d'un au-delà à faire frissonner l'épiderme.



Je suis subjugué par cet écrivain. Je sais pas ce qui me permettrait de dire que c'est un grand auteur, si ce n'est une chose constante à ses lectures, je suis embarqué sans relâche dans son univers. Un auteur injustement méconnu apparemment, et à lire les avis à droite à gauche je me sens rassuré, bon ça va je ne suis pas seul à le voir en grand. Pourquoi un Gary de la même époque remporte tous les suffrages, pourquoi un Maurice Pons est méconnu ? L'écrivain du mystère encore, apparemment discret de son vivant, trop éloigné des stratégies marketing sans doute.
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Les Saisons

Comment aborder un livre estampillé "culte" avec un regard virginal ? Difficle ... On craint que la réputation de chef-d'oeuvre ne soit surfaite et on redoute pareillement de n'avoir pas la sensibilité, la perméabilité requises pour apprécier ce joyau ... Autrement dit, le livre sera-t-il à la hauteur et réciproquement, sera-t-on, soi-même à la hauteur ?



Quand, au mépris de toutes ces appréhensions, on se lance, voilà ce qu'on trouve : soit un homme, Siméon, disgracié, remarquable tant par sa visible pauvreté que par sa repoussante laideur physique, qui arrive un beau jour dans un bourg. Et quel bourg ! C'est en qualité d'étranger que Siméon y fait son entrée, il est immédiatement distingué, épinglé car nul jamais ne s'aventure là où il a résolu d'élire domicile. Ce bourg est un bouge, une bauge, la population consiste en une espèce de cour des miracles car, quand les habitants ne sont pas manifestement estropiés, diversement mutilés, ils présentent tous une tare quelconque, c'est un peuple de damnés, un ramassis de dégénérés. Ils vivent confinés dans ce village soumis aux rigueurs d'un climat inhumain. "Les saisons" du titre qui laisse augurer la riante ronde du temps et de plaisantes descriptions bucoliques consistent en une alternative : quarante mois de pluie auxquels succèdent quarante mois de gel. Mais Siméon est convaincu d'avoir trouvé un hâvre et il n'est pas loin de se réputer locataire d'un nouvel éden car il est un survivant, un rescapé de l'enfer : là d'où il vient, il vivait encagé et persécuté, en butte aux pires sévices et aux brûlures d'un soleil implacable, aussi la pluie lui apparaît-elle comme une bénédiction. Il s'intitule, se proclame écrivain bien qu'il n'ait, à ce jour, pas écrit une seule ligne mais il est fermement déterminé à rédiger, dans son lieu d'élection, un chef-d'oeuvre immortel en puisant dans les souvenirs cuisants de ses souffrances passées.



Mais les villageois ne l'entendent pas ainsi. Ils accablent Siméon d'un mépris et d'une indifférence unanimes. Ils le soumettent à des rites de passage qui consistent d'abord à s'accommoder de conditions de vie pour le moins rudimentaires : il lui faut consentir à se nourrir du seul carburant existant dans ce pays, à savoir la lentille déclinée sous de multiples formes (soupe, beignets, alcool ...) et par ailleurs il lui échoit, en guise de gîte, une espèce de soupente obscure et insalubre. Il subit donc, dès l'abord, une relégation.



Par la suite, les villageois, réunis en conseil, votent l'intégration, l'adoubement de Siméon au motif qu'il est un savant et qu'il pourra, de ce fait, leur être utile. Mais, en contrepartie, l'étranger doit payer de sa personne et, en tant qu'intellectuel, il est affecté au relevé du pluviomètre, tâche qui, le requérant deux fois par jour, l'obligeant à parcoirir de longues et harassantes distances, le prive du temps et du recueillement nécessaires à l'écriture.



En outre le froid, la pluie incessante, les conditions de vie déplorables endommagent chaque jour davantage le corps de l'impétrant. Il est arrivé blessé au pied et sa blessure s'infecte au point qu'il faut avoir recours à l'amputation. Siméon endure toutes sortes de brimades et de persécutions et cependant sa détermination reste entière : il veut mener à bien son projet initial, il veut ne pas faire mentir l'instinct qui lui a fait élire ce lieu comme creuset de sa rédemption.



On trouve toutefois, dans ce choeur dantesque, des personnages qui, bien qu'affectés du même coefficient de férocité que les autres, présentent des caractéristiques attachantes. Il y a d'abord la veuve Ham, tenancière de l'unique bistrot du bourg (lequel consiste en un infâme tripot), affligée d'obésité et d'éléphantiasis. Si elle n'est pas moins fruste et hargneuse que ses congénères, il lui arrive néanmoins d'avoir envers Siméon des accès d'humanité. Il y a aussi Louana, gamine effrontée, futée et affûtée, dotée d'un étrange visage mongol et d'une langue bien pendue. Elle asticote Siméon, l'injurie copieusement mais elle semble lui vouer une secrète tendresse puisqu'il arrive qu'elle le tire d'embarras et elle ira même, en période de grand froid, jusqu'à lui sauver la vie. Et puis il y a le Croll, colosse débonnaire et truculent, plus proche de l'animal mythologique que de l'humain qui fait office de thaumaturge et dont les traitements sommaires n'en sont pas moins radicaux. Lui aussi se prend d'affection pour Siméon qu'il rebaptise d'emblée "Mon petit agneau" (suave appellation qui ne manque pas de faire courir un frison d'épouvante sur l'échine du lecteur auquel s'impose la figue de l'agneau sacrificiel) et qu'il soigne avec des méthodes plus proches de la boucherie que de l'homéopathie. Enfin, il y a Clara la maigre, frêle jeune femme invariablement vêtue d'une impondérable robe rose et dont Siméon tombera éperdument amoureux pour l'avoir surprise nue, se livrant à ses ablutions en plein air. Cette svelte apparition inspirera à l'écrivain auto-proclamé quelques pages exaltés avant qu'il ne soit plus du tout en mesure d'écrire.



En effet, l'action conjuguée des intempéries, des repas aux propriétés nutritives quasi nulles et des avanies que font pleuvoir sur lui les villageois réduiront Siméon à un état infra-humain. Marqué et mutilé autant que les autres, il ne fera pour autant jamais partie d'eux car son étrangeté demeure et elle est insoluble. Siméon gravira tous les degrés de l'horreur jusqu'à l'ultime épisode en forme de sacrifice expiatoire, de catharsis collective girardienne en diable.



C'est noirissime et cependant la langue savoureuse ainsi que l'ironie qui innerve presque chaque phrase font souffler un vent le légèreté qui tempèrent le tragique ce qu'on pourra regretter et considérer comme un manquement à la radicalité ...



C'est à la fois un conte baroque absolument horrifique, une fugue en lisière du fantastique, une fable mythologique, une parabole aux accents bibliques ... Les ressources de ce texte sont à peu près inépuisables, c'est une Babel inversée, il parle à chacun tout en étant d'une singularité irréductible. Et non, le statut de livre-culte n'est pas usurpé.

HYPNOTIQUE !
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Le passager de la nuit

Le décor est planté dès les premières phrases : "Le soir tombait. Nous roulions en silence. Sur la route devenue large et lisse, les lignes jaunes, tout au long des courbes, traçaient leur message en morse rapide. Au dessus de la voiture ouverte, les arbres glissaient dans l'eau du ciel comme les algues d'un grand fleuve".

Roman rapide, sous forme de road-movie qui défile au travers de paysages routiers d'une France majestueuse, même s'il s'agit là d'une France tourmentée pendant la guerre d'Algérie, où une mystérieuse Bernadette confie un non moins mystérieux voyageur au narrateur, pilote d'une décapotable sportive. Les pistons s'arrachent, le bruit du moteur couvre celui de la guerre clandestine des réseaux. L'histoire se construit dans les pointillés, les non-dits entre le pilote et le passager taciturne, et dans les courbes de l'asphalte. Silence on s'organise, le réseau opère.

Mais un troisième larron, le lecteur, peut vite s'embarquer dans l'aventure, témoin d'une ambiance cinématographique, addictive et envoûtante. Un court récit, rapide et incisif comme la décapotable, magnifique de mystère bitumé. 

Un roman écrit en 1959, réédité chez "Signatures". A lire et à conseiller à mon avis, dans le grand réseau des lecteurs cette fois.

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Les Saisons

« Les Saisons » est à la fois, un conte macabre, un roman d'apprentissage, une fable philosophique au réalisme magique.



C'est un univers singulier et impénétrable que nous propose Maurice Pons, un univers un peu cauchemardesque, brut, primitif, soumis à l'alternance de deux saisons qui ne semblent jamais s'achever : après une saison automnale de pluies continues et drues, survient brusquement un hiver saisissant, impitoyable, cruel, qui immortalise le pays dans un manteau de glace pour de très longs mois.

L'auteur nous transporte littéralement dans ce décor aux teintes monochromes. Je me suis demandée si le pays décrit par Maurice Pons était totalement imaginaire ou s'il s'ancrait en partie dans la réalité.



Malgré tout, cette immersion dans ce monde rural n'est pas sans rappeler la rigueur hivernale de Bruegel l'Ancien ou les visions infernales et cauchemardesques de Jérôme Bosch.



*

C'est avec une écriture fine, soutenue, très belle, que Maurice Pons nous raconte l'histoire de Siméon, un jeune homme au passé sombre que l'auteur ne développera pas.

Lorsqu'il arrive dans un petit village reculé, perdu en pleine montagne, il espère être accueilli, recueilli. Il aspire à trouver un refuge, un havre de paix pour reprendre pied et écrire un roman magnifique et poignant, racontant le monde abject qu'il a fui.



« Je vais ici pouvoir écrire, écrire, écrire. Je vais vider mon coeur de tout son pus. Il ne m'arrivera rien, j'en ai la conviction. Et pourtant, hier encore, j'ai été traversé par une image : lorsque ce crâne de mouton m'est tombé dans les pieds, je l'ai vu soudain multiplié par mille fois lui-même, j'ai revu l'amoncellement des charniers que je ne veux plus voir, et le sourire des dents humaines ; j'ai senti à nouveau la brûlure de l'enfer. »



*

Plongé au coeur de ce village soit inondé et embourbé, soit gelé, le lecteur suit les aventures de ce jeune homme égaré dans un monde qui n'est pas fait pour lui.

En effet, les villageois se sont acclimatés à la rudesse de la vie et des saisons, devenant des êtres farouches, revêches, intransigeants, peu enclins à accepter un étranger parmi eux. Décrits sous une apparence estropiée, abrutie, arriérée, dépravée, ce sont des ivrognes, des montagnards simples, abêtis et rustres dont les moeurs et les usages semblent impénétrables.



« Chez nous, les grenouilles, elles servent à autre chose. C'est pour les femmes... A cause des enfants, tu comprends. Les maris ne le savent jamais ! Et pourtant, ça les chatouille, là-dedans ! »



Seul, Siméon ne paraît pas armé pour survivre dans ce monde étrange, codifié et inhospitalier. Il le subit avec résignation, perplexité et fatalisme. Et même si parfois, le jeune écrivain fait preuve d'arrogance de par son instruction, la plupart du temps, ses mésaventures, sa souffrance, son attitude empathique, imperturbable et candide font que le lecteur s'attache à lui.



*

Je ne peux parler de ce roman sans aborder l'écriture de Maurice Pons ! Je l'ai adorée. Quel talent pour entremêler si habilement la beauté et l'horreur !

Le style est superbe, alliant un langage soutenu et une crasse abjecte, indécente. L'écriture ici, y est crue, osée, violente, écoeurante, abjecte. Elle contribue à rendre l'atmosphère sombre, crasseuse, empâtée, pourrie, absurde, mais cette puissance narrative est contrebalancée par une touche de comique, de burlesque, de cynisme qui allège en partie l'intensité et la noirceur des pages.



J'ai vraiment aimé l'atmosphère de ce pays, glauque, nauséabonde, voire même nauséeuse.

Le récit est aussi hideux qu'addictif. Et vous trouverez peut-être étonnant vu l'atmosphère que je vous ai décrite, mais quelques situations cocasses n'ont pas manqué de me faire rire plus d'une fois.



*

Ce roman constitue une belle base de réflexion sur des problématiques liées à la xénophobie, à l'oppression, à la difficulté de se reconstruire après les drames. Dans toute cette noirceur, Siméon est porteur d'espoir et de résilience.



« Quand un monde est inhabitable, on le change, ou on en change. »



*

Pour conclure, « Les saisons » est un roman singulier, surprenant qui frappe par son ambiance sinistre, répugnante, menaçante. Il ne peut que laisser une empreinte durable au milieu de toutes nos lectures.

Un coup de coeur.



***

Merci Chrystèle et Paul pour m'avoir guidée vers ce roman, vous commencez à bien connaître mes goûts et vous n'avez pas eu tort, je ressors enchantée de ce moment de lecture !

Une très belle découverte.

***
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Les Saisons

C'est dans un village à la lisière de l'humanité que nous plonge ce roman. Grouillant de créatures crasses, difformes et ricanantes, aux moeurs décapantes. Humaines pourtant. Quand Siméon débarque dans l'auberge, c'est pour y découvrir une tenancière hilare, à califourchon sur un douanier agrippé à ses fesses, hilare également de se faire pressurer le nez pour en faire gicler le pus. Un temps d'avant le Biactol, ou d'après, un temps à ne pas mettre un troll dehors. On est dans le 16ème mois de la saison dite pourrie, la pluie incessante y défie le temps des saisons avant les 40 mois d'hiver à venir, où les animaux seront réquisitionnés pour servir de fourrure vivante. Un monde qui défie notre entendement. Seul Siméon l'écrivain semblerait venir de notre planète, bien qu'il soit heureux de débarquer là-dedans. Mais il faut dire qu'il fuit une cage en plein désert ensoleillé, alors la pluie lancinante elle tombe bien, il en a rêvé...

Ce roman aux allures de conte cruel ou fable moderne, publié en 1965, est présenté comme culte. Mystérieux et insaisissable, il est d'autant plus propice aux interprétations que son univers proche du notre est en décalage permanent. Un roman savonnette, à l'exégèse sous forme de kaléidoscope. Il parait plus sûr de parler des intentions de l'auteur, lesquelles transparaissent à travers les propos de Siméon l'écrivain (l'étranger, sorte de personnage témoin et observateur, avec son journal de bord), quand il se présente au conseil du village : «Ce que je dois écrire n'est pas beau en soi. Je puis bien vous l'avouer, ce sont des horreurs que je dois décrire, des horreurs et des souffrances surhumaines – comme par exemple la mort de ma soeur Enina- et c'est à travers cette horreur que je dois atteindre la beauté, une beauté qui purifiera le monde, qui en fera sortir le pus, mot à mot, goutte à goutte, comme d'une burette à huile. Après quoi le monde sera meilleur, et vous-mêmes serez meilleurs dans un monde plus heureux. Voilà quelle est ma science ». Si telle était aussi l'intention de Maurice Pons, le pari est réussi. Oui son (im-)monde devient beau. Sous une écriture incisive et élégante, qui rend la vision d'autant plus trouble et mystérieuse que le sujet est laid.

Un roman étonnant, à découvrir bien sûr. Et un auteur fascinant de ce que j'en ai lu, « Le passager de la nuit » lui aussi est magnifique de mystère.
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Les Saisons

Relecture de ce roman noir c'est noir... il n'y a plus d'espoir.

C'est une oeuvre cathartique, en ce sens que je la convoque à mon secours lorsque la vie pèse d'un fardeau dont mes épaules voudraient se défaire sans le pouvoir, et lorsque Siméon ( le personnage central ) pénètre dans le trou du cul de l'enfer, je me dis qu'après tout j'en ai connu bien d'autres dans ma vie et que toute la pluie qui tombe sur moi ne durera pas seize mois et ne cèdera pas sa place à quarante mois d'un froid et d'un gel d'outre- tombe.

Et je commence à me réchauffer, croyant... pauvre fou, qu'il ne peut exister dans les limbes de l'univers... qu'un seul Siméon.

Siméon, c'est un jeune homme qui débarque un jour de pluie dans un endroit lugubre qu'on appelle " la vallée ".

"Il arriva par le sentier de la cluse, vers le seizième mois de l'automne."

Il franchit "la porte maudite"... j'extrapole... au-dessus de laquelle auraient pu être écrites en caractères noirs ces quelques lettres :

"Toi qui entres ici abandonne toute espérance."

Mais c'est le contraire, même dans ce petit bourg abandonné du diable, où les cinq sens humains ne sont nourris que de laideur, de puanteur, de douleur, Siméon qui arrive d'un passé de deuils et de traumas, croit trouver en ce lieu, la paix qu'il quête depuis toujours.

Lui qui vient du désert qui assèche les coeurs et les corps, d'un soleil qui ne concède jamais la moindre goutte de pluie à la terre et à ceux qui la peuplent, cette vallée n'est pas celle des larmes mais d'une eau purificatrice et nourricière ; le puits où se cachait la vérité qu'il recherchait.

C'est pourquoi, c'est d'un oeil naïf et "virginal" qu'il voit cette vallée.

Et si tout n'est pas parfait, lui l'homme de lettres, "le savant", "l'écrivain" va en écrivant un livre, dont l'auteur nous livre quelques rares extraits, offrir un avenir meilleur à ces miséreux, ces oubliés.

C'est du moins ce que, dans sa bonté innocente, il se persuade.

« On vous a dit, je crois, que je suis écrivain et, à ce titre, j'ai droit à vos égards, car comme vous tous, je travaille à mains nues. Je façonne mes mots, avec des voyelles et des consonnes que j'accroche les unes aux autres, un peu à la façon du vannier. Mais avec mes petits paniers, mes corbeilles, j'essaye d'attraper la beauté. »

Ces "gueux" sans instruction, ces animaux-humains, qui ne produisent que des lentilles dont ils fabriquent un alcool... le seul remontant qu'ils possèdent pour s'extirper de leur trou, sont les naufragés d'une terre noyée sous un déluge de 16 mois et d'une mer de glace de quarante mois.

Ils ne vivent pas, ils survivent.

Ils ressemblent à leurs ancêtres du haut Moyen Âge... ou venant de plus loin encore dans les dédales capricieux du temps.

Ils sont laids, crasseux, "cassés" comme on le chante aujourd'hui.

Le prix de leur survie leur coûte cher : le coût d'un bras, d'une jambe, d'un oeil pour la plupart d'entre eux.

Ils ont peu d'animaux.

Les seuls qu'ils possèdent sont malingres, rachitiques ou malades.

C'est au milieu de ce décor que Maurice Pons fait vivre une galerie de personnages plus pittoresques les uns que les autres.

Il y a "l'aubergiste", une femme de cent trente kilos qu'on appelle " la veuve Ham "... "un jambon de cinq tonnes au corset monstrueux".

Deux douaniers-gendarmes assurent les affaires courantes.

Le chef est bête et borné, son adjoint stupide et sadique porte le sobriquet "d'escladoss"... prononcez-le d'une certaine façon et vous comprendrez pourquoi sa manie, son plaisir est d'écraser sous ses pieds tout ce qui se trouve à leur portée.

Il y a le "Croll", un géant alcoolique plus ou moins forgeron, qui vit avec un âne.

Le Croll fait office de médecin, de rebouteux, de vétérinaire, de sage-femme...

Il y a Clara Dodge, une jeune femme maigre qu'un soir Siméon aperçoit nue chez elle faisant sa toilette et dont il s'éprend aussitôt.

Et pour cause !

« Jamais je n'oserai l'avouer à quiconque : les seules femmes que j'aie jamais vues entièrement nues étaient mortes. C'étaient les cadavres décharnés que les prêtres tiraient par les pieds hors du camp et faisaient jeter dans les fosses. Qu'on me comprenne. Par les barreaux de la cage, affamé, desséché, sonné par la brûlure incessante de ce soleil-enfer, je regardais passer ces blancs corps de femmes, meurtris, souillés, morts, avec leurs mamelles pendantes, avec leur toison grêle au ventre, comme un gazon noir obstiné à pousser dans ce désert… Quand elles passaient devant moi, elles faisaient s'élever une poussière de sable blanc asphyxiante. Les quintes de toux me reprenaient, me vidant jusqu'aux entrailles. Mais je voulais voir, je me meurtrissais le visage aux grillages brûlants, je voulais voir, pour ne jamais oublier, pour pouvoir dire un jour — et je le dirai… »

Le village a un Conseil... avec des règles... eh oui ! ... un ersatz de trône-tribune et un "ancêtre référant"... le buste sculpté d'un amiral, dont personne ne sait comment il est arrivé là... mais que tous respectent et "vénèrent".

C'est convoqué par ce Conseil que Siméon va se faire connaître, et qu'impressionnés par son savoir, les villageois vont lui confier la charge du pluviomètre...

Je vous laisse découvrir le reste de l'oeuvre, mais d'ores det déjà le décor est planté.

En tous les cas, vous avez une petite idée de qui est qui.

En faisant référence à Dante, vous avez compris que nul espoir n'est permis et que l'illusion se paye au prix fort... celui de la vie.

Pourquoi ce livre est-il fascinant outre le fait qu'il est écrit par une plume brûlante de talent et d'un imaginaire absolument génial ?

Je crois que c'est parce qu'il surprend, séduit, interroge en laissant au lecteur le choix de ses réponses, qu'il ne concède rien à une vie dont on sait que l'enfant que nous sommes "hier encore chérubin chez les anges... par le ver du linceul est d'emblée piqué sous ses langes".

J'appartiens à cette confrérie qui place cette oeuvre très haut dans le domaine de la création littéraire... une place inclassable mais qu'on peut difficilement lui contester.

Il faut lire ce livre et consentir " à suivre le sentier qui ne mène qu'au coeur ensanglanté de nous-même, source et sépulcre du chef-d'oeuvre."

Ce livre nous dit tout de la vie.

Libre à chacun de le croire ou de s'entêter à continuer de s'agripper à la bouée dégonflée de l'illusoire.

Je laisse les derniers mots à l'auteur.

“Adieu ! Je vous laisse tout : les tapis, le trésor. Car, avec rien, je suis plus riche que vous tous. Lorsque vous saurez que vous ne savez rien, alors vous commencerez à savoir...”

(Maurice Pons)

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Les Saisons

LE FEU AU CULTE



Faisons vite, pour une fois : Les critiques de Wellibus2 et de Charybde7 sont juste parfaites, à qui aime les longues et belles critiques longuement et intelligemment détaillées.



Qu'ajouter, sans trop faire redite ?



Que ce roman, véritable ovni littéraire dans le ciel romanesque français de la seconde moitié du XXème siècle n'en fini pas d'interroger. Cela commence -

presque - comme un roman de Jean Giono, avec un étranger débarquant en terre mystérieuse et inconnue ; cela se poursuit sur une ligne dangereusement captivante entre une nouvelle de Dino Buzzati et un roman de Franz Kafka, l'ensemble sur fond - très faussement - d'un roman de terroir rédigé par un Claude Seignolle qui aurait poursuivit sans rien en dire les expériences d'Henri Michaux avec sa mescaline ; ajoutez une pointe d'Alfred Jarry, quelques soupçons de Eugène Ionesco ainsi qu'une peinture sociale souvent plus sombre que le plus sombre des Georges Simenon ; quelques sortilèges de l’absurde camusien et alors, vous aurez un début de commencement d'idée de ce que vous pourrez trouver à la lecture du roman de Maurice Pons, Les Saisons... Pourtant, toutes les références ou les tentatives de subrogation de cette oeuvre orpheline à d'autres textes et auteurs connus ne parviendront jamais exactement à rendre l'essentiel : que ce texte est assurément, définitivement, délibérément à part, singulier, étrange, fascinant.



Lequel, en outre, n'en fini pas de poser des questions : Sur l'acte d'écrire (ou de ne pas y parvenir), sur celui de ce dire écrivain (peut-on être écrivain sans oeuvre ?), sur la subsistance dans un milieu que l'on pourrait qualifier d'étrange, celle d'être l'étranger ; il se demande comment et pourquoi faire société, y compris par les biais les plus démesurément obscènes, morgues, misérables, abjectes, dans des conditions d'existence qui défient, souvent, l'entendement ; il interroge la faculté des êtres à se transcender, parfois pour rien ; il questionne sur ce que peut être la force d'amour, et sa vanité, peut-être. Il se pose la question des souvenirs, de l'histoire, de l'inexorable...

Et nous sommes bien loin du compte !



Roman aux entrées véritablement inépuisables, roman à ne pas lire qu'une seule fois, vraiment, roman beau aussi, parce qu'écrit avec une plume enchanteresse, toujours exacte dans ce qu'elle décrit, y compris si c'est souvent à la porte même de la folie ou de l'horreur ou d'un certain fantastique, d'une sorte de réalisme magique, une écriture pleine d'un charme vicieux - y compris pour y raconter les plaies et les bosses, des agapes furibondes, des scènes parcimonieusement apocalyptiques mais d'une force incommensurable ou bien du temps (qu'il fait) également bornés de pluie ou de glace mais sans le moindre instant de lassitude pour le lecteur.



Un livre pour lequel le qualificatif de "Culte" n'est, reconnaissons-le, pas usurpé et qui, plusieurs mois après sa première découverte sur les conseils avisés d'amis, ne cesse de poursuivre votre humble chroniqueur de tous ses maléfices ! A relire, donc ! A relire !
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L'oiseau bariolé

Ce livre a été sujet de multiples polémiques,et dans la vieille édition que j'ai retrouvée,rescapée de moult déménagements et incendie,Jerzy Kosinski s'en explique...à vous de lire,de croire,d'être dubitatif...

Quant à la lecture de ce chef-d'oeuvre,elle est un véritable chemin de croix,je pensais le savoir par coeur,ce bouquin,mais ce coeur a été labouré,étranglé,supplicié une fois de plus...bariolé tels les oiseaux envoyés au soufre et à l'atrocité,croisés sur quelques pages de ce livre.

Un jeune polonais a été confié à une nourrice ,au début de la seconde guerre mondiale,par des parents souhaitant lui en éviter les tourments.Làs,làs!!!Avec ses cheveux noirs et ses yeux bruns,il est désigné de suite comme juif,"bohémien",et sitôt sa première nourrice morte,il entame un horrible chemin...plus petit que la moyenne,ne parlant pas le patois des villages polonais qu'il traverse.Victime de croyances villageoises,il est battu,exploité,torturé,et témoin de multiples exactions ,il évite la mort moult fois,soit pendu au-dessus d'un chien que l'on a dressé contre lui,des heures et des heures,et ce pendant des jours et des jours;soit noyé dans une fosse à purin,soit jeté dans un trou dans la glace par une troupe de gamins,et de façon constante en état d'angoisse de mort, flagellé,affamé,victime de sévices,esclave dans les champs,sauvé parce que les villageois pensent que ,s'il a pu compter leurs dents,leur vie en sera raccourcie d'autant d'années...Il est livré aux allemands,et celui qui doit l'exécuter le laisse s'enfuir;lui,qui en a tant vu,n'y croit pas,pense qu'il va être fusillé dans le dos,le soldat doit s'allonger,jeter son fusil au loin après en avoir ôté les cartouches...j'avais oublié qu'après des supplices terribles,un autre survenait,puis un autre,puis un autre encore..Un enfant juif jeté d'un wagon,mis à mort pour être dépouillé de ses habits,le sort de ces jeunes femmes,les kalmouks de l'armée allemande qui pillent,tuent,violent,avant d'être à leur tour pendus par les pieds ,car les troupes soviétiques sont arrivées...et j'occulte tant et tant,il faut bien laisser le lecteur découvrir...La scène d'une lapine à moitié dépiautée par notre enfant,qui arrive à s'enfuir pour peu de temps,les femmes amenées au bouc ou au cheval,ou au frère,au père,au village...Aucun répit dans cette vie en Enfer,et ce petit qui pense d'abord devoir être blond aux yeux bleus,pour en réchapper,puis qui pense que plus les gens font le Mal,plus ils sont couverts dans leur vie sur terre...A un moment,il devient muet...normal,non?

Il n'y a pas de texte à masquer,car le pire,je ne vous le livre pas...

L'enfant finit par être recueilli par l'armée soviétique.Non,il ne meurt pas ,pas physiquement...et je ne parle pas de la toute fin...

En préambule,l'auteur se défend d'avoir écrit une autobiographie,(la Pologne a fait interdire ce livre des dizaines d'années),je pense qu'en effet,il a cumulé des faits réels arrivés à beaucoup d'enfants en cette période(longue,si longue,j'en frissonne),et que de plus les traumatismes ont été plus qu'abominables pour ceux récupérés de ces campagnes polonaises,selon lui,mais qui le sait vraiment?

C'est seulement à présent que je comprends pourquoi ce livre était interdit dans mon lycée,mais je l'ai lu,bien sûr ,à cette épique époque des années 70...et relu parfois,mais,là,ouahhh!

Cette écriture serrée et froide nous submerge cependant d'une émotion qui m'a tant envahie ,au point que je n'osais plus ouvrir "L'oiseau bariolé"ces derniers jours,sauf à pouvoir le finir pour changer radicalement de lecture.

Et c'est quoi,l'oiseau bariolé?A vous de lire l'histoire de Leikh ,un des personnages du livre, qui bariolait les oiseaux... au destin de sang et de boue..

Et lisez la chronique de Zébra,qui vous éclairera de façon un peu différente!
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L'oiseau bariolé

Même s’il fut un best-seller (adoubé par les plus grands tels Elie Wissel ou Arthur Miller), voilà sans aucun doute le roman le plus contesté de Jerzy Kosinski, romancier aux mille visages, provocateur, flamboyant, fantasque, obsédé sexuel, obscur, accusé de plagiat, d’avoir recours à des nègres, habitué de pitreries à la télévision et à la radio, et finalement mort suicidé à New York en 1991 à l’âge de 58 ans. Une vie hallucinante et un homme «« affreusement charmant, d’une cupidité folle et totalement désintéressé, très malin et d’une bêtise achevée »,dira de lui Janusz Glowacki, écrivain polonais dans son livre « Good night Djerzi « . D’ailleurs évoquant sa jeunesse et son adolescence en Pologne, J. Kosinski dira lui-même :« Au lieu d’écrire de la fiction, je m’imaginais moi-même comme un personnage de fiction»

« L’oiseau bariolé » est un récit écrit à la première personne qui se veut autobiographique. Il décrit le monde vu par un jeune garçon, gitan ou juif qui erre dans un pays d'Europe centrale ou orientale durant la Seconde Guerre mondiale et apprend à survivre dans un monde d’où toute référence humaniste a disparu. Nous sommes confrontés à des scènes atroces remplies de violence et de cruauté, de tortures aussi bien morales que physiques. Tout cela dans un style assez monotone, voire sec, comme si cela était inéluctable, presque « normal ».

En résumé une histoire plutôt horrible. Sauf que cette histoire qui se veut autobiographique serait largement inspirée d’un roman polonais paru dans les années « trente »…..

En fait, un livre inséparable de son auteur, à sa démesure, et qu’il convient sans doute d’aborder sous cet angle là.

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Mademoiselle B.

Si Les saisons est considéré comme le chef d’œuvre de Maurice Pons (et je n’oserai dire le contraire), il gravite autour de ce livre une quantité d’autres comme autant d’étoiles dans la tapisserie du ciel Pons. Mademoiselle B. est l’une de ces étoiles, une un peu noire, un peu étrange, qui lance un rayon d’attraction et laisse sur le carreau, terrassé.

Mademoiselle B. lie mystère, fantastique, fantasmes et violence, et fait passer le lecteur par toutes les émotions possibles. On rit souvent, de certaines situations que Pons tourne et détourne pour nous prendre au dépourvu, d’anecdotes qui pointillent le roman, pour mieux passer d’un coup à une scène glauque, angoissante, mystérieuse. Car Pons, on le sait notamment grâce aux Saisons, excelle dans la description de la mort, de blessures et de la déchéance. Et la vampire de Jouff laisse sur sa piste son lot de cadavres, accrochés à la plus haute branche d’un arbre en lisière de forêt ou repêchés de la rivière, bleus, gonflés et mordillés par les poissons, ainsi qu’un fumet de sexe et de séduction presque pervers, malsain mais irrésistible. On suit avec entrain Maurice Pons le narrateur dans cette enquête, avec amusement et une curiosité un peu malsaine. On aime de plus en plus ce personnage, sorte de détective amateur, sympathique, piquant et passionnant, son ex-femme, son amante, son fils qui passe de temps en temps sur sa moto, ses petites habitudes… On ne le lâche plus, aimanté nous aussi par le charme et l’ombre de Mademoiselle B.

La chute n’en sera que plus dure, d’une violence qui vous laisse en boule, prostré et terrifié.



On ne dira jamais assez quel grand auteur est Maurice Pons, qu’il faut toujours aborder ses livres avec précaution, même si l’on sait que rien n’y fera, la plongée sera totale et l’on en ressortira autre, plus humain.



Marcelline
Lien : http://www.undernierlivre.net
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Les Saisons

Un récit comme je les a-do-re! inclassable. Dans la trempe de la Conjuration des imbéciles, j'ai bien l'impression que ça passe ou ça casse. Et là, Maurice Pons, ça vole au dessus de tout!! Un régal. Enfin...on est dans le monde de la pourriture, l'humour est effectivement désespéré comme le dit la 4è, on a du grotesque, du loufoque à s'en plier en deux, de la surprise à s'en faire écarquiller les yeux, des pourritures à s'en remplir les narines et une histoire qui ne peut pas se terminer mieux. Rien n'est envisageable, on se laisse ballotter dans cette espèce de contemplation de bas fonds, toujours retenu par un genre d'espoir mal placé. On croit à une petite pointe d'humanité et bam, l'auteur nous relance dans la boue, les mots sont détournés, les discours perdent toutes leurs splendeurs.



Et puis une écriture inclassable, écoutez ça : "Siméon, à bout de forces, assis comme un noyé au terme de ses épreuves, lorsqu'il a touché du pied un instant le fond de la mort et qu'il retrouve soudain, sur le brancard de quelque brigade fluviale, parmi les casques d'or, les lances d'argent et les blousons de cuir des sapeurs, l'étrange soleil noir de la vie." P245

C'est vraiment un drôle de bouquin!!



Merci à Chrystèle et William, et Marie Laure, ben fonce dès ce soir dessus ;-)



Quand après ça j'ai demandé à ma libraire quoi lire du genre? elle m'a proposé les Ferrailleurs, d'Edward Carey. Si vous même vous en avez déniché un autre, je vous en prie, partagez votre coup de coeur ;-)
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Les Saisons

Siméon n’a qu’une ambition : coucher sur le papier ses douloureux souvenirs. Il en ressent la pressante nécessité, telle une purge. Pour se poser, il a choisi un village que l’on situe (et vous me pardonnerez l’expression) au trou du cul du monde habité. Siméon, avec pour seuls bagages sa candeur et ses ramettes de papier, va faire l’expérience de son identité d’étranger. Il y a sur sa route des personnages extravagants, aussi fascinants que repoussants, décrits de manière fabuleuse (p18, p40) et qui se nourrissent exclusivement de lentilles (sous toutes ses formes). Il y a la grosse aubergiste qui provoque des tremblements de terre à chaque fois qu’elle ôte son corset. Le rebouteux qui opère avec le même entrain, et les mêmes moyens, les hommes et les bêtes. La petite Louana qui en sait beaucoup trop sur la reproduction. Et puis, et puis (reprendre l’air de Frida de Jacques Brel), il y a Clara qui n’est pas belle comme un soleil, qui fait un drôle d’usage des grenouilles mais dont la toilette a ému Siméon et qui, par la seule vision de sa nudité, justifie ses souffrances. Quel bestiaire humain ! Toutes ces gueules perchées entre Délicatessen et le Nom de la rose, magnifiées dans des descriptions de haute volée qui font honneur à la langue française. Un régal. C’est une histoire loufoque, déjantée, à la limite du fantastique, dont la première partie a dû inspirer l’un des premiers romans de Douglas Kennedy, Piège Nuptial. Le personnage de Siméon est très attachant. On le suit dans ses aventures improbables, tantôt avec horreur, tantôt avec amusement. Cette fable fantastique dissimule aussi des morales. Quand on se coupe du monde, on s’ampute (les Lacaniens apprécieront en le lisant). Non que l’herbe soit plus verte ailleurs, mais on se lasse de la regarder pousser. Maurice Pons s’était donné la peine d’inventer une histoire, et de la raconter de la plus belle manière possible. Fait rare, de nos jours.
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